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dimanche 26 septembre 2010

Wohl kenn' ich dich ! - Le Vaisseau Fantôme de Wagner et sa représentation - [Schneider, Paris Bastille, septembre 2010]


Vous trouverez dans cette notule beaucoup de liens vers des développements autours des sujets ici abordés (sur les oeuvres et sur la technique vocale).

A partir de la représentation du mardi 21 septembre 2010, sous le haut patronage de R. D.-W.

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Il est toujours difficile de revenir sur une oeuvre particulièrement chère et riche. On peut se contenter, donc, de rappeler que le Hollandais Volant constitue une prolongation de l'esthétique du premier romantisme. Si vous écoutez l'Ouverture du Vampire de Marschner, antérieure d'une dizaine d'années, vous serez frappé non seulement de la construction thématique identique (ouverture pot-pourri brillante, alternance comme dans l'ouverture française du Grand Opéra ou chez Weber et même chez certains italiens, comme le Nabucco de Verdi, de thèmes lents et vifs tirés de l'opéra, et s'achevant dans une cavalcade assez spectaculaire et jubilatoire), mais également des parentés mélodiques et harmoniques, la couleur d'ensemble étant profondément identique. Le fantastique des deux sujets n'est pas sans lien non plus avec un goût d'époque (Der Freischütz, Robert le Diable, Der Vampyr, Hans Heiling...), et certaines figures qui paraissent peut-être audacieuses si l'on a écouté que Weber sont en réalité déjà présentes chez Marschner, en particulier les orages.
[Si vous pouvez écouter Günter Neuhold dans cette oeuvre, c'est lui qui rend le mieux cette filiation. Elle était néanmoins assez audible mardi soir chez Schneider, très grand interprète de Fidelio.]

Mais cette oeuvre ne peut être résumée à ses origines allemandes, on y entend aussi certains traits italiens, en particulier son goût du lyrisme (les doublures de violoncelles dans le duo Senta / Hollandais), et surtout les deux airs d'Eric, de véritables cantilènes belcantistes, avec gruppetti, longues lignes, accompagnements en arpèges brisés.
[Pour s'en convaincre, l'enregistrement de Woldemar Nelsson est idéal, la filiation italienne est poussée assez loin avec beaucoup de bonheur.]

Et cependant, comme déjà Les Fées, mais à un degré infiniment supérieur, la partition dépasse de loin tout cela. Bien sûr, elle continue à adopter une intégration musicale des récitatifs (et non pas des dialogues comme dans le Vampyr), mais ce n'est plus sous forme de récitatif assez sec et dépouillé, servile prosodiquement. Ce sont de véritables ariosos, au moins aussi performants que les récitatifs de Meyerbeer, et même encore plus intégrés et musicaux. La frontière entre "numéros" et récitatifs devient ainsi très ténue.

L'usage des motifs lui aussi se révèle profondément novateur. Grétry utilisait déjà la caractérisation instrumentale (le trio de flûtes attaché aux récitatifs du personnage d'Andromaque) ; pour les personnages Meyerbeer a été l'un des premiers à utiliser des motifs récurrents très nets, avec leur orchestration attachée (pizz et timbales sur un accord majeur égrené pour Bertram dans Robert le Diable). Wagner pousse la chose plus loin : le motif devient structurant pour l'ensemble de la musique. Certes pas avec la plasticité et la complexité qu'il acquerra dès Tristan, mais à un degré finalement supérieur à Tannhäuser et Lohengrin. Le motifs ne s'attachent plus véritablement à des personnages, plutôt à des entités ou des idées (le vaisseau fantôme, la Rédemption...). Et c'est sans cesse que l'on entend les appels du vaisseau, qui émergent d'autres musiques (la fin de la chanson du Pilote, le choeur des marins fêtards à l'acte III). Le motif n'est pas simplement cité, il imprègne la musique dans son ensemble.

D'une façon plus générale, le raffinement musical, le spectaculaire très réussi des figuralismes maritimes (mais très denses musicalement, leur intérêt ne se limite pas du tout à de l'imitation de la nature), les surprises se rencontrent ici à un degré assez rarement atteint par n'importe quel autre compositeur d'opéra à cette époque - Meyerbeer y compris.
[La version Böhm exalte beaucoup cet aspect innovant en donnant à la partition une dimension qui excède largement l'opéra romantique germanique.]

Enfin, la tension continue du livret et son équilibre rendent le résultat totalement enthousiasmant, et en permanence - où sont les tunnels ?
Un exemple est assez frappant : ses scènes de genre sont à la fois pittoresques, amusantes et très reliées au drame. Les fileuses faussement anecdotiques mettent ainsi en avant la singularité de Senta et son attente d'un autre genre, plus sombre et inquiète.

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La soirée a de toute façon été merveilleuse en entendant une oeuvre de ce calibre servie à haut niveau. Je suis par ailleurs en désaccord avec la plupart des commentaires que j'ai pu lire, parfois le fruit de souhaits un peu épidermiques ou alors plongés de considérations assez idéologiques (quand un vieux chanteur doit se retirer, par exemple).

Je vais donc tâcher de m'en tenir à ce qu'on pouvait constater, et non pas à ce que l'on aurait pu souhaiter : si on m'avait confié la distribution, clairement, je n'aurais pas embauché les interprètes des trois rôles principaux et sans doute aurais-je même choisi un autre chef - il est toujours possible (et naturel) de rêver mieux que l'excellence qu'on a déjà.

Suite de la notule.

David Le Marrec

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