Carnets sur sol

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dimanche 30 mars 2014

Reynaldo HAHN – La Carmélite & les nouvelles générations du CNSMDP


Le CNSM offre, au fil de l'année et plus particulièrement à chaque échéance pour les étudiants, des spectacles de haut niveau dont l'entrée est gratuite. Comme chaque année, je fais mon petit marché.

1. Les précédents

L'an passé, comme en 2011 (avec Cécile Achille et Raquel Camarinha) et en 2012 (avec trois accompagnateurs merveilleux, dont Philippe Hattat-Colin), c'était le récital de la classe de lied & mélodie de Jeff Cohen qui tenait la vedette ; sur cinq chanteurs, trois remarquables interprètes (Laura Holm, Caroline Michaud et Samuel Hasselhorn – ce dernier même exceptionnel dans son répertoire de prédilection, le lied schubertien, et nettement plus en voix qu'au Petit Palais), et un petit miracle en la personne d'Elsa Dreisig : voix radieuse de soprano lyrique assez léger, timbre haut et projection fière, maîtrise virtuose des langues, finesse des intentions, et même un abattage scénique remarquable (posé sur un joli minois, l'effet est réellement ravageur). Même chez les plus grandes gloires, on a rarement la combinaison à ce degré de toutes les qualités requises chez le chanteur lyrique, à la fois.

Mais le CNSM ne nourrit pas que des liedersänger en son sein, et cette saison, tenté par la résurrection d'encore un autre Hahn inédit, j'ai fait un peu de place dans un agenda serré.


Début de l'acte III : Igor Bouin (le Comte Clidamant) fait le petit récit de baryton, puis entre Marina Ruiz (Hélys, suivante de Louis de La Vallière), après les rires. Où l'on entend la versatilité de l'écriture de Hahn, virevoltant en permanence entre les caractères opposés.


2. La Carmélite (1902) de Reynaldo Hahn (1874–1947)

Le Hahn que nous connaissons, le compositeur d'opéras légers, voire d'opérettes, est celui de la maturité : à partir des années 20 (Ciboulette) et surtout pendant les années 30 (Ô mon bel inconnu, Le Marchand de Venise, Malvina). Il existe déjà beaucoup de manques dans cette période (Mozart, Une revue, Le Temps d'aimer, Brummell manquent, sans parler de l'excellente musique non scénique et du plus tardif Le Oui des jeunes filles), mais la période précédente est vraiment mal documentée (La Colombe de Bouddha en 1921, qu'on vient de réentendre, Nausicaa en 1919, un véritable opéra pour Monte-Carlo, l'opérette Miousic en 1914 en collaboration avec Saint-Saëns, Messager et Lecocq, et La Carmélite en 1902... tout cela fait défaut au disque et sur scène).

Avant La Carmélite, le jeune Hahn – significativement, l'opéra est dédié « À ma mère » – n'avait écrit qu'un Agénor écrit pendant ses dix-neuf ans (1893), jamais publié (possiblement inachevé), et L'Île du rêve en 1898, une « idylle polynésienne » en trois actes d'après Pierre Loti – on se demande à quoi cela peut bien ressembler, sans être forcément très tenté...

La Carmélite (contrairement à ce que dit le programme du CNSM, qui parle d'opéra comique, un genre jamais traité par Hahn) est qualifiée par le compositeur de « comédie musicale », et ce sous-titre pouvait bien sûr prêter à confusion – à plus forte raison lorsque l'équipe, deux mois plus tôt, en avait proposé une vraie au public (Ligne 5, belle composition ad hoc). Et, étrangement, cela n'en reflète nullement le contenu : il s'agit d'un véritable opéra, long et fort sérieux. À peine trouvera-t-on quelques allègements chez les seconds rôles, mais on ne peut même pas parler d'humour. J'ai au passage passé un assez long moment d'adaptation à cause de cela, m'attendant à retrouver le Hahn espiègle, et étant plutôt confronté à sa musique de chambre et à un ton lyrique tourné vers le grand opéra, que je ne lui connaissais pas.


Musicalement, malgré la réduction piano, c'est un compositeur dans la pleine de maîtrise de ses moyens qu'on entend, d'aspect très varié, généreusement modulant, jamais innovant. La partie orchestrale est vraiment superbe de bout en bout, aussi bien dans l'accompagnement vif des réparties que dans les interludes descriptifs, les emprunts archaïques façon Henry VIII ou les épanchements lyriques où les cordes doubleraient les voix. Bref, c'est bien beau.

En revanche, le livret de Catulle Mendès, pour lequel j'ai au demeurant beaucoup de sympathie (outre son nom rigolo, il a inventé quelques jolies nouvelles, modestes mais vraiment plaisantes), est une catastrophe. Il reprend minutieusement tous les poncifs de la plus célèbre des histoires d'alcôve, réussissant à la fois à concentrer le plus de mensonges historiques, de grandiloquences risibles, et à tuer toute surprise possible, tant les moindres outrances de la légendes sont religieusement reproduites. Le tout dans une langue parfaitement plate et sans une once d'allègement qui pourrait donner un peu de lustre et de malice – je m'attendais à une parodie spirituelle, j'en ai été pour mes frais. Il faut dire qu'attendre de la spiritualité de la part de Catulle Mendès était sans doute un peu ambitieux – ou alors au sens de ce final sulpicien qui ferait hurler au mauvais goût les plus fidèles grenouilles de bénitier de Saint-Nicolas-du-Chardonnet.

Résumé de la pièce : Louise (future duchesse de La Vallière, mais tout le monde l'appelle Louise parce qu'elle est bonne et simple, bien sûr) est une innocente créature échappée de la campagne, arrivée un peu par hasard à la Cour, dans le but de servir humblement. Elle aime sans espoir et sans concupiscence le Roi, comme une enfant. Le Roi est bouleversé par cet amour désintéressé, et se répand en maint duo d'amour, mais voilà, l'évêque (Bossuet, bien sûr, sinon ce ne serait pas drôle) lui dit qu'elle sera damnée, tout ça. Alors elle est triste (et un peu abandonnée par le roi, aussi), elle peigne les cheveux de la Montespan pour lui prouver son humilité, et elle finit par casser avec son petit copain, avant de partir au cloître. Au cloître, tout va bien, chœurs célestes, l'évêque la félicite, la reine vient l'embrasser pour lui dire qu'elles sont sœurs (genre) parce qu'elles partagent le même amour inconditionnel de ce volage qui en a bien le droit puisqu'il est choisi par Dieu.
Dit comme ça, ça semble rigolo, mais quand on entend ce Louis XIV ténoret, quand Louise pépie pendant un quart d'heure devant les oiseaux de Trianon du jardin, ou pleurniche pendant trente minutes en robe de chambre sur le palier de la Montespan, je vous assure que le sourire finit par vous quitter.

Malheureusement, l'écriture vocale s'en ressent : la veine mélodique n'est pas très puissante, comme si les moyens musicaux puissants mais consensuels de Hahn cherchaient à se courber à la hauteur du texte.

3. Les étudiants de L2 et L3 au CNSM

Une fois dit que la pièce été profondément ennuyeuse malgré ses qualités musicales, il faut mentionner, en plus de l'intérêt de la découverte (qui reste entier, ce titre et ce sujet susciteraient la curiosité de tout le monde, je crois), la qualité remarquable du spectacle.

D'abord la direction du piano de Yann Molénat : en deux heures trente de spectacle, je n'ai pas entendu une paille dans l'accompagnement, toujours un beau galbe musical, très présent, et complètement attentif aux chanteurs. Scéniquement aussi, il y a certes à faire, mais le livret est exploité au maximum dans une scénographie épurée où chacun a quelque chose à faire : le travail de fond d'Emmanuelle Cordoliani a porté ses fruits. De même, avec peu de dépense manifestement, les costumes inspirés du XVIIe siècle mais faisant largement écho aux usages vestimentaires d'aujourd'hui étaient très réussis (Sonia Bosc).

Les niveaux étaient très différents : à ce stade, certains ont déjà atteint leur maturité vocale et leur équilibre, tandis que d'autres le pressentent et l'améliorent encore. Le phénomène est particulièrement sensible dans les chœurs, où les harmoniques encore désordonnées des voix féminines s'entrechoquent (chacune continuant d'emprunter sa « voix de soliste », on n'entend plus aucune ligne) et où la justesse se dérobe.

Ce n'est pas encore la fin de l'année universitaire, mais comme j'ai fait quelques-unes de mes plus belles découvertes lyriques de la saison, petite remise de prix (avec extraits sonores).

Suite de la notule.

jeudi 13 mars 2014

Victorin de Joncières : un autre critique compositeur


Alors que vient de paraître Dimitri sous l'égide du Palazzetto Bru Zane, un mot sur la symphonie de Victorin de Joncières, jouée dès avril 2011 et qui doit être publiée ultérieurement. Et quelques indications sur les prochains projets lyriques de la Fondation Bru Zane.

1. La « Symphonie Romantique » (1873)

Joncières est avant tout un critique musical (sous le nom de Jennius dans le journal La Liberté, pendant tout le dernier quart du XIXe siècle), wagnérien et franckiste, musicien amateur mais sérieusement formé. Ses œuvres scéniques (de l'opérette au grand opéra), quoique discutées, ont été plutôt bien accueillies en son temps.

Aujourd'hui, comme contemporain (1839-1903) de Bizet, Brahms et Tchaïkovski, il n'appartient pas à la phalange des compositeurs majeurs, mais Bru Zane l'a sélectionné, parmi tant d'autres choix possibles (dont beaucoup m'auraient paru plus judicieux) ; concernant la Symphonie Romantique, toutefois, cela s'explique assez bien : c'est un objet assez étrange, différent de ce qui s'écrivait à l'époque, très loin de tout style national.


Les deux derniers mouvements (scherzo et final) de la Symphonie romantique de Victorin de Joncières. Hervé Niquet et le Brussels Philharmonic en avril 2011 à la Scuola Drande di San Rocco.
Il faudra peut-être le réenregistrer pour le disque, parce que l'orchestre, capable pourtant de très belles choses dans un répertoire ultérieur plus exigeant techniquement, était en petite forme ce jour-là : bois très ternes, cordes pas très juste (manque d'habitude du non-vibrato ?). Le son et l'articulation évoquent davantage les formations de cacheton qu'une grande phalange européenne... avec une seconde session, le résultat pourrait avoir une tout autre allure. (Je retirerai la bande à ce moment-là... mais faute d'alternative, il est déjà merveilleux de pouvoir l'entendre !)


On y remarque le goût de Joncières pour les alliages, avec beaucoup de soli, d'essais de couleur (pas forcément fulgurants, mais la partition regorge de tentatives assez originales), de courts motifs très individualisés. L'œuvre ne constitue pas un monument incommensurable, mais les deux derniers mouvements sont intéressants, avec un scherzo d'atmosphère fantastique qui évoque Weber (danses du Freischütz), Czerny (Première Symphonie) et Mendelssohn (Songe d'une Nuit d'Été), qui culmine dans un climax orageux assez paroxystique, qui a peu d'équivalents. Le final est étonnant également, entièrement fondé sur un choral de vents accompagné par des descendes de cordes en trémolo, clairement inspiré de la procession de Tannhäuser (et, dans une moindre mesure, du final du Vaisseau Fantôme) ; musicalement, la substance du mouvement est simple, mais l'affirmation de sa simplicité diatonique et ses moyens d'orchestration amples le rendent très persuasifs.

À entendre, au moins une fois.

2. Les opéras

Outre quelques opérettes, l'ambition de ses titres sérieux ne laisse pas d'impressionner : musique de scène pour Hamlet, opéras sur Sardanapale, La Reine Berthe, Les Derniers Jours de Pompéi, Dimitri, son plus grand succès qui offre une autre vision de l'histoire de Boris Godounov et Grichka Otrepiev, et même un Lancelot du Lac, personnage finalement rare à l'opéra, toujours dans l'ombre d'Arthur. Un Lancelot composé par un critique wagnérien, créé (1900 !) exactement entre Fervaal de Vincent d'Indy (1897) et l'Arthus de Chausson (1903), même si les librettistes sont plus conventionnels (Louis Gallet et Édouard Blau, auteurs respectivement de Thaïs et Werther de Massenet), voilà qui intrigue.

Le 8 avril, on jouera à la Cité de la Musique des extraits du Dernier Jour de Pompéi. Couplage avec quelques-uns d'Herculanum de Félicien David, qui vient d'être joué à Versailles, où je ne l'ai pas entendu – mais la lecture de la partition ne m'avait vraiment pas ébloui, pas plus que l'écoute de la parution récente de Lalla-Roukh (Ryan Brown / Opera Lafayette) ni que ses œuvres plus célèbres de musique symphonique ou de chambre (même sans considérer qu'il s'agit de musique des années 1860, on ne peut pas dire que le manque d'audace soit compensé par une veine mélodique hors du commun).
Joncières est plus intrigant, mais à la lecture de la partition, les carrures rythmiques répétées à l'infini (et pas exactement sophistiquées, du type croche-croche-croche-croche) m'inquiètent un peu. Harmoniquement, la partition semble plus savoureuse que Dimitri qui ne m'a pas paru très aventureux. Mais je n'ai pas fini de lire l'un et l'autre, donc je réserve mon jugement après une lecture complète... et a fortiori après une écoute en action de ces musiques. Cela ressemble à du grand opéra pas très exaltant, mais parfaitement honnête, tout à fait de quoi se satisfaire lorsqu'on aime déjà le genre.

Dimitri, plus varié, semble aussi moins raffiné dans les couleurs. Mais j'en parlerai lorsque je l'aurai essayé au disque, dans les prochains jours.

3. Prospective et souhaits

Ce qui m'intéresserait le plus sort un peu des attributions romantiques de Bru Zane : pour en rester à ce que j'ai lu ou joué, Frédégonde de Saint-Saëns, La Dame de Monsoreau de Salvayre, les Bruneau inédits, Le Retour de Max d'Ollone, Hernani de Hirchmann, des Février, Ivan Le Terrible de Gunsbourg, L'Aigle de Nouguès...

Cependant il reste tout de même les premiers Reyer, Le Tribut de Zamora de Gounod (partition riche et trépidante, vraiment le bon côté de son auteur, et qui n'existe que sous le manteau avec accompagnement piano), Françoise de Rimini de Thomas (jouée à Metz il y a peu, mais qui mérite un enregistrement), Jeanne d'Arc de Mermet, Patrie ! de Paladilhe, et pas mal d'autres choses auxquelles je rêve... ou encore mieux, celles que je ne soupçonne même pas !

Je suppose que cela dépend aussi de compromis passés avec Hervé Niquet, qui est quasiment le seul collaborateur lyrique de leur entreprise.

À la lecture des partitions, ça ne me paraissait (de loin) pas le plus urgent, donc, mais je ne vais certainement pas cracher sur une véritable découverte en première mondiale.

4. Les projets de Bru Zane

Suite de la notule.

jeudi 27 juin 2013

« Éloignez-vous » : Une mélodie inédite de Dutilleux (sur un sonnet de Cassou)


Il est parfois bon de rappeler les valeurs sûres.

Sur le site de Jean-Baptiste Dumora, on peut entendre cette pièce dans son entier :

Suite de la notule.

dimanche 2 octobre 2011

L'Egisto de Marco Marazzoli & Virgilio Mazzochi - premier opéra en France ?


En ce moment à Pontoise, et à partir du 19 octobre au Théâtre de l'Athénée à Paris.

On supposait que le premier opéra italien donné en France était l'Egisto de Francesco Cavalli - moins célèbre que l'Ercole Amante, avec les fameux divertissements ajoutés de la main du jeune Lully. Mais depuis un an, on a exhumé un autre Egisto qui pourrait bien être ce premier opéra, celui de Marco Marazzoli et Virgilio Mazzochi : un Egisto comique, qui depuis 1637 a circulé en Italie sous diverses dénominations : Il Falcone, ou encore Chi soffre, speri ("Qui souffre espère").

Suite de la notule.

samedi 1 octobre 2011

Ring Saga, la tournée


On avait déjà annoncé l'exploit de ce Ring pour ensemble de chambre, sa bizarrerie aussi - coupures, justifiées par des prétextes dramaturgiques assez douteux sur ce qui est utile et ce qui ne l'est pas...).

On avait même commenté les répétitions ouvertes au public, dans le Far West francilien. C'est dans ce même théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines que la production s'est répétée durant le mois d'août...

Et nous assistons désormais à la tournée dans la France entière. Arte nous fait la grâce de capter pour l'éternité et de diffuser sur son site de concerts Arte Live Web l'ensemble des quatre spectacles depuis Strasbourg. En ce moment même, Siegfried est en cours. Et les autres volets sont réécoutables ou le seront prochainement.

Je n'ai pas encore eu le temps d'y jeter un oeil, mais c'est évidemment vivement recommandé si jamais vous partagez un tant soit peu les perversions des lutins en direction des réductions et transcriptions de toutes sortes. Ou bien celles, moins originales, concernant les poids plumes dans les rôles écrasants.

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Ring Saga, version du Ring de Richard Wagner arrangée par Jonathan Dove pour la réduction instrumentale, par Graham Vick pour les coupes dramaturgiques. Nouvelle production, dirigée par Peter Rundel et mise en scène par Alexandre Gindt.

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Commentaires sur les différents volets :

Suite de la notule.

samedi 27 août 2011

Charles-Simon CATEL - Sémiramis (et son temps) - recréation Niquet Montpellier 2011


A l'écoute, je suis frappé par le caractère encore une fois singulier d'une oeuvre (1802) dans ce secteur si peu exploré par le disque et la scène...

Certes, on entend bien le pont entre Andromaque de Grétry (1780) et Fernand Cortès de Spontini (1809), les liens aussi avec les Danaïdes de Salieri (1784), bref un chaînon manquant de plus dans une époque encore mal documentée.
On peut aussi y relever des tournures (en particulier conclusives, ou pendant les duos d'amours) apparentées au style mozartien : duo de l'acte I avec La Clemenza di Tito (1791), duo de l'acte II avec Don Giovanni (1787 ; des traits communs avec "Fuggi crudele", qui n'est pourtant pas banal).

Mais le plus étonnant, c'est que l'ouverture et certains moments du premier acte m'évoquent fortement... Alfonso und Estrella de Schubert (1821) !

Toute une époque qui passe en revue, et on entend ici parfaitement l'emplacement chronologique de Sémiramis.

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Il y reste beaucoup de traits de la tragédie lyrique de la "quatrième école", en particulier les récitatifs, très proches de l'Iphigénie en Tauride de Piccinni, des Danaïdes et de Tarare de Salieri, de Guillaume Tell de Grétry... L'invocation de l'oracle sous forme de choeur mystérieux évoque d'ailleurs beaucoup le précédent de Callirhoé de Destouches (1712, refonte 1743). Et les trombones dramatiques sont du pur Gluck du point de vue du matériau, mais utilisés d'une façon dramatique qui évoque quasiment le goût de Berlioz. [En fait, ça ressemble furieusement à la toute fin de l'air d'Aubry à l'acte II du Vampyr de Marschner (1828).]

Les récitatifs sont écrits avec une belle véhémence, sans atteindre la puissance des plus belles pages de Grétry, Salieri ou Gossec (pour Thésée). En revanche, cette Sémiramis peut, en termes de matière musicale, rivaliser sans peine avec Gluck, Piccinni et Sacchini (et surpasser la majorité de leur production aujourd'hui publiée). Le lien avec ce dernier est d'autant plus évident qu'on a déjà parlé des parentés de Chimène ou Le Cid avec Don Giovanni...

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J'y reviendrai sans doute, et je laisse donc les éloges sur l'exécution de Niquet pour plus tard. Mathias Vidal est particulièrement épanoui, comme d'habitude, dans la tragédie lyrique "mature" des troisième et quatrième écoles, mais ici, il rayonne tout particulièrement.

dimanche 21 août 2011

Vidéo Lohengrin Bayreuth : Andris Nelsons / Hans Neuenfels


Comme certains lecteurs de CSS ont manifesté ici ou là leur intérêt pour un avis sur cette production, voici ce que je répondais brièvement en commentaire à Sentierdelune :

Suite de la notule.

lundi 1 août 2011

Bienheureux retard - [Le Paradis Perdu de Théodore Dubois]


1. Emplacement historique

Je suis frappé, en écoutant avec délices Le Paradis Perdu de Théodore Dubois, de la parenté avec, certes, sa manière bienveillante habituelle (voir la description du Quintette pour piano, hautbois et cordes), mais aussi avec L'Enfance du Christ d'Hector Berlioz.


Un des - nombreux - moments forts de l'oeuvre.
Recréation mondiale, donnée Salle Pasteur à Montpellier, ce 14 juillet 2011 avec Chantal Santon (Eve), Jennifer Borghi (L'Archange), Mathias Vidal (Adam), Alain Buet (Satan). Ensemble chambriste formé par des solistes des Siècles, choeur Les Cris de Paris, l'ensemble dirigé par le directeur historique des Cris de Paris, Geoffroy Jourdain.


Il est amusant de voir que Dubois a pu écrire en 1878, dans un style consonant et naïf, ce que Berlioz avait réussi à faire passer, en 1854, pour un oratorio caché de la fin du XVIIIe ! Certes, avec le recul, nous sourions un peu de cette mascarade, parce que l'Enfance aurait été très neuve pour une fin du XVIIIe, même en convoquant le Salieri lyrique français de Tarare et Danaïdes, le Gossec de Thésée ou le Méhul de Joseph en Egypte. Les alliages instrumentaux et les transitions harmoniques n'y sont pas celles de la fin du XVIIIe siècle. Mais cette simplicité-là, en revanche, renvoie plus aux années 1820-1830 qu'à 1854, et encore moins 1878 !

C'est une fois de plus une preuve de la représentation erronée qu'on se fait généralement de l'histoire de la musique, qui est restée une histoire-bataille, comme si à partir de La Mer et Elektra tout le monde s'orientait vers une destruction de la tonalité et comme si après Parade tout le monde écrivait de la musique concrète.
Dans la réalité, les compositeurs célèbres demeurent des exceptions (et c'est bien pourquoi ils nous fascinent, parce que leur discours est singulier et puissant...). Et juger la production musicale à leur aune revient à considérer toute la production musicale avec quarante ans de décalage.

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2. Spécificités de Dubois ?

Et quoi qu'il en soit, en tant que tel, dans un style qui peut le faire joindre à Méhul en passant par Berlioz (le choeur final, lui, évoque ceux des Psaumes de Mendelssohn !), il existe une forme de sincérité très particulière dans la musique de Dubois, comme si elle était écrite sans ambition de singularité, mais en aimant les consonances existantes.

Et en fin de compte, on obtient une couleur qui, personnellement, me paraît réellement propre à ce compositeur, et surtout très touchante si on n'est pas rétif à la consonance.

Tout cela s'incarne à merveille dans ce très bel oratorio présenté au festival de Montpellier. Une fois qu'on s'est habitué à la transcription d'Olivier Schmitt pour ensemble réduit (mais judicieux : quintette à cordes, quintette à vents et piano), écrite pour l'occasion, on y gagne de la transparence et de belles couleurs - en y perdant un peu de drame dans les grands éclats.
Il est à noter cependant que ce choix n'est pas tout à fait arbitraire, puisqu'il subsistait seulement une réduction piano / chant. Dans ce contexte, Olivier Schmitt a même été obligé de recomposer une partie de la partition, puisque la réduction piano implique bien entendu de supprimer des détails - des détails qu'il a dû imaginer à nouveau pour obtenir une orchestration cohérente. Il semble en revanche que l'ensemble de chambre de ce type lui ait été imposé (peut-être pas à l'instrument près, mais en tout cas dans l'essentiel).

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3. Livret

Enfin, concernant le texte (inspiré de Milton), la générosité d'Adam qui veut se substituer à Eve pour un crime que, dans le livret, elle est seule à commettre à l'origine, ne fait pas passer Dieu pour très beau joueur... ni la femme pour une créature très réussie. Si la seconde proposition était peut-être acceptable pour Dubois et ses contemporains, je doute que la première, qui rend encore plus "inhumain" le Dieu de l'Ancien Testament, ait jamais été dans les projets de cet oratorio.

Si bien que malgré le châtiment qui fonde une partie de la théologie chrétienne, Dubois propose un final qui exalte au contraire le pardon, ce qui constitue pour le moins une exotique conclusion au sujet d'Eden.

Certes, Milton finit de façon optimiste :

Som natural tears they draped, but wiped them soon ;
The World was all before them, where to choose
Their place of rest, and Providence Their guide :
They hand in hand with wadding steps and slow,
Through Eden took Their solitaire way.

Néanmoins, contrairement à Dubois qui semble exulter, ce vague soutien de la Providence n'y occulte pas l'image du quatrain qui précède directement cette fin :

They looking back, all th' Eastern side beheld
Of Paradise, so late Their happier seat,
Waved over by that flaming Brand, the Gate
With dreadful Faces thronged and firey Arms :

Il y a de quoi s'interroger sur les libertés possibles avec le texte saint chez un compositeur aussi lié au sacré, même lorsque les cantates sont destinées au concert : parce qu'en l'occurrence, la couleur originelle de la Genèse est assez notablement fléchie. Evidemment, au vingtième siècle, les lectures démystifiantes ou au contraire "refictionnalisées" n'ont plus le même caractère subversif, puisqu'elles ne sont plus censées influer directement sur la foi, et que les sujets religieux en concert sont généralement considérés comme des objets d'art indépendants.

vendredi 8 juillet 2011

Daniel Catán - Il Postino - Une nouvelle école d'opéra (et un nondernier rôle pour Plácido Domingo)


L'occasion, au détour de ces représentations autour du monde (et en l'occurrence au Théâtre du Châtelet), de s'interroger sur les façons de composer un opéra, au fil de l'histoire et aujourd'hui.

1. Public et contexte des représentations (le 30 juin) - 2. L'oeuvre - 3. Place dans l'Histoire - 4. Vers une nouvelle école du drame lyrique ?

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1. Public et contexte des représentations

Comme prévu, l'étiquette opéra contemporain était répulsive pour le grand public, et l'étiquette musique de film était négative pour la critique. Il restait d'ailleurs pas mal de places, ce qui est étonnant pour une apparition de Domingo - alors que même le lied fait salle comble avec Kaufmann, certes au faîte de sa gloire vocale.

C'est bien cette double appartenance qui intéressait les lutins, qui se sont rendus (en petit comité) parmi la meilleure société qui assistait à l'une des dernières apparitions vocales de Plácido Domingo - du moins avant l'amorce de sa nouvelle carrière de basse profonde.

Le public a réservé un accueil très enthousiaste - debout, et faisant relever le rideau très longtemps après le retour des lumières dans la salle - qu'on peut attribuer assez vraisemblablement à la présence de la légende vivante sur scène, mais c'est aussi un signe que l'oeuvre n'a pas déplu (peut-être la référence filmique a-t-elle aussi été appréciée ?).
C'était manifestement, aussi, un public plus "ingénu" que le public d'opéra habituel, pas un public de spécialistes, mais plutôt la nouvelle cible du Châtelet de Choplin, un public un peu plus familial, de curieux qui ont envie de faire une expérience à la croisée des styles, de se laisser surprendre.
Cela consiste certes, aux yeux des amateurs d'opéra, à se priver d'une partie de l'offre lyrique traditionnelle, mais on y gagne une offre qui n'existait pas et qui mérite vraiment d'être proposée : comédie musicale, créations à la croisée des styles (témoin la comédie musicale de Villa-Lobos la saison passée, Pop'pea la saison prochaine), opéras contemporains hors des sentiers de la modernité habituelle (The Fly de Howard Shore, Le Vagabond ensorcelé de Rodion Chtchédrine), et tout de même quelques oeuvres lyriques traditionnelles, parfois rares (Les Fées de Wagner, Cyrano de Bergerac de Franco Alfano)...

Bref, contrairement à ce qu'on avait beaucoup lu ou entendu chez les mélomanes, la gent farfadesque souhaitait vivement s'y rendre, et avec un a priori assez positif de surcroît.

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2. L'oeuvre

L'oeuvre a été accueillie favorablement par le parterre poulpiquisant. Il s'agissait, conformément aux attentes, d'une écriture de type filmique : un langage assez consonant, où domine le lyrisme des cordes. Et aussi d'autres choses plus profondes, sur lesquelles on revient tout de suite.

D'un point de vue structurel, il faut saluer l'usage de la poésie de Neruda, prétexte à air ("Desnuda"), noeud de l'action (le plagiat victorieux de Mario), ou encore ponctuation de l'action. C'est généralement la faiblesse des oeuvres dramatiques qui font hommage à un artiste : la vie de l'artiste n'est pas la plus passionnante, et rien ne peut traduire la spécificité d'un peintre ou même d'un musicien ancien dans un opéra... On reste au degré le plus superficiel, à la paraphrase en somme.
Or ici, la poésie de Neruda innerve tout le drame et en nourrit même l'intrigue, une belle réussite, une belle plus-value, qui met en valeur l'usage de la langue espagnole, rare à l'opéra (Albéniz lui-même composait en anglais...).

N'ayant pas encore ni lu le roman originel, ni vu le film-source (c'est en projet), impossible de juger de l'adaptation lyrique, il y aura peut-être matière à nouvelle notule dans ce cas ; néanmoins, en l'état, le livret fonctionne bien malgré la fragmentation de ses scènes (des changements de lieux brutaux, peu "théâtraux"). Le découpage en actes reste certes artificiel, et le pourquoi de l'oeuvre attend le troisième et dernier pour se manifester - néanmoins, on s'attache à cette routine avec les personnages, dans un sujet peu tendu et peu paroxystique, inhabituel à l'opéra.

L'écriture vocale n'est ni d'un récitatif très véridique, ni d'un mélodisme particulièrement inspiré : la ligne vocale s'intègre à la musique, sans relief spécifiquement faible ni accusé.

L'oeuvre culmine dans le récit (matérialisé par un véritable flash-back musical) de la mort de Mario dans la manifestation où il lit son poème : la gestion des masses sonores, le choeur s'entrechoquant avec l'orchestre, constitue réellement le moment fort, musicalement, de toute l'oeuvre (plus banale, d'une certaine façon). C'est aussi le moment fort du point de vue de l'émotion, mais de façon assez déconnectée de la musique, étrangement : la musique impressionne et la situation touche, séparément.

Sans avoir rien d'extraordinaire, l'oeuvre est réellement séduisante.

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3. Place dans l'Histoire

Il est particulièrement intéressant de s'attarder sur la construction de l'oeuvre. Daniel Catán n'est pas un compositeur prestigieux, dans le sens où il n'écrit pas dans un style neuf, ni des oeuvres qui représenteraient l'aboutissement d'un style, même conservateur (il est parfois qualifié de "néo-romantique", si ce terme a un sens).

Et son type d'écriture s'apparente ici à de la musique de film. On pourrait le rapprocher de Marius et Fanny de Vladimir Cosma, qui était une très belle réussite dans un style anti-classique d'une certaine façon. Ce qui signifie ?

Voyons cela :

Traditionnellement, l'opéra s'écrit dans une alternance entre récitatifs (pour faire progresser vite l'action, on suit les inflexions de la voix parlée) et "numéros" (les moments de bravoure vocale et musicale : airs et ensembles). A partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, les finals s'émancipent et deviennent de la musique en continu, faite de récitatifs accompagnés à l'orchestres, de tirades, d'ensembles, le tout de haute teneur musicale.

Puis arrivent les premiers drames en musique à flux continu - Rossini (Guillaume Tell, 1829), plus encore Meyerbeer (Robert le Diable, 1831) et Wagner (''Der Fliegende Holländer, 1843), où les récitatifs sont tellement soignés et tellement intégrés au reste de la musique (Meyerbeer interrompt ses numéros par ses récitatifs, Wagner fait conclure ses airs par des récitatifs, bref impossible de les retirer) qu'on doit les considérer au même titre que les numéros, comme de la "musique pure".
En suivant cette voie, les compositeurs vont épouser tout simplement les contours du drame, en utilisant les moyens que réclament telle ou telle situation (en particulier les français à partir de Chausson et d'Indy, et les germaniques après Wagner, mais aussi Puccini...).

Enfin, les compositeurs vont pour certains développer, en particulier à la suite de Wagner (décidément central à tout point de vue dans l'histoire de l'opéra...), une substance musicale progressivement au fil d'une même scène, voire de l'opéra tout entier (leitmotive, mais aussi matériau thématique propre à un moment précis).

L'opéra a dont deux façons de s'écrire :
=> à "numéros", mais cela ne se fait plus, sauf dans l'opérette / comédie musicale (mais de façon évidente, à cause des dialogues parlés - de plus le genre ne descend pas de l'opéra, en réalité) ;
=> de façon linéaire, en suivant le drame ;
=> en maintenant la tradition du développement en musique classique, au moins en conservant une couleur commune dans l'oeuvre, et en conservant des unités de matériau thématique au moins au sein d'une même scène.

Les trois prositions peuvent se nourrir les unes des autres et cohabiter. Dans Die Walküre de Wagner, les trois se rencontrent : on dispose bel et bien de vestiges de l'alternance récitatif-air (typiquement les "Adieux de Wotan", précédés d'un "récitatif" moins mélodique avec Brünnhilde), mais tout est conçu pour suivre le texte, dans ses plus petites inflexions... et cependant jaillissent des motifs récurrents qui structurent l'oeuvre de façon plus globale.

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4. Vers une nouvelle école du drame lyrique ?

Ce qui surprend est que Daniel Catán, malgré une certaine unité de ton (mais plus par style propre que par choix spécifique de couleur), malgré certaines parentés mélodiques (ici aussi, pas forcément volontaires), et malgré aussi certains retours thématiques (ponctuels et bien trouvés), n'adopte réellement aucune des trois propositions.

Bien sûr, on y trouve des moments identifiables comme des airs ("Desnuda", typiquement) ou des duos (le duo d'amour qui précède le mariage, à l'acte II, également pénétré du sonnet). Mais la musique n'épouse pas au plus près la déclamation, loin s'en faut, et ne développe pas non plus un discours musical élaboré.

En réalité, et c'est là que la chose devient intéressante, Catán traite son opéra comme un film, exactement comme Cosma. Ses unités ne sont pas musicales ou vocales, ce sont des unités d'action. Chaque scène a sa musique (certes pas très typée d'une scène à l'autre, même si l'on dispose des interventions du phonographe et du très beau lyrisme orchestral qui accompagne la séance d'enregistrement des sons d'Italie). Les scènes ne sont pas subtilement liées, elles se juxtaposent plutôt.

Cette "nouvelle" façon (surtout due à des compositeurs non spécialistes) est tout de même ancienne, on peut la remonter sans problème à l'Opéra d'Aran de Gilbert Bécaud (1962), qui ne fait pas le moins du monde école, mais qui est le premier d'une liste d'opéras au ton "grand public", renouant avec la facilité d'accès des siècles précédents. La contamination de la comédie rend parfois les frontières ténues, comme Call me Ishmael de Gary Goldschneider (composé de 1987 à 2003), et on avait déjà souligné l'influence inverse, de l'opéra sur la comédie musicale (Les Misérables de Schoenberg / Boublil).
Le côté séquentiel se retrouve aussi dans des oeuvres bien plus inscrites dans le XXe siècle "savant", comme 1984 de Maazel, où les différents tableaux sont également très segmenté, sauf l'acte III, immense arche insoutenable, dans une style chostakovitchobergien assez terrifiant, au meilleur sens du terme. Ici aussi, on n'entend pas un opéra traditionnel aux actes I et II (indépendamment du mélange des genres avec incursions, désormais habituelles, du jazz et de la chanson populaire).

J'avais été assez dubitatif (surtout que le poème était écrit dans une langue d'une assez grande maladresse) en écoutant Cosma, parce que j'y voyais toutes les faiblesses d'écriture (prenant un procédé, il l'éreintait sur dix minutes, le temps de sa scène, et pliait sa prosodie à sa trouvaille musicale)... mais en réalité, cela fonctionne assez bien pour créer du climat. Quelque chose en phase avec notre temps de zappeurs, en tout cas, ces saynètes cloisonnées.

Il Postino n'atteint pas l'intérêt ni le charme de Marius et Fanny, et ne mérite pas forcément d'être redonné, mais j'y retrouve ces qualités et cette nouvelle méthode d'écrire un opéra. Peut-être par faiblesse, manque de méthode ou de culture (?) au départ, mais le résultat ouvre une voie intéressante.
En tout cas une alternative plus viable auprès du public que l'opéra défragmenté, antiprosodique et antidramatique, qui prévaut chez beaucoup de compositeurs aujourd'hui (qui essaient d'assujetir le théâtre à leur style musical - ce qui est mal). Bien sûr, pas tous, mais le fait qu'un théâtre musical d'avant-garde cohabite avec un théâtre musical qui provienne du même héritage, mais se destine à une écoute plus facile et à un public plus large, me paraît très sain et stimulant. Les deux sont utiles, surtout s'ils existent simultanément.

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5. Et Domingo ?

Ah oui, puisque 95% des requêtes qui vont aboutir ici le seront vraisemblablement pour avoir de ses nouvelles : il va très bien. En tant que provincial jusqu'à une date encore fraîche (et pas spécialement à l'affût des "grandes affiches"), je l'entendais pour la première fois, et j'ai été frappé par son volume sans effort et son éclat (alors qu'il sonne désormais un peu lessivé en retransmission). Même avec l'imagination, on peine à se représenter l'électricité qu'il devait dégager il y a dix ans, sans parler des années 70 et 80... En l'état actuel, ça ne méritait sans doute pas l'ovation si insistante du public, mais eu égard aux services rendus et à l'énergie, malgré son record absolu du nombre de rôles abordés, pour en aborder toujours de nouveaux à son répertoire, y compris des créations...

La mise en scène de Ron Daniels, tout à fait littérale, ménage quelques beaux moments. D'abord l'effet de zoom lorsque la partie mobile du plateau s'approche du spectateur (effet qui est un peu trop répété par la suite), ensuite et surtout la très belle trouvaille de la projection, pendant les enregistrements des sons d'Italie, sur deux supports simultanément : le fond de scène, mais aussi le rideau translucide devant la scène, si bien qu'on éprouve l'impression de nager réellement dans cette eau, comme enfermé dans la projection - assez impressionnant. Nul doute que le procédé n'est pas neuf, néanmoins il était non seulement très à propos, mais surtout remarquablement réalisé.

Sinon, Jean-Yves Ossonce a fait ce qu'il a pu avec ses talents de phraseur lyrique pour tirer ce qu'il pouvait d'un fort bon Orchestre Symphonique de Navarre dans une partition pas toujours adroite (écriture en accords, peu contrapuntique, ce qui cordes aidant, crée l'impression de longs aplats à peine parcourus de colorations de cors...), le Choeur du Châtelet se révèle plein de relief, Cristina Gallardo-Domâs (Matilde Neruda) paraît un peu fatiguée (la voix s'est aigrie, et on lui confie désormais les rôles d'épouse, mauvais signe), Amanda Squitieri (Beatrice Russo) se révèle vaillante et maîtrisée malgré ses opacités et son timbre un peu dur, Patricia Fernandez (la tante Donna Rosa) tire le profit scénique d'un beau rôle de caractère (la seule "opposante", et gentille en plus) malgré une voix vraiment moche pour son âge, Victor Torres (Giorgio) sonne assez bien dans sa langue, moins fruste qu'à l'accoutumée, Laurent Alvaro développe toujours de façon plus impressionnante sa stature vocale (grosse projection), et en Mario Ruoppolo Daniel Montenegro (j'aurais choisir Charles Castronovo, mais l'alternance n'était pas indiquée et mes disponibilités étaient limitées) a un joli timbre un peu sombre, façon Castronovo, mais assez mal projeté, se diffusant réellement mal dans la salle - incarnation scénique en revanche de qualité.

Voilà, hop, tout le monde est servi.

Et la réflexion sur le genre opéra a gagné un peu de grain à moudre avec cette oeuvre.

Concert gratuit le 9 juillet


L'Opéra de Massy donne un récital hors les murs, en la vaste église de Saint-Sulpice-de-Favières (Essonne, à 20h30), d'un gothique rayonnant assez aéré. Pas certain du tout que l'acoustique y soit optimale, je conseille de ne pas arriver tard pour se trouver placé le plus près possible.


Concert accompagné au piano par Laetitia Jeanson, qui comprendra deux parties, consacrées prétendument aux "plus grands airs du répertoire", mais qui contient en réalité des duos, et des choses rarement proposées en récital.

En première partie, du Mozart (Noces, Don Giovanni, Flûte) ; en seconde, "air" de Blanche (Dialogues des Carmélites de Poulenc, pas franchement un standard des récitals de tubes), air du Prince Yeletski (Dame de Pique de Tchaïkovsky), grande scène de Tatiana (Eugène Onéguine), les deux airs-cultes de Carmen (la Habanera et le Toast), et le rare duo Leïla / Zurga des Pêcheurs de perles du même Bizet.

Un programme très sympathique, et avec quelques moments inattendus.

Côté voix, on diposera de Claire Servian (jamais entendue pour ma part, mais le fait qu'elle chante à la fois Blanche, Tatiana et Carmen indique un soprano lyrique large ou sombre, en principe) et d'Olivier Ayault, un baryton réellement excellent : mordant, coloré, diction parfaite.

Pour le prix, on peut s'estimer gâtés, et la visite est conseillée.

lundi 27 juin 2011

Saison 2010-2011 : moments choisis


On ne mentionne dans ce bilan subjectif que les soirées les plus remarquables. Les autres étaient aussi très bonnes, mais m'ont moins profondément marqué.

Fait assez notable cette saison, du fait de la largeur de l'offre - et, n'en doutons pas, de la clairvoyance du choix -, aucune soirée dont on soit sorti déçu. Soit qu'elle soit objectivement au minimum très bonne musicalement, soit qu'elle offre en contrepartie des découvertes de premier intérêt.

Au chapitre déceptions, ce seront donc trois représentations en deçà des attentes, mais absolument pas médiocres en elles-mêmes.

Suite de la notule.

Saison 2010-2011 : bilan statistique


Juste pour le plaisir d'observer les pratiques culturelles et surveiller un peu où mène son goût lorsqu'on le suit sans plan d'ensemble : classement comme l'an passé par lieu, genre et période.

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A. Chronologie

Suite de la notule.

Henrik IBSEN - Les Piliers de la société - spectacle de sortie des étudiants du CRR de Paris (Théâtre de l'Aquarium à la Cartoucherie)


Juste la reproduction de l'avis des lutins, tiré du fil de la saison, manière de faire écho à cette proposition bienvenue d'une pièce d'Ibsen moins présente sur les scènes.


Les Piliers de la société d'Ibsen au Théâtre de l'Aquarium (Cartoucherie)

(Dimanche 26 juin 2011.)

Spectacle de fin d'études des étudiants d'art dramatique du CRR de Paris.

Toujours les problématiques de faute originelle, qui se paie au prix le plus fort, dans une dynamique de dévoilement non consenti, et cela dans le cadre d'une société pesante et éprise de morale - où pourtant la position sociale enferme, corrompt et ne peut racheter.

Un matériau presque toujours présent dans le théâtre d'Ibsen, déjà abondamment observé dans la catégorie qui lui est consacrée, et notamment ici.

Suite de la notule.

dimanche 26 juin 2011

Massenet-Marseille-Alagna : Fallait-il remonter Le Cid ?


1. Principe

Le Cid de Massenet est une oeuvre qui suscite la curiosité et l'étonnement.

La curiosité est bien légitime, puisqu'il s'agit de la seule adaptation célèbre de la pièce. Les Stances de Rodrigue avaient été - éloquemment - mises en musique par Marc-Antoine Charpentier, puis le style classique s'était chargé de son adaptation, à la façon d'Andromaque de Grétry / Pitra : c'était alors Chimène ou Le Cid de Sacchini, hésitant entre héroïsme gluckiste et style galant Louis XVI. Les autres appropriations musicales sont beaucoup plus obscures.

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Extrait 1 :


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2. Massenet et le Cid

Massenet, de surcroît, est le compositeur d'opéra de ma connaissance qui varie le plus son style d'un ouvrage à l'autre, de façon très spectaculaire. Quoi de commun entre le sirop mélodramatique de Manon, l'archaïsme franc de Panurge, le romantisme noir de Werther, la féérie pompière d'Esclarmonde, le vérisme abrupt de Thérèse, le lyrisme tristanien de Cendrillon, l'exotisme de Thaïs ?

Et ce n'est pas une affaire de tonalité littéraire, ni même d'effets de style : le langage musical lui-même se révèle totalement plastique d'une oeuvre à l'autre. La chose est bien simple, à moins d'avoir exploré au moins la moitié de son corpus, il serait impossible d'attribuer à Massenet l'une ou l'autre oeuvre d'oreille.

Cette souplesse pouvait donner à espérer le meilleur du Cid, composé entre Manon et Werther, et présenté en 1885, l'année suivant sa composition.

Toutefois, Massenet a composé sa partition en grande hâte, et la qualité d'écriture en a spectaculairement pâti. Certes, il va donner un aspect un peu archaïsant à l'oeuvre... mais dans le plus mauvais sens du terme, en appauvrissant l'harmonie de cette fin de siècle, tout en conservant les tics grandiloquents de l'opéra romantique larmoyant.

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3. Sentiment successifs envers la partition

Il est peut-être utile que je livre ici mon parcours vis-à-vis de cette partition.

Suite de la notule.

mercredi 22 juin 2011

Pancrace ROYER - Le Pouvoir de l'Amour... et les élèves d'Howard Crook - (CRR de Paris & Théâtre Montansier de Versailles)


(Les informations pour assister au spectacle complet à Versailles figurent en dernière partie de notule.)

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1. Situation

L'oeuvre n'est pas tout à fait une première, puisqu'elle a été en grande partie enregistrée par l'Oberlin College of Music (prestigieuse école dans une ville de 8000 habitants de l'Ohio, située à la frontière avec le Canada), lors de représentations scéniques en 2002. Il en manquait cependant la deuxième entrée, qui a peut-être été donnée dans les représentations du Conservatoire de Montluçon (2010), et figure en tout cas dans le spectacle donné cette année par les étudiants du CRR de Paris sous la direction de Patrick Bismuth. D'autres représentations ont peut-être eu lieu plus confidentiellement encore ou dans d'autres pays, puisque le CMBV a publié en 2007 l'édition critique de Lisa Goode Crawford (professeur de clavecin au Conservatoire d'Oberlin, précidément), avec la contribution de Gérard Geay.

C'est quoi qu'il en soit une vraie rareté que nous proposaient (et nous proposent encore, comme on va le signaler) de découvrir les étudiants du CRR de Paris.

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2. Pancrace Royer (et moi)

Pour plus de clarté, autant le signaler clairement : je n'aime pas démesurément Pancrace Royer. Son clavecin d'une virtuosité tape-à-l'oeil contient à mon sens plus de traits que de musique, ce qui est à la fois inutilement fatigant pour le claveciniste et peu passionnant pour l'auditeur. Mais il est vrai que d'une façon générale, je suis très peu intéressé par la virtuosité, à moins qu'elle ne soit ponctuellement nécessaire pour un propos expressif et ne sorte des recettes toutes faites (gammes, arpèges... une fois qu'on les a entendues, on les devine sans même qu'on nous les fasse entendre !). Non pas que je l'évite, mais elle n'ajoute aucune plus-value pour moi.

Concernant son legs vocal, j'avais été assez tiède également en découvrant Zaïde, Reine de Grenade (1739), il y a peu d'années. Une troisième école très galante, très italianisée, où la virtuosité de la mélodie l'emporte sur la tension harmonique, où la fulgurance du trait l'emporte sur le soin de la mélodie. Vraiment ce que j'entends comme la période la moins intéressante de la tragédie lyrique - celle aussi où les livrets sont réduits à rien.

C'est donc avec des attentes réduites et un désir davantage documentaire que je me suis rendu rue de Madrid.

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3. Structure de l'oeuvre

Il s'agit d'un ballet héroïque (1743).

Ballet, car l'action est fragmentée en trois entrées avec des lieux, des époques, des personnages différents qui illustrent une même notion (celle du titre), comme le modèle original de L'Europe galante de Campra, repris à l'époque de Royer avec des oeuvres comme Les Indes galantes de Rameau ou Les Fêtes de Paphos de Mondonville.

Héroïque, car l'action est "sérieuse", avec des codes de la tragédie en musique et non du divertissement galant (contrairement aux ballets du type Carnaval de Venise de Campra, où l'intrigue amoureuse demeure légère).

Depuis la Régence, le Prologue ne sert plus à flatter le souverain-commanditaire, mais explore des notions un peu plus philosophiques, en relation avec le drame à suivre. Ici, le dispositif est particulièrement didactique : Prométhée, horrifié de constater que Jupiter a envoyé sur la Terre les Passions pour tourmenter les humains, rencontre l'Imagination. Celle-ci le rassure : en s'unissant avec l'amour, elle soulage les maux de l'humanité.

Suite de la notule.

lundi 20 juin 2011

Classe de Jeff Cohen au CNSM : initiation au récital de lied - (Raquel Camarinha, Cécile Achille, Mao Morita)


(Au fil des présentations, quelques liens vidéos fournis, pour mesurer un peu ce dont il est question - même s'il est entendu que le contact en salle était bien plus impressionnant que ces extraits-là.)

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1. Un projet

Le principe de cette classe est de faire travailler, durant un an, un duo piano-voix sur un programme de récital autour de la mélodie et du lied.

Un récital de lied est toujours bon à prendre, et j'étais curieux d'entendre les étudiants du CNSM : je ne me sens pas forcément proche de l'esthétique vocale qui y prédomine, mais l'observation en est toujours instructive sur l'état (et surtout les tendances) du chant aujourd'hui.

Double intérêt, donc : se régaler de lied, et s'instruire sur l'enseignement lyrique.

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2. Aspect général

Le concert se composait de trois programmes de quarante minutes (un par duo), thématiques mais sans excès de conceptualité. Contenu :

  1. Cécile Achille / Aeyong Byun
    • Fleurs (R. Strauss, Maeterlinck de Chausson)
    • Mignon (Gounod, Schumann, Tchaïkovsky)
    • Rimsky-Korsakov et la nature (Tolstoï, Nekrassov)
  2. Mao Morita / Mari Yoshida
    • rêveries schubertiennes (Lachen und Weinen, Gretchen am Spinnrade, Nacht und Träume)
    • Baudelaire de Debussy
    • mélodies japonaises (Nakata et Yamada)
  3. Raquel Camarinha / Satoski Kubo
    • séries de Wolf & Goethe (Mignon I,II,III ; Die Spröde & Die Bekehrte)
    • Croner de Vasconcellos, Trois rondeaux (Três Redondilhas de Luiz Vaz de Camões)
    • Weill (Surabaya-Johnny, Nannas Lied, Youkali)


Ces choix se nourrissaient de diverses suggestions culturelles de Jeff Cohen (visites picturales, par exemple), si j'ai bien suivi la présentation.

Il faut bien admettre que, s'y rendant sans humeur spécialement critique mais sans attentes démesurées, les lutins facétieux qui peuplent nos contrées ont été absolument cueillis.

D'abord par l'audace et la variété des programmes : peu de tubes, ou alors en portion très raisonnable... et une variété de langues (très bien maîtrisées de surcroît) assez considérable. Qu'on en juge : allemand-français-russe pour le premier programme, allemand-français-japonais pour le deuxième, allemand-portugais-français pour le troisième.
Considérant que la plupart de ces langues chantées étaient parfaitement maîtrisées par les chanteuses, et qu'elles pratiquent forcément abondamment l'italien, on s'incline déjà devant la diversification consentie.

Ensuite, les pièces choisies, en plus d'être rares, étaient intéressantes. Les Strauss du premier programme ne sont pas anecdotiques (comme ils le sont souvent), les Rimsky-Korsakov sont de petites merveilles très lyriques, les Debussy retenus n'étaient pas les plus faciles (ni solfégiquement, ni vocalement, ni interprétativement - pour ne pas dire les plus difficiles), les mélodies japonaises rarissimes en France ne manquaient pas d'un charme frais, et on peut dire la même chose, dans un autre genre plus romantique et moins naïf, de Croner de Vasconcellos.

Enfin, la qualité d'interprétation m'a fait profonde impression. C'est pour une fois davantage sur ce point que sur les oeuvres que je vais m'arrêter : il sera difficile de détailler un si grand nombre de pièces.

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3. Niveau

Suite de la notule.

samedi 18 juin 2011

Chanteurs et accompagnateurs à l'Hôtel de Lalande


A l'occasion de la Fête de la Musique du 21 juin prochain, la cour du plus beau musée de Bordeaux - et du plus beau musée d'Arts décoratifs que j'aie visité, bien plus cohérent et émouvant que Carnavalet ou le Victoria & Albert - est mise à disposition des chanteurs et pianistes amateurs pour se produire en public, de 20h30 à 23h (deux morceaux, pas trop longs).

Je cite la présentation :

Principe : vous êtes chanteur amateur (vous avez donc, ou vous avez eu, une profession non musicale à temps plein). Vous avez cependant un niveau vocal et musical suffisant pour vous présenter devant un public, même indulgent ! Cette soirée est pour vous : elle sera bon enfant et sans esprit de concurrence.
Pour une organisation satisfaisante, merci de compléter et retourner dès que possible l’inscription ci-dessous. Selon le nombre d’inscrits, chacun pourra interpréter 1 ou 2 morceaux du répertoire dit classique. Des pianistes, amateurs aussi, pourront vous accompagner si vous indiquez ce que vous chanterez (évitez les réductions d’orchestre injouables !), la meilleure solution étant de venir avec votre pianiste.

Au choix : Je viens avec mon accompagnateur/ j’ai besoin d’un accompagnateur et j’apporte une partition de plus
(NB : les pianistes amateurs habitués à l’accompagnement sont très bienvenus aussi !)

Je joins le formulaire à renvoyer à Françoise Richard, par courriel (mfr POINT richard CHEZ free POINT fr) ou bien à communiquer par téléphone (05 56 80 04 86).

L'endroit est magnifique et l'acoustique sera belle, même si sans doute, plein air oblige, un peu difficile pour des amateurs. L'occcasion est suffisamment belle pour être promue en tout cas, et je devine que les pianistes accompagnateurs seront les plus prisés.

samedi 4 juin 2011

La malédiction du zoom


Tout amateur d'opéra a souvent regretté l'abus des zooms dans les captations vidéo, qui font perdre quantité d'information, privent le spectateur de sa liberté d'observer, et déforment les intentions prévues pour la salle en d'horribles grimaces croulant sous le maquillage à la truelle.
Le plus grave étant bien sûr la fragmentation de la scène, la mise en péril de l'économie visuelle du spectacle.

Et il en va souvent de même pour les captations audio. Une bonne prise de son peu rendre la lecture de n'importe quel chef honorable passionnante et analytique, ou, moins souvent, gâter de belles qualités. Tout simplement parce qu'un certain nombre d'informations se perdent dans la distance, et il est souvent intéressant d'entendre un petit morceau de continuo, un fragment de petite harmonie qui échapperaient si l'on écoutait de loin.

Mais ce mixage artificiel a, tout comme les zooms qui dévoilent de beaux détails au risque de masquer l'émotion d'ensemble, ses inconvénients.

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Témoin la vidéo de l'Atys de cette année, diffusée par Mezzo.

Suite de la notule.

samedi 28 mai 2011

Salons musicaux au Musée d'Orsay


Rapides chroniques autour des concerts consacrés à Marguerite de Saint-Marceaux et Winnaretta Singer princesse de Polignac, tirées du fil de la saison.

Suite de la notule.

mercredi 25 mai 2011

Hilarité d'initié


Vérifiez si vous êtes in ou out :


Suite de la notule.

dimanche 15 mai 2011

Atys de LULLY par Christie / Villégier à l'Opéra-Comique : 1987-2011


Présentation de l'oeuvre, et détail des représentations.

Au programme : fortune historique, spécificités du livret, caractères de la musique, production de 1987, représentations de 2011.


Suite de la notule.

mercredi 11 mai 2011

Un Tramway nommé Désir à la Comédie-Française (Lee Breuer, Anne Kessler)


[Bref écho du 29 avril.]

Une soirée d'abord étrange, et finalement magnétique.

L'oeuvre (dans la traduction très exacte d'esprit de Jean-Michel Déprats) est transposée dans un présent un peu plus proche (Mitch devient un blouson noir avec Harley-Davidson), mais dont le lieu et le contenu sont sensiblement identiques, avec le même dépaysement que dans l'original envers une époque proche et un quartier populaire de la Nouvelle-Orléans un peu lointain pour ceux qui lisent ou assistent à la pièce.

Il s'agit au passage d'un petit événement, puisqu'il s'agit du premier auteur hors Europe à être inclus au répertoire de la Comédie-Française.


D'abord gêné par la sonorisation très évidente. Que la vitrine de la déclamation française soit systématiquement sonorisée, même si d'une façon très virtuose (avec des variations très exactes lorsque les acteurs se déplacent, se tournent...), cela me chagrine beaucoup.
Je suis surpris que d'autres décrivent cela comme une nouveauté : bien que plus discrète d'habitude (un simple renforcement, mais très réel), la sonorisation est désormais la norme, pour ce que j'ai pu en juger sur place.

Néanmoins, cela permet en particulier à Anne Kessler, en Blanche, de développer un jeu vocal alternatif très intéressant. Elle parle de façon assez soufflée, en une forme d'affection un peu lassée, comme sa Blanche qui feint toujours sans avoir toujours l'énergie de cacher les coutures de ses postures. Ce type d'émission vocale n'est pas très sonore et pas très jolie, mais sur la longueur, les poses exténuées et les affèteries de l'intonation rendent le personnage d'une réalité et d'une exactitude assez hallucinante, à tous sens du terme.

Autre point fort considérable, la mise en scène de Lee Breuer, qui ne conserve que les éléments fondamentaux de l'appartement de Stella (la douche, et puis des meubles au fil des besoins), et les redistribue dans l'espace diversement, sans chercher à dicter une topographie précise. Ce caractère mouvement de l'espace (une partie de la scène est en outre surelévée) permet aux acteurs d'évoluer très librement, et de ne pas figer de façon littérale ou lassante le cadre de l'action... et pourtant, on ne se pose jamais la question, les lieux sont évidents et familiers. [Peut-être y a-t-il là, considérant la place dans l'imaginaire collectif de la version Kazan, de rendre une forme de souplesse cinématographique dans le tournoiement des points de vue offerts ?]
Même les éléments de ridicule, comme la perruque verte occasionnelle du Stanley ivrogne, sont intégrés de façon impressionnante au discours (cette étrangeté fait presque peur). Par ailleurs, le choix de la "normalisation" du personnage est assez étonnant et réussi, plus finaud que de coutume, plus joueur, plus amateur de demi-teintes dans ses affrontements que la bête instinctive qu'on lui associe souvent.

A cela, il faut ajouter, comme souvent dans les spectacles de la troupe, l'inclusion de séquences musicales très bien réalisées, et souvent amusantes (le cintre-archet sur le violoncelle).

Un moment très prenant.

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Et pour les amateurs d'opéra, je signale que l'oeuvre d'André Previn (qui utilise le texte littéral, seulement abrégé, de Tennessee Williams) est tout à fait remarquable, et que le disque y voit Renée Fleming dans le type de profil vocal et dramatique où elle se trouve le plus en valeur.

dimanche 24 avril 2011

Wagner - Die Walküre au Met : Voigt, Westbroek, Kaufmann, Terfel, König, Levine, Lepage


Après avoir rédigé un rapide compte-rendu informel sur la toute récente représentation, je me dis qu'en fin de compte quelques lecteurs de CSS seraient peut-être intéressés de lire un avis ou de confronter leurs impressions, puisque je donne quelques détails ici ou là. Ce ne sont évidemment que des impressions, et pas spécialement l'objet principal de ce lieu - le but en général n'est pas de distribuer des palmes ou des verges aux interprètes, mais plus de se balader avec délices dans des oeuvres.

Suite de la notule.

Effluves antiques - les Leçons de Ténèbres de Couperin à Notre-Dame-des-Blancs-Manteaux


Notre-Dame-des-Blancs-Manteaux (Paris) proposait le jour adéquat les trois Leçons de Ténèbres pour le Mercredi Saint de François Couperin, concert annoncé ici même.

On avait déjà émis l'hypothèse d'une exécution atypique, et c'est en effet une petite séquence doucement régressive qu'on a pu vivre.

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Le concept économique




L'abside illuminée en pleine journée de Notre-Dame-des-Blancs-Manteaux.


Première remarque : j'ai noté la présence très fréquente à Paris de concerts "à entrée libre avec participations aux frais".

Une formule assez habile qui motive par le mot gratuit, et qui rend difficile, une fois le spectateur entré, de le voir refuser (ce serait une petite violence sociale) une petite contribution. Tout le monde y gagne sur le principe : les organisateurs reçoivent plus de fonds que pour un petit concert payant et vide (souvent, les présents donnent tout de même l'équivalent d'un billet entier, ou plus, souvent 10 ou 20€, puisqu'on ne rend pas la monnaie !), et les spectateurs sont libres de ne donner que quelques euros ou rien du tout.

Enfin, rien du tout, pas toujours : quelquefois on se poste à la porte de sortie avec la corbeille sous le nez du spectateur. Ce soir, c'était sous forme de quête, proposée par le prêtre, sans qu'il soit tout à fait claire si la somme était destinée à l'hôte ou aux musiciens - ce qui est dans les deux cas entièrement légitime, mais l'information aurait été appréciée du public, j'imagine.

Toujours est-il que le principe est assez souple, sympathique et efficace, qu'il y a une forme de décontraction qui rend les deux parties gagnantes (en plus, les spectateurs seront moins exigeants que s'ils ont payé à l'entrée !).

Hier soir cependant, il était annoncé, du moins sur l'excellent Musique-Maestro, un concert tout à fait gratuit, ce qui constituait une petite déformation sémantique, et évidemment tout organisateur est tenté de jouer sur cette ambiguïté qui profite à tous.

C'est ce petit biais qui me permet de commenter malgré tout ce concert (toujours difficile de critiquer un produit offert !). Même en rendant compte de ses aspects négatifs, je me dis aussi que c'est une publicité qu'ils n'auront pas, autrement, et qu'un compte-rendu mitigé vaut toujours mieux qu'une absence de recension. Donc :

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Le concept artistique

Le principe est simple : jouer ces oeuvres pour le jour où elles sont écrites. De ce point de vue, j'ai regretté l'absence de la mise en scène afférente, avec extinction des quatres cierges symbolisant le nom hébreu de Dieu, puis réapparition de la lumière laissée derrière l'autel, pour symboliser la Résurrection à venir et l'espoir que porte malgré tout la sombre Semaine Sainte.

Il est vrai que le public était essentiellement constitué d'amateurs de musique, à en juger par les applaudissements, même entre les Leçons - je ne venais pas moi-même pour le recueillement, et je n'ai évidemment rien contre les spectacles profanes dans les églises, mais j'ai ressenti comme une gêne confuse. Premièrement, oui, parce que ça me semble (sans rapport avec la dimension "sacrée", d'ailleurs) un tout petit peu à côté du lieu, comme si on mettait les coudes sur la table ; mais aussi parce que ces applaudissements sont tellement en contradiction avec le propos de ces Leçons, texte et musique, qui se tendent et se désespèrent jusqu'à l'apparition de la lumière restante... J'aurais trouvé, même d'un point de vue uniquement musical, plus adéquat le silence.

Les textes français étaient distribués au public (y compris, très gentiment, entre les Leçons pour les retardataires), et lus par le prêtre. Vu les problèmes d'articulation des chanteurs, on aurait pu y adjoindre les textes latins originaux.

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Première Leçon

Mathieu Cabanès officiait ici. Le son, bien qu'un peu engorgé, est assez rond et doux, et l'acoustique de cette église le sert idéalement : le son s'y diffuse de façon harmonieuse, sans que la source du son ne soit très localisée, comme si elle se "vaporisait", mais sans perdre en puissance. De surcroît, la diffusion sonore y est unidirectionnelle, si bien qu'on entend parfaitement depuis la nef le chanteur au pied de l'autel, mais qu'on ne perçoit pas nettement les bruits parasites émanant du public (pourtant bien plus proches !).

L'articulation du texte est assez moyenne, voire faible, avec une voix très couverte (les voyelles sont donc peu différenciées, et les consonnes pas toujours très incisives), mais l'interprétation à pleine voix, coulante et intense, produit quelque chose d'assez glorieux, et pour tout dire incantatoire, qui cadre très bien avec le propos de ces leçons.

Ainsi, malgré tout ce qu'il y a ici en termes de format vocal, de style, de rapport au texte qui peut s'éloigner des goûts de CSS, cette première Leçon avait quelque chose de très prenant.

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La voix du prêtre de la paroisse était sonore sans micro, mais assez sèche et rugueuse, servant une lecture vindicative, de façon un peu univoque, des Lamentations de Jérémie : il y avait de surcroît un décalage avec ce que nous dit la musique de ces textes. Mais l'exercice était dans l'ensemble réussi, et l'initiative excellente.

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Deuxième Leçon

Pierre Vaello, excellent ténor d'opéra comme on l'avait déjà signalé, lui succédait.

Il est vrai que la seconde Leçon reprend chez Couperin, de façon moins inspirée et éloquente, les recettes de la Première, et qu'elle est à ce titre moins valorisante.

Néanmoins, il me faut bien avouer avoir passé sans plaisir cette partie. En effet, les voyelles toutes identiques et les consonnes quasiment absentes produisent un résultat si flou qu'aucun mot n'est identifiable (même en étant familier de l'oeuvre). L'égalité des voyelles provoque aussi de la monochromie, mais le timbre très lourd (du même type, mais sans la clarté ni la rondeur que Mathieu Cabanès), de même que le manque profond d'expression verbale, de césure des phrasés, ne permettent pas d'animer le propos.

En réalité, ce timbre (et cette voix) est conçu pour "tenir" un orchestre et non pour être gracieux : il se doit d'être efficace. L'artiste, par choix pragmatique ou faute de mieux, n'a pas cherché la beauté ni l'élégance, mais l'efficacité mécanique.

Dans le répertoire à plus forte contrainte sonore, on l'a vu, la voix est belle, mais ici, elle sonne assez plaintive, et pas au meilleur sens du terme.

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Troisième Leçon

Comme il est de coutume, l'interprète de la première Leçon tient la partie haute (de tessiture équivalente), et celui de la deuxième (de tessiture équivalente aux deux autres) tient la partie basse.

Les deux voix, très proches, se fondent étrangement, Pierre Vaello prenant souvent le pas sur la partie I. Au point que je me suis demandé, ici ou là, s'ils alternaient les parties, tant il était difficile, acoustique aidant, de repérer qui chantait quoi. Ici encore, c'est une question de dynamisme des harmoniques propres à la technique lyrique, et pas de volume sonore des chanteurs - ce n'est pas leur faute.

Pour la même raison, tout au long du concert, indépendamment de petits écarts de justesse réels, on pouvait remarquer à plusieurs reprises que le son émis par l'un ou l'autre ténor était si chargé en harmoniques "lourdes" qu'on pouvait hésiter sur la hauteur de la fondamentale. Autrement dit : en principe, on entend la note qui correspond à l'harmonique la plus basse, renforcée par des partiels plus aigus. Alors qu'ici au contraire, il arrivait qu'on entendît sous la note chantée comme une autre note plus grave, tant le mécanisme de production du son était lourd et riche...

La grande lenteur de l'exécution nous plongeait dans une façon assez millésimée de concevoir le baroque, ce qu'on attendait effectivement de ce concert. Mais ajoutée à la mollesse de la diction et au peu d'habitude évident de l'organiste pour ce répertoire (rectiligne, voire fébrile), Raphël Tambyeff (dont le CV impressionnant n'est pas mis en cause), on peinait à se sentir passionné par le drame, pourtant considérable, que rapportent ces pièces magnifiques.

On devine aussi un petit manque de répétitions, avec des coutures (pas seulement lors des prises de parole du prêtre) pas toujours nettes, ce qui ne devait pas aider à la décontraction des uns et des autres.

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Sur Radio-France

Ce concert aura été très intéressant pour saisir de plus près comment, en recrutant des voix aussi chargées et opaques, le choeur de Radio-France peut sonner pâteux : la puissance individuelle est inutile dans un choeur, et le trop-plein d'harmoniques qui s'entrechoquent, ainsi que la mollesse du phrasé, ne peuvent que produire un résultat un peu visqueux.
Erreur de recrutement, donc, et pas qualité des artistes. Il suffit d'entendre certes voix si acides qu'elles en deviennent aigres, dans certains fantastiques choeurs baroques (y compris le Monteverdi Choir !), pour voir qu'il n'est pas recommandé de recruter des Otello ou des Siegmund pour produire un résultat choral gracieux - d'où le problème de nombreux choeurs d'opéra, en particulier en France, de haut niveau individuellement, mais peu adaptés à la production d'un son harmonieux commun.

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En fin de compte

Suite de la notule.

dimanche 17 avril 2011

François Couperin, Leçons de Ténèbres pour voix de poitrine


L'écriture ductile, la couleur et la délicatesse des trois Leçons de Ténèbres pour le Mercredi Saint de Couperin (discographie indicative en préparation sur CSS) appellent naturellement les voix de femme, généralement deux sopranes assez légères - ici aussi pour des raisons de couleur, d'agilité, d'incisivité, d'absence de pesanteur. Les falsettistes, même s'ils n'ont pas la même séduction ni surtout la même fermeté dans les lignes, s'y prêtent très bien également.

Et voilà que deux téméraires osent proposer un concert pour ténor et baryton.

Mercredi 20 avril 2011 à 20h00 - Eglise Notre-Dame-des-Blancs-Manteaux (Paris)
François Couperin : Les trois Leçons de Ténèbres pour le Mercredi Saint
Pierre Vaello, ténor / Philippe Barret, baryton / Raphaël Tambyeff, orgue
Entrée libre.

Avec accompagnement de positif seul (ce qui produit généralement de très jolis résultats), les chanteurs sont tous deux membres du Choeur de Radio-France, dont on a dit un peu de mal ici même, mais pour son résultat d'ensemble et non ses individualités, souvent d'assez haut niveau.

Concernant Pierre Vaello, que les lutins ont déjà pu entendre, on dispose d'une voix haut placée, claire, dynamique et glorieuse. Un peu large et dense pour ce répertoire, sans doute, mais intrinsèquement superbe, ce qui suscite toute ma curiosité pour l'exercice - un vrai ténor d'opéra, vraiment pas une taille ou une haute-contre... à tenter. Avec possiblement un petit goût de retour à la manière d'autrefois... C'est de plus gratuit, il n'y a donc que le risque d'écouter de la bonne musique à prendre, ce qui demeure un risque modérément désagréable.

J'y serai probablement (en vénérable compagnie), les conseilleurs seront donc aussi les goûteurs, pour cette fois.

Lucile Vignon en récital de lieder


Un peu tard, je découvre qu'à la crypte de Saint-Sulpice se donne un récital de Lucile Vignon, excellent mezzo-soprano étonnant de densité dans son grave et d'aisance à l'aigu, d'une qualité de diction rare et d'une couleur superbement majestueuse et chaleureuse, que les lecteurs de CSS auront déjà rencontré en Pâtre vocalisant de Dinorah ou en Anne Boleyn dans Henry VIII.

L’Amour, d’Hadewijch d’Anvers - Spectacle dramatique et lyrique
Crypte de l'Eglise Saint-Sulpice - dimanche 17 avril 2011 à 15h00
Lucile Vignon, comédienne et mezzo-soprano, Tinatin Kiknadze, piano
Oeuvres de Felix Mendelssohn, Schubert, Schumann
Plein tarif 16€, tarif réduit 11€.

Je n'ai malheureusement pas plus d'information sur les oeuvres programmées, sans quoi j'y aurais couru même à si bref délai. Je me doute que l'annonce ne sera pas utile à grand monde, à moins d'avoir créé une application Iphone alertes-CSS et de se trouver avec un emploi du temps libre cet après-midi dans le centre de Paris... Néanmoins ce sera toujours l'occasion de faire écho à cette artiste extrêmement attachante (et impressionnante).

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Mise à jour un peu plus tard :
Je viens de mettre la main, sur son site dédié au spectacle, non pas sur le programme détaillé (même si l'on trouve une sorte d'argument, séduisant), mais sur un extrait audio qui révèle au programme l'assez tubesque Frauenliebe und Leben de Chamisso / Schumann.
Je dois avouer que je suis déçu de la façon dont la voix sonne, très pâteuse (est-ce le format lied, moins adapté à cette voix moelleuse, est-ce l'allemand insuffisamment confortable ?).

Tant pis, j'attendrai de l'entendre dans de la mélodie français ou à l'opéra...

samedi 16 avril 2011

Paul DUKAS - Ariane et Barbe-Bleue - Pleyel 2011, Radio-France, Deroyer : Karnéus, Haidan, Hill, Cavallier, Harnay, de Negri...


1. Un livret

Maeterlinck est surtout resté célèbre pour son Pelléas et Mélisande, grâce à la surface médiatique de Debussy, mais on associe souvent abusivement, de ce fait, sa poésie dramatique à un univers uniquement allusif.

Certes, le silence, les réseaux symboliques horizontaux, la puissance de l'imaginaire stimulé par les "blancs" dans ce que signifie le texte, tout cela y a le plus souvent sa part (si l'on excepte certaines pièces un peu hors de la norme comme son Oiseau bleu).


Néanmoins, dans d'autres pièces, et pour s'en tenir à l'opéra, dans les livrets pour Dukas et Février, il en va autrement. Le livret d'Ariane développe au contraire une succession d'actions et d'opinions très nettes, même si Maeterlinck ménage un assez grand nombre d'interstices. Il ne s'agit pas vraiment un poème dramatique chargé de représenter une vignette, une part de vie ou de réalité humaine, mais davantage d'un apologue plus ou moins clos pour lui même, qui amène une démonstration.
Evidemment, une démonstration façon Maeterlinck, avec tout ce que cela suppose de parentés avec les fromages savoyards.

Maeterlinck le considérait comme un libretto d'opéra féérique, sans prétention, et il est un fait que sa portée reste plus limitée que d'autres de ses ouvrages, malgré son très grand sens de l'atmosphère. Le titre complet nous renseigne au demeurant fort bien sur son caractère de fable : Ariane et Barbe-Bleue ou La Délivrance inutile. L'oeuvre a en effet tout d'une représentation, sur un mode à la fois allégorique et domestique, de la servitude-volontaire.


La différence serait encore plus flagrante avec Monna Vanna, puisqu'il y est question assez ouvertement de viol (l'épouse de Guido Colonna, gardien d'une place assiégée et clairement située géographiquement, dont se livrer nue sous un manteau au chef ennemi pour permettre de sauver la ville), et que les scènes d'amour ont quelque chose des bluettes sentimentales qu'on voyait sur les écrans en France dans les années trente, à coups de souvenirs nostalgiques d'enfances à la campagne.
Sans parler du final de transfiguration des amants : bref, la recette de Pelléas n'est pas unique chez Maeterlinck, même si plusieurs traits, en particulier dans l'expression verbale, perdurent.

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2. Une musique

Sans que je puisse m'expliquer tout à fait pourquoi, je rencontre toujours une grande difficulté à caractériser la musique de cette oeuvre, assez loin des habitudes de Dukas, et tout à fait singulière bien que parfaitement inscrite dans le courant des novateurs français de l'époque.

Le langage est tout à fait classable esthétiquement : on est dans ce postwagnérisme transcendé par le nouveau goût français, celui des opéras de Chausson, d'Indy, Lekeu, Debussy, Dupont, Fauré, Cras, Ropartz, Février... et dans un registre moins onirique (pour les sujets ou pour les musiques) les opéras de Bruneau, Lazzari, Magnard, G. Charpentier, Bloch, Hirchmann...

La lecture de la partition montre elle aussi beaucoup de similitudes avec Pelléas, montrant des alternances d'aplats - où tout passe par l'harmonie et l'orchestration - avec des tournures rythmiques plus complexes (notamment le goût pour les surpointés, les fusées qui ne démarrent pas sur le temps, et bien sûr l'alternance fréquente, voire la superposition, entre binaire et ternaire). Ici aussi, la déclamation est réinventée pour être la fois "vraie" prosodiquement (ce n'est pas tout à fait réussi) et liée à la musique, détachée des inflexions quotidiennes.

Pourtant, quelque chose (m')échappe dans cette oeuvre. Toujours tendue, continue, sombre, avec quelques rayons aveuglants de clarté (en symbiose impressionnante avec la question centrale du retour à la lumière dans le livret), mais si difficile à décrire : ça ne sonne pas comme du Wagner bien que ça hérite totalement de sa conception du drame (longues tirades, continuité absolue, prééminence de l'orchestre, "abstraction" de la prosodie avec des mélodies assez disjointes, invention continue de l'harmonie, expressivité majeure des timbres instrumentaux), ça ne sonne pas non plus comme du Debussy bien que ça en soit totalement parent (couleurs harmoniques, carures rythmiques, type mélodique, conception de l'orchestre, et même des citations de Pelléas [1]). C'est peut-être bien le versant français qui est le plus fuyant, plus difficile à organiser en critères vérifiables : au fond, on pourrait penser en en écoutant des extraits que cette musique est tout aussi bien allemande (pas si lointaine du Barbe-Bleue de Bartók non plus, dans l'invention et la chatoyance orchestre des ouvertures de portes).


Bref, la densité, la pesanteur de son ton ont quelque chose d'assez singulier, qui sonne homogène mais qui se trouve comme déchiré par différents moments toujours radieux et étonnants : l'ouverture des portes, l'amplification spectaculaire du chant des femmes prisonnières depuis le souterrain, quand la porte interdite est ouverte (un choeur toujours plus nombreux et toujours plus soutenu par l'orchestre), les apparitions de la lumière, l'entrée des paysans au III, et d'une façon générale l'ensemble de l'acte III (caractérisations de chaque épouse, ou encore la fin).

Une vraie personnalité là-dedans, même si, me concernant, j'avoue volontiers que cet opéra est, parmi la première partie de la liste (des postwagnériens "oniriques") que je proposais plus haut, bien moins prenant que la moyenne (au niveau de Pénélope de Fauré et d'Antar de Dupont, deux opéras dans lesquels je me laisse un brin moins transporter). Il me faut à chaque fois l'ensemble de l'acte I pour être réellement plongé dans l'oeuvre.

Mais il est vrai qu'ensuite, et à plus forte raison en salle, lorsqu'on débouche sur les folies musicales de cet acte III, nourri au demeurant par un livret qu'il épouse d'assez près... ce n'est pas une petite impression qui se ressent.

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3. Problèmes d'interprétation

D'abord, il faut dire le bonheur de tous les lutins du monde d'entendre cette musique en concert. Ceux qui s'y sont prêtés ne sauraient être assez remerciés.

Notes

[1] On entend bien sûr la citation du motif de Mélisande dans l'oeuvre de Debussy, dans la même orchestration, lorsqu'elle est présentée à Ariane, puis lors de l'éloge de ses cheveux, de façon plus ostentatoire aux cordes. On retrouve au passge quantité de liens dans le livret avec le traumatisme aquatique, le moment de midi... Mais on entend aussi à plusieurs reprises des motifs musicaux qui font songer aux entrées subites de Golaud aux actes III et IV, ou bien aux souterrains. La composition d'Ariane débute en réalité un an avant la création de Pelléas, commencé bien auparavant, d'où l'hommage évident et les influences sous-jacentes.

Suite de la notule.

jeudi 14 avril 2011

Iconographie des menus plaisirs du roi



Dessin de l'atelier de Jean Berain, vraisemblablement pour le Prologue de l'Aricie de Louis de La Coste et Jean Pic.


A l'Hôtel de Soubise, à Paris, les Archives Nationales organisent une exposition (jusqu'au 24 avril) qui met à disposition du public des documents inédits (dessins, maquettes...) attachés aux spectacles et célébrations royaux des XVIIe et XVIIIe siècles en France.

Le sujet ayant sa petite place sur CSS, on le signale à tout hasard.

Au passage, pour ceux qui ne peuvent pas s'y rendre (il ne faut pas rêver, ça ne voyage pas en province...), les documents ont été numérisés lisiblement et sont accessibles dans une base de données en ligne. C'est sans doute l'événement majeur de l'affaire, puisque ces contenus sont ainsi durablement mis à disposition de façon beaucoup plus pratique, en tout cas si l'on souhaite en faire usage en plus de les admirer...

Les notices, rédigées par Jérôme de La Gorce, sont en outre d'une remarquable précision.

vendredi 8 avril 2011

Marx, Mozart, Mahler, Schönberg, Berg et bluettes viennoises par Angelika Kirchschlager et Helmut Deutsch (Orsay 2011)


Voilà près de huit ans que les lutins attendaient impatiemment de recroiser le chemin d'Angelika Kirchschlager dans le cadre d'un concert de lied solo. La rencontre de la saison passée n'était que fragmentaire, puisque se partageant avec trois autres solistes.

Dans le cadre privilégié de l'auditorium d'Orsay, on pouvait faire plusieurs constatations, toutes réjouissantes :

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Le retour

=> La voix n'a quasiment pas bougé depuis son premier récital discographique (1996 !), on y entend sensiblement les mêmes couleurs, peut-être un rien moins fruitées et un peu plus nobles. Toujours une forme de rondeur dense, émise avec beaucoup de naturel, sans aucun gonflement, avec peu de métal : quelque chose de souple, de doux, mais de très intense. (J'y entends tout à fait subjectivement la noblesse affable du sinople.)

=> La projection est toujours remarquable : le volume ne paraît jamais gros, mais le son se diffuse également dans la salle, avec beaucoup de présence, quelle que soit la position de la chanteuse vis-à-vis de la salle.

=> Le choix demeure de privilégier la rondeur (et la diction également) sur l'éclat et le volume : l'aigu est toujours très concentré, avec la couleur flottante du [ou], quitte à le tendre légèrement, et ne va jamais jusqu'à gonfler en volume ou rayonner. Toujours, la maîtrise de la couleur prime sur le spectaculaire - ce qui est très impressionnant.

=> La précision verbale est hors du commun, et même si l'actrice n'est pas neutre, les mots demeurent aussi expressifs, précis, constrastés si l'on détourne le regard. Les phrases prennent ainsi sens, mais pas forcément dans la perspective que laisse prévoir la lecture du poème, il y a réellement une acquisition, un jeu avec le texte, de petites surprises ou de minuscules contrepieds, bref, tout ce qui procure le relief.

=> L'artiste ne se ménage absolument pas, et prend toutes les mesures pour assurer la qualité du timbre, la définition de l'articulation, et l'émission des notes écrites. Le vieillissement se sent peut-être dans une liberté un peu moindre dans l'aigu (où il lui faut concentrer le faisceau de façon plus serrée) - mais c'est en réalité une question d'effort pour elle plus que de changement acoustique pour nous.

=> L'effet de cette voix a la particularité d'être exactement similaire à sa retransmission radiophonique ou discographique : les couleurs, les vibrations, les effets demeurent tout à fait identiques d'un contexte à l'autre, ce qui est rarement le cas ! Le disque est ainsi, pour une fois, le témoin fidèle de son art.

Je ne dirai rien de Helmut Deutsch, que je révère énormément, mais qui était, comme cela lui arrive quelquefois, dans un soir neutre : son piano était purement de l'accompagnement, sans relief, presque précautionneux. Alors que lorsqu'il se sent en terrain de confiance, comme dans l'opus 14 de Reger ou sa terrible Meunière bruxelloise (2004) avec Jonas Kaufmann, il produit une accompagnement au contraire sculpté avec générosité.

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Le programme

Le programme n'était pas non plus étranger à ma venue, puisqu'on y rencontrait en particulier du Joseph Marx, que je n'aime pas spécialement dans le domaine du lied, mais qu'on n'entend jamais en concert (et même très peu fréquent au disque). Couplé avec Berg et Schönberg, pas non plus les mieux servis en salle, c'était très tentant.

W.A. MOZART, lieder célèbres
Das Veilchen K.476
Sehnsucht nach dem Frühling K.596
Abendempfindung K.523
Der Zauberer K.472

Suite de la notule.

David Le Marrec

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