Carnets sur sol

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dimanche 20 mars 2016

Derniers concerts : La Jacquerie, Printemps, Inbal, Sondheim, Castillon…


On parle de choses hautement intéressantes et pas seulement parisiennes, des œuvres elles-mêmes ou de ce qui fait la musique, mais ça râle en coulisse, on veut des comptes-rendus – après tout, héritage d'un premier site aujourd'hui désaffecté, Carnets sur sol n'est-il pas hébergé sous le nom de domaine operacritiques ?  Comme, il faut bien se l'avouer, je vais voir des choses hautement passionnantes, je finis par condescendre à un survol des concerts dont je n'ai pas fait état depuis janvier. Comme me le dit mon portier lorsque nous échangeons nos salutations mensuelles, ma munificence sera ma perte.



Passion de Sondheim

Les critiques étaient positives quoique plus mesurées que les années précédentes, mais de mon côté, tout de bon de la déception : c'est un petit Sondheim, où les trouvailles habituelles font défaut.

¶ Je n'ai pas lu le roman de Tarchetti (vraiment pas mon chouchou dans la scapigliatura). James Lapine en tire quelques bons dispositifs, comme ces lettres qui permettent aux absents de s'incarner sur scène, où ces voix de personnages du passé qui se mêlent à l'action présente, aussi tangibles et simultanées que l'est le souvenir.
Pour le reste, là où le roman devait être, au milieu du XIXe siècle, une originalité malsaine (un officier admiré qui se trouve persécuté par une femme laide, puis épris d'elle), un peu dans le goût d'Armance de Stendhal, on remarque surtout le caractère très prévisible de l'ensemble. Au lieu d'une pièce qui fasse méditer sur les voies habituelles de l'amour (l'attraction pour la jeunesse et la beauté est, à défaut d'être toujours décisive, sensible pour tous), on assiste à une succession très répétitive de phrases où gît le mot amour et les leçons afférentes sur ce qu'est l'amour véritable… Le style tient plus du manuel de développement personnel de gare que du grand roman évocateur.

¶ Musicalement non, ce n'est pas une fête incommensurable : la musique est certes continue et ne se limite pas à de simples ritournelles, mais on y repère peu de thèmes marquants, dont certains repris et usés tout au long de l'ouvrage. Parmi les quelques trouvailles, toujours de beaux ensembles (mais Sondheim a fait tellement meux), l'entrée de Fosca sur cette mélodie de hautbois (qui semble assez directement inspirée par l'entrée d'Arabella dans l'opéra éponyme de Strauss). Les poussées lyriques tchaïkovskiennes ou korngoldiennes sont aussi assez convenues.

¶ Visuellement, la mise en scène de Fanny Ardant, beaucoup moins spectaculaire qu'à l'accoutumée au Châtelet pour ces musicals-grand-opéra (Les Misérables, Carousel, Sunday in the Park with George, Into the Woods…), ne comble pas vraiment ces manques. Quelques moments bien vus, vraiment dans le goût de Lapine, comme ces personnages absents qui disent leur lettre et viennent soudain quitter l'arrière-scène, descendre de leur tapis roulant pour venir intervenir de façon plaisante. Néanmoins, d'une manière générale l'absence cruelle d'humour, qui se prête peu au genre ni surtout au talent des deux auteurs, n'est pas compensée scéniquement. Devant ces toiles en lignes noires (comme sur l'affiche) qui alternent pour figurer les changements de lieux, tout demeure assez littéral.
À cela s'ajoute la grande bévue de l'apparition finale de Fosca en robe écarlate, comme si elle était devenue belle par l'amour – en d'autres termes, on passe deux heures de prêchi-prêcha sur un amour différent des autres, tout ça pour aboutir au fait que l'héroïne devient jolie. Censé regarder au delà des apparences physiques, on ne fait renforcer le préjugé : « quel exploit, tout de même, d'accepter d'aimer quelqu'un de laid, de le faire devenir beau – car on ne peut aimer que quelqu'un de beau ».

¶ Les interprètes, en revanche, choisis pour beaucoup sur une triple compétence (chant lyrique, chant de type musical, anglais impeccable), forçaient l'admiration. Erica Spyres (Clara, la première amante de Giorgio), véritable spécialiste, brillait par sa voix fine et tranchante, où l'on remarque en particulier des [i] très denses et timbrés (ce qui est rare dans ce type de technique) ; Ryan Silverman (Giorgio), dans le plus gros rôle de la soirée, maîtrise tous les registres expressifs avec une voix de baryton ample comme à l'Opéra et nette comme au musical, d'un naturel parfait ; Kimy McLaren, elle aussi compétente sur tous les fronts, immédiatement persuasive dans son tout petit rôle de maîtresse éconduite ; Damian Thantrey, épais et prégnant faux comte vrai libertin ; enfin Natalie Dessay, qui n'est pas la plus impressionnante du plateau (on aurait sans doute trouvé mieux avec une spécialiste, moins rempli le théâtre aussi), mais qui se montre irréprochable, d'un anglais très aisé, et d'une technique tout à fait assimilée (mécanisme I, voix de poitrine très peu utilisée chez les femmes à l'Opéra), loin des petits soupirs désagréablement soufflés et difficilement audibles qui avaient marqué ses débuts dans ce répertoire – la voix est tout à fait timbrée à présent, on suppose le grand travail de réforme que cela a dû supposer (ce qui permet de ne pas entendre une artiste déclinante, mais tout simplement une artiste capable de supporter son rôle).

Contrairement à d'autres titres très remplis, il restait beaucoup de places, surtout dans les catégories basses étrangement – mais considérant que ni le titre, ni le sujet, ni les critiques n'avaient quelque chose de particulièrement attirant, c'est peut-être normal.

Ce n'est pas du tout une soirée désagréable, elle s'écoute même sans aucune difficulté, mais disons que pour du Sondheim, on se situe plutôt vers une sorte de Sweeney Todd (livret de Wheeler) avec moins de mélodies et pas d'humour, et guère du côté de ses formidables opéras de caractère avec Lapine.



Lalo – La Jacquerie, création – David

Achevée à la demande de la famille par Arthur Coquard après la mort du compositeur (à partir du seul premier acte, lui-même inachevé – donc essentiellement une œuvre de Coquard), jamais redonnée depuis la création à Monte-Carlo, la partition ne paraissait pas bouleversante après la radiodiffusion de Montpellier ; pas de révélation non plus en salle, et surtout pas l'acte de la main de Lalo.

Le livret est une horreur, qui ferait hurler de rire s'il n'était pas aussi peu spirituel : tous les passages obligés y sont, mais traités avec une maladresse incroyable pour des littérateurs, même médiocres – farci de mal dits, de bafouillages peu clairs ou redondants… On a l'impression que toutes les phrases (je n'ose parler de vers) ont été écrites par un apprenti poète sur un coin de nappe, les pieds reposant tranquillement sur un brasier de sangsues ardentes – c'est à peu près aussi intelligent que ça ; et pourtant, un amateur d'opéra en a vu, des livrets douteux.

Les deux premiers actes ne contiennent musicalement à peu près rien à sauver, à part une suite continue et décousue d'épisodes, où l'on ne sent ni l'opéra à numéros, ni le flux continu meyerbeerien avec des jointures travaillées. Pas de mélodies saillante, ni d'effets d'orchestration… à la fin du XIXe, on en était quand même rendu à un peu mieux que du belcanto à la française sans récitatifs, sans airs et sans agilité. Les actes III et IV sont meilleurs, surtout le dernier, fondé sur un ostinato qui, de plutôt dansant, devient sauvage et menaçant. La fin évoque, par certains côtés, l'ambiance du final de Sigurd de Reyer.
Je m'explique modérément pourquoi, dans le choix immense du romantisme français enfoui, Bru Zane a jeté son dévolu sur cet ouvrage-ci, malgré ses beautés – à part que tous avons tous envie d'épuiser le catalogue des opéras de Lalo (Fiesque était un enchantement).

Par-dessus le marché, l'enthousiasme ne submergeait pas les musiciens… le Philharmonique de Radio-France était, en plus du style qui lui est plutôt étranger (ce n'est vraiment pas leur son ni leur habitude, en cela pas de quoi les blâmer), d'une mollesse inaccoutumée, et même d'une quasi-désinvolture : ils jouent un Korngold immaculé, mais un petit Lalo (et même pas dans les moments d'accompagnement), il parviennent à faire des départs décalés !  Il suffisait de regarder la longueur d'archet, élément en général révélateur : même du côté des premières chaises, on était plutôt économe. Alors, avec une œuvre déjà fragile…
Assez déçu que Patrick Davin, pourtant d'ordinaire un excellent spécialiste du répertoire lyrique français, n'ait pas réussi à insuffler ce supplément à ses musiciens.

Côté chant, Edgaras Montvidas plutôt en méforme (tout à fait inintelligible, et la voix, coincée à l'intérieur, peine à sortir) ne reproduit pas les séductions de son récent Dante (ou chez David) ; Nora Gubisch est toujours aussi mal articulée, mais le volume sonore et l'énergie compensent très bien au concert (c'est plus difficile, trouvé-je, en retransmission). Enfin Florian Sempey me laisse toujours aussi dubitatif : la voix, trop couverte, trop tassée sur ses fondements, ne parvient pas à sonner au delà du simple forte, et se trouve régulièrement submergée par l'orchestre, sans pouvoir claquer davantage dans les moments dramatiques ; cela bride complètement son expression, aussi bien la nuance fine (interdite par la charpente trop contraignante) que dans le lâcher-prise des grands épanchements. N'importe lequel des choristes de Radio-France (qui nous ont gratifié d'un superbe chœur en voix mixte, ce qui prouve qu'il existe bel et bien un problème de direction, et non pas de qualité du recrutement !) donne plus de son, c'est pourquoi son chouchoutage actuel me laisse interdit. Ce serait une valeur sûre dans un ensemble vocal, mais pour des rôles dramatiques, il manque tout de même quelques qualités essentielles.

Enfn Véronique Gens, qui sera sans doute un jour un symbole de l'Âge d'or des années 2000-2010, « à l'époque où les chanteurs savaient encore chanter », et dont on parlera comme on le fait aujourd'hui de Tebaldi ou de Mödl. Une Princesse, absolument : l'élocution est d'une clarté parfaite alors que la voix est moelleuse, la ligne évidente alors que le geste vocal est flottant, la projection aisée alors l'émission n'est pas métallique… et par-dessus tout, toujours en tirer parti pour donner vie aux personnages, au verbe… ce livret épouvantable devient poème sous sa touche d'une élégance souveraine qui n'interdit pas l'incandescence.
Et, comme à chaque fois, je me demande comme il est possible de soutenir vocalement tous ces paradoxes : une émission un peu amollie devrait ne pas être intelligible, une diction aussi précise devrait abîmer le timbre de la partie haute de la voix, voire l'affaisser… et pourtant la voilà, volant de première mondiale en première mondiale (ce qui est beaucoup plus dangereux, évidemment, que de prendre des risques dans des rôles bien balisés), sans manifester la moindre faiblesse. Je vois d'ici ce qu'on dira d'elle dans cinquante ans. Et acquérir cette notoriété très largement dans le baroque et les français rares…



LULLY forever

Au Théâtre des Champs-Élysées, extraits de :
Chaos
de REBEL
Thésée de LULLY
Persée de LULLY
Acis & Galatée de LULLY
Armide de LULLY
Médée de CHARPENTIER
Dardanus de RAMEAU
Scylla & Glaucus de LECLAIR
Von Otter, Naouri, Le Concert d'Astrée, Emmanuelle Haïm

Contrairement à l'annonce sur le site du Théâtre, toujours pas mise à jour, beaucoup moins de Rameau et beaucoup plus de LULLY !  Il était donc impossible de le manquer. Je n'aime pas beaucoup la formule du récital d'opéra, mais lorsqu'il y a de grands récitatifs et des duos entiers, comment résister ?  Ce sera d'ailleurs mon second récital lyrique (hors lied) de la saison, le premier étant consacré à…  des scènes de LULLY. (Haïm avec les formidables étudiants du CNSM : Madelin, Hyon, Benos…)

Comme prévu, pas très intéressant dans la réalisation : Anne-Sofie von Otter véritable musicienne, mais ne pouvant plus du tout chanter au-dessus de la nuance mezzo piano, elle ne peut guère varier les effets, et tout paraît identique. L'orchestre est obligé de jouer très doucement dès qu'elle prend la parole… on la croirait changée en chanteuse à texte (or, sans micro…) ; cela étant, sa maîtrise du très peu qui lui reste force l'admiration, tout reste très net et elle tente des choses à rebours pas mal vues (l'invocation infernale de Circé, tout en nuances douces).

La voix de Laurent Naouri continue de s'empâter à l'intérieur du corps, mais l'autorité naturelle de la voix, le retour ponctuel d'un peu de métal et l'abattage lui permettent de tenir décemment la rampe, même si les duos de ces deux gloires déclinantes a forcément quelque chose d'un peu inférieur à ce que réclament les pages.

Tout cela, on le savait avant de venir : c'était l'occasion d'écouter un programme jouissif qui n'aurait jamais été donné si on avait choisi à la place M.-A. Henry et T. Lavoie (mais on aurait pu avoir d'Oustrac et Costanzo, par exemple…). En revanche, assez déçu (voire, il faut l'admettre, un rien irrité) par Le Concert d'Astrée, qui pendant toute la partie LULLY joue à l'économie : la longueur d'archet n'est pas utilisée, même par le violon solo, et tout paraît terne et compassé. Un peu à l'inverse de ces orchestres modernes qui jouent le baroque en style, j'avais l'impression d'entendre des instruments naturel imiter le style de Marriner… Troisième expérience en salle avec cet orchestre (que j'aime énormément au disque, à peu près tout le temps), troisième déception. Jusqu'ici, j'avais mis la chose sur le compte des effectifs inhabituellement vastes (Médée, et surtout Hippolyte et Aricie), qui créent inévitablement un peu d'inertie, mais cette fois, on était en petit comité. Pourtant, tous ne s'économisaient pas (cordes graves souvent remarquables, en particulier le contrebassiste), mais du côté des violons et altos, quand même le cœur de l'affaire si l'on veut un peu de tension, le manque d'intérêt pour certes musique, certes moins valorisante et moins « écrite » que du Rameau, transpirait désagréablement (ou alors quoi ?). La seconde partie était très bien en revanche ; pas particulièrement colorée, mais alerte et engagée.
Pourtant, quelques mois plus tôt, Emmanuelle Haïm tirait des merveilles des jeunes musiciens enthousiastes du CNSM – je vous assure, c'est vraiment le lieu où les musiciens ne sont pas encore blasés, tout sauf des bêtes à concours mécaniques, et quasiment tout y est gratuit, il faut fréquenter cet endroit !

(Ce ne sont que des hypothèses, je prends toute autre explication, mais le fait est que, vu le plateau, on comptait un peu sur l'animation des accompagnateurs.)

Accueil très poli, mais pas particulièrement enthousiaste : ça a satisfait ceux qui venait pour le programme, mais je doute que ça ait fait beaucoup de bien à la cause de LULLY auprès d'un plus vaste public. L'ambiance post-concert après un récital de seria n'est vraiment pas comparable, même lorsqu'il n'est pas trop exaltant.



Sibelius – Symphonie n°3 – Paavo Järvi

Étrange, alors qu'elle est ma chouchoute du corpus pour ses qualités primesautières, beaucoup moins impressionnante que les autres entendues à ce jour (2,5,6,7). L'Orchestre de Paris aussi m'a paru très légèrement plus épais, la lecture de Järvi moins originale que pour le reste du corpus. Peut-être l'aiment-ils moins. Il est vrai aussi que les masses en jeu sont moindres et que le mouvement lent, de simples variations pas très complexes, séduisent peut-être moins à l'exposition brutale d'une salle de concert – vérification faite, elle est toujours aussi formidable au disque.



Bruckner – Symphonie n°9 – Eliahu Inbal

Ici, c'est simple : Inbal, pourtant considéré comme plutôt neuf et audacieux lors de son intégrale avec Francfort, se montre considérablement plus fougueux, et me donne la plus belle Neuvième que j'aie jamais entendue, incluant tous mes chouchous dans le confort du disque (où, pour cette symphonie, je ressens souvent, certainement de mon fait d'ailleurs, des baisses de tension).
Comme pour sa Deuxième également avec le Philharmonique de Radio-France (et, on l'espère, comme pour sa Quatrième l'an prochain), Inbal prouve qu'avec l'âge (80 ans révolus, désormais), il gagne en vitalité : dans un tempo très allant, tout reste tendu comme un arc… comme dans une symphonie de Mahler, au lieu de laisser opérer le silence des ruptures entre les épisodes brucknériens, il reprend toujours en laissant un substrat de la tension déjà accumulée, sans jamais la relâcher jusqu'à la fin. J'aurais volontiers pris une tranche de final en bis (qu'il a pourtant enregistré), sans lassitude.

Là aussi, la réverbération de la Philharmonie offrait une atmosphère ample et recueillie parfaitement adéquate pour l'œuvre (et le son du Philhar').

La pièce de Widmann qui occupait la première partie, une Suite pour flûte et orchestre dans une atonalité familière et très aimable, entendait imiter les formes anciennes sans les faire toujours bien entendre, très homogène, agréable mais sans histoire. Le contraste avec le mouvement final, qui cite la Badinerie de Bach (et l'accord de Tristan), fait froncer le sourcil : c'est très sympathique (et les déformations du thème, comme autant de sorties de route très « vingtième », sont très réussies), mais on ne peut se défendre de se dire que pour tirer des applaudissements, il faut emprunter aux maîtres du passé qui ont mieux réussi… J'avoue avoir douté (et je n'en suis pas fier) de l'honnêteté du compositeur lorsqu'il termine ainsi, dans un ton léger complètement différent de toute cette pièce plutôt suspendue et méditative, une œuvre qui n'appelait pas vraiment l'enthousiasme spontané du public – alors que le dernier mouvement a fait un bis parfait, que j'ai moi-même réentendu non sans une certaine jubilation, et au moins autant pour le travail de récriture de Widmann que pour le joli original de Bach.



Français du XXe – ONF, Fabien Gabel

Un programme constitué pour moi à la Maison de la Radio : Soir de Fête, le jubilatoire petit poème de Chausson ; Printemps, la plus belle œuvre orchestrale de Debussy ; Les Animaux Modèles, le chef-d'œuvre (hors œuvres vocales) de Poulenc, juste après Les Biches. Restait le Concerto pour orgue de Poulenc, moins heureux, mais l'entendre joué généreusement en concert avec les superbes cordes du National permet de mieux saisir ses équilibres, assez bien écrits en réalité par Poulenc.

Je suis étonné de remarquer, une fois de plus, que ces œuvres que je vénère, donc, me touchent beaucoup moins en concert qu'une bonne choucroute germanique très structurée. Je suppose que le côté atmosphérique rétribue moins l'attention analytique, que l'aspect moins discursif de l'écriture déroute un peu plus, et que les contrastes moindres ne raniment pas le spectateur de la même façon – j'en suis fort marri, mais une mauvaise symphonie de Bruckner semble produire plus d'exaltation sur moi que ces pièces qui sont pourtant, au disque, mon plus cher pain quotidien. Amusant. Intéressant. 

Le nouvel orgue de la Maison de la Radio n'est en revanche pas une merveille… sonorités blanchâtres et aigres, qui sonnent par ailleurs très étouffées (ce qui est peu étonnant, vu l'étroitesse de la zone de montre). Par bonne fortune, les phrasés d'Olivier Latry (merci pour le Widor !) permettaient de s'intéresser à quelque chose de passionnant sans trop s'arrêter sur les timbres disgracieux.



Musique de chambre française : Castillon, Saint-Saëns, Fauré

Exactement les mêmes impressions : le Quatuor avec piano de Castillon et le Second Quatuor à cordes de Saint-Saëns, bijoux qu'il faut réellement fréquenter (même si moins essentiels que le Quintette de l'un et les Quatuors avec piano de l'autre), m'ont fait un effet limité en salle (studio 104, membres de l'Orchestre National de France). Je n'ai pas réellement d'explication, à part une disposition limitée à ce moment-là, une vérité différente du concert, où l'écoute est distincte du disque, et où le quatuor de Beethoven ou même de Chostakovitch semble tellement plus propre à susciter la fascination et l'enthousiasme.
Le jeu des musiciens (pourtant éperdument admirés dans leur programme Roslavets-Szymanowski-Berg-Ravel de 2013) était un peu symphonique, sans doute, avec un grain un peu large, pas l'allure effilée des membres de quatuors, mais ce n'était pas de là que provenait cette impression. Peut-être l'après-midi passé à chanter de l'opéra français du XIXe siècle avait-elle complètement altéré mon jugement.

En tout cas, ce sont des œuvres de grande valeur, écoutez la retransmission ou jetez une oreille aux disques ! 

Ils figurent au demeurant dans notre sélection des plus beaux Quatuors à cordes, Quatuors pour piano et cordes et Quintettes pour piano et cordes.



Verdi – Requiem – Noseda

Il n'y a pas grand'chose à en dire parce que c'était sublime de bout en bout, et que l'œuvre est suffisamment jouée et enregistrée pour qu'on ne cherche pas à vanter ses mérites. Gianandrea Noseda impulsait une urgence (à tempo très vif, tout le temps) que tenait très bien l'Orchestre de Paris, le Chœur de l'Orchestre était superbe, très flexible et impressionnant, avec des voix plus claires que les gros chœurs de maisons d'Opéra (ou de Radio-France…), la quadrature du cercle. Côté solistes, excellente surprise avec Erika Grimaldi, pas très intelligible mais d'un engagement et d'un impact remarquable ; moins enthousiaste sur Marie-Nicole Lemieux (le chant en gorge limite l'impact de la voix et empêche les aigus de sortir avec facilité), dont les succès me restent un peu énigmatique, énergie mise à part, et sur Michele Pertusi qui couvre exagérément (beaucoup de [eu] partout) et demeure en retrait sur le plan sonore et expressif par rapport au reste du quatuor, dans une sorte de grisaille. Néanmoins, pas de réel point faible : ces deux-là étaient un peu moins exceptionnels que tout le reste, mais ne déparaient en rien.

Comme si ce n'était pas suffisant, les progrès de Saimir Pirgu stupéfient… la voix est maîtrisée de bout en bout, sur toutes les configurations. Éclatante en émission pleine, elle s'illumine, comme en suspension, dans les moments délicats de l'Ingemisco (« Inter oves ») et de l'Offertoire (« Hostias »), à l'aide d'une émission mixte très légère, qui paraît prendre naissance dans les airs. Et tout cela au service du texte et de la rhétorique liturgique, pas d'effets de manche hors sol.
Ne vous fiez pas aux enregistrements, qui laissent entendre des coutures désagréables, toute une constellation de petites duretés dans la voix : le chant lyrique est conçu pour être entendu de loin, et de loin, la voix est d'un équilibré parfait – de près, effectivement, ses captations ne sont pas aussi exaltantes et ses disques, quoique fort valables en temps de disette verdienne, sont tout sauf nécessaires.En concert, à l'inverse, le grain paraît dense et régulier, particulièrement beau.

À cela s'ajoute la satisfaction d'entendre cette musique pouvoir s'exprimer dans toute sa démesure dynamique sans que les pppppp ne s'évaporent et sans que les ffffff ne saturent jamais la Philharmonie. Grand moment.



Bilan et prospective

Ce n'est pas fondamentalement très intéressant (plus révélateur sur moi que sur les œuvres, à vrai dire), mais la différence d'efficacité des œuvres (voire des voix) entre le disque et le concert reste un sujet assez fascinant, qui éclaire notamment la réception des pièces au moment de leur création – on voit sans peine, en salle, pourquoi Meyerbeer et Wagner, auxquels on peut assez facilement rester insensible au disque, magnétisent instanément. Et ce rapport d'efficacité éclaire la domination germanique dans les hiérarchies musicales, indépendamment même de l'innovation et de l'aboutissement structurel.

Je dois préciser que si pour rendre compte j'ai émis des réserves, j'ai néanmoins passé d'excellentes soirées à chaque fois, et ne suis vraiment pas sorti en fulminant de la salle (un peu fâché contre le Philhar' et le librettiste à l'entracte de La Jacquerie, je l'avoue, mais la suite justifiait tout de même le déplacement).

Je toucherai un mot à part pour Don César de Bazan, ouvrage de jeunesse de Massenet inspiré par le personnage de Ruy Blas, recréation très attendue et qui comble les espoirs, en attendant une parution officielle. La production doit encore un peu tourner, il me semble ; vraiment à voir.

David Le Marrec

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