La saison passée, après avoir passé de nombreuses heures à essayer de
faire une jolie présentation, je n'en suis pas venu à bout et n'ai rien
publié…
Cette saison-ci, du fait des…
193
spectacles vus depuis le 1er
septembre
(et cela se poursuit en juillet), j'adopte une autre stratégie : un
grand tableau qui contient toutes les données statistiques, avec les
distributions, les lieux, les époques, les remises de
putti d'incarnat, le prix de
revient…
Tant de beautés, parfois un peu secrètes, méritent un petit tour
d'horizon, que voici.
1. Les putti d'incarnat
Voici donc venu l'instant de la grande remise annuelle de la récompense
suprême pour tout artiste informé, le
putto
d'incarnat – qui est au
diapason
d'or ce qu'est la médaille olympique de lancer de poids à la
compétition de
pétanque de la félibrée.
Seule la rédaction de
Carnets sur sol
réunie en collège extraordinaire est habilitée à le décerner, ce qui
garantit la clairvoyance de son attribution, et l'absence absolue de
collusion maligne.
Hautement respecté, il se matérialise par un
putto de van Dyck, remis
directement à chaque lauréat sous forme d'un précieux carré de pixels.
Au delà du jeu des breloques, c'est aussi et surtout l'occasion de
mettre en valeur des œuvres, concerts ou interprètes qui n'ont pas
toujours été très exposés. Il est vrai que le travail de recherche de
ces concerts est un poste de dépense, en temps, assez considérable à
lui seul !
2. Spectacles vus
Tout a donc été placé et organisé dans ce
grand tableau.
Quelques précisions utiles pour sa lecture :
♦ en
gris,
les découvertes personnelles ;
♦ l'
astérisque sur un nom
signifie que j'entends l'interprète pour la première fois en salle
(deux astérisques, que je le découvre complètement) ;
♦ dans la colonne «
recension
»,
tw signifie
Twitter (cliquez sur « lire la discussion » pour
accéder au commentaire complet),
clk
Classik
(forum de référence),
CSS Carnets sur sol (évidemment). Certains concerts
n'ont pas été commentés (ou ont pu l'être sans que je remplisse la
case, d'ailleurs).
Après hésitation, j'ai conservé la
cotation
des spectacles, pour permettre de lire plus clairement. Elle est sur
cinq et ne relève que ma propre satisfaction : elle ne mesure pas
l'intérêt des œuvres, ni même le niveau ou l'engagement des artistes…
simplement l'état de ma subjectivité (qui peut varier selon le moment
évidemment). D'une certaine façon, la seule cotation
objective possible : celle de mes
émotions plutôt qu'une qualité générale hypothétiquement
universalisable.
D'une manière générale, on peut tout de même remarquer que jouent très
fortement la rareté des œuvres (et leur intérêt, bien sûr ; cependant
plus il y a découverte, plus l'émotion est forte, par exemple une
opérette inédite par rapport à
Tosca
qui est un coup de poing, mais dont on a l'habitude), ainsi que
certains paramètres d'interprétation (engagement, plaisir de jouer,
qualité linguistique notamment).
À la louche, il faut le lire comme suit :
* : très bonne exécution, mais je n'ai
pas vraiment été emporté, pas sensible aux choix, ou j'étais dans un
mauvais soir (Couperin par Jarry, Mahler 3 par l'Opéra de Paris)
** : très bien, mais pas forcément sensible aux œuvres (Manon, Concerto
pour violon de Weill, The Rake's Progress…) ou joué de façon terne
(Boccanegra) ;
(à partir de ***, on est vraiment très haut)
*** : excellente soirée, très intéressante, très bien jouée ;
**** : assez parfait (mais ce n'est pas rare, ou bien il m'est
arrivé d'entendre mieux), ou proposition imparfaite mais extrêmement
stimulante (Les Démons à
Berthier…) ;
***** : bonheur absolu
Je me suis même réservé, pour les grands soirs qui marquent une vie de
spectateur, d'excéder les *****.
Je le redis ici, il ne faut pas le lire comme une « note » /5, ce n'est
pas l'esprit de la chose.
Trois spectacles seulement sur les 193 ont une note « négative », où je
me suis permis de partager mes doutes.
→
Bérénice de Jarrell. Je
n'ai jamais autant regardé ma montre au spectacle. Jarrell est un très
grand compositeur, les interprètes étaient excellents… cette fois-ci ça
n'a pas pris, le rapport à Racine, la prosodie, même la musique ne
s'articulaient pas ensemble. Une production où tout le monde était de
bonne foi, mais une œuvre ratée à mon sens. Cela arrive. Il faut
réécouter son opéra Galilée,
son mélodrame Cassandre et sa
musique symphonique.
→
Pelléas avec piano à
l'Opéra-Comique. Les interprètes (pourtant tous très valeureux) ne
possédaient pas bien leur rôle (pas techniquement, mais il ne se
passait rien dramatiquement) : proposer le résultat d'une semaine de
travail sur une œuvre aussi spécifique que Pelléas, avec un plateau où
tout le monde faisait sa prise de rôle, dans un contexte aussi solennel
qu'une grande salle de spectacle (pour ce qui aurait dû se donner dans
une salle de répétition entouré des proches), ça ne pouvait pas
fonctionner. Fausse bonne idée – là encore, ce n'était pas vraiment la
faute des artistes, et ça aurait pu fonctionner, vu leur niveau, avec
n'importe quel autre opéra… mais pas celui-ci avec tout le monde le nez
dans la partition à compter les temps. Et surtout pas vendu comme un
vrai concert, à Paris où l'on a en moyenne un Pelléas extraordinaire par an.
→
Le Procès de Krystian
Lupa d'après Kafka, le seul pour lequel je n'ai pas beaucoup
d'indulgence : atrocement lent, mal ficelé, délibérément laid… Tout
était plat, démonétisé… et j'ai été mis un peu de mauvaise humeur aussi
par ce qu'on voyait sur scène (de longues minutes pendant lesquelles un
homme nu se touchait), alors
qu'aucun avertissement envers le jeune public n'avait été émis
(beaucoup de lycéens dans la salle). Un mauvais spectacle, c'est une
chose, mais un spectacle nuisible…
Tout le reste, même pour les * où je ne suis pas convaincu sur les
choix opérés, était de haute volée. Avec quelques sommets à peine
imaginables dont je parlerai.
3. Statistiques
a) Lieux
193 soirées dans 91 salles différentes, dont 50 jamais testées !
Plus d'1/4 de salles nouvelles, après dix ans de concerts à Paris, je
suis plutôt content de moi.
Les lieux les plus visités ? Ils ne surprendront pas les habitués.
1.
Philharmonie
2.
CNSM
3.
TCE
4.
Bastille
5. Favart / Château de
Versailles
6. CRR de Paris
7. Athénée / Odéon / Garnier
8. Marigny
Détail des salles où je suis
allé plusieurs fois cette saison :
total Philharmonie (47)
Philharmonie (36)
total CNSM (24)
total Opéra de Paris (13)
CNSM – Fleuret (11)
CiMu (10)
TCE (10)
Bastille (9)
CNSM – salle d'orgue (6)
Favart (6)
total Château de Versailles (6)
total CRR (5)
CNSM – Pfimlin (4)
Athénée (4)
total Odéon (4)
Garnier (4)
CRR – auditorium Landowski (3)
Opéra Royal (3)
Versailles, Grande Écuries (3)
Odéon (3)
total Marigny (3)
CRR – salle Alain (2)
Temple du Luxembourg (2)
Saint-Gervais (2)
Marigny grande salle (2)
--
b) Genres
Opéra (55), dont scénique (32) et concert (23)
Symphonique (39)
Sacré (20), dont oratorio (4)
Théâtre (18)
Musique de chambre (17)
Lieder & mélodies hors orchestre (13)
Instrument solo (7), dont piano solo (5)
Ciné-concert (5)
Chœur solo (8), dont a cappella (6)
Comédie musicale (4)
Théâtre & musique (4)
Orgue (4)
Cantates profanes (3)
Théâtre en langue étrangère (2)
Improvisation (2)
Airs de cour (2)
Traditionnel / Folklorique (2)
Ballet (2)
Récital d'airs d'opéras (2)
Chanson / Cabaret (1)
--
c) Époques
Trop compliqué à compter, mais comme d'habitude, le déséquilibre de
l'offre fait que triomphent très nettement les XIXe2 et XXe1, périodes
que j'aime beaucoup, mais pas forcément à ce degré de différence.
4. Remise de prix
Les œuvres et interprètes
remarquables sont déjà indiqués dans le
fichier général, mais quelques précisions et
éclairages.
a) Accueil
On est bien accueilli en de multiples endroits, mais deux salles
proposent une expérience extraordinaire, où vous êtes à chaque pas
accueilli avec bienveillance ; on vous conseille même sur les prix
moins chers (quand on ne vous accorde pas de réductions indues), on
vous aide à vous replacer sans que vous ne demandiez rien, et toujours
le sourire, le plaisir d'être au contact du public… Un plaisir d'y
aller, rien que pour se sentir bien.
Pour cela,
L'Athénée à Paris
(rue Boudreau) et le Théâtre Roger Barat d'
Herblay.
b) Lieux extraordinaires
Cette itinérance francilière m'a aussi permis d'accéder à des
lieux incroyables. Il y a bien sûr
les
églises, avec les fresques XVIe du plein ceintre de
Saint-Basile (Étampes), les
culs-de-lampe drôles de
Saint-Sévère
(à Bourron-Marlotte), l'étrange cagibi qu'est la nouvelle Cathédrale
orthodoxe de
la Trinité à
Paris, les splendides époques juxtaposées (XIe-XVIIe) de
Saint-Aubin (Ennery).
Mais aussi d'autres lieux moins attendus, moins spécialisés : découvrir
pour la première fois
l'Orangerie de
Sceaux, son volume et ses moulages, retrouver le grand théâtre
de bois de
l'amphi Richelieu de
la Sorbonne (pour un programme Hensel-Wieck-Reverdy incroyable, de
surcroît), être accueilli en invité dans les salons chamarrés du palais
de la
Fondation Polignac (très
intimidant, l'impression d'entrer par effraction dans un monde
parallèle), et sommet des sommets, la plus belle salle que j'aie vue
sans doute, le
Manège de la Grande
Écurie face au château de Versailles, pour du L
ULLY
! – aux murs d'Hardouin-Mansart s'ajoutent les gradins et tourelles de
bois de Patrick Buchain… ce lieu est d'une singularité et d'une poésie
qui n'ont pas d'équivalent.
Quantité de théâtres charmants aussi (le
Théâtre Michel par exemple), et des
lieux qui, sans être toujours spectaculaires, marquent : la
Fondation Pathé où les salles
spécialisées peuvent accueillir de l'improvisation au piano devant les
muets fraîchement restaurés,
La
Nouvelle Ève dans le quartier des cabarets, avec sa décoration
totalement dépourvue de pudeur et de bon goût (ambiance lupanar avec
des couloirs froides, déstabilisant),
Les
Rendez-vous d'ailleurs (un cabaret de quartier où les lavabos
sont dans le m² de l'entrée, où le hall est aussi la salle… tout un
théâtre de plain-pied contenu dans l'espace d'une grande salle à
manger),
La Passerelle (une
sorte de microcantine-bibliothèque, un petit lieu de convivialité de
quartier sous pierres apparentes, délicieux)…
Et bien sûr, souvenir particulier de la
Salle du Dôme, grand demi-cercle au
sommet du Conservatoire de Puteaux, où j'ai pu assister, tandis que le
couchant embrasait Paris à travers les grandes baies panoramiques, à la
répétition générale de
Tarare
de Salieri, littéralement contre les musiciens et chanteurs. Lieu fort
beau, mais dont la jauge ne permet pas de donner de spectacles (nous
étions
quatre spectateurs).
c) Opéra scénique
♥ Les
Huguenots : contre toute attente, une production de
l'Opéra de Paris. La qualité de la partition est telle que, bien servie
(j'ai attendu qu'on soit en place, en toute fin de série…), elle
procure une jubilation ininterrompue assez incroyable… tant de qualité
mélodique, de modulations de relance adroites, de tuilages et
ensembles… le vertige.
♥
Normandie de Misraki (La Nouvelle Ève) :
festival de jeux de mots lestes, musique généreuse servie avec un
entrain formidable. Production assez géniale de ce qui aurait dû être
une aimable curiosité.
♥
Into the Woods de Sondheim (Massy) : jubilatoire
jeu de contes, peut-être aussi le Sondheim mélodiquement le plus
irrésistible.
♥
Rusalka de Dvořák (mise en scène Carsen) :
le wagnérisme dans un creuset mélodique slave, et une mise en scène à
la fois si belle et fine (peut-être ce que j'ai vu de mieux sur une
scène d'opéra), vraiment fabuleux (musicalement, on baigne dans la plus
belle des riches voluptés).
Et beaucoup d'autres moments fabuleux : la décantation de
Iolanta,
The Importance of Being Earnest
(Gerald Barry) et sa fantaisie,
Véronique
de Messager (version quintette piano-cordes),
Le Testament de la tante Caroline (Roussel
!),
Madame Favart (le
meilleur Offenbach peut-être),
Le
Jugement de Midas de Grétry,
Le
Retour d'Ulysse d'Hervé,
Donnerstag
de Stockhausen (quelle poésie !)…
Aussi le plaisir de la découverte en salle d'ouvrages que je savais
plus mineurs mais qui, en vrai, demeuraient charmants : Galuppi-Goldoni
(
Il Mondo alla roversa),
Korngold (
Die stumme Serenade),
Loesser (
Guys & Dolls),
Berio-Monteverdi (
Orfeo III)
Sondheim (
Marry Me A Little)
.
Quelques belles retrouvailles aussi :
L'Elisir
d'amore (ça ne manque jamais),
Otello
(Kurzak et Alagna époustouflants, on verra cette soirée avec nostalgie
avant peu),
Hamlet,
Tristan (Serafin m'a beaucoup
touché !),
Ariadne auf Naxos…
Très peu de mauvaises surprises : j'ai trouvé
Mam'zelle Nitouche faible, mais les
artistes se donnaient ; je n'aime toujours pas
Manon mais la production était
remarquable en tout point ; reste surtout la frustration de ce
Boccanegra à l'économie du côté
mise en scène et orchestre, vraiment pas au niveau d'une telle maison
ni de l'œuvre… mais le niveau vocal était suffisamment très-bon pour
sortir content.
Étrangement, cette saison, plus d'opérette et de comédie musicale,
revenant en force à Paris, que de baroque français ! Je ne m'en
plains pas, j'ai fait bombance de ce genre alors que les autres étaient
jusqu'ici un peu négligés.
d) Opéra en concert
♥ La
Pskovitaine de Rimski-Korsakov : une œuvre d'une densité
et d'un feu extraordinaire (le meilleur Rimski, à mon gré), alors
servie par le Bolchoï, on crève de bonheur.
♥ Paul
& Virginie de
Victor Massé : Massé n'est pas seulement l'immortel auteur des
légers
Les Noces de Jeannette
ou
Galathée, il a aussi donné
dans le grand genre, et cet opéra est d'une richesse assez incroyable.
Il comporte en ouvre de très grands morceaux de bravoure (un grand solo
d'un quart d'heure pour le ténor, la lecture de la lettre de Virginie
par Paul et son apparition fantomatique…), au service d'un roman qu'on
ne considère plus guère et qui retrouve réadapté sans niaiserie, comme
son modèle, au goût du second XIXe siècle. C'était en outre dans une
distribution à crever de bonheur, que des très très grands : Sahy
Ratianarinaivo (vous le retrouverez la saison prochaine dans plusieurs
premiers rôles en France), Halidou Nombre, Tosca Rousseau, Qiaochu Li,
L'Oiseleur des Longchamps (quel récitant hors de pair !), Guillemette
Laurens…
Il faudrait vraiment d'une maison pourvue de moyens reprenne cela avec
ou sans orchestre, et la même équipe.
♥ Tarare de Salieri : je vous épargne
pourquoi. Unique livret de Beaumarchais, une œuvre virevoltante et
piquante, dans le langage français de l'époque mais plus riche, et
écrit dans une continuité déjà wagnérienne… un
hapax incroyablement jubilatoire,
et par la meilleure équipe possible.
♥ Léonore de Gaveaux : la source de
Fidelio, dont beaucoup de l'esprit
musical a été repris (et totalement transcendé) dans la partition de
Beethoven. Un ravissement de fraîcheur, et non sans ambition, par de
jeunes artistes de très, très haute volée (chefs de chant de la classe
d'Erika Guiomar, et très grands chanteurs Ricart, Pouderoux, Poguet,
Athanase…).
♥ Le
Roi Pausole d'Honegger
: un des rares livrets loufoques réellement drôles. Récital d'examen
(direction de chant) de Cécile Sagnier plein de vie.
♥
Tristan und Isolde : un petit condensé Récital
d'examen (direction de chant) de KIM Yedam. Avec Marion Gomar et Léo
Vermot-Desroches, un duo d'amour incroyable, sur le tapis mouvement
d'un orchestre enfermé dans un piano. Très, très grande lecture.
♥ Tarass
Boulba de Lysenko
:
le grand compositeur national ukrainien, contemporain de Tchaïkovski
(et revenu à l'honneur dans l'Ouest du pays dernièrement, tandis qu'on
joue
La Fiancée du Tsar dans
les opéras du Donbass – je n'invente rien !). De la musique très
tranquillement consonante, dont les mélodies sont teintées de folklore.
Passionnant de pouvoir le découvrir enfin en salle, dans de très bonnes
conditions. Récital d'examen (direction de chant) d'Olga Dubynska.
Et beaucoup d'autres très grands moments :
Idylle sur la Paix de L
ULLY
(dans le style d'Armide),
Arabella par
l'Opéra de Munich,
Salome
(version piano condensée Théodore Lambert),
Euridice de Peri (le premier opéra
conservé, et dans une version expérimentale de
recitar cantando),
Candide de Bernstein (Rivenq en
récitant dans un si bel anglais !)…
Par ailleurs, plaisir de découvrir
Le Roi Pinard Ier de Déodat de
Séverac (réputé perdu), l'étrange comédie tonale un peu sinueuse de
Pierre Wissmer (
Léonidas ou la
torture mentale),
Maître
Péronilla d'Offenbach, d'être enfin convaincu par Isouard (
Cendrillon par la Compagnie de
L'Oiseleur), d'entendre enfin
Issé
de Destouches (même si déçu par la partition et l'interprétation). Et
bien sûr, on ne se plaindra jamais de retrouver des doudous comme
Serse (par Il Pomo d'oro en feu),
Nabucco (Rustioni à fond et
distribution folle),
La Damnation
(Antonacci, Vidal, Courjal, Roth !),
Siegfried (avec Stikhina au sommet)
et
Götterdämmerung (Sergeyeva…)
par le Mariinsky…
… la suite un peu plus tard avec les remises de prix symphoniques,
chambristes, d'oratorio, de mélolied… et les distinctions concernant
les artistes (autant cajoler aussi les vivants).
e) Musique symphonique
♥♥ Sibelius 2 par l'orchestre
Ut Cinquième, direction
William Le Sage.
Dans une église insupportablement glaciale (10°C, pas plus), la plus
grande interprétation que j'aie entendue de cette symphonies. Bien
qu'ensemble amateur, on est saisi par l'aisance et l'aplomb incroyable
de cette formation, le plaisir évident de jouer aussi. William Le Sage
(alors encore étudiant en direction au CNSM, il vient d'obtenir son
prix il y a deux semaines !) parvient avec eux à sculpter la structure
élusive des symphonies sibéliennes : l'impression de comprendre, comme
jamais, les transmutations de la matière thématique, et avec quel
relief et quelle gourmandise. Une expérience d'orchestre où les
musiciens vous donnent l'impression de connaître si bien la composition
que vous auriez pu l'écrire, un de ces voyages qui peuvent marquer une
vie de mélomane.
♥♥
Star Wars IV,V,VI,VII par l'
ONDIF : musique géniale, du niveau
des grands Wagner (en tout cas les IV & V), une forêt de
leitmotive incroyables,
habituellement couverts par les dialogues et bruitages, qui peuvent
enfin, en condition de concert, s'épanouir (on entend mal sur les
disques, qui ne sont d'ailleurs pas complets, et qui souffrent de
manquer de l'ancrage de l'image évidemment, comme du Wagner écouté en
fond…).
A fortiori avec
l'investissement toujours exceptionnel de l'ONDIF, qui n'a d'ailleurs
rien mis à côté dans ces courses très intenses (où il faut absolument
tenir le tempo) et malgré des traits d'orchestre absolument redoutables
(et très exposés). Incroyablement jubilatoire en termes de musique
pure, même indépendamment de l'intérêt des films.
♥ Mendelssohn
3 par l'
OCP et
Boyd
: À la fois charnue et acérée, la lecture la plus complète que je
n'aurais pu rêver de cette symphonie… je découvre au moment de son
départ que, tout en sobriété et finesse, Boyd est un très grand chef.
Et l'engagement de l'OCP, comme d'habitude, combiné à leur hallucinant
niveau individuel, a battu à plates coutures toutes mes références
discographiques (Vienne-Dohnányi, HerasCasado-FreiburgerBO,
Fey-Heidelberg…), émotionsubmergeante.
♥
Bruckner 6 par l'
OPRF et
Chung
(que j'entendais diriger pour la première fois, étrangement !). Je
tenais la symphonie pour la plus faible de Bruckner – la seule que je
n'aime pas vraiment, avec la 8 –, et j'ai au contraire été absolument
passionné de bout en bout par cette lecture peut-être facialement
traditionnelle, mais qui empoigne le matériau avec une telle intensité,
une telle qualité d'articulation, que tout paraît, pour une musique
aussi formelle et abstraite, incroyablement
présent.
♥ Polaris de
Thomas Adès
(Orchestre de Paris, Harding), pièce contemporaine au sujet astral, qui
exploite l'espace d'une salle de concert de la façon la plus persuasive
et agréable. Ce ne doit pas être très opérant au disque, mais c'est un
ravissement en contexte.
♥ Chostakovitch 5 par
Toulouse et
Sokhiev
: Après avoir vénéré Chostakovitch et puis (très rare cas en ce qui me
concerne) avoir réévalué mon intérêt sensiblement à la baisse ; après
une mauvaise expérience en salle de cette symphonie (OPRF / Kuokman,
vraiment pas un bon soir), l'une des rares que j'aime vraiment chez lui
(avec la 10)… une révélation. Lecture ronde mais dense et intense,
portée par l'engagement toujours sans faille de l'orchestre. La lumière
douce et aveuglante à la fois du Largo m'a terrassé.
Quelques autres grandes
expériences, comme le
Beethoven
(1,2,4) totalement ravivé et jubilatoire du Concert des Nations,
ou
Mendelssohn 4 & Schumann 2
par Leipzig (quel orchestre somptueux, charpenté à l'allemande mais
d'une rare chaleur).
f) Musique de chambre
♥♥
Le
Cuarteto Quiroga,
mon chouchou de tous les quatuors en activité, dans un incroyable
programme
Turina (Oración del
Torero), Ginastera 1, Helffter (Ocho Tientos), Chostakovitch 8
! La fine acidité fruité du son, le feu, la lisibilité sont
poussés à des degrés inégalés dans des pièces dont la rareté n'a
d'égale que la richesse (les modulations de Turina, les danses folles
de Ginastera…).
♥ Quintette piano-cordes de
Jean Cras
(Sine Nomine, Ferey). Farci de folklore breton et de chants de marins,
mais d'une sophistication digne de son goût postdebussyste, une œuvre
considérable, rarissime au concert (il s'agissait de célébrer la
parution d'un second enregistrement de ce quintette).
♥ Trios piano-cordes de Mmes
Mendelssohn-
Hensel,
Wieck-Schumannk,
Reverdy et K.M.
Murphy par le
Trio Sōra (là
aussi, dans le tout petit groupe des meilleurs trios du monde, avec
avec les Zadig, les Grieg et les ATOS…). Œuvres de grand intérêt, de
véritables bijoux structurés avec sérieux et mélodiques avec
générosité, servies avec l'évidence de ces artistes de haute volée (qui
font sonner, sans exagérer, Kagel comme s'il était aussi accessible et
génial que Mozart).
♥ Réentendre, à deux ans
d'intervalle (!) l'immense
Quintette
piano-cordes de Koechlin, cette fois par Léo Marillier et ses
spectaculaires amis. Un des sommets de toute la musique de chambre.
♥ Mouvements tirés de Haydn
72-2, Schubert 14, Grieg, Fauré, et deux quatuors de Brahms (3, par les
Voce) Leilei (figuralismes d'arbre) par les
étudiants du Quatuor Voce dans le 93
(CRR Aubervilliers, CRD Courneuve, CRM Fontaine-sous-Bois…). Niveau
quasiment professionnel, même pour les quatuors issus de conservatoires
municipaux, une homogénéité de son, une aisance, et même une réelle
maturité musicale… Les présents (très peu nombreux dans la Mairie du
IVe) furent très impressionnés. Un vrai moment intime et très intense
de musique de chambre.
♥ Sonates anglaises violon-clavecin (rien
que des opus 1 !)
du premier XVIIIe,
d'Eccles, Stanley, Shield, Gibbs, Festing… par
Martin Davids & Davitt Moroney.
Outre les talents exceptionnels de conteur (et en français !) de
Moroney, très surpris par l'intérêt de ce répertoire (étant peu friand
de musique de chambre baroque, en général surtout décorative), et
découverte de Martin Davids, un violoniste qui joue avec la même
facilité que s'il traçait négligemment un trait de crayon dans le
spectre sonore…
♥ Pièces avec flûte,
notamment de
Rolande Falcinelli.
Découverte de la compositrice, encore une figure, comme Henriette
Puig-Roget par exemple, qui représente avec beaucoup de valeur la
succession de la grande tradition française du début du XXe, et que le
disque, les concerts ont totalement occultée.
Et quantité d'autres grandes aventures… les Quatuors de Gasmann et
Pleyel sur instruments d'époque (Quatuor Pleyel), l'arrangement de la
Symphonie 104 de Haydn pour Quintette flûte-cordes, un après-midi
consacré à Louis Aubert par Stéphanie Moraly, la Première Symphonie de
Mendelssohn pour violon, violoncelle (Quatuor Akilone) et piano quatre
mains, le même Turina pour quatre guitares, l'intégrale des Trios de
Brahms par Capuçon-Moreau-Angelich, le beau quatuor de Jean-Paul Dessy
(Quatuor Tana), du clavecin à quatre mains (avec même au menu
Saint-Saëns et Dvořák !)… bombance !
g) Musique solo
♥♥ Franck,
Saint-Saëns, Samuel Rousseau, Tournemire, Demessieux à la
Madeleine par
Matthew Searles.
Quel programme de raretés ! Et exécutées avec une grande
générosité, malgré l'instrument et l'acoustique vraiment difficiles.
Les improvisations transcrites de Tournemire vous foudroient par
l'ampleur des possibles qui s'ouvraient instantément sous les doigts de
l'auteur des
Préludes-Poèmes
(on est plutôt dans cet esprit très complet, virtuose et nourrissant
que dans les contemplations poétiques grégoriennes de l'
Orgue Mystique).
Pas vu beaucoup de récitals d'orgue de cet intérêt et aussi bien
soutenus !
♥♥
Boyvin,
Marchand
& Bach sur le tout jeune orgue de Saint-Gilles d'Étampes (2018 !).
Les deux Français splendides… en particulier Boyvin, lyrisme d'opéra si
prégnant transposé (mais sans creux, répétitions ni longueurs,
contrairement aux transcriptions d'opéras réels) dans le langage
organistique. Si peu documenté au disque, et si persuasif.
♥ Bach, Intégrale des
Sonates & Partitas pour violon,
Isabelle
Faust.
Comme le disque en témoigne, l'équilibre absolu entre les traditions,
ni épaisseur du trait ni acidité du timbre, le meilleur de tous les
mondes à la fois, tout en sobriété.
♥ Beethoven, Sonates 6-14-16-31 par
Daniel Barenboim.
Autant j'ai de très grandes réserves sur le chef, autant le pianiste
m'intéresse toujours. On pourrait trouver des petits jeunes encore plus
fiables, mais il demeure bien préparé et très bien articulé comme
toujours. Si ce concert m'a marqué (et davantage que celui avec les
7,13,21), c'est que j'ai redécouvert à l'occasion les sonates 6 et 16,
de formidables bijoux d'invention qui ne m'avaient jamais autant frappé
au disque.
Moi qui n'avais vu qu'un seul récital de piano solo en dix ans de
concerts parisiens (et encore, un concert uniquement constitué de
transcriptions d'opéras, d'oratorios et de symphonies par les élèves en
direction de chant d'Erika Guiomar !), je les ai multipliés cette
saison, avec la confirmation de l'évidence que les plus célèbres, même
les artistes sérieux décantés par la carrière, ne sont pas
nécessairement les plus intéressants.
Barenboim a tenu son rang, mais Pollini dépassé par des programmes que
son âge ne lui permettent plus d'assumer, ou Zimerman excellent (mais
pas virtuose ou singulier au point d'accéder aux demandes
invraisemblables qu'il adresse à la Philharmonie pour accepter de
venir) n'ont pas été mes plus grands moments d'éblouissement. Très
agréable néanmoins, et belle expérience d'entendre tout ce monde en
vrai, de se faire une représentation de la réalité de leur son (pareil
pour Martha Argerich, que j'entendais pour la seconde fois – elle ne
m'a pas déçu, absolument splendide et habitée dans le Concerto de
Schumann, en revanche sa supériorité absolue me paraît une vue de
l'esprit).