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jeudi 26 octobre 2017

Les opéras rares cette saison dans le monde – #2 : italiens (ou en latin)


L'opéra italien, en plus de constituer à la fois l'origine et l'étendard du genre, est bien sûr majoritaire à l'échelle mondiale ; surtout grâce à Mozart-Verdi-Puccini, mais cela n'exclut pas la présence de raretés parfois assez stimulantes.

En rouge, les recommandations personnelles – non pas qu'il soit conseillé de prendre l'avion pour un seria (possiblement interchangeable), mais disons que si on les apprécie, dans le genre rare et abouti, on peut au moins trouver son compte en allant en écouter un disque ou une bande !

Avant de commencer, pour une vue plus globale de l'histoire de l'opéra italien, et de ses enjeux à travers ses différentes périodes et esthétiques, vous pouvez vous reporter à cette notule.



salle opéra
Opernhaus de Wuppertal (Est de Düsseldorf, sur la route de Dortmund), où l'on jouera Francesca Caccini. Moche, mais un théâtre à l'italienne où l'on est partout de face (et capitonné bois) est une si belle utopie !



1. Opéras baroques de première génération

De' Cavalieri : La Rappresentazione di Anima, e di Corpo (Théâtre Musical des Enfants à Moscou)
→ Oratorio en réalité ; ces dialogues allégoriques (et même prosopopéisants) sont restés en vogue jusqu'au début du XVIIIe siècle dans les compositions (semi-)religieuses – pas exécutées pour un office, mais ce ne sont pas fictions conçuespour le divertissement.
→ L'œuvre a connu ces dernières années une certaine fortune (Savall, Pluhar, Jacobs en ont proposé des versions très élaborées)

F. Caccini : La liberazione di Ruggiero dall'isola d'Alcina (Wuppertal)
→ Donnée en tournée par l'ensemble Huelgas (qui doit le publier), et récemment documenté pour la première fois au disque par Sartori (chez Glossa). D'assez loin un des opéras les plus réussis de la période, avec un des livrets les plus littéraires de tout l'opéra italien, des psychologies détaillées dans une belle langue, un très beau sens musical des flux de parole, des harmonies simples mais plus colorées que chez la plupart des contemporains.



salle opéra
Teatro Rossini de Lugo (Est de Bologne, Ouest de Ravenne), où l'on donnera Orlandini.



2. Opéras baroques d'esthétique seria


♦ On peut commencer par lire ces anciennes notules autour des principes de l'opéra seria et des néo-chapons, qui expliquent certaines des réticences que je ne vais pas manquer d'exprimer çà et là. Que cela ne vous décourage nullement, tout dépend évidemment des composantes auxquelles vous êtes le plus sensible à l'opéra !  [Par ailleurs, c'est l'opéra baroque – et d'abord le seria – qui m'a fait aimer l'opéra, aussi ne voyez rien de rédhibitoire dans ces réserves…]


Albinoni
, Zenobia, regina de' Palmireni (Venise)
→ Considérant que l'Adagio en si mineur n'a jamais été réellement cru de lui, seuls les mélomanes baroqueux un peu chevronnés ont vraiment entendu Albinoni. Il y a de jolies choses, plus typiquement baroques que les compositions de Remo Giazotto, forcément – pas toujours sans parenté au demeurant (et pour cause: l' Adagio part d'emprunts de mélodies et de basses à Albinoni, même si son orientation est néo-baroque un peu romantisante, à la façon des pastiches des Casadesus).
Zenobia est un témoignage très intéressant de la période intermédiaire qui emmène l'opéra purement déclamatoire de Monteverdi puis Cavalli à l'opéra seria. On sent qu'on est déjà après la période Legrenzi (1694), et les lignes vocales sont déjà très ornementées, mais on y trouvera aussi quelques beaux récitatifs assez mélodiques, des accompagnements qui dialoguent avec les chanteurs (plutôt que la compétition simultanée de virtuosité comme c'est ensuite l'usage). Par ailleurs, une jolie inspiration mélodique : ce n'est pas toutà fait le seria du XVIIIe, et c'est plutôt plus sobre et plus libre.

Haendel, Almira (Boston)
Haendel, Scipione (an der Wien)
Haendel, Riccardo Primo (Madgebourg)
Haendel, Berenice (Halle)
Quatre opéras peu donnés, pas nécessairement des chefs-d'œuvre néanmoins – j'ai ainsi été fort peu impressionné par Richard Ier (Cœur de Lion), malgré le sujet original (histoire médiévale, et même pas par le biais littéraire du Tasse ou de l'Arioste). La réalisation musicale m'en paraît assez peu exaltante, peu d'airs saillants, pas vraiment de tension dramatique non plus – il est vrai que la version discographique longtemps unique, de Rousset, expose ses manques habituels dans ce répertoire (vraiment mou et translucide).
→  Almira, Königin von Castilien est tout de même son premier opéra, mêlant allemand et italien, où figure déjà la fameuse sarabande (d'abord instrumentale) qui sert de base à « Lascia la spina » du Trionfo del Tempo et « Lascia ch'io pianga » de Rinaldo.
(→ Les oratorios-opéras anglais seront traités dans la partie anglophone du parcours.)

Orlandini, Serpilla e Bacocco (Lugo)
→ Refonte de 1730 d'un intermezzo comique de 1715, par un contemporain exact de Haendel (1676-1760). Pourtant, la musique n'en est pas du tout comparable aux opéras bouffes connus du temps : la langue paraît déjà tout à fait classique, avec ses récitatifs secs truculents à la façon de Mozart et Rossini, ses airs de caractère avec notes répétées (là aussi, on songe plutôt à Paisiello et Rossini). Ce n'est pas du tout un chef-d'œuvre ultime, mais sa langue musicale est en avance d'une façon troublante que je ne me suis jamais bien expliqué – sans doute est-ce une affaire de région (il est florentin, on en a peu de célèbres à cette époque), ou d'illusion d'optique en considérant les œuvres comiques célèbres contemporaines, pas nécessairement représentatives.

Vivaldi
, Motezuma (Ulm)
→ L'un des tout meilleurs opéras seria et le haut de la production de Vivaldi. Pas tant pour les airs, au demeurant, que pour l'élan général en lien avec le livret, une façon de tout articuler de façon inhabituellement fluide pour ce répertoire.[Attention, au disque, Malgoire a enregistré un pasticcio avant la redécouverte de la partition ; c'est Curtis qu'il faut écouter pour entendre la musique d'origine.]

Zelenka, Il serpente di bronzo (Frankfurt-am-Main)
→ Un oratorio en réalité. Dieu envoie une plaie – aux Hébreux qui se plaignent dans le désert – sous la forme de hordes de serpents, puis son remède (la recette pour un serpent de bronze qui sert d'antidote). Le langage en est typique de la période (1730), et plutôt sombre et dense comme souvent dans le baroque allemand de ces années. Ça ne me bouleverse pas, mais si on aime Bach ou les airs les plus mélancoliques de Haendel, c'est assez réussi – et en tout cas fort bien écrit.
→ Particularité : Dieu intervient en personne, sous la forme d'une voix de basse. Assez déstabilisant d'entendre Jéhovah répéter en boucle les mêmes mots tout en exécutant des vocalises en escalier. Mais indubitablement divertissant.


Vinci, Siroe (Naples)
Leo, L'Olimpiade (Naples)
→ Les deux Léonard napolitains écrivaient des opéras d'un postvivaldisme particulièrement virtuoses ; je n'ai rien entendu chez eux qui égale les meilleurs Haendel et Vivaldi (en revanche, qui surpasse les mauvais, oui, sans difficulté), mais je n'ai pas trop insisté : ce sont vraiment des archétypes du seria. Si l'on aime ce type de virtuosité brillante un brin extérieure au drame, ce sont des compositeurs au talent très sûr.


Ristori, Fidalba e Artabano (Lugo)
Pergolesi, La serva padrona (Helikon de Moscou)
→ Deux intermezzi comiques. La Serva padrona, peut-être plus célèbre pour la controverse involontaire dont elle fut le point de départ (la « Querelle des Bouffons » de 1752…) que pour sa musique, au demeurant délicieuse. Le sujet est comparable à Serpilla d'Orlandini, trois ans plus tôt, avec un peu plus de comique d'intrigue en sus des caractères (une servante opiniâtre prend le dessus sur un maître faible, au sein d'un enjeu amoureux).
→ Ici aussi, la musique est déjà d'une grammaire pour partie assez classique pour 1733 (sans parler des onomatopées qui feront le sel de Rossini !), on sent très bien tout ce que lui doivent Cimarosa et Paisiello. Au demeurant, une œuvre réjouissante où se manifestent un très beau sens mélodique, une véritable originalité dans la structuration des thèmes, l'aspect général de la musique, et une jovialité particulièrement délectable.


Hasse, Siroe (Amsterdam, Mainz)
Hasse, Artaserse (Pinchgut de Sydney)
→ Le grand successeur de Haendel, sensiblement sur les mêmes bases ; un peu plus virtuose que frisonnant, sans doute, même il existe bien des pépites dans le legs – je voudrais réentendre Cleofide dans une belle interprétation, par exemple (le disque de Christie est assez sec et terne).
→ N.B. : C'est l'excellent ensemble spécialiste Orchestra of the Antipodes (à l'origine de superbes Rameau, notamment) qui officie au Pinchgut.



salle opéra
Le Théâtre Académique d'Opéra et de Ballet de Saratov, à quelques mètres de la Volga – équidistant d'Oulianovsk (au Sud de Kazan) et de Volgograd. On y jouera le Mariage secret de Cimarosa – dans des conditions probablement pas très musicologiques.Mais quelle allure de temple grec – un petit côté Lincoln Memorial !



3. Opéras classiques

On a beau passer dans l'ère classique (progressivement à partir des années 1750, et façon claire dans les années 1770), dont les contours ne sont pas si faciles à définir (les improvisations de basse continue persistent jusqu'à assez tard, et les genres canoniques inchangés…), les opéras sérieux sont toujours écrits sous le format de l'opéra seria, avec ses numéros clos longs et très virtuoses. Seule la langue musicale évolue.

Gluck, Le Cinesi (Valencia).
→ Œuvre quasiment mythique dans la communauté lyrique numérique francophone, à l'origine de la scission et de l'effondrement de plusieurs vieilles maisons.
→ Pour le reste, l'étonnant témoignage d'un Gluck aux accents plus guillerets, dans lequel demeurent encore des traits de la période précédente (on est en 1754, et les traits de basson ramistes de l'Ouverture !). Les récitatifs secs en sont très longs (et peu passionnants), les accompagnements « affectifs » plus tournés vers le style classique, les tapis de trémolos et les pointés de cor déjà fréquents, mais ce reste une œuvre d'ambition limitée.

Traetta
, Antigona (Osnabrück, Oldenburg)
Antigona (1772) est déjà marquée par les innovations gluckistes qui se manifestent dans des opéras italiens dès les années soixante, avec Orfeo ed Euridice (1762) et Alceste (1767), bien avant la réforme musicale française qui advient avec Sabinus de Gossec (1773) et Iphigénie en Aulide de Gluck  (1772). [Pour les détails sur ces questions, voir la notule L'Imposture Gluck.]
→ Malgré son hiératisme, Antigona tire aussi assez, dans les mélodies des récitatifs et dans l'harmonie, vers le Mozart des Da Ponte (en particulier Nozze et Don Giovanni). On y rencontre également de grands récitatifs accompagnés par des accords d'orchestre. L'œuvre est vraiment intéressante, et la musique en vraiment inspirée [davantage que les Gluck, à mon gré]. Assez proche du style de la Chimène de Sacchini, sensiblement plus tardive (1783, après dix ans de bouleversements musicaux).

Gassmann, Gli uccellatori (Kassel)
→ Gassmann est d'abord célèbre pour sa très amusante parodie, L'Opera seria, écrite dans le style exact d'un genre qui était encore plein de vitalité, mais dans l'envers du décor d'une troupe aux personnalités dysfonctionnelles. D'une modernité librettistique étonnante, tout en sonnant réellement comme ses modèles.
Les Oiseleurs sont une autre œuvre comique (sur un livret de Goldoni!), elle aussi encore très nettement baroque malgré sa date de naissance tardive (1729) ; mais après tout, on n'est qu'en 1759 et à Venise !


Haydn, Orlando paladino (Munich, Hagen)
Haydn, Armida (an der Wien)
→ Le Haydn seria n'est pas très mystérieux (ses opéras légers non plus), mais Armida contient de beaux airs héroïques qui exploitent très bien le sujet médiévalisant. On peut difficilement le considérer comme un progrès après LULLY (déjà que celle de Gluck…), mais en tant que seria classique, il a sa réelle personnalité, et est agréable à écouter, à défaut de constituer un drame intéressant.


Piccinni, Il regno della luna (Venise)
Piccinni, La Cecchina (Trévise)
→ Respectivement opera buffa (c'est-à-dire une comédie) et dramma giocoso (c'est-à-dire pas seria, que ce soit comique ou d'un genre plus mêlé comme Don Giovanni), deux œuvres où se manifeste une tout autre veine que celle du Piccinni français, où domine vraiment la fluidité mélodique (non sans truculence au besoin) – ce qui explique les divergences de composition pour le répertoire français d'avec le modèle gluckiste. Pas fanatique de ce confort sans angle très saillants, personnellement, mais c'est au minimum tout un pan d'histoire !

Cimarosa, Il matrimonio segreto (Théâtre Musical des Enfants à Moscou, Saratov)
→ Là aussi, je diverge assez de l'appréciation des contemporains. Pas d'imagination musicale très hardie, cette jolie musique demeure tout le temps assez polie (quoique d'une tournure personnelle), et tout cela dure fort longtemps pour une intrigue aussi prévisible, même pour l'époque (secrètement mariée à Paolo, la bourgeoise Carolina devrait épouser le Comte désigné par son père, s'attirant la jalousie de sa sœur). Pourtant, succès gigantesque à l'époque. J'aime beaucoup, mais l'époque a fourni sensiblement mieux (à commencer par Cimarosa, témoin son irrésistible Maestro di cappella où la basse bouffe appelle un à un les instrumentistes, les félicitant ou les gourmandant).

Mozart, La finta giardiniera (Milan, Saint-Pétersbourg)
→ Un Mozart de prime jeunesse que je trouve assez gentillet (et assez long pour son sujet), mais qui dispose de quelques jolis airs. Bien en cour en ce moment, redonné sur un assez grand nombre de scènes de premier plan.

Zingarelli
, Giulietta e Romeo (an der Wien)
→ 1796, en pleine transition. L'orchestration, le langage demeurent classique, mais les récitatifs secs sont très rossiniens, les duos s'alanguissent en s'infléchissant progressivement de Mozart vers le belcanto romantique. Très intéressant, sans être non plus trop profondément prégnant.



salle opéra
Le Teatro Donizetti de Bergame (au pied des Alpes, Nord-Est de Milan, entre Côme et Salò), où l'on donnera un opéra bouffe de Mayr, et un autre de Donizetti (évidemment), tous deux rarissimes.



4. Opéras romantiques belcantistes

Cherubini, Ali-Baba ou les Quarante Voleurs – en français ou en italien ? (Milan)
→ Cherubini se situe à cheval sur toute la série d'esthétiques franco-italiennes du temps : opéra sérieux sur les livrets à la mode (Armida abbadonata, Adriano in Siria, L'Allessandro nell'India…), opéras bouffes (Lo sporo di tre et marito di nessuna, La finta principessa), l'opéra-comique ambitieux  (Les deux journées), la tragédie en musique (Démophoon), l'opéra-ballet (Anacréon), les commandes révolutionnaires (collaboration au Congrès des Rois), et tout un tas de choses intermédiaires, comédies héroïques (Lodoïska), drames lyriques (Pygmalion), l'étrange Médée (tragédie en musique dans un moule formel d'opéra-comique), avant de verser dans l'esthétique romantique (Les Abencérages en 1813), comme en témoigne tout à fait ce dernier opéras, créé à l'Opéra de Paris, entièrement mis en musique (sans dialogues), dans une veine très continue italienne un peu lisse. La seule version discographique à ce jour, me semble-t-il, en est d'ailleurs une traduction italienne, fort peu soucieuse du style musicale (très lent et épais).

Mayr, Che originali ! (Bergame)
→ Opéra-bouffe d'un des compositeurs importants du temps, assez bien documenté au disque, rarement bien servi (versions très lentes et molles, pas mal de choses mal captées aussi). Ce qu'on peut en percevoir n'est vraiment pas exaltant, une sorte de Donizetti archaïque, aucune invention musicale ni même mélodique, du sous-sous-Piccinni romantisé. J'avoue être passé tout à fait à côté – sont succès doit bien avoir quelque cause. Mais je ne connais que ses œuvres sérieuses, pas celle-ci.

Spontini, Le Metamorfosi di Pasquale (Venise)
→ Je ne connais pas spécifiquement ses opéras bouffes. Ses opéras-comiques contiennent très peu de musique (en quantité), pas très marquants non plus, mais l'esthétique n'est pas la même qu'en italien, il faut donc tenter.


Rossini, La Donna del Lago (Lausanne)
Rossini, Mosè in Egitto (Hanovre)
Rossini, La Scala di Seta (Lausanne)
Rossini, La Gazza ladra (Saint-Pétersbourg)
Rossini, Il Viaggio a Reims (Hanovre)
Rossini, Il Turco in Italia (Sydney)
→ Du Rossini sérieux (la fresque animée sur Walter Scott de la Donna del Lago est à mon sens le meilleur seria de Rossini – et cette fois donnée par un « baroqueux » très animé, Petrou), du Rossini léger, parfois anecdotique (la Pie voleuse est charmante, sans atouts majeurs sorti de l'ouverture), parfois grisant (les typologies endiablées du Voyage à Reims, assez en vogue ces dernières années).
→ Quant au Turc, je le distingue non pas en raison de sa suprême rareté – il est relativement peu donné, et bien moins que son pendant L'Italienne, mais donné tout de même –, mais parce qu'il constitue, à mon sens, un sommet assez absolu du genre comique à l'opéra. Le livret autoréférentiel de Felice Romani (le Poète est un membre majeur de l'action), les ensembles endiablés, le sens mélodique, les récitatifs éloquents, les personnages à la serpe mais touchants, la couleur locale, et une douce nostalgie qui baigne parfois tout cela (le trio final) quand ce n'est pas la franche rigolade (le trio de la bastonnade du poète interventionniste)… tout concourt au succès final. Inexplicable pour moi que ce soit le Barbier qu'on joue autant, en comparaison. En somme, écoutez-le au disque, au minimum (Conti chez Naxos ou Chailly chez Decca).


Donizetti, Poliuto (Barcelone)
Donizetti, Pia de' Tolomei (Pise, Lucques, Livourne)
Donizetti, Maria di Rohan (Washington)
Donizetti, Pigmalione (Chicago)
Donizetti, Adelia (Hildesheim, Nienburg, Fulda)
Donizetti, Rita (Chicago)
Donizetti, Le convenienze ed inconvenienze teatrali (Prague, Krasnoïarsk)
Donizetti, Il borgomastro di Saardam (Bergame)
→ Beaucoup de Donizetti bouffes peu célèbres cette saison, et pas seulement en Italie. Je serais mal placé pour faire la fine bouche sur cette part de son legs, même s'il est très inégal (pour en rester aux deux plus fameux, autant L'Elisir me paraît vertigineux, autant Don Pasquale me semble très commun). De même, bien que j'aime assez prendre Donizetti en mètre-étalon de la chicherie musicale du premier romantisme italien, il existe de quoi se repaître dans son répertoire sérieux, et Poliuto, source des Martyrs, mérite un peu d'attention. Moins convaincu par les Gemma, Pia, Maria ou Anna (voire tout de bon ennuyé), mais pour ceux sensibles au genre, il y a de quoi varier de Lucia en voyageant un peu.


Bellini, Il Pirata (Saint-Pétersbourg)
Bellini, La Straniera (Washington)
→ Enfant prodige du belcanto romantique, tôt emporté, Bellini rend la tâche assez facile pour faire le tour de sa production, pour la plupart régulièrement donnée. Ces deux-là (et bien sûr l'Ernani inachevé mais très réussi) illustrent assez bien ses deux facettes : le belcanto aimable un peu fade (Sonnambula, Beatrice di Tenda, voire les Capuletti, déjà plus ambitieux) pour Il Pirata (très formel de surcroît) ; les raffinements discrets de l'harmonie et de l'orchestration derrière le lyrisme, le sens dramatique aussi (comme pour I Puritani) dans La Straniera, son meilleur opéra à mon sens après Norma et Puritani.

salle opéra
L'Opéra National de Szeged (Sud de la Hongrie, aux confins de la Serbie et de la Roumanie). Son amphithéâtre… amphithéâtral est sur le même modèle que celui de l'Opéra de Budapest. On y jouera Ernani de Verdi.



5. Révolution verdienne


Verdi, Oberto (Wrocław)
→ Son premier opéra, déjà caractérisé par sa liberté structurelle, ses récitatifs remarquablement mélodiques (et au cordeau prosodique), ses airs très dramatiques,ses ensembles riches où chaque personne est individualisé. Une de ses grandes œuvres, en réalité. Une fois Oberto et Nabucco (son troisième) composés, il faut attendre Stiffelio (13 titres plus loin !) pour
Verdi, I Lombardi alla prima crociata (Turin)
→ Encore belcantiste, mais très abouti, et la source (le sujet et une partie de la musique) de Jérusalem, sa première commande française.
Verdi, Ernani (Monaco, Barcelone, Szeged, Istanbul)
→ La censure autrichienne a un peu défiguré (les Autrichiens n'appréciaient pas le roi dans l'armoire, en particulier) le livret, devenu assez inoffensif. La musique aussi, malgré ses énormes qualités (les récitatifs sont des moments assez glorieux du catalogue de Verdi), demeure encore pensée en « numéros », et sensiblement marquée par le moule belcantiste (tout en étant déjà autre chose).
Verdi, I due Foscari (Bonn)
→ Réputé l'un de ses coups de génie de jeunesse. Il y a là certes de belles choses, mais je n'y trouve pas la prégnance mélodique ni la liberté de ses meilleures œuvres des « années de galère ». Une très bonne œuvre néanmoins, qu'on n'entend guère en France.
Verdi, Giovanna d'Arco (Konzerthaus de Berlin, Rostov)
→ Du Verdi très belcantiste, pas son meilleur ouvrage.
Verdi, Alzira à Buxton (Derbyshire)
→ Sa mauvaise réputation comme un des Verdi les plus faibles me paraît exagérée (il vaut très largement Jeanne d'Arc et Legnano), sans constituer un sommet non plus.
Verdi, I Masnadieri (Monaco, Bilbao, Rome, en allemand Volksoper de Vienne)
→ De très beaux ensembles, des airs moins passionnants.
Verdi, Il Corsaro (Valencia)
→ Un des meilleurs Verdi (de la première période, en tout cas). Le sujet, emprunté à Byron (mais sans humour, ici), propose un panache scénique remarquable, et bien que le plan en demeure assez formel (avec des airs très identifiables), le tout se suite comme une fresque aux jolies mélodies et à la tension dramatique tout à fait réussie. Un charme très particulier, pour une des œuvres les moins données de son auteur.
Verdi, La Battaglia di Legnano (Florence)
→ Probablement le Verdi que j'aime le moins. Vraiment peu d'airs saillants, une forme très scolaire… un dirait du (pas très grand) Donizetti écrit un peu plus tard.
Verdi, Stiffelio (Budapest)
→ L'œuvre est totalement du niveau de la Trilogie Populaire, encore plus aboutie que Luisa Miller, elle mérite clairement une entrée au répertoire. Les imprécations désespérées du pasteur trahi par sa femme (oui, une femme adultère dans un premier rôle féminin de grand soprano !), les ensembles étourdissants, le brouillage récurrent entre récitatifs, « scènes », ariosos, airs et ensembles, tout concourt à l'admiration du traitement d'un sujet déjà plutôt ébouriffant.
        ► Verdi change tout. Vu à l'échelle de l'histoire musicale, il ne se passe rien ici (ou. presque.), les Germains (et quelques français) ont vraiment poussé les moyens de composition beaucoup plus loin. À l'échelle de l'Italie, ou même de l'histoire de l'opéra, il en va tout autrement. Verdi fait passer l'opéra, qui baignait depuis 150 ans dans une fascination complaisante envers les voix agiles au détriment des livrets et de la variété musicale, dans l'ère d'une recherche d'impact dramatique, de couleur unique pour chaque ouvrage.
        ► Oh, certes, Verdi exalte toujours les voix, et c'est ce qui fait son succès, il n'est pas italien pour rien. Dans le même temps cependant, il impose à ses librettistes un chemin qui fait de lui, aujourd'hui encore, l'un des compositeurs d'opéra les plus efficaces de tous les temps. Il peut, en une quarantaine de mesures, vous renverser une situation, vous peindre cinq sentiments contradictoires, tout en restant parfaitement clair. Il écrit des airs, oui, mais n'alanguit jamais l'action, qui frappe comme la foudre.
        ► Par ailleurs, il est aussi (de très loin), aussi étrange que cela puisse paraître, le compositeur italien le plus avancé dans le langage proprement musical, avant que n'arrive la nouvelle génération menée Leoncavallo et Puccini : personne pour oser ces modulations, ou même ses effets orchestraux (mesurés) ; pas non plus de meilleur serviteur de la prosodie, et pourtant il est celui qui ose les choses les plus hardies. Quand on explore le fonds de ses contemporains, on est frappé par le fait qu'ils écrivent encore du Donizetti enrichi, là où Verdi est vraiment, totalement, incontestablement ailleurs (et au-dessus). S'il y a vraiment un domaine où le tri établi par l'Histoire paraît inattaquable, c'est bien l'opéra italien du milieu du XIXe siècle. Je veux bien discuter la suprématie absolue de Mozart (je n'ai pas dit que c'était évident : 1,2,3), pas celle de Verdi dans son domaine.
        ► À l'exception de Stiffelio qu'on peut considérer comme œuvre de maturité (juste avant Rigoletto qui ouvre les années de gloire incontestée, et juste après Luisa Miller qui en est peu ou prou), du fait de sa grande liberté, ces œuvres rares susmentionnées sont toutes de jeunesse (tout simplement parce qu'on joue abondamment toutes celles qui suivent Stiffelio, sa refonte en Aroldo exceptée).

De Giosa, Don Checco (Naples)
→ Contemporain de Verdi, Nicola De Giosa propose dans Don Checcho un opéra bouffe qui évoque Rossini, voire Martín y Soler. Rare, mais pas indispensable.

Foroni, Margherita (Wexford)
→ Cadet d'une douzaine d'années de Verdi, Jacopo Foroni avait dû fuir l'Italie après avoir participé à la révolte anti-autrichienne de 1848. Il dirige alors des opéras de Bellini et Donizetti en Europe, et s'établit en Suède. Il y écrit ainsi notamment Christina, regina di Svezia (« Christine de Suède »).
→ On sent chez Foroni l'impact de la révolution verdienne, avec un goût pour les situations dramatiques et les ensembles, un soin de la finition vraiment délectable. Le langage est certes un peu plus policé et rétro que celui de Verdi, mais considérant son jeune âge (mort à 33 ans, il écrit Margherita à 23 ans), il constitue l'une des figures les plus prometteuses de l'opéra italien d'alors. Voyez par exemple ces extraits de Christina. Encore une belle résurrection (avait-on rejoué Margherita ? guère en tout cas) au crédit de Wexford.



salle opéra
Comme vous n'irez probablement pas cette année après le mal que vous lirez sur La Wally et Iris, contemplez ici la façade typiquement italienne du Teatro del Giglio (Théâtre du Lys) de Lucques, un jour de marché.



6. L'après Verdi, l'après Wagner


Catalani, La Wally (Lucques, Wexford)
→ Emblématique à cause de son bel air de Diva aussi bien que par sa place emblématique dans le vérisme : on parle souvent d'opéras véristes pour qualifier un style musical commun qui s'adapte à des sujets tout à fait traditionnels en réalité (I Medici de Leoncavallo, Edipo de Mascagni, Andrea Chénier de Giordano… où est le naturalisme là-dedans ?). Dans La Wally, tout est vériste : l'intrigue présente les déviances de pauvres gens (probablement consanguins) perdus dans la montage, leur vie mesquine et déroire, leur mort ridicule.
→ Au demeurant, il n'est pas très étonnant que ce ne soit que peu donné : ni le livret ni la musique (qui culmine en effet dans l'air) ne sont vertigineux.

Puccini
, Edgar (Saint-Gall)
→ Ce Puccini-là fait encore du Verdi, et le fait diablement bien. Un Verdi plus souple et élégant, sans avoir la même force dramatique ou mélodique, certes. Une très belleœuvre qui, comme le bijou Le Villi, mériterait abondante présence sur les scènes. Pour cette saison, il faudrait voyager jusqu'au cœur de l'Helvétie pour pouvoœir en profiter. Il y aura d'autres occasions.

Puccini, La rondine (Gênes)
→ (C'est-à-dire « L'hirondelle », rien à voir avec Schnitzler.) Supposément du Puccini plus conversationnel, mais en réalité, c'est aussi l'une de ses œuvres les plus sirupeuses, et sans la contrepartie d'un livret un peu méchant comme pour Tosca ou Turandot.
→ Intrigue de salon, un peu comme Fedora de Giordano (dont la musique est moins complexe, mais aussi moins dégoulinante). À noter, le rôle p'incipal (Ruggero Lastouc) fut créé par Tito Schipa !

Giordano, Fedora (Stockholm, Saint-Pétersbourg)
→ Giordano, plus connu pour son Chénier, n'est pas réputé, et non sans fondement, pour sa finesse ; néanmoins dans Fedora, même si la langue demeure celle du lyrisme vériste, le dispositif du salon, à l'acte II (requérant un pianiste virtuose qui doit jouer sur scène pendant que les chanteurs conversent), est d'une originalité et d'une réussite remarquables. C'est le dénouement qui est beaucoup plus banal, et paraît assez éloigné de l'atmosphère d'intrigue des deux premiers actes, plus nourrissants musicalement au demeurant.

Mascagni, Iris (Lucques)
→ Réputé comme l'un des meilleurs Mascagni, ce reste… du Mascagni. Certes, l'intrigue sort de l'ordinaire : au Japon, une fille naïve enlevée par un séducteur, puis jetée dans les lieux de perdition de la ville. Mais la musique demeure très sommaire, purement italienne, l'orchestre bardé d'unissons inutiles, comme toujours avec Mascagni – son Edipo aussi, roi grec tout de même, s'exprime comme le Compare Alfio. On attendrait des couleurs orientalisantes ou au minimum un climat plus voilé et tourmenté, rien de tout cela – il nous refait même le coup de l'intermezzo de Cavalleria. À l'intérieur de l'œuvre, les situations ne sont pas contrastées non plus, impossible de distinguer la vie paisible de la jeune fille de l'enlèvement, le village du lupanar… tout est écrit dans le même lyrisme un peu droit.
Je n'aime pas beaucoup Madama Butterfly, autre sujet japonais au soprano expiatoire, mais c'est indéniablement de la grande musique ; ici, tout est beaucoup moins clivant (moins de sirop, clairement), mais aussi beaucoup moins intéressant.

Cilea, L'Arlesiana (Deutsche Oper de Berlin)
→ Par rapport à Adrienne Lecouvreur, L'Arlésienne représente un moyen terme : ni les trépidations jubilatoires des archaïsmes du début des actes I et III, ni les langueurs sirupeuses des grands airs des héros… Une musique assez continue, fluidement italienne, pas d'un grand relief, mais dont l'intrigue et le charme tiennent très bien en haleine, surtout avec le renfort de la scène (et de bons chanteur).

Alfano, Risurrezione (Wexford)
→ D'après Tolstoï, un titre très post-puccinien, mais d'un Puccini un peu crépusculaire, vraiment menaçant. Bel opéra, très différent des aspects plus modernes d'Alfano (mais supérieur à son achèvement servile de Turandot). Compositeur décidément protéiforme, entre les influences françaises de la musique de chambre, le décadentisme germanique des symphonies, la bizarre conversation en musique chargée de Cyrano


salle opéra
Le Staatsoper Stuttgart (1912), où se tiendra Le Prisonnier de Dallapiccola.



7. Opéras des écoles du XXe siècle

Casella, La Favola d'Orfeo (Stanislavski de Moscou)
→ Il ne faut pas en espérer le grand Casella décadent : il s'agit d'une œuvre très néoclassique, et pas dans le sens d'un langage épuré mais nouveau. Cet Orfeo est plutôt comparable aux œuvres mineures de Milhaud, la simplicité harmonique italienne et le sirop un peu visqueux en sus. Aussi éloigné que possible de ses grandes œuvres symphoniques (même celles avec voix). [La Donna serpente, remontée l'an passé à Turin, ne vaut pas mieux : étranges imitations de Boris et proximité avec Prokofiev, mais sans du tout, là encore, la même matière musicale, particulièrement plate.]

Wolf-Ferrari, Il segreto di Susanna (Turin)
→ Une délicieuse conversation en musique aux accompagnements délicieusement boisés. Totalement tonal et rafraîchissant, un très courte pièce (moins d'une demi-heure) au charme archaïsant irrésistible.

Dallapiccola, Il Prigioniero (Bruxelles, Stuttgart, Florence, Dresde)
→ J'ai hésité à le mentionner, dans le Prisonnier est devenu un grand standard des scènes ouest-européennes. Son sujet militant (tiré du Dernier jour d'un condamné de V. Hugo) sur un domaine pas trop conflictuel (la torture psychologique, c'est mal), son côté « humaniste », sa référence littéraire, sa musique très sombre mais accessible (une tonalité élargie mais tout à fait polarisée, complètement intelligible), son climat oppressant, sa petite durée, tout en fait une excellente passerelle pour les publics vers la musique du XXe siècle. [À titre personnel, c'est plutôt Volo di notte que je voudrais voir s'imposer, cette œuvre est d'une poésie remarquable tout en clair-obscurs, et absolument de son temps tout en empruntant un langage parfaitement familier.]

Maderna, Satyricon (Salzbourg)
→ Grande masse de textes en patchwork innombrables, pas forcément très musicale, mais assurément foisonnante – j'avoue préférer les œuvres plus domestiquées de Maderna (le Concerto pour hautbois, au hasard), mais l'expérience ne doit prendre son sel qu'en vrai. (Plus encore que pour Prometeo de Nono, par exemple).

Rota
, Il cappello di paglia di Firenze (Naples)
→ Autre bijou de conversation en musique, peut-être pas très marquant musicalement, mais qui, joint au texte, laisse planer le sourire sur les lèvres. De la belle comédie qui suit de près la pièce de Labiche.

Au sein de l'immense répertoire du Mariinsky (Théâtre Marial, ancien Kirov), on jouera cette bizarrerie d'opéra en latin d'un gamin de onze ans.



8. Opéras en latin

Mozart, Apollo et Hyacinthus K.38 (Saint-Pétersbourg, Helikon de Moscou)
→ Le premier opéra de Mozart (si on compte Die Schuldigkeit comme oratorio), composé à onze ans. Étrangement, seule la Russie semble le donner cette saison.

salle opéra
Étages vertigineux de la salle très scaligère du Teatro Comunale Mario Del Monaco de Trévigny (au Nord de Venise).



Pas si mal pour un répertoire encore plus défini que les autres par ses têtes de gondole.

Restent encore beaucoup d'ères linguistiques à parcourir, à ce train-là j'aurai fini de présenter la saison en décembre. Mais peu importe, c'est aussi l'occasion de prendre conscience de ce qu'est le répertoire des maisons du monde, concrètement, et il est assez différent de ce que peuvent suggérer les disques.

Et puis si vous n'êtes pas content de la sélection ou du rythme de publication, vous pouvez toujours jouer pour passer le temps – l'exercice est vraiment difficile (13/15 en ce qui me concerne, et ce score inclut des compositeurs que je n'ai, en toute honnêteté, pas encore écoutés).

mardi 17 octobre 2017

Les opéras rares cette saison dans le monde – #1 : slaves orientaux (et voisinage)


Pour le principe de cette exploration, voir la première notule de la série.
◊ Les opéras sont d'abord classés par langue (quels que soient le lieu de la représentation, la langue d'origine du compositeur – ou même de l'œuvre), puis par âge des compositeurs ; les villes par ordre supposé d'accessibilité depuis la France.
En rouge, les titres qui donnent bien l'envie de s'engouffrer dans un avion. Avis personnel.

J'ai la fantaisie de débuter avec les Russes.

Ils sont assez nombreux en raison du choix d'inclure les titres peu donnés en France, voire en Europe centrale et occidentale ; à l'échelle de la Russie, les Glinka et Rimski sont tout à fait habituels.

Le reste du répertoire y est extrêmement conventionnel – opéras romantiques italiens surtout (et célèbres), mais j'ai été surpris de remarquer une assez grande présence de créations de compositeurs vivants (certes, uniquement à Saint-Pétersbourg et Moscou).

Beaucoup de concerts ou représentations sont donnés avec une date unique, surtout dans les villes moyennes (enfin, les grandes villes de Russie, mais pas les deux grandes). Même à Saint-Pétersbourg, les raretés du Mariinsky sont en général données un seul soir, en version de concert.
 



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Opéra de Yoshkar-Ola.




1. Opéras romantiques composés en russe

Glinka, Rouslan et Loudmila (Perm)
Glinka, Une vie pour le Tsar (Frankfurt-am-Main, Saint-Pétersbourg, Novgorod, Saratov)
→ Encore très marqués par les modèles européens, et en particulier italien, les opéras de Glinka ont la réputation d'inaugurer le genre – en réalité, il existe même des opéras de type seria au XVIIIe siècle écrits en langue russe. Mais Glinka a la particularité d'inventer un équilibre nouveau, et malgré le langage musical très dépouillé (un peu nu à mon gré, on n'est pas si loin des récitatifs italiens « blancs » ajoutés à la Médée de Cherubini), de donner une coloration locale forte à ses œuvres.
→ Le résultat a quelque chose du durchkomponiert de Weber (même si le climat n'est pas le même, la comparaison structurelle aec Euryanthe ne me paraît pas absurde). En tout cas une écriture assez continue, pas forcément très saillante, mais qui a fait école dans la façon très souple qu'on eu les Russes de traiter leurs « numéros » : même les grands mélodistes s'arrêtent peu pour écrire de grands airs.
→ À noter, à Francfort, l'opéra Une vie pour le Tsar est donné sous le titre préféré par les Soviétiques, Ivan Soussanine (pour exalter le sacrifice individuel pour le bien commun, plutôt que la religiosité tsariste, évidemment), mais je ne crois pas qu'il y ait de divergences musicales significatives entre ces versions.

Dargomyzhsky, Le Convive de pierre (Bolchoï de Moscou)
→ L'opéra est très populaire en Russie, souvent donné (même capté en studio pour la télévision à l'époque soviétique) : il reprend littéralement la pièce de Pouchkine, et se compose surtout de récitatifs austères, ponctués de quelques numéros musicaux plus galants. Une belle œuvre qui place le verbe au premier plan, et qu'on ne donne guère hors du pays. [Quant à sa Rusalka là aussi pouchkinienne, on ne la donne plus guère, même en Russie, malgré ses qualités.]
→ Don Juan est ici pour la première fois sincèrement et fidèlement amoureux, mais c'est de Donna Anna en pleurs sur la tombe du Commandeur.
→ La version usuellement donnée est celle de 1903 (créée en 1907), achevée par César Cui, réorchestrée par Rimski-Korsakov – et partiellement remaniée par le même, notamment avec l'ajout du Prélude.

Rubinstein, Le Démon (Barcelone)
→ Moins russisant que ses camarades de la même génération (années 1830-40), Rubinstein propose un opéra qui combine une forme de lyrisme mélodique russe à une violence dramatique qui évoque plutôt les Allemands (Marschner en particulier, sujet fantastique aidant). Un démon veut triompher d'une femme vertueuse. Et c'est compliqué.

Borodine, Le Prince Igor (Saint-Pétersbourg, Novaya Opera de Moscou, Rostov, Saratov)
→ Le grand classique inachevé, d'un patriotisme assez simple (le Prince trahit sa parole envers ses ravisseurs pour sauver l'Empire), toujours à la mode en Occident pour ses danses barbares polovstiennes (dont je n'ai jamais trop saisi la force, je l'admets). Complété par ses potes du Groupe des Cinq, il contient de belles choses, mais on demeure dans cette première manière de l'opéra russe, assez hiératique. Il y a tout de même le merveilleux air du Prince captif, une mélodie envoûtante, un récit poignant, dans le même esprit que le grand air deBoris sur le pouvoir (dans la révision de 1872) – on pourrait le donner plus fréquemment en récital.

Moussorgski, La Khovanchtchina (Saint-Pétersbourg, Stanislavski de Moscou)
→ Fréquent en Russie, plus rare ailleurs, même s'il est quelquefois donné dans les maisons d'Europe et des États-Unis. Grande fresque bien connue sur les bouleversements politiques russes, là aussi inachevée, disposant de multiples adaptations, et se répandant en longues scènes closes très impressionnantes.

Tchaïkovski, Opritchnik (Saint-Pétersbourg)
→ Il n'en existe que peu de versions discographiques, toutes anciennes (pas forcément des prises officielles, pas forcément disponibles non plus), et aucune avec livret. Pourtant, une vaste œuvre de 2h40, de TCHAÏKOVSKI, pas du neveu de ma belle-sœur… Une de ses partitions les plus russes, pourtant, très contrastée et intense – dont l'atmosphère culmine dans un grand chœur masculin a cappella suivie dans une grande scène emportée de ténor avec choral de cuivres… Une merveille qui s'élève au niveau d'Onéguine et de la Dame de Pique, expansive dramatiquement, foisonnante musicalement, et regorgeant de mélodies merveilleuses.
→ Sensiblement aussi incompréhensible pour moi reste l'absence de L'Enchanteresse (dont j'ai peiné à trouver le livret – russe seulement – et la partition), musique remarquable (du Tchaïkovski très romantique, tout simplement), livret très exploitable, qu'on ne joue jamais, pas même en Russie (au disque, deux enregistrements, sans livret). Et Vakoula le Forgeron (version originale des Souliers de la reine), dont il n'existe RIEN au disque.

Tchaïkovski, Mazeppa à Gera (Thuringe), Saint-Pétersbourg (Mariinsky), Moscou (Helikon), Kharkiv (Ukraine Nord-Est) et Novgorod.
Tchaïkovski, La Pucelle d'Orléans (Leberec en Tchéquie septentrionale, Ufa en Russie centrale)
Mazeppa a un peu été donné en Europe, la Pucelle très peu. Le premier est dans un langage romantique très sobre, avec beaucoup de scènes champêtres, d'ensembles assez simples… l'œuvre regarde plutôt du côté de Glinka. La Pucelle est plus étrange, bidouillant l'histoire-historique très au delà de la vie intime des protagonistes ; assez disparate musicalement aussi, mais pourvue de réelles beautés d'un style assez inédit.

Rimski-Korsakov, Snegourotchka (Saint-Pétersbourg, Bolchoï de Moscou, Novaya Opera de Moscou)
Rimski-Korsakov, Sadko (Saint-Pétersbourg, Krasnoïarsk)
Rimski-Korsakov, Mozart et Salieri (Helikon de Moscou, Théâtre Musical des Enfants à Moscou)
Rimski-Korsakov, La Fiancée du Tsar à Kaunas (Lituanie), Minsk (Biélorussie), Donetsk (Est de l'Ukraine, voyage pas recommandé), Rostov, Bolchoï de Moscou, Novaya Opera de Moscou, Ekaterinburg, Tcheliabinsk (Russie, au Nord du Kazakhstan), Novgorod?
Rimski-Korsakov, Tsar Saltan (Staatsoperette de Dresde – quelle langue ?, Saint-Pétersbourg, Stanislavski de Moscou, Tel Aviv)
Rimski-Korsakov, Servilia (Opéra de Chambre de Moscou)
Rimski-Korsakov, Kastcheï l'Immortel à Minsk (Biélorussie) et Yoshkar-Ola (Russie)
Rimski-Korsakov, Kitège (Saint-Pétersbourg)
Rimski-Korsakov, Le Coq d'or (Staatsoperette de Dresde – quelle langue ?, Saint-Péterbourg)
→ On ne joue que ponctuellement Rimski hors de Russie, mais en Russie, son répertoire y tourne assez bien, même si l'ensemble de ses opéras n'y sont pas forcément joués. Par rapport à l'état du legs de César Cui (dont on attend une remise au jour de Mateo Falcone, pour commencer !), c'est vraiment la gloire intersidérale.
→ Le catalogue comporte des œuvres très diverses, entre le récitatif très brut de Mozart et Salieri, les saynètes de contes bigarrés (Sadko, Saltan) ou plus lyriques (La Fille de Neige), voire ténébreux (le Coq), les grands opéras historiques (la Fiancée) ou féeriques (Kitège)… J'aime particulièrement pour ma part le caractère très direct de l'harmonie, le galbe de la parole dans la Fiancée, mais c'est pure inclination personnelle, le reste est remarquable aussi.
→ Ladite fiancée est régulièrement jouée, certes, mais tout de bon plébiscitée cette année dans la zone d'influence, et ce n'est pas sans implication géopolitique, j'en parlerai.

Taneïev
, Oresteïa (Saratov)
→ Dans L'Orestie, Taneïev présente plutôt le jour paisible et assez académique de ses quatuors à cordes ou de ses symphonies, même si les trouvailles y sont plus saillantes. Il ne faut pas nécessairement en espérer les moments de grace de ses trio avec piano, quatuor avec piano, quintettes à cordes ou avec piano… Pour autant, c'est peu donné, et pas du tout dénué d'intérêt.





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Opéra d'Ekaterinburg.





2. Opéras des écoles du XXe siècle composés en russe

Rachmaninov, Aleko (Kiel, Glasgow)
Rachmaninov, Francesca da Rimini (Kiel, Glasgow, Saint-Pétersbourg)
→ Deux bijoux absolus, qui sont assez régulièrement donnés en Europe occidentale ces dernières années (Paris en concert pour Rimini, Nancy, Bruxelles…).
Aleko, à défaut d'intrigue complexe, propose une sorte de quintessence de l'épanchement russe – dans une veine post-Rimski plutôt que réellement rachmaninovienne, et réellement calibrée pour l'opéra. Quant à Francesca, elle demeure une expérience proprement hallucinatoire en salle, avec l'effet tournoyant de son chœur de damnés qui mime les premiers cercles des enfers dantesques.
(Pas de Chevalier ladre cette année sur Terre.)

Stravinski, Mavra (Opéra de Chambre de Moscou)
Stravinski, Le Rossignol (Saint-Pétersbourg)
→ Encore une fois un choix varié, entre l'opéra comique Mavra et la féerie ineffable du Rossignol, sorte de parent vocal de l'Oiseau de feu, mais creusant déjà des univers beaucoup plus modernes et sophistiqués, moins mélodiques aussi.

Prokofiev, Le Joueur (Anvers, Bâle, Staatsoper de Vienne, Saint-Pétersbourg)
Prokofiev, L'Ange de feu (Glasgow, Varsovie)
Prokofiev, Semyon Kotko (Saint-Pétersbourg)
Prokofiev, Les Fiançailles au couvent (Mariinsky de Saint-Pétersbourg, Opéra de Chambre de Saint-Pétersbourg, Stanislavski de Moscou)
Prokofiev, Velikan, pièce pour enfant (Mikhaïlovski de Saint-Pétersbourg)
→ Sans surprise, l'Amour des trois Oranges est le plus joué dans le monde, et un peu partout (donc absent de la sélection). Pour le reste, le plus impressionnant reste bien sûr L'Ange de feu, d'un expressionnisme flamboyant et redoutable, composé sur près d'une décennie, et qui fournit l'essentiel de la matière thématique de la Troisième Symphonie : l'atmosphère en est saisissante, même si ce n'est pas, en ce qui me concerne, mon langage d'élection.
Les Fiançailles au couvent sont une comédie assez chargée musicalement (donc intéressante) et pas vraiment drôle ; quant à Kotko, vraiment peu donné, c'est un opéra autour d'un soldat de retour du front (mais le père de sa bien-aimée est contre-révolutionnaire), du véritable réalisme soviétique (1939 !) avant l'Homme véritable, et dont la matière dramatique et musicale m'a toujours paru un peu mince, mais c'est peut-être trop loin de mes inclinations pour que j'en saisisse toute la portée. [Je ne connais personne qui aime ça très fort, cela dit.]

Chostakovitch, Moscou, Quartier des cerises à Braunschweig (Basse-Saxe) et Gelsenkirchen (Ruhr).
→ Opéra léger charmant, qui ne contient pas de matière musique de première classe, mais qui n'est pas dépourvu d'attraits. Plutôt le Chosta des Suites de jazz, mais plus du côté de la chansonnette que du sirop.
Chostakovitch, Les Joueurs (Saint-Pétersbourg)
→ Opéra inachevé qui laisse voir de très belles choses, en particulier des ensembles intéressants.

Vainberg / Weinberg, La Passagère à Frankfurt (Hesse), Aarhus (Danemark), Saint-Péterbourg, Moscou (Novaya Opera), Ekaterinburg.
→ Véritable hit européen inattendu, cette saison, après une résurrection assez récente (première exécution complètement scénique en 2010 !) – et une renommée certes flatteuse du compositeur, mais pour autant loin d'occuper les saisons symphoniques ou chambristes européennes.
→ Il faut dire que le sujet a tout pour séduire la communication d'un opéra européen : le pitch inclut à la fois les PTSD (Syndromes post-traumatiques) et les Camps de la mort. Cela dit, force est d'admettre que Vainberg réussit remarquablement son affaire.
→ Car le livret repose sur un dispositif double : la Passagère sur un bateau de croisière, croit reconnaître une prisonnière, ancienne détenue au camp d'Auschwitz (où elle exerçait comme garde, ce qu'ignore son mari). La prisonnière est morte, en principe, mais cela donne l'occasion de faire dialoguer le « présent » sur le pont supérieur avec la vie du camp représentée sur le pont inférieur.
→ Musicalement, on reste dans l'univers soviétique, mais avec une douceur inhabituelle : rien de mélodique ni de suave, bien sûr, mais pas de paroxysmes ni de grincements non plus, une évocation assez subtile, qui épargne aussi, musicalement, la complaisance lugubre.
Vainberg / Weinberg, L'Idiot (Saint-Pétersbourg)
→ Beaucoup plus tardif (1985), pas encore testé : très rare, contrairement à la Passagère qui a été captée en vidéo et a parcouru l'Europe ces dernières années.

Chtchédrine, Les Âmes mortes (Saint-Pétersbourg)
Chtchédrine, Un Conte de Noël (Saint-Pétersbourg)
Chtchédrine, Le Gaucher (Saint-Pétersbourg)
Chtchédrine, Pas seulement de l'amour (Saint-Pétersbourg)
(ou Shchedrin)
→ Compositeur toujours vivant mais emblématique et patrimonial depuis longtemps (l'auteur de la Suite balletistique de Carmen pour cordes et percussions, à l'intention de son épouse Maria Plissetskaïa !), pas forcément le plus fascinant en musique instrumentale, mais extraordinairement à l'aise avec la scène, auteur de multiples ballets et opéras. J'avais mentionné dans une notule certains détails du Vagabond ensorcelé.
→ Je n'ai entendu aucun des quatre (sont-ils seulement disponibles ?), mais l'adaptation de Gogol rend très curieux !

Butsko, Nuits blanches (Saint-Pétersbourg)
→ Le langage de Yuri Butsko est très consonant et tonal – voire un brin pépère, mais joliment atmosphérique – dans ses symphonies, mais je n'ai pas essayé ses opéras, c'est là le genre de défaut qui peut être très utile pour écrire de la musique dramatique.





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Théâtre académique musical Stanislavsky de Moscou.





3. Opéras traduits en russe

Wagner
, www.nibelungopera.ru – adaptation en russe ? (Helikon de Moscou)
→ Compositeur allemand, contemporain exact de Dargomyzhsky, assez connu dans les pays germanophones semble-t-il. Le titre du spectacle est aussi l'adresse d'un site réel, cliquez dessus pour apprécier le sens esthétique russe. Je suppose qu'il doit s'agir d'une version réduite (et probablement russe, vu le nom de domaine ?) du Ring, un pluri-opéra assez long à base de folklore scandinave qui a fait la réputation de son auteur.

Rota
, Aladin et la lampe magique – en russe (Stanislavski de Moscou)
→ Compositeur d'opéras délicieusement consonants et rétro, ici traduit en russe. Quelle curiosité piquante !

Menotti, The Telephone – probablement en russe (Helikon de Moscou)
→ Un des titres les plus charmants de tout le répertoire, musique très accessible (mais plus en conversationnel qu'en sirop flonflonnisant), une saynète sur l'intrusion des technologies dans la vie sociale et amoureuse. Il est souvent traduit en langue vernaculaire (je l'ai vu sur scène en français il y a quelques années, et il est donné cette saison en suédois à Göteborg), un moment délicieux dont je me sens encore tout imprégné.





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Opéra Helikon de Moscou.





4. Opéras en russe de compositeurs vivants

(Sergueï) Banevich, L'Histoire de Kai et Gerda (Saint-Pétersbourg, Bolchoï de Moscou)
→ Je ne connais que son œuvre pour piano. Très consonante et même naïve – du Chopin simplifié.

(Alexander) Zhurbin, Métamorphose[s?] de l'Amour (Stanislavski de Moscou)
→ De la tonalité errante typiquement soviétique (mais capable d'être primesautier, chose rare dans cette génération – né en 1945) dans ses symphonies, mais aussi de véritables chansons… je suis plutôt curieux de ses opéras. [Les crochets sont de moi, je ne disposais que du titre traduit en anglais, où le pluriel est indécelable.]

(Efrem) Podgaits, Sa Majesté des Mouches (Théâtre Musical des Enfants de Moscou)
→ Joli sujet bien dramatique pour un opéra. Par ailleurs, Podgaits écrit remarquablement pour chœur (tonal mais avec beaucoup de notes étrangères et d'accords très riches), dans une tradition sophistiquée qui évoque plutôt les Scandinaves et les Baltes que lesRusses. Très appétissant.

(Jay) Reise, Rasputin – traduit en russe (Helikon de Moscou)
→ Autour de la figure politique intriguante de la fin de l'Empire, un opéra plutôt bien écrit (dans un langage intermédiaire), déjà donné dans une mise en scène olé-olé (défilé de nus…) typique du potentiel du Helikon. Doit assez bien fonctionner en vrai – pas seulement visuellement, je veux dire.

(Alexander) Manotskov, Chaadsky (Helikon de Moscou)
→ Alexander Manotskov écrit ses opéras dans un mélange pas forcément tonal mais très polarisé, naviguant entre le post-varésien très édulcoré et le folklorisme d'unissons dans une veine plus Carmina Burana slave, avec beaucoup de langages intermédiaires (accords de piano minimalistes aussi bien que simili-Britten, par exemple). Particulièrement versatile et varié, sans être toujours excellent dans chaque exercice. Je n'en ai pas assez écouté jusqu'ici pour déterminer si c'est plaisant ou irritant en fin de compte.

(Alexander) Tchaïkovski, Motiy et Saveloy (Théâtre Musical des Enfants à Moscou)
→ Plusieurs opéras de lui (manifestement pour enfants, je ne les ai pas mentionnés) au programme. A. Tchaïkovski aime beaucoup les ostinati, sa musique est assez planante, sans refuser les frottements – un peu dans la veine de Silvestrov, si l'on veut, mais un Silvestrov davantage dans le ressassement et moins dans la contemplation étale. Pas sûr que ça sonne très bien à l'opéra, mais ce n'est pas désagréable du tout en instrumental, à défaut d'être toujours nourrissant.





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Opéra de Lviv.





5. Opéras en ukrainien

Lysenko, Natalka Poltavka (Kiev, Lviv à l'Extrême-Ouest)
→ Contemporain de Tchaïkovski et Rimski-Korsakov (né en 1842, mort en 1912), ethnomusicologue, on ne fait pas plus emblématique d'un patrimoine.
→ Par ailleurs, l'œuvre n'a pas été conçue comme un opéra, mais comme une musique de scène pour la pièce d'Ivan Kotlyarevsky, qui raconte une histoire d'amour constant. Natalka attend son fiancé parti travailler à l'étranger plutôt que d'épouser le riche prétendant du coin – un peu l'histoire des enfants que les primatologues testent pour vérifier s'ils attendent de manger leur bonbon lorsqu'on leur en promet un second. La version de Lysenko (ébauchée en 1864 mais présentée en 1889 !) n'est qu'un habillage musical étendu des chansons folkloriques qui émaillaient déjà les représentations de la pièe : accompagnement orchestral, ajout de numéros musicaux.
→ Le langage musical de Mykola Lysenko est celui d'un compositeur centre-européen du temps, dans la veine de Gade, Smetana, Hamerik… Rien de spectaculairement inspiré néanmoins (je n'ai pas écouté Poltavka cela dit !), mais de la musique romantique bien faite.
→ Je ne sais pas si l'on joue toujours à Kiev la révision de 2007 qui avait ajoué des instruments folkloriques et n'avait pas suscité l'enthousiasme. À Lviv, en principe, c'est la version d'origine de Lysenko qu'on joue – et dans un coin tranquille de l'Ukraine.

(Je ne connais quasiment rien en ukrainien, mais les Polonais la décrivent en général comme une langue extrêmement proche, plus que du russe… Pourtant, la création, en 1889, eut lieu à Odessa, en langue russe.)





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Opéra de Kazan.
(Je n'avais pas été très impressionné par leur orchestre… ni leurs décors carton-pâte.)






6. Opéras en tatar

Langue du groupe turc, peuple répandu sur toute la frontière Sud de la Russie, aux extrémités Est et Ouest du Kazakhstan, nombreux en Crimée et à l'Ouest de la Biélorussie…

Cihanov (russisé en Zhiganov), Cälil (ou Jalil) – à Kazan (en Russie, capitale de la République du Tatarstan – c'est-à-dire le long d'un coude de Volga)
→ Ce que je connais de Näcip Cihanov (Nazib Zhiganov, né en 1911) n'est pas le raffinement même – plutôt les grosses fanfares avec cuivres en fffff toutes percussions dehors et les cordes en unisson qui débouchent sur de grands climax filmiques éclairés par les zébrures des fifres ! –, mais dans un opéra exaltant un minimum patriotique, ce doit pouvoir très bien fonctionner.
→ Il faut dire que le sujet s'y prête particulièrement : Musa Cälil, poète kazakh, par ailleurs auteur d'un livret d'opéra, est fait prisonnier en Pologne en 1942. Il rejoint alors la « légion nationale » Volga-Tatar formée par les prisonniers des allemands pour combattre les soviétiques sur leur propre sol. Enrôlé sous un faux nom, il infiltre l'unité de propagande, utilise ses moyens pour diffuser des tracts séditieux, prépare la rébellion, jusqu'à ce que le premier bataillon tatar parte sur le front… et abatte tous ses officiers nazis. Les mutins sont arrêtés par la Gestapo en Biélorussie, et Cälil (âgé de 38 ans) et ses compagnons, non sans laisser des carnets (Le Serment de l'Artilleur), sont guillotinés à Berlin.





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Opéra de Tbilissi.





7. Opéras en géorgien

Même aire culturelle, mais le géorgien appartient à une branche isolée (langues kartvéliennes) qui n'est ni indo-européenne, ni même forcément reliée à la grande famille eurasiatique – jusque dans la théorie non validée des langues nostratiques, tous les linguistes n'incluent pas le géorgien dans ce groupe pourtant immense.

Paliaşvili (/ Paliashvili / ფალიაშვილი), Abesalom da Eteri (Tbilissi)
→ D'allure très folklorisante, l'œuvre de Zakaria Paliaşvili, d'une tonalité très confortable (né en 1871), met en valeur la danse locale, quelque part entre Le Prince Igor, Carmen et Aladdin (de Nielsen). Vocalement, on est plutôt du côté d'Aida et de la Dame de Pique. Vraiment pas vilain !





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Opéra de Donetsk.





8. Remarques générales

Saint-Pétersbourg. Vous aurez remarqué la quantité de titres (fussent-ils à date unique) qui circulent au Mariinsky (un seul des opéras relevés est au Mikhaïlovski). La plupart des raretés mentionnées y sont, et le grand répertoire y est tout autant représenté !

Petit détail qui m'a frappé en parcourant toutes ces saisons. À Kiev (et Lviv, tout à l'Ouest, proche de la Pologne), on joue l'opéra de Lysenko en ukrainien, une composition de la fin du XIXe siècle sur une pièce locale du début du XIXe siècle, débordant de chansons empruntées au folklore. Dans le même temps, à Donietsk, on joue La Fiancée du Tsar, pilier du répertoire russe – certes, le Tsar y est méchant (on parle d'Ivan le Terrible enlevant ses femmes…), ce n'est pas Ivan Soussanine non plus… mais tout de même, un fleuron de la culture russe, et le Tsar.
Ce n'est évidemment pas anodin : même dans un lieu aussi peu déterminant sur les consciences politiques que l'opéra, la guerre s'insinue et dicte les commandes ou les envies artistiques. Frappant d'y être replongé au détour de cette promenade virtuelle festive.





À bientôt pour la solide centaine d'autres opéras rares au programme cette saison, quelque part sur Terre !

Les opéras rares cette saison dans le monde – certains vont vous surprendre


Je viens donc de survoler à peu près tout ce qui existera, cette saison, en opéra à travers le monde. Les versions de concert ne sont pas toujours bien référencées (il manque donc beaucoup de baroque, par exemple), je n'ai pas vérifié toutes les programmations de l'ensemble des salles non plus, mais tout de même parcouru les grandes maisons d'Allemagne, Royaume-Uni, Portugal, Espagne, Monaco, Belgique, Pays-Bas, Danemark, Norvège, Suède, Finlande, Estonie, Lettonie, Lithuanie, Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Hongrie, Autriche, Suisse, Italie, Slovénie, Croatie, Bosnie, Serbie, Monténégro, Albanie, Macédoine, Grèce, Bulgarie, Roumanie, Moldavie, Ukraine, Biélorussie, Russie, Mongolie, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Ouzbékistan, Turkménistan, Iran, Azerbaïdjan, Géorgie, Arménie, Turquie, Irak, Jordanie, Israel, Liban, Chypre, Malte, Tunisie, Algérie, Maroc, Afrique du Sud, Égypte, Arabie Saoudite, Émirats, Qatar, Koweït, Pakistan, Inde, Chine (et Hong-Kong), Corée, Japon, Taïwan, Malaisie, Singapour, Australie, Chili, Argentine, Uruguay, Brésil, Paraguay, Pérou, Colombie, Puerto Rico, Cuba, Mexique, États-Unis, États-Unis, Canada.

Il faut être honnête : hors de l'Europe, et même d'une portion très centrale de l'Europe, peu d'offre et peu de raretés (avec les îlots que constituent Montréal et quelques maisons US). Moins la tradition lyrique est forte, plus les titres se limitent aux trente mêmes scies. Mais on rencontre encore de fortes imprégnations locales, et des créations très étonnantes en langue vernaculaire. Des traces de géopolitique aussi (frappant en Ukraine, vous verrez).

Je n'ai finalement laissé de côté que les œuvres régulièrement données, et, pour les œuvres de compositeurs vivants, écarté celles qui me tentaient le moins (Satyagraha de Glass est bien programmé une demi-douzaine de fois dans le monde, pour votre gouverne). Pour le reste, quasiment tout ce que j'ai trouvé y est recopié. Il en manque tout de même, mais il y en a beaucoup.

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Opéra d'État du Kirghizistan, à Bishkek.

C'est l'occasion d'un voyage assez exaltant, vers des villes dont on ne soupçonnait pas les traditions vivaces.

Je vous propose d'explorer tout cela en procédant par langue des opéras. Les compositeurs sont présentés par époque (approximative) d'exercice. Les villes entre parenthèses le sont par ordre d'accessibilité (et, quand c'est incertain, de kilométrage).

Ce parcours exclut la France, déjà traitée dans une précédente notule – cela explique en partie la faible proportion de raretés françaises dans le total.

Pour des raisons évidentes de place, puisque je vais déjà m'efforcer de présenter les différents titres, je ne tiens pas compte des distributions, je vous laisse y regarder de plus près (ou demander !) si vous êtes tenté par le voyage.

Et je proposerai quelques recommandations pour orbe-trotteurs.

David Le Marrec

Bienvenue !

Cet aimable bac
à sable accueille
divers badinages :
opéra, lied,
théâtres & musiques
interlopes,
questions de langue
ou de voix...
en discrètes notules,
parfois constituées
en séries.

Beaucoup de requêtes de moteur de recherche aboutissent ici à propos de questions pas encore traitées. N'hésitez pas à réclamer.



Invitations à lire :

1 => L'italianisme dans la France baroque
2 => Le livre et la Toile, l'aventure de deux hiérarchies
3 => Leçons des Morts & Leçons de Ténèbres
4 => Arabelle et Didon
5 => Woyzeck le Chourineur
6 => Nasal ou engorgé ?
7 => Voix de poitrine, de tête & mixte
8 => Les trois vertus cardinales de la mise en scène
9 => Feuilleton sériel




Recueil de notes :
Diaire sur sol


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