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mardi 4 septembre 2018

Une décennie, un disque – 1640 – Rubino, Vêpres du Stellario de Palerme


1640


rubino stellario palermo garrido


[[]]
Le merveilleux earworm du Lauda Jerusalem final de ces Vêpres.
La pochette représente le simulacrum de l'Immacolata Concezione conservé dans l'église (aujourd'hui basilique) San Francesco d'Assisi à Palerme, lieu de la création de l'œuvre.


Compositeur : Buonaventura RUBINO (1600-1668)
Œuvre : Vespro per lo Stellario della Beata Vergine (1644)
Commentaire 1 : Figurez-vous Chiome d'oro, Sound the Trumpet ou une grande chaconne à polychœurs contrapuntiques qui durerait pendant une heure… voilà ce que sont ces Vêpres de Rubino.
    L'office musical est constitué d'une suite de motets (chants sacrés hors liturgie stricte de la messe), pour la plupart des Psaumes, que Rubino avait destinés à une exécution en étoile, avec le continuo au centre et les musiciens rayonnant autour, comme une pièce de Boulez comme les étoiles qui couronnent la Vierge (voir ci-après).
    Ni polyphonie stricte de madrigal, ni sobre déclamation du recitar cantando qui prévaut encore, dans les mêmes années, pour les cantates (textes inspirés des écritures mais récrits, « dramatisés » mais sans action réelle comme les oratorios, et chantés à une ou deux voix) de Rossi ou Cavalli ; ce n'est pas non plus du seria malgré la tendance aux tirades en coloratures. On se situe en plein dans le style intermédiaire, ce que l'Italie baroque a laissé de plus beau à mon gré : alternance de soli et de chœurs spatialisés, beaucoup de réponses en imitation et de contrepoint (seulement deux ou trois parties, pour laisser de la liberté à la mélodie, qui prime), de belles modulations, tout cela virevolte et jubile, préfigurant d'assez près, par endroit, le style français – les encore italianisants et très dansants Jubilate Deo omnis Terra de Lalande, ou Domine salvum fac regem de LULLY, par exemple.
    Cette ivresse culmine dans les deux chaconnes à quatre temps, qui couronnent l'exultation ininterrompue de cette action de grâce.
    Cette œuvre avait déjà été présentée, dans d'autres termes, lorsque nous l'avions vue en action dans une cathédrale par des étudiants palermitains.

Interprètes : Ensemble Elyma, Gabriel Garrido
Label : K617 (1994) – réédition par Phaia Music
Commentaire 2 : Il s'agit, sauf erreur, de la seule verison jamais commercialisée de cette œuvre. Garrido a pour l'occasion dû reconstruire la partition, à partir d'éditions incomplètes conservées dans plusieurs villes du Nord de l'Italie.
    On peut trouver les voix des solistes un peu blanches (une signalisation spécifique Chapons en liberté et une Alerte petits braillards ont été mises en place), les chœurs pas idéalement précis, mais l'ensemble vit et danse suffisamment bien (splendide orchestre, très varié et dynamique) pour qu'on n'ait pas de raison de ne pas recommander ce témoignage assez considérable des célébrations musicales expansives de l'Italie méridionale du milieu du XVIIe siècle.

Un peu de contexte :
    Rubino, probablement né en Lombardie près de Bergame, est maître de chapelle de la cathédrale de Palerme à partir de 1643. Il écrit donc probablement des musiques pour célébrer saint Rosalie (coucou l'actualité), et quantité d'autres œuvres attachées aux traditions et lieux palermitains. Ces Vêpres (données en 1644, publiées en 1645) constituent sa première œuvre publiée, à un âge plutôt avancé, et se réfèrent au Stellario dell'Immacolata (« couronne d'étoiles de l'Immaculée ») – un culte marial très en vogue en Italie au XVIIe siècle, en lien avec le texte de l'Apocalypse.
    En effet, en 12,1 : « Un grand signe apparut dans le ciel : une femme vêtue de soleil, avec la lune sous ses pieds et douze étoiles sur sa tête ». Ce personnage mystérieux était associé à Marie par les exégètes et sous l'influence des Franciscains, un rituel spécifique s'est développé, avec notamment une prière du XVe siècle.
    À Palerme plus précisément, une Compagnia dédiée à l'Immaculée Conception est créée en 1575 – un prêtre fait prisonnier par les barbaresques, qui avait fait un vœu s'il était libéré – elle existe toujours. Le Concile de Trente et les papes successifs, s'ils réaffirmaient le principe de l'Immaculée Conception, désapprouvaient son culte public. Les souverains espagnols de la Sicile avaient à plusieurs reprises écrit au pape pour lui demander l'autorisation d'établir un brillant culte spécifique, très populaire dans le Sud de l'Italie. Il finissent par l'obtenir en 1622, et lorsque la peste éclate en 1624, la tradition locale raconte que les Palermitains, bravant la contamination, effectuent une grande procession – qui bien sûr, soigne la ville et fait ressusciter les morts.
    Au début des années 1640, l'Inquisition interdit la prière spécifique du Stellario, et annule les indulgences qui y étaient associées. Pour autant, Palerme fonde une confraternité et une fête en 1643, à l'église Saint-François-d'Assise où sont créées, en 1644… ces Vêpres en hommage au Stellario.
    L'église a depuis été promue basilique par Pie XI, et tous les 8 décembre, la statue de la Vierge couronnée d'étoiles circule dans les villes de Palerme, entourée de chants rituels (on n'entend pas le Stellario franciscain sur cette vidéo, mais je n'ai pas vérifié s'il était toujours récité). Ce n'en est au demeurant pas la seule représentation, une autre statue de la Vierge stellaire entourée d'une dévotion similaire se trouve dans une autre église de la ville, à Saint-François-de-Paule.
    Tout cela pour situer à quel degré cette composition s'inscrit au point de départ d'une tradition toujours vivace de célébration musicale en grande pompe et dansante de cette représentation particulière de Marie.

Discographie alternative :
LOL. (T'as trop cru la vie c'était un opéra de Verdi.)

David Le Marrec

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