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samedi 13 octobre 2018

Une décennie, un disque – 1680 – Le Déluge de Falvetti, l'audace de la musique et la fin des hommes


1680


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Première piste : prière de Noé et Madame, conversation animée avec Dieu.
Seconde piste : air à coloratures de Dieu, sinfonia figurative du Déluge,
chœur des noyés (avec cet orchestre douteusement authentique de sacqueboutes, on croirait un oratorio de Mendelssohn ! ♥ Hilf, herrrr ! ♥), apparition en fugato de l'Arc-en-ciel d'Alliance.

Compositeur : Michel'Angelo FALVETTI (1642-1693)
Œuvre : Il Diluvio (universale) / « Le Déluge (universel) » – 1682
Commentaire 1 : Cette période du répertoire italien est très peu documentée par le disque, alors qu'elle est à mon sens sa plus exaltante (je ne vois rien d'aussi libre et profusif dans la Péninsule avant Verdi, qui était d'ailleurs une exception, voire le XXe siècle).
    Cet oratorio, consacré au Déluge et écrit par un prêtre, explore une multitude d'atmosphères les plus diverses et incongrues (Noé y dispute avec Dieu qui fait des airs à coloratures quand il est fâché, la Mort danse la tarentelle au lieu de nous parler de rétribution, un chœur entier périt sous les eaux et même la Nature Humaine ne peut finir ses mots en buvant la tasse !), à travers une forme originale : pour chaque partie (le Ciel, la Terre, le Déluge, l'Arche), les dialogues sont en forme de récitatif accompagné (du moins dans l'arrangement de García-Alarcón, je suppose qu'il y avait du sec aussi), on y trouve bien sûr des airs ou duos, et à chaque fois un chœur final (de forme assez savante).
    Dans cet univers totalement fantaisiste (et assez discutablement orthodoxe) conçu pour édifier les fidèles de Messine lors d'expansives célébrations, l'inspiration musicale se situe au plus haut niveau et les pépites se bousculent : duos extatiques, figuralismes aquatiques, dialogues très expressifs et mélodiques, airs à coloratures qui ne sont jamais détachés de la prosodie (contrairement à ce que sera le seria du siècle suivant), grands lazzi de la Mort, et par-dessus tout de merveilleux chœurs à imitations et tuilages (si vous avez aimé Rubino…).
    Le but est donc atteint : montrer ce dont le cœur du XVIIe italien (tellement moins documenté que son début, ou que le siècle suivant) est capable, ici concentré avec une densité qu'on peine à croire.

Interprètes : Mariana Flores (Rad, épouse de Noé), Caroline Weynants (une victime), Evelyn Ramírez Muñoz (la Justice Divine), Fabián Schofrin (la Mort), Fernando Guimarães (Noé), Matteo Bellotto (Dieu) ; Keyvan Chemirani (percussions iraniennes), Thomas Dunford, Francisco Juan Gato (théorbes) ; Chœur de Chambre de Namur, Capella Mediterranea ; Leonardo García-Alarcón
Label : Éditions Ambronay (2011)
Commentaire 2 : La réussite du disque doit beaucoup à l'équipe et à la démarche de García-Alarcón ; ce concert a d'ailleurs fait de lui une vedette en Europe et auprès des mélomanes intéressés par ce répertoire : il s'est produit depuis dans les plus grandes maisons, jusque dans des lieux absolument non spécialistes comme Garnier, et il débute aussi une carrière de chef).
    Outre des chanteurs véritablement excellents (un peu plus détaillés ici) et les meilleurs instrumentistes de la jeune génération (Thomas Dunford, Margaux Blanchard…), sa proposition évolue sur une ligne de crête très délicate, entre interprétation informée qui entend raviver les couleurs de ces témoignages du passé, et fantaisie d'une grande liberté : orchestre fourni, instruments archaïsants (les cornets à bouquin, dans années 1680), inclusion de percussions iraniennes (zarb, notamment ; assez réussi, s'agissant de percussions à hauteurs indéfinies, pas de conflits de couleurs ni de gammes, cela procure simplement plus de relief et de rythme), choix d'animer le discours en mélangeant les parties solistes et chorales, chacun pouvant s'emparer temporairement de la partie de l'autre… [Pour des détails sur la nomenclature, voyez la notule de fond.]
    Ce qui aurait pu se révéler un grand cirque apparaît au contraire, grâce à la qualité des musiciens et au goût très adroit de l'arrangeur, comme une évidence, accentuant encore la variété de la partition, et d'un foisonnement jubilatoire, réellement accessible à tous les publics – ce qui n'est pas communément le cas des musiques de cette époque, même de Nabucco, l'autre Falvetti restitué par cette même équipe.  

La sélection 1680  :
    À l'origine, pour les décennies 1670 et 1680, je souhaitais faire alterner LULLY (Alceste ou Roland) et Giovanni Legrenzi…  Compositeur à Bergame, Ferrare, puis Venise, où il manque à un vote près de succéder à Cavalli (il succède finalement à son successeur, mais peu avant sa mort du mal di petra, c'est-à-dire à une époque où il n'était plus guère en état de composer) ; cela ne l'empêche nullement, dans son exercice musical à des fonctions plus secondaires dans la ville, de se montrer constamment à la pointe de l'invention (formelle, prosodique, musicale).
    Mais en vérifiant l'état de la discographie, il n'existe toujours que fort peu de chose : de la musique instrumentale, mais dans la musique vocale, sacrée comme profane où il excella, le choix demeure chiche parmi les œuvres, et leur réalisation particulièrement modeste. On dispose donc d'un disque de Messe et d'un autre de Vêpres par le chœur amateur Cori Spezzati, de motets épars, d'un oratorio très intéressant, Il Sedecia (1671), que je ne peux pas décemment conseiller tant l'enregistrement Dynamic se révèle médiocre sur tous les paramètres (orchestre pâteux, chanteurs limités, prise de son sèche et peu réaliste), et côté opéra, Il Giustino (1683) a certes été remonté (un génial mélange des meilleurs aspects de la déclamation et des couleurs monteverdiennes avec la fougue et l'agilité vocale du futur Vivaldi), mais jamais publié.
    Il existe certes des choses plus décentes, une Séquence par le Ricercar Consort, un oratorio par les Suonatori della Gioiosa Marca, mais ce ne sont pas nécessairement ses œuvres les plus innovantes et on demeure loin, très loin, du fonds qu'on peut attendre pour illustrer le compositeur italien le plus fulgurant depuis Monteverdi – c'est même, à mes yeux, le compositeur italien le plus constamment génial du XVIIe siècle (et donc du XVIIIe et du plus clair du XIXe, mais une comparaison n'aurait plus grand sens à cette échelle !).
    Faute de disque satisfaisant, donc (le catalogue s'étoffe, trop lentement), je propose Falvetti qui dispose, dans cet oratorio (Nabucco est sensiblement moins marquant, plus rigide, moins varié, peut-être aussi plus tourné vers l'attrait XVIIIe pour la voix pure), de qualités assez comparables !

Prolonger sur CSS :
L'œuvre fut présentée en détail à l'occasion de la tournée qui a suivi la recréation de 2010, lors d'un concert qui a déjà plus de cinq ans : structure, contexte, détails de la partition, interprètes, vous y trouverez beaucoup de portes d'entrée pour y guider et éclairer, je l'espère, votre écoute. J'ai aussi profité de l'occasion pour la compléter avec des éléments que j'ai pu amasser dans l'intervalle.

David Le Marrec

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