lundi 27 mai 2019
Une décennie, un disque – 1780 – Pavel Vranický, l'apogée de la symphonie classique
1780

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Le long, spectaculaire, prégnant Adagio d'un quart d'heure.
Le long, spectaculaire, prégnant Adagio d'un quart d'heure.
Compositeur : Pavel VRANICKÝ (1756-1808), mieux connu sous son équivalent allemand Paul WRANITZKY
Œuvre : Symphonie en ré majeur Op.52 (1786)
Commentaire 1 : Pavel Vranický, né en Moravie, exerçant à Vienne, fut une figure considérable de cette ville, admiré de Mozart, Goethe (qui voulut collaborer avec lui), Haydn, Beethoven (qui l'appréciaient comme chef), et plus tard Fétis. Il n'est pas inconnu aux lecteurs de CSS (du moins ceux qui en font lecture depuis une dizaine d'années) : j'ai déjà mentionné avec une intense admiration un de ses opéras et proposé ses symphonies pour réfuter (très partiellement) la thèse selon laquelle seuls Haydn et Mozart auraient écrit des symphonies classiques de premier plan – autant il est vrai qu'ils planent très au-dessus de l'immense majorité des compositeurs de symphonies du temps, autant celles de Vranický s'y mesurent sans rougir.
Celle-ci est peut-être sa plus belle (l'opus 11, en ut mineur, est fabuleux aussi). De forme tout à fait traditionnelle (tel ce grand adagio pointé avant le premier mouvement rapide), elle se distingue cependant par la qualité individuelle des mouvements : la veine mélodique est immédiatement prégnante (et vraiment proche du dernier Mozart ou, selon les cas, du plus grand Haydn), les bois y effectuent un beau travail de coloration comme dans les dernières symphonies de Mozart, et il explore aussi des éclats plus martiaux qu'on associe beaucoup moins aux autres (les batteries de cordes et échos de trompettes en réponse aux rebonds syncopés des cordes dans le rondeau final, ou ces étonnants contrechants de trompette très présents dans le menuet). La virtuosité et la joie qui s'exhalent des montées furieuses de violoncelle ou de l'enflement de l'adagio varié évoquent aussi le ton de la Première Symphonie de Beethoven (voire, pour la partie en mineur de l'Adagio, l'explosion au centre de la Marche funèbre de l'Héroïque !), sans en atteindre le point de rupture. Une très grande œuvre de son temps, pas aussi hardie qu'Oberon, mais une sorte de résumé de ce qui se produit alors de plus abouti, jusque chez les meilleurs compositeurs d'alors, et non dépourvu de son charme singulier.
Interprètes : Dvořákův komorní orkestr (Orchestre de chambre Dvořák), Bohumil Gregor
Label : Supraphon (1988)
Commentaire 2 : Malgré la parution plus récente de la Radiophilharmonie de Hanovre (Griffiths), la plus belle version demeure celle de l'Orchestre de chambre Dvořák, chez Supraphon. Certes, on est avant la Chute du Mur, et la notion d'exécution musicologique n'a pas encore atteint cette portion de l'Europe, mais cette version bénéficie de timbres très serrés et vivaces typiquement tchèques, qui compensent très bien le geste peut-être moins mordant de l'interprétation. Vibrato serré, bois plein de verdeur, beaucoup de caractère – et investissement palpable des interprètes dans le geste et le son.
J'ai choisi de mettre en grand la pochette d'origine de la parution de 1990 (plus séduisante), mais je vous conseille plutôt la réédition de 2006, qui combine les deux albums des symphonies de P. Vranický par cette équipe – la symphonie Op.36 et la grande en ut majeur Joie de la nation hongroise ne sont pas aussi marquantes, mais considérant la faible représentation du corpus au disque et la qualité des interprétations, il ne faut pas s'en priver.

Compléments discographiques :
La Symphonie en ut mineur Op.11 (composée en 1790), présente sur ce même disque, constitue aussi un beau bijou, à écouter en priorité – les autres publiées à ce jour sont belles, mais me paraissent moins singulières et abouties que ces deux-là.
Pavel Vranický a aussi écrit des opéras, dont un fabuleux Obéron, roi des Elfes, singspiel ambitieux qui évoque davantage l'Oberon de Weber que la Flûte de Mozart, au livret de laquelle il servit pourtant de modèle. Hélas pas encore édité au disque, mais on trouve en revanche de très beaux quatuors.
La musique de son demi-frère Antonín (ou Anton en allemand) est à peine moins remarquable, dans une veine assez comparable : symphonies, quatuors, ce mérite aussi le détour !
… mais bien évidemment, pour la décennie 1780, si je ne vous en avais pas déjà rebattu les oreilles pendant des années, sachez que c'est ce disque, à paraître dans deux semaines, sur lequel je me précipiterais :

Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Une décennie, un disque a suscité :
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