Ah non ce n'est absolument pas voulu qu'il manque encore de très grands classiques du genre sur le site. J'ai une liste de lectures en attente à faire peur, même si je m'octroie de temps à autres une pause dans les nouveautés pour faire honneur à un texte fondateur. C'est auteurs sont donc bien au programme, mais je ne sais pas quand ils apparaîtront sur le site :-)
Me voilà rassuré. Quel courage héroïque !
Le passage que vous citez et qui semble vous poser souci est, il est vrai, le sujet d'un raccourci de la part de l'auteur. Mais ce raccourci ne me semble pas injustifié, dans le sens où il va de pair avec une certaine amnésie de la part de Harker, qui a occulté complètement ce passage du récit. Trop faible psychologiquement (et n'ayant plus les moyens de le consigner par écrit), Harker échappe (du moins on le reconstitue ainsi) à la vigilance des tziganes et se retrouve à Budapest. Je pense que là-dessus Stoker s'appuie sur les limites de sa narration (le style épistolaire) pour faire un raccourci narratif. Je pense qu'il n'y a rien d'autre à y voir ici.
Merci. Donc je n'ai rien manqué, et il y a effectivement un trou. Oui, avec la forme épistolaire, il peut y en avoir, mais Stoker 'bétonne' au contraire la moindre prise de parole de ses rédacteurs, pour justifier leur ardeur littéraire dans des moments aussi critiques. La compilation des sources fait même partie intégrante de l'intrigue !
Il y a là une négligence qui me laisse perplexe.
D'après Leslie S. Kilnger et son New Annotated Dracula (ma bible en la matière), Harker disparaît du château le 30 juin et est recueilli par les sœurs le 4 juillet, après avoir tenté, sans argent, d'obtenir un billet de train pour l'ouest de l'Europe.
Le 30 juin, c'est certain ; pour le 4 juillet, c'est peut-être plutôt de l'ordre de la déduction, parce qu'en me replongeant dans les dates correspondantes de Mina (à partir du 19 août) et Soeur Agatha (12 août), je n'ai pas vu de date ou de durée formelles.
Peu importe, on fait confiance à la spécialiste et on est de toute façon dans ces eaux-là.
Ce n'est pas si étonnant au fond, parce que même si le lecteur attend forcément le dénouement, même plus loin dans le roman, Stoker ne semble pas très préoccupé de ce genre de chose. C'est surtout le processus qu'il travaille, assez efficacement d'ailleurs.
C'est la même chose pour l'anéantissement du non-mort : on aurait pu s'attendre à un affrontement titanesque, le jour tombant, les loups accourant, les tempêtes soufflant, les poussières blanches se rassemblant... et finalement en un instant, tout se finit. Il n'y a guère que les tziganes (fort chargés dans cette histoire...) qui représentent alors le danger, et la fin de Quincey Morris a un côté un peu gratuit - il était évident qu'un personnage serait sacrifié pour procurer un peu de relief à la lutte, mais c'est le seul qui soit tout à fait dépourvu de psychologie (et pour cause : il n'écrit rien et n'a aucun rôle pivot), et par un élément extérieur tout à fait banal (il aurait aussi bien pu se rompre le cou en tombant de cheval).
J'aurais plutôt imaginé que le deuil de Godalming ou l'âge de Van Helsing étaient des proies plus fortes d'un point de vue émotif et plus logique dans le cadre du 'rangement' romanesque des personnages à la fin de l'oeuvre.
Tout cela pour dire que le 'trou' dans l'histoire du face-à-face initial entre Harker et le comte entre dans une logique d'ensemble chez Stoker où la progression est plutôt soignée, mais où la résolution n'a absolument pas une place majeure.
Ca amoindrit assez le propos à mon avis, parce que le côté désinvolte et hâté de la fin (par deux fois, donc) diminue en apparence la portée de l'enjeu, sans compter qu'une conclusion un brin plus métaphysique aurait pu donner de l'épaisseur rétrospective au texte.
Merci pour cette petite causerie !