DavidLeMarrec :
Je ne suis d'ailleurs pas le seul à m'amuser à ce genre de chose (récemment, L'Oiseleur des Longchamps a donné les mélodies de Chopin dans une nouvelle traduction française, réalisée spécialement pour ce concert).
J'ai lu cela, grâce au « tag » Projet Lied français. :)
Après, pour que ce soit fait à grande échelle, il faut qu'il y ait de réels débouchés autres qu'un concert au chapeau pour cinquante personnes !
En transcrivant pour commencer les œuvres à succès ? Pas sûr. Moins cher.
En créant de nouvelles ? Plus sûr. Plus cher.
De toute manière, les oiseaux sont sûrement rares !
Éviter de se pencher sur un livret, de lire ; faire vivre un texte en voyageur ; proposer le spectacle à l'étranger comme-si-vous-y-étiez-là-que-c'est-d'où-qu'y-vient. Évidemment si l'on n'est que francophone, l'intérêt est mince d'écouter une œuvre en anglais traduite de l'allemand, à moins d'être glottophile, mais alors on comprend aussi du même coup l'intérêt de l'entendre dans une langue donnée, commune, maternelle, plus ou moins circonscrite.
Ah, mais je suis complètement d'accord sur cette théorie, et je serais en mesure d'en profiter en anglais… c'est simplement qu'en l'occurrence, dans ce Ring, l'anglais lui-même est très mal articulé, et encore plus mal capté.
De la peine, certes, mais un bonheur bien réel. Tu évoques un art qui ne se pratique guère plus en musique, qui demanderait une grande somme de travail de recomposition, l'art du renouveau de la transcription librettiste. Il ne peut être question que de la peine, mais aussi de vie, de musique. S'il y a bien quelque chose qui est étranger aux fins de la musique, c'est la peine. Tu ne crois pas ?
Et quelle chance d'être l'instrument inédit d'un compositeur, devenir un recompositeur ! Une transition, un pont, c'est l'humanité qui retourne à l'humanité. Tu peux l'appeler traduction, ou transcription, glossolalie, ou translation.
Je ne vais pas te contredire, c'est même un de mes hobbies — une partie entière de ce site est dévolue aux traductions chantables (surtout depuis l'allemand, mais aussi l'italien et le russe), et à toutes les questions profondes que cela soulève sur la question du respect de l'œuvre d'origine et sur la transmission de son esprit. :D
Je ne suis d'ailleurs pas le seul à m'amuser à ce genre de chose (récemment, L'Oiseleur des Longchamps a donné les mélodies de Chopin dans une nouvelle traduction française, réalisée spécialement pour ce concert). Après, pour que ce soit fait à grande échelle, il faut qu'il y ait de réels débouchés autres qu'un concert au chapeau pour cinquante personnes !
DavidLeMarrec :
Bref, sauf à avoir le livret sur les genoux… et quel est l'intérêt de traduire, dans ce cas ?
Éviter de se pencher sur un livret, de lire ; faire vivre un texte en voyageur ; proposer le spectacle à l'étranger comme-si-vous-y-étiez-là-que-c'est-d'où-qu'y-vient. Évidemment si l'on n'est que francophone, l'intérêt est mince d'écouter une œuvre en anglais traduite de l'allemand, à moins d'être glottophile, mais alors on comprend aussi du même coup l'intérêt de l'entendre dans une langue donnée, commune, maternelle, plus ou moins circonscrite.
Ce serait effectivement œuvre de salubrité publique… mais comme on ne donne guère ces œuvres (si, le tchèque est à la mode en ce moment, entre la fortune de Janáček et le sort particulier de Rusalka), et jamais en traduction… qui se donnera la peine ?
De la peine, certes, mais un bonheur bien réel. Tu évoques un art qui ne se pratique guère plus en musique, qui demanderait une grande somme de travail de recomposition, l'art du renouveau de la transcription librettiste. Il ne peut être question que de la peine, mais aussi de vie, de musique. S'il y a bien quelque chose qui est étranger aux fins de la musique, c'est la peine. Tu ne crois pas ?
Et quelle chance d'être l'instrument inédit d'un compositeur, devenir un recompositeur ! Une transition, un pont, c'est l'humanité qui retourne à l'humanité. Tu peux l'appeler traduction, ou transcription, glossolalie, ou translation.
Ce deuxième point, essentiellement glottophile, me semble nettement plus relatif et je te renvoie à ma dernière phrase : s'autoriser, en français, une forme de « décomplexion vocale » et glottophile. Je ne suis pas certain de saisir tout ce que tu entends par coloratures, je n'ai pas encore assez d'expériences opératiques françaises, mais je remarque ta prudence, par l'emploi du conditionnel qui « accentuerait la difficulté » et ce qui est « considéré »... comme pas assez... Eh quoi ? Pour en rester focalisé sur le Dona nobis pacem, je pense que des voix altières, nobles au sens où il s'entend qu'on pointe le dégoût que peut inspirer la « noblesse » de voix travaillées, artificieuses et si riches, presque « snob », siéraient au français, sur les [ɑ] par exemple et notamment, très « roucoulants », en signe d'élévation du sujet religieux — cela qui s'entend en latin peut très bien se permettre en français. Mais je n'envisage qu'à peine l'ampleur de la tâche sur l'ensemble de l'œuvre, que tu prends bien-sûr en considération sérieusement dans ta réponse.
Les coloratures, ce sont les lignes virtuoses écrites sur une seule voyelle (ce qu'on appelle couramment vocalises – pour les chanteurs ça désigne plutôt des exercices). Il y en a beaucoup dans la messe en si, et certaines voyelles françaises s'y prêtent peu. Ça ajoute une difficulté, parce que ça empêche certains mots et certaines configuration (il ne faut pas que les syllabes tombent à l'endroit vocalisé).
Il faudra sans doute tricher en modifiant les rythmes, de toute façon (c'est-à-dire dédoubler des valeurs par exemple, une croche devenant deux doubles croches pour la même durée).
Ton troisième point, très scrupuleux, exige de l'étude philologique et artistique, un compromis qui n'oublierait pas le pathétique du sacré au profit d'une musicalité débridée. Mais on est bien d'accord d'emblée qu'il s'agissait de respect de la prosodie, rien d'autre d'extra-musical.
Certes, mais même en concert devant un public d'athée, on ne peut pas tout à coup ajouter des adjectifs étrangers à la doctrine, des précisions absentes des textes… À l'opéra et même dans le lied, c'est ce qu'on fait couramment, on peut retrancher un petit détail, en inventer un autre, ça remplit les espaces manquants… Là, c'est plus délicat.
Après, dans l'absolu, on fait ce qu'on veut, on peut même remplacer le texte par des recettes de cuisine… mais une véritable traduction fidèle d'un texte liturgique aussi concis, dans une langue peu propice aux vocalisations, ce serait une belle gageure. Je ne dis pas que ce serait impossible, non, non ! Mais très exigeant, pour sûr — plus qu'un peu d'opéra ou de lied.
L'avantage étant que du fait de sa concision, de sa célébrité, de son abstraction aussi, il est probablement moins indispensable de faire cette traduction-là que celle d'une mélodie tchèque ou d'un opéra en finnois. (Ouf !)
DavidLeMarrec :
¶ le latin n'inclut pas de prépositions, donc il y a beaucoup plus d'appuis musicaux sur les mots essentiels, alors qu'en français, on va être obligé d'accentuer des « de » et des « à », surtout dans un texte aussi peu bavard ;
Le premier point que tu soulèves est techniquement très important et mériterait beaucoup de minutie dans la confection d'une transcription prosodique du latin => vers le français.
¶ c'est une œuvre très riche en coloratures, et il y a beaucoup de voyelles françaises qui ne sont pas considérées très gracieuses pour faire de la vocalisation : [eu] ouvert et fermé, [o] ouvert, les nasales… Ça accentuerait les difficulté [/eu]
Ce deuxième point, essentiellement glottophile, me semble nettement plus relatif et je te renvoie à ma dernière phrase : s'autoriser, en français, une forme de « décomplexion vocale » et glottophile. Je ne suis pas certain de saisir tout ce que tu entends par coloratures, je n'ai pas encore assez d'expériences opératiques françaises, mais je remarque ta prudence, par l'emploi du conditionnel qui « accentuerait la difficulté » et ce qui est « considéré »... comme pas assez... Eh quoi ? Pour en rester focalisé sur le Dona nobis pacem, je pense que des voix altières, nobles au sens où il s'entend qu'on pointe le dégoût que peut inspirer la « noblesse » de voix travaillées, artificieuses et si riches, presque « snob », siéraient au français, sur les [ɑ] par exemple et notamment, très « roucoulants », en signe d'élévation du sujet religieux — cela qui s'entend en latin peut très bien se permettre en français. Mais je n'envisage qu'à peine l'ampleur de la tâche sur l'ensemble de l'œuvre, que tu prends bien-sûr en considération sérieusement dans ta réponse.
¶ on ne peut pas prendre de libertés avec un texte sacré en ajoutant un peu de sens ou en en retirant, en l'altérant… c'est quand même sensiblement plus délicat (même pour un concert profane) que sur un livret d'opéra.
Ton troisième point, très scrupuleux, exige de l'étude philologique et artistique, un compromis qui n'oublierait pas le pathétique du sacré au profit d'une musicalité débridée. Mais on est bien d'accord d'emblée qu'il s'agissait de respect de la prosodie, rien d'autre d'extra-musical.
J'ignore tout enfin, je fais semblant ou pas d'ignorer l'ordinaire de la messe auquel tu te réfères peut-être ; je manque des repères canoniques et officiels les plus élémentaires. Je ne sais même pas si ça existe et ma traduction serait, pour le moins, composite.
Dav' :
Ta question est passionnante. Crois-tu que soit réalisable une messe en si respectant la prosodie latine ? Je l'écoute assez souvent en y pensant, en chantant intérieurement, en essayant de retrouver la prosodie latine exacte en français (c'est possible sur l'esurientes du Magnificat), je m'y suis adonné principalement sur le Dona Nobis Pacem. C'est surtout le plus simple. Je ne l'ai pas examiné de près, avec la partition (je viens de le faire un tout petit peu) et de toute façon la polyphonie rend cela pour moi très compliqué, mais je crois que c'est très possible. Et à défaut de réussir la messe entière (mais franchement à force de travail, rien n'est je crois impossible, surtout du latin au français, va savoir pourquoi), le Dona nobis pacem me satisferait assez, pour le symbole pacifiste. Beaucoup de voyelles dedans, des « donne-nous la paix » par dizaines et « pacifiez-nous » aux mesures 27 et 28 qui passerait parfaitement, et voilà. Je pense surtout qu'il ne faut pas avoir peur du français pour sa clarté, sa transparence presque trop cassante car cristalline.
C'est possible, mais il y aurait trois difficultés importantes :
¶ le latin n'inclut pas de prépositions, donc il y a beaucoup plus d'appuis musicaux sur les mots essentiels, alors qu'en français, on va être obligé d'accentuer des « de » et des « à », surtout dans un texte aussi peu bavard ;
¶ c'est une œuvre très riche en coloratures, et il y a beaucoup de voyelles françaises qui ne sont pas considérées très gracieuses pour faire de la vocalisation : [eu] ouvert et fermé, [o] ouvert, les nasales… Ça accentuerait les difficulté ;
¶ on ne peut pas prendre de libertés avec un texte sacré en ajoutant un peu de sens ou en en retirant, en l'altérant… c'est quand même sensiblement plus délicat (même pour un concert profane) que sur un livret d'opéra.
Mais oui, ça peut se faire. Même si la messe en français n'a pas forcément été la chose la plus heureuse (esthétiquement parlant) qui soit arrivée au catholicisme.
--
Faust :
Votre Salome en italien ne renvoie-t-elle pas également aux qualités propres des interprètes ?
Bien sûr… Mais si on avait imposé l'allemand à Tito Gobbi, le timbre aurait peut-être été altéré… et la prosodie pas meilleure qu'en l'adaptant pour l'italien ! C'est bien là que ce situe mon interrogation : si c'est pour faire chanter une langue que personne ne comprend par des chanteurs qui la dénaturent (ce qui est un peu la norme actuellement…), je ne vois plus trop l'intérêt de refuser l'adaptation par principe.
De même, à l'inverse, hein : si c'est pour faire chanter une version française par des chanteurs (français ou étranger) incapables d'articuler, ça n'a aucun intérêt.
Il me semble aussi que l'on a abandonné depuis longtemps, au moins à Paris, le principe d'un opéra avec une troupe de chanteurs nationaux.
Oui, depuis Liebermann. Mais je ne plaide pas forcément pour la troupe (qui a ses avantages et ses inconvénients). Il en existe cela dit une dans un certain nombre de maisons (ONP, Opéra-Comique, Opéra du Rhin, Opéra de Lyon…) avec les Ateliers de jeunes chanteurs… mais ils viennent de partout, et concernant celui de Paris, le style est de plus très, très international (et pas au bon sens du terme : voix opaques, mal articulées, sans grande personnalité de timbre).
Là où ça fait sens, c'est lorsqu'on les recrute selon un profil esthétique cohérent (c'est le cas cela dit à l'ONP : des voix peu gracieuses, mais capables d'être ouïes à Bastille ou correspondant au profil de recrutement dans le chœur local), comme à l'Opéra-Comique, où cela sert vraiment un projet de formation… et donne à l'arrivée de très bons spectacles.
Mais, je suis bien conscient que c'est un argument lié à l'organisation des grandes maisons d'opéra alors que vous vous placez - comme dans l'une des notules précédentes sur les choeurs professionnels ou amateurs ... - sur le terrain de la qualité artistique.
Oui, la question des troupes est aussi structurelle (et bien sûr économique), elle nous dépasse largement. Là, je parle plus de certains interdits qu'on se fixe alors qu'il n'y a pas du tout d'impossibilité pratique. Ça coûte le prix de la traduction, certes…
Non, en fait je crois que ça casse les pieds aux chanteurs, qui ont étudié les grands opéras dans leur langue originale, et qui seraient obligés d'en changer en changeant de pays. Mais que les chanteurs se limitent aux langues qu'ils chantent bien ne me paraît pas un choix si absurde… [/eu]