Inactuel :
Merci, David, pour tous ces éclaircissements. J'avais oublié la note sur les interprétations insolites du cycle. Je vais la relire sans tarder.
Je vais tout de même tâcher de vous satisfaire un peu mieux, mais le temps me manque un brin, en ce moment. Mais en cas de question précise, ce peut se régler plus vite.
Sylvie Eusèbe :
Je ne suis pas certaines que la dernière phrase de « Mut ! » n’ait pas sa place dans le Winterreise.
Oh, mais je ne dis surtout pas cela, bien au contraire ! Je dis qu'elle n'est pas crédible au premier degré. En cela, je prenais le contrepied de ce que vous décriviez comme une reprise de courage et que je perçois seulement comme vaine dérision de la part du personnage.
Ce « soyons nous-mêmes des dieux » est certes un peu ironique, mais il répond surtout à la première partie de la phrase. « S’il n’y a pas de Dieu sur la terre », c'est-à-dire, si les choses sont vouées au cahot, si personne ne prend soin des hommes et qu’il règne le malheur et l’injustice, c’est à nous, que notre souffrance et notre solitude sanctifient en nous plaçant en dehors du cercle des hommes ordinaires, d’être notre propre guide.
Tout à fait d'accord sur les prémisses de votre raisonnement, un peu moins sur l'idée de l'écart des "hommes ordinaires". Le wanderer n'a rien d'exceptionnel, à part peut-être de cheminer jusqu'au terme logique de sa souffrance - rien là que de très humain. C'est ce qui fait tout le caractère touchant de ce cycle.
Et surtout, cette résolution avorte, puisque nous atterrissons à la fin du cycle, où :
- la mort est la seule réponse ;
- le voyageur a besoin d'une autre personne pour chanter son histoire.
Cette solution est bel et bien une impasse, une illusion passagère, une Täuschung.
Une telle idée n’est bien sûr pas une marque d’humilité ou de modestie, le narrateur, qui se croit différent des autres hommes parce qu’il se sent incompris et rejeté, n’a plus que cette grotesque « ressource » divine.
J'y vois les deux mêlés : démesure grinçante suscitée par le désespoir. Mais au fond, il s'agit plus de blasphémer de façon frappante que d'instaurer une véritable issue.
Dans tout le Winterreise, c’est ici la seule référence qui est faite à Dieu. Aucune église (la girouette est posée sur la maison de la bien-aimée…) ou aucun son de cloche n’est mentionné dans les poèmes de Müller, alors que ces éléments peuvent s’intégrer très naturellement dans les paysages qui y sont évoqués. Et la seule fois où Müller parle de Dieu, que fait-il ? Il n’engage pas son Wanderer a se tourner vers Dieu (ce à quoi on pourrait éventuellement s’attendre) mais a être Dieu lui-même !
Tout à fait. Tout cela n'est pas très chrétien, dirait l'abbé Bethléem.
Je suis heureuse de voir que les trois lumières que je m’étais permise de vous demander au sujet de « Die Nebensonnen » vous ont bien guidé !
Vous pourrez toujours postuler comme muse, alors, en cas de reconversion. :D
Musicalement, ce lied me parle aussi bien que les autres. Le lent balancement du piano se répète mais en donnant de plus en plus une impression d’immobilité. Cette lenteur répétitive prépare le Leiermann pourtant plus « mélodieux ». Par l’intermédiaire de la voix, on a l’impression que le Temps se suspend inéluctablement, et votre « rage douce et impuissante de celui qui se sait vaincu » est vraiment une très belle image !
Je vous remercie. :-) Oui, tout à fait, il y a cette suspension-là.
Si je me penche sur le texte, c’est là que les choses sont plus difficiles pour moi. Je ne suis généralement pas très à l’aise avec les symboles que l’on peut interpréter de façons très différentes… j’aime bien que l’on m’explique les choses ! C’est sans doute le problème que me posent ces trois soleils, d’autant plus que les autres poèmes du cycle ne demandent pas nécessairement ce même « effort » d’interprétation. Cependant, l’interprétation que vous proposez, parmi beaucoup d’autres possibles comme vous le soulignez, m’ouvre quelques pistes pour une meilleure compréhension de ce poème.
J'en suis très heureux, dans ce cas !
Votre érudition à propos des « cycles » schubertiens est véritablement impressionnante ! Et je vais la solliciter un peu plus pour lui demander si le cycle « Abendröte » est une création de Schubert, ou si c’est par exemple un éditeur qui l’a constitué ?
C'est en réalité une collection de lieder de la même époque, mais il n'a jamais été totalement constitué par Schubert, ni reconnu comme tel.
Le cycle n'a à ma connaissance pas été édité sous ce nom, ce sont les musicologues qui ont tâché de donner du sens à ce corpus pas tout à fait définitif.
C'est sûr que le Winterreise par Fassbaender c'est anguleux de chez anguleux, mais question voie inédite de l'interprétation dans le sens de l'expressionnisme, ça se pose un peu là.
Incontestablement.
Dans la version Haefliger, les sonorités bizarres du piano-forte, surtout avec les sourdines, donnent des couleurs incroyables à l'ensemble. Haefliger est d'autant plus étonnant si l'on songe qu'il avait près de 40 ans de carrière dans les pattes : à peine terni !
Pas mieux. :-)
Au fait, mister Marrec, j'ai acquis sur votre suggestion la version du Winterreise pour quatuor à cordes, avec Elsner, mais pas encore écouté : j'attends Toussaint :-?
Attention, ce n'est pas non plus une voix corsée, hein. C'est un Siegfried façon Schukoff. :-)
Ca ne vaut pas une version pour piano, mais c'est tout à fait vivifiant, loin du savant bricolage de Zender, par ailleurs bon compositeur, mais décidément, ça ne fonctionne pas bien - trop concret.
6. Le jeudi 26 octobre 2006 à 08:08, par Sylvie Eusèbe
Cher David, merci pour vos lumières, c'est toujours pour moi un grand plaisir que d'être à votre école :-) ! J'ai malheureusment beaucoup de devoirs en ce moment, alors je ne pourrai sans doute pas poursuivre notre dissertation avant la semaine prochain... A bientôt donc. S comme surmenée ;-)
L'écoute du disque de Brigitte Fassbaender (EMI éco.) incline au moins à répondre oui à la question du Sgr Inactuel… 8-)
Oui, très marquant, mais franchement, c'est raide, et pas seulement grâce à notre compositeur préféré.
Le Schwanengesang passe mieux, mais là où je la vénère absolument, c'est dans Dichterliebe - un commentateur éclairé dirait, je crois, quelque chose d'éloquent comme rhalala. La variété de couleurs y est admirable, et le ton, quel ton !
Mais on peut reconnaître qu'il s'agit d'une version marquante.
Sauf erreur, Haefliger a été le premier à graver le cycle avec un piano-forte ancien (Claves, début des années 80) C'est fascinant d'ailleurs, j'adore ce disque et pour l'accompagnement et pour le chanteur…
Il faut donc nommer Jörg Ewald Dähler. J'adore aussi ce cycle, un des tout plus beaux que j'avais oublié de citer dans mes suggestions. Une finesse dans les mots, une intégrité stylistique et une qualité de timbre assez exceptionnelles, je reconnais.
Kurt Widmer l'a enregistré avec pianoforte juste l'année suivante.
J'avoue que je suis assez près ;-) de préférer entendre Winterreise par un ténor (Haefliger, Peter Anders aussi).
Je ne suis absolument pas prêt à te suivre sur Anders, je trouve vraiment ça à l'emporte-pièce, et d'un geignard.
Et puis on a dit récent, d'abord !
Parmi les ténors, on cite souvent Prégardien/Staier, pas très incarné, un peu gentiment contemplatif. C'est de la très belle ouvrage, mais pas d'une grande nécessité lorsqu'on dispose de DFD 55 ! De surcroît, les timbres sont étonnamment proches.
Oserais-je demander une note sur les interprétations comparées de tous les cycles ? Par exemple, je suis actuellement en pleine écoute comparative de deux enregistrements de 1955 (Fiescher-Dieskau/ Gerald Moore) vs (Hans Hotter/ Gerald Moore), tous les deux dans la série "Great recordings of the century" chez EMI. Et j'ai un peu de mal à aller plus loin que ma petite oreille, notamment, y a t-il eu une évolution dans la deuxième moitié du 20ième siècle dans la manière d'interpréter le cycle Winterreise ? D.
Question intéressante. Qui pose quelques problèmes tout de même, mais je vais tacher de ne pas me défiler.
=> Je ne connais pas, évidemment, toutes les interprétations du Winterreise, loin s'en faut.
=> J'évite de me prêter ici à l'exercice de la discographie comparative, parce qu'il est, au fond, un peu stérile, un mécano qu'on monte et qu'on démonte au cours des mois et des années. J'aurais l'impression de ne pas être très utile, tant la chose est subjective : chacun pose des attentes différentes sur l'oeuvre, et par conséquent un cycle bon dans une perspective ne l'est pas nécessairement dans une autre.
Néanmoins, je vais tenter de fournir ici quelques jalons.
Je commence par rappeler l'existence de cette notule sur les interprétations insolites du Winterreise, qui contient quelques éléments.
Par exemple, qu'aucun cycle féminin ne m'a vraiment convaincu. Et une petite liste d'enregistrements marquants, à laquelle il faut impérativement joindre DFD Prades 55.
Je peux aussi dire que DFD 55 EMI est génial, avec cette voix sombre, et déjà toute cette finesse, sans doute plus instrumental et un tout petit peu moins fouillé que 62, et Prades fait à merveille la synthèse, dans un esprit tout autre, avec un Moore plus engagé et capté moins en retrait.
Hotter, en revanche, ne me convainc guère. Sa voix installe le pathos dès le premier lied, de façon ronronnante,le timbre lui-même porte plus la lassitude du cycle que les mots. En outre, la caractérisation est assez homogène d'un lied à l'autre. Mais c'est là avis personnel, l'interprétation est tout à fait de qualité - simplement, je n'y trouve pas ce que j'y cherche.
[Edit : La tâche est d'une ampleur immense, il y a des dizaines de versions à commenter, et certaines dont l'écoute remonte à quelque temps. Je vais tâcher de m'en sortir autrement, en essayant peut-être de synthétiser un peu artificiellement un parcours ? En tout cas, si vous avez une question précise, n'hésitez pas.]
Peut-être puis-je avancer quelques enregistrements importants post-60 ?
Ou alors, inversement, étaler la liste des cycles sur lesquels j'ai rassemblé des notes, de façon à pouvoir répondre au cas par cas ?