Je crois que cette version me tente, c'est justement cette transparence qui laisse plus de place à l'imagination que d'autres Mélisande plus charnelles.
Est-ce une proposition deshonnête ? Je ne saurais le tolérer.
Si un jour tu passes sur Bordeaux, cependant, nous pourrons y remédier sans enfreindre la loi.
a. Golaud et Yniold
Sommes-nous encore touchés dans cette scène par la douleur du père ou simplement apitoyés par les transgressions qu'il commet, l'abandon de son rôle protecteur et bienveillant à l'égard de son fils.
Exact, j'ajouterai aussi le caractère insupportable d'Yniold (qui en fin de compte doit être impérativement joué par un enfant) : Golaud est l'étalon de l'empathie du spectateur jusque dans la violence qu'il commet à l'égard de ce petit caquet.
Il répond à côté, il s'exprime toujours par les mêmes lignes rudimentaires, criardes, et plus concrètement il chante faux... Qu'on a envie de le supprimer !
Bien sûr, chez Maeterlinck chacun reste bêtement responsable (la destinée serait juste remplacée par la névrose sans doute, au minimum celle de Mélisande, tenace et délétère). :-))
Je ne commenterai pas cette interprétation orientée... :-)
b. Conscience de Mélisande
Et cette démonstration est réussie. Debussy plus que Maeterlinck me semble responsable de l'ambiguité de cette fille qui ne peut s'empêcher de mobiliser en l'autre des forces amoureuses et empathiques dont elle n'a pas conscience.
Dont elle a conscience, mais de l'effet, pas de la dimension morale, je crois. Comme une enfant.
J'ai du mal, je dois bien l'avouer, à démêler l'effet de l'un de celui de l'autre entre Debussy et Maeterlinck. Plus le temps passe, plus mon admiration pour Maeterlinck - de la perplexité indécidable à la révérence - s'affirme.
L'enchaînement implacable des avatars de ces éléments projectifs fait le reste. Elle en meurt, enfin, après avoir réchappé d'une histoire sans doute identique dans le royaume voisin.
A propos de cela, il me faudrait vérifier si notre Mélisande peut être l'épouse de Barbe-Bleue ou s'il s'agit simplement d'un réservoir de prénoms chez Maeterlinck. Je n'ai pas la réponse à l'instant.
Nous en avions déjà discuté, mais cet acte V me paraît, du point de vue de la musique, nettement plus faible, avec une romantisation étrange du propos, un certain affadissement du langage de Debussy. On n'est pas si éloigné de la mort du Duc de Reichstag par Ibert, dans l'Aiglon (Rostand-Honegger-Ibert). Quelque chose de diaphane et un brin gentil, quelque part.
c. Arkel comme personnage négatif
Morbidité et décadence, l'ambiance mortifère sourd effectivement de chaque flaque d'eau. Quel secret est responsable de cette peste ? Aucun sphinge pour poser la question clairement. Cette idée malgré tout qu'aucune issue favorable n'est envisagée. Arkel abandonne, impuissant,
Toutes les prédictions d'Arkel se révèlent fausses ou mal avisées. Il est impuissant à s'opposer à l'outrage fait à Mélisande en IV,2.
Naufrage de la vieillesse, désormais inapte non seulement à l'action, mais jusqu'aux oracles.
Je suis toujours amusé de ceux qui disent être admiratifs du personnage d'Arkel, qui se trouve être en fin de compte bien plus pitoyable que noble, à ce qu'il m'en semble.
Golaud et Pelléas sont des enfants malgré tout. Plus aucune force virile pour vertébrer et vivifier ce royaume.
La seule force virile est dévoyée par des affaires de femme - jusqu'au meurtre même du frère. Il faut se rappeler que le mariage impromptu de Golaud compromet la paix prévue, et donc peut être cause de cette famine qui l'irrite de façon si épidermique et égoïste.
d. Musique grecque inaccessible & ses équivalents
En comparant les versions on mesure l'impuissance des archéologues de la musique à approcher même légèrement de ces sons. Il reste la belle pensée de savoir que cette musique fût, qu'on en conserve les hiéroglyphes et que la pierre de Rosette de ces mélodies reste à découvrir.
Le problème étant l'imprécision fondamentale des traités qui nous sont parvenus, et nous ne sommes pas sûrs qu'il y en ait existé de bien précis... La tradition était là, et nous l'avons prévue.
Le plus pathétique est que, même si nous reconstituions, il y a fort à parier que cela ne nous toucherait plus en rien, le fossé culturel (ainsi que l'évolution) est trop grand.
Encore une fois, c'est la recréation à la façon de Prodromidès qui est le plus parlant pour nous aujourd'hui.
Veut-on se faire une idée de ce que pouvait être l'esprit de la tragédie grecque ?
Je n'aurai qu'une réponse : écouter une musique de scène romantique allemande, où l'on trouve intermèdes instrumentaux, choeurs, mélodrames, arias expressives ou descriptives...
La plus réussie de genre me semble incontestablement le Manfred de Schumann, un chef-d'oeuvre absolu. A connaître de toute façon.
On y retrouve une exaltation semblable à ce que l'on peut imaginer, où le verbe est premier mais décuplé par la musique. Et ce n'est pas sur le dernier des textes dramatiques non plus, même si l'on peut déplorer la perte du vers anglais original.
Pour achever cette petite digression, j'ai assisté il y a peu d'années (quatre pour être précis) à une adaptation de Guerre & Paix en quatre heures, en russe, conçue par Piotr Fomenko. La musique (Marlbrough s'en va-t-en guerre) et la répétition musicale d'expressions textuelles, bien qu'à la marge, donnaient au spectacle une profondeur évocatrice dont on n'aurait pas supposé la force vertigineuse.
Un de mes plus grands souvenirs de spectacle.
Et qui nous renvoie à ce qu'on peut imaginer (de façon idéalisée bien entendu) de la tragédie grecque.
A moins que, comme le dit Gérard Mortier, ce ne soit qu'une affaire de politique qui fasse la différence...
(1. Questions discographiques)
Dans l'extrait et dans l'ensemble de l'ouvrage, en comparaison, C. Alliot-Lugaz « fonctionne » plutôt comme un faire-valoir un peu magique, avec sa transparence étonnante, pour les autres personnages.
Mais c'est vraiment pour le plaisir de préciser (et pas de critiquer, bien sûr), parce que je n'ai pas trouvé mieux au disque que la version Dutoit
Je crois que cette version me tente, c'est justement cette transparence qui laisse plus de place à l'imagination que d'autres Mélisande plus charnelles.
(2. Pelléas et Sophocle)
Mais si tu penses aux infortunés d'Oedipe-Roi, oui, je crois que c'est bien vu, à ceci près tout de même qu'Yniold ne comprend pas ce qu'il raconte, et n'appréhende que ce qu'il voit dans le regard de son père.
Je pensais à ça, la crudité de la scène que son père lui impose, le sadisme que ce dernier défoule sur son jeune fils et finalement l'idée qu'elle est une sorte d'abus au même titre que dans Erlkönig, violence physique et psychique orientée vers la sexualité, seule question qui agite Golaud ici. Sommes-nous encore touchés dans cette scène par la douleur du père ou simplement apitoyés par les transgressions qu'il commet, l'abandon de son rôle protecteur et bienveillant à l'égard de son fils.
Sophocle pose précisément le problème de l'injustice, la concurrence des lois, la gratuité du malheur. Là où Euripide entérine plutôt l'idée d'un destin ou d'une divinité volontairement pernicieux.
Bien sûr, chez Maeterlinck chacun reste bêtement responsable (la destinée serait juste remplacée par la névrose sans doute, au minimum celle de Mélisande, tenace et délétère). :-))
(3. Un destin dans Pelléas ?)
Ce que voulait suggérer ma petite démonstration, c'est que toutes les perceptions sont possibles à étayer.
Si je parle de mon impression personnelle, j'ai l'impression d'une conscience sourde de son pouvoir, qui la mène à en abuser sans jamais verser dans une manipulation trop concertée. Quelque chose d'enfantin - mais à la fois plus subtil et plus ingénu.
Et cette démonstration est réussie. Debussy plus que Maeterlinck me semble responsable de l'ambiguité de cette fille qui ne peut s'empêcher de mobiliser en l'autre des forces amoureuses et empathiques dont elle n'a pas conscience. L'enchaînement implacable des avatars de ces éléments projectifs fait le reste. Elle en meurt, enfin, après avoir réchappé d'une histoire sans doute identique dans le royaume voisin.
Ce réel qui désigne l'humanité, tout simplement (on ne sait trop si le château des rois d'Allemonde est gouverné par des hommes ou quelque race supérieure) - une humanité qui elle, souffre réellement un martyre quotidien, loin de la détresse feutrée des personnages principaux que nous suivons. Ces paysans qui meurent de faim. Ces gens simples qui vont se baigner.
Morbidité et décadence, l'ambiance mortifère sourd effectivement de chaque flaque d'eau. Quel secret est responsable de cette peste ? Aucun sphinge pour poser la question clairement. Cette idée malgré tout qu'aucune issue favorable n'est envisagée. Arkel abandonne, impuissant, Golaud et Pelléas sont des enfants malgré tout. Plus aucune force virile pour vertébrer et vivifier ce royaume.
(4. Musique grecque ancienne)
Bref, je me sens plus proche de Christodoulos Halaris (épuisé), sans doute moins scrupuleux que le célèbre Gregorio Paniagua,
En comparant les versions on mesure l'impuissance des archéologues de la musique à approcher même légèrement de ces sons. Il reste la belle pensée de savoir que cette musique fût, qu'on en conserve les hiéroglyphes et que la pierre de Rosette de ces mélodies reste à découvrir.
Eurypide t'aurait plié ça avec moins de brumes, plus de netteté mais la musique qu'il a composée pour son Orestie aurait fichu en l'air les effets de roucoulades ta demi-mondaine d'Yvonne.
Ce n'est pas beau de se moquer. Il ne pouvait pas tout faire aussi bien... et surtout, nous ne disposons absolument plus des codes non seulement pour restituer cela, mais même pour l'écouter.
Les traités sont de toute façon bien trop vagues, et les partitions très fragmentaires (le pire étant les vingt secondes de musique romaine restantes...).
C'est pourquoi les reconstitutions les plus convaincantes sont, il me semble, celles qui tirent un peu le résultat expérimental vers des folklores orientaux encore connus.
Bref, je me sens plus proche de Christodoulos Halaris (épuisé), sans doute moins scrupuleux que le célèbre Gregorio Paniagua, par trop expérimental : .
Cette disjonction partielle d'avec une culture dont nous sommes tant nourris donne à réfléchir profondément sur l'art, jusqu'au vertige. Je vais pour ce soir m'arrêter avant la pâmoison.
Le jeu de la bague est aussi la tentative pour Mélisande de se débarrasser de tous ces hommes qui ont abusé d'elle.
A commencer par Barbe-Bleue ! <]8-}}
<= ceci est un souriard "Barbe-Bleue" en noir et blanc
Mais elle est plus dans la dénégation des conséquence de l'attrait qu'elle inspire que dans le rôle de Lolita.
Ce que voulait suggérer ma petite démonstration, c'est que toutes les perceptions sont possibles à étayer.
Si je parle de mon impression personnelle, j'ai l'impression d'une conscience sourde de son pouvoir, qui la mène à en abuser sans jamais verser dans une manipulation trop concertée. Quelque chose d'enfantin - mais à la fois plus subtil et plus ingénu.
Sa simplicité n'est rien face aux volontés des dieux.
On peut y deviner la fatalité comme on peut y voir une fin logique d'adultère.
Plus que la délibération extérieure de la destinée, j'ai plutôt l'impression (peut-être pour avoir commencé avec Desormière, mais je crois que cela reste commun à toutes les exécutions de l'oeuvre et à la pièce originale elle-même) d'un caractère délétère attaché à Allemonde, qu'on sent dans ces résonances molles, qui se traînent péniblement. Pelléas n'a rien de tonique - qu'on compare avec Rodrigue et Chimène ou avec La Chute de la Maison Usher... Je crois que cela ne tient pas qu'au style "invertébré" de Debussy.
Non, il existe un principe de décadence, ou plutôt de dégénérescence sans flamboyance au sein de ce royaume. On sent bien qu'il s'agit de la forêt de l'ombre et du château de la vieillesse. Rien qui appelle l'espoir, tout qui coupe du monde. On pense aux lourdes portes du château. Et puis, j'en reviens toujours là faute de l'avoir déjà traité, ce réel qui vient obstinément frapper à la porte de cet univers morne. Ce réel qui désigne l'humanité, tout simplement (on ne sait trop si le château des rois d'Allemonde est gouverné par des hommes ou quelque race supérieure) - une humanité qui elle, souffre réellement un martyre quotidien, loin de la détresse feutrée des personnages principaux que nous suivons. Ces paysans qui meurent de faim. Ces gens simples qui vont se baigner.
Je sens plus fort ce principe interne à Allemonde (et à l'humanité - qu'elle soit du château ou de l'extérieur) qu'une idée du destin, dans Pelléas.
Que l'enfant qu'on pervertit, qu'on abuse, témoigne, tel un antique porteur de messages sur la scène du théâtre de Dyonisos, des horreurs qu'il a vues et nous voilà plongés dans la compassion pour cet homme brisé.
Je ne sais pas si on peut comparer Yniold au messager, mais tu penses sans doute au pâtre violenté d'Oedipe-Roi, qui rechigne à porter sa nouvelle ?
Le messager type a justement pour fonction de transmettre le hors-scène qui s'épanouit au delà des parodoï, et pas de susciter l'empathie, l'agacement ou la terreur comme Yniold.
Mais si tu penses aux infortunés d'Oedipe-Roi, oui, je crois que c'est bien vu, à ceci près tout de même qu'Yniold ne comprend pas ce qu'il raconte, et n'appréhende que ce qu'il voit dans le regard de son père.
Je les crois tous inconscients de ce qui doit arriver, donc coupables malgré tout pour les Grecs.
Oui, tout à fait, inconscients. Mais je ne crois pas qu'on puisse parler ainsi de culpabilité à la grecque - Sophocle pose précisément le problème de l'injustice, la concurrence des lois, la gratuité du malheur. Là où Euripide entérine plutôt l'idée d'un destin ou d'une divinité volontairement pernicieux.
Cela dit, je pense ici aux Sophocle les plus célèbres, Oedipe-Roi et Antigone. Parce que Philoctète se résoud par le deus ex machina, sauvant chacun et laissant place à la vertu - qu'Oedipe à Colone (à mon sens goût sa pièce la plus saisissante) vient même à exalter. Electre et surtout Ajax posent d'autres problèmes que ceux-ci, à mon sens.
J'ai été frappé par la première incarnation, c'est superbe de simplicité, un parlar cantando qui vise juste.
Colette Alliot-Lugaz, une grande dame en effet pour cette musique... Une des Mélisande les plus convaincantes au disque, je trouve, ni format pépiant comme les premières interprètes du rôle, ni opacité, ni excès vocaux. Vraiment l'expression simple et enfantine.
Cela dit, si on me demande mon avis, je préfère les Mélisande plus mêlées. J'ai cité Kožená (en 2002 à l'Opéra-Comique surtout, car son incarnation cette année au Théâtre des Champs-Elysées était plus globale) comme modèle absolu du genre, mais Angelika Kirchschlager (Salzbourg 2006, car Covent Garden 2007 était linguistiquement et expressivement un peu déplacé), malgré une féminité moins équivoque, réussit à se loger aussi dans un personnage indécidable, même si fortement incarné.
Dans l'extrait et dans l'ensemble de l'ouvrage, en comparaison, C. Alliot-Lugaz « fonctionne » plutôt comme un faire-valoir un peu magique, avec sa transparence étonnante, pour les autres personnages. On a moins de plaisir à entendre Mélisande, même si l'incarnation est parfaite, en réalité.
Mais c'est vraiment pour le plaisir de préciser (et pas de critiquer, bien sûr), parce que je n'ai pas trouvé mieux au disque que la version Dutoit - et elle n'y est pas pour rien. Un Pelléas sur le fil (Didier Henry), un Golaud noble et brutal (Gilles Cachemaille, à qui je n'ai guère trouvé d'égaux), une direction ni de ton français sucré ni de style international, assez limpide, parfaitement équilibrée.
Ensuite, bien évidemment, j'ai mes habitudes chez d'autres, inédits - mais celle-ci demeure la plus équilibrée, avec trois protagonistes au sommet de ce qui a pu se produire dans leurs rôles respectifs.