vendredi 30 avril 2010
Zampa ou la fiancée de marbre : comique mais ambitieux
Passionnés depuis longtemps, comme en témoignent ces pages, par Zampa, les lutins qui peuplent ces augustes lieux se sont enfin plongés, tout récemment, dans la partition.
Le final de l'acte II (dont nous allons tirer beaucoup d'exemples) dans son entier, afin de juger sur pièces.
Mais tout d'abord, qu'on se rappelle :
- Structure de Zampa.
- La place de la clarinette dans la partition et la parodie de Don Giovanni. (On en avait déjà observé une dans le Vampire de Marschner, voir à l'acte IIa.)
- L'humour dans cette parodie.
Et, à la lecture, donc, on est frappé par maint détail. Non pas que l'oeuvre soit novatrice évidemment, mais elle témoigne d'un raffinement véritablement rare à cette époque, qui la rapproche grandement de l'esprit de Meyerbeer, son contemporain (1831 pour Zampa).
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1. Le livret
La gentille dérision du librettiste Mélesville sur ses personnages, bien sûr, en particulier le jeune premier (chose fréquente chez Scribe), qui a toujours quelque chose d'un peu maladroit, de presque gracieux par sa candeur malhabile. C'est ici difficile à justifier par le livret, c'est plus en sentiment diffus que pour Raoul qui se ridiculise devant la reine ou Jean de Leyde qui s'égare dans ses engagements politiques ; mais tout de même, le malheureux Alphonse qui se méprend sur l'amour qu'on lui porte et insiste comme un niais en acculant l'aimée à l'aveu bien franc, manière de compenser l'incapacité absolue de son amant à décrypter des allusions limpides - c'est assez amusant. Et dans un contexte qui n'est pas tragique comme dans Callirhoé (où Agénor semble aussi quelque peu enrhumé du cerveau), on en sourit gentiment ici, ainsi qu'en quelques autres occasions, surtout si les dialogues parlés favorisent un peu la bonne humeur.
Camille Roqueplan (1803-1855), Valentine et Raoul, représentation du duo de l'acte IV. Conservé au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux, mais je n'ai étrangement jamais pu le voir... Autant dire que ce chef-d'oeuvre n'est pas vraiment l'image de marque la plus prestigieuse qui puisse être.
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2. Rythmes, harmonies, orchestration
Et surtout la qualité d'écriture musicale. Hérold écrit une musique très modulante et expressive. Les carrures rythmiques régulières n'empêche pas d'oser, comme chez Mozart, des choses un peu décalées, du procurent du rebond ou du caractère aux différentes sections : un certain nombre de figures ne débutent pas sur le temps par exemple.
Et plus que tout, de pair avec l'évolution des sentiments, Hérold ménage sans cesse des modulations (c'est-à-dire des changements de tonalité de référence, donc de couleur), ce qui n'était pas utilisé à l'époque à ce rythme effréné. Cela explique la variété de ce que l'on entend, et qui ne lasse pas comme peuvent le faire d'autres oeuvres du même caractère, mais beaucoup plus linéaires (on en trouve chez Grétry, Spontini, Rossini, Cherubini notamment).
On allie ainsi le rythme virevoltant à la progression émotive, ce qui est très exaltant à l'arrivée.
En tout cela, on rejoint grandement le souci d'écriture de Meyerbeer. Le Pré aux clercs, le seul autre opéra de Hérold à peu près disponible (au moins en partitions, on en trouve facilement en occasion - parce que pour les disques, c'est franchement une autre histoire), dispose de qualités semblables et d'un soin tout particulier au climat des accompagnements à l'orchestration pourtant excessivement simple, mais n'a pas l'envergure musicale, il me semble, de l'écriture de Zampa (qui, précisément, est plus complexe dans ses figures d'accompagnement et plus soigné dans le choix des couleurs orchestrales).
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3. La bizarrerie de l'orgue
L'acte II se termine par une longue séquence d'orgue (une à deux minutes), seul, des accords ad libitum et sans mesure mais de plus en plus brefs, avec des couleurs harmoniques assez étonnantes, pas vraiment consonantes, vraiment menaçant comme peut l'être l'union d'une jeune amante forcée au mariage par le terrible corsaire. L'orchestre se contente de conclure très brièvement ensuite.
Ce passage solo constitue une rupture assez inacoutumée. Autant Verdi pourra trente ans plus tard lui faire débuter un acte dans La Force du Destin, autant lui faire conclure brutalement un acte, et avec ce degré d'instabilité dans le discours musical, c'est vraiment étonnant.
Cela entre de toute façon dans la logique d'une imbrication assez meyerbeerienne des différents "numéros" normalement bien isolés. La structure des morceaux canoniques (l'air de Zampa du début de l'acte II par exemple) est d'ailleurs assez fantaisiste, avec beaucoup de sous-parties et d'évolutions, sans nécessairement les habituelles reprises destinées à équilibrer le tout.
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4. La voix de Zampa
Enfin, l'écriture même du rôle-titre a quelque chose de très surprenant, que je ne crois pas avoir vu dans aucun autre opéra. Selon les moments, et au sein du même "numéro" si nécessaire, la portée peut être en clef de sol (pour ténor, donc jouée à l'octave inférieure) ou en clef de fa !
Où l'on voit que Zampa, dans cet opéra où les quatre rôles masculins importants sont tous ténors, peut tenir la ligne qui est harmoniquement la basse de l'accord. Tout cela pourrait pourtant être noté aisément en clef de sol. Pour les lignes les plus basses, Hérold prévoit qu'un choriste peut tenir dans certains ensembles réduits le rôle d'un Corsaire basse.
On peut même rencontrer ces changements de clef pour des airs, comme ici à la fin de l'acte I.
Le rôle lui-même est extrêmement exigeant, évoluant du sol grave (sol 1, la limite basse pour un baryton), au contre-ut (ut 4, la limite haute pour un ténor, à part formats vraiment léger), et un contre-ut qui doit être aisé, exécuté au fil d'une vocalise. On trouve même deux mesures contiguës où les deux notes extrêmes sont sollicitées !
A l'acte II.
Ce n'est donc pas un baryténor (le ténor grave de Licinius dans la Vestale, chantable par un baryton), mais bien un véritable ténor avec une extention grave hors du commun - beaucoup de moments expressifs se trouvent sous l'ut 2 (la limite basse pour un ténor est le si bémol 1, et l'ut 2 est déjà peu audible en règle générale).
Mais la démarche d'alterner les clefs est vraiment surprenante, signe d'une réflexion plus que superficielle sur la composition - c'est une initiative que les aligneurs de notes n'auraient pas forcément songer à appliquer.
Bref, ceux qui ont sifflé Richard Troxell lors des premières représentations de la production à l'Opéra-Comique, parce que son timbre était un peu métallique et pas celui d'un oiselet bellâtre (ce qui était, on l'aura compris, aussi absurde dramatiquement qu'impossible vu la typologie du rôle), ceux-là étaient non seulement des goujats, mais en plus des imbéciles.
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En somme, la lecture de la partition réservait encore quelques surprises très favorables sur le soin d'écriture de ce petit bijou. Il faudra bien un jour publier un disque de cela, tout de même. Lorsqu'on songe qu'on a quelques Adam pas tous prioritaires, tellement de Messager en doublon, et toujours pas un Hérold ! (Je ne vais même pas parler des intégrales des Sonates pour piano de Beethoven, ce serait déloyal.)
N.B. : Bien que nous disposions de plusieurs versions, pour des raisons pratiques tous les extraits sont tirés de la version Christie radiodiffusée lors de la première série (mars 2008) de représentations à l'Opéra-Comique, dont voici la distribution commentée. (Une seconde série, avec Jaël Azzaretti remplaçant Patricia Petibon et Noël Lee remplaçant Bernard Richter, a eu lieu au même endroit en décembre 2008, mais n'a pas été captée pour la radio.)
C'est en tout état de cause une version superlative, ce qui ne nous laisse pas trop de regrets sur ce choix dicté par la logistique.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Opéra-comique (et opérette) a suscité :
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