samedi 25 novembre 2023
Le nouveau Musée de la Marine

Le Musée de la Marine (antenne de Paris) vient de rouvrir cette semaine. Je m'y suis rendu, puis ai écouté l'heure de « note d'intention » du directeur et de l'adjointe au chef de projet muséographique. Je ne connaissais pas l'ancien parcours (apparemment beaucoup plus compartimenté), mais pour les curieux, quelques impressions.
1. Un vénérable ancêtre
Il s'agit du second plus ancien musée de marine au monde (après celui de Saint-Pétersbourg), débuté par les collections d'un inspecteur des constructions navales, qui convainc Louis XV de conserver les maquettes que l'homme possède dans une Salle de Marine (1752). La collection voyage beaucoup, dans l'Hôtel de la Marine, le Grand Trianon (sous l'Empire), et après un retour au Louvre, est définitivement installée au Palais de Chaillot après l'Exposition Universelle, en 1943.

2. Les espaces
J'ai été frappé par la vastitude et la beauté immaculée des espaces ainsi rénovés, immense galerie blanche, ponctuée d'ambiances : un simili-navire à l'entrée (que je n'ai pas vraiment perçu), des conteneurs, des demi-cercles suspendus comme des postes de commandement de navires modernes, une vague stylisée pour la partie sur les tempêtes et naufrages, et l'ensemble du parcours aboutit en apothéose sur la collection de proues, et surtout sur les exubérantes décorations de poupe de La Réale, la plus grosse galère de l'ère Louis XIV, au fond de la perspective.

Deux grands escaliers droits permettent d'accéder à l'étage de sous-sol.
Les voûtes en plein cintre, recoffrées avec des lamelles blanches et séparées par des coupoles, sont traitées de façon très épurées, d'une blancheur parfaite. Un côté à la fois patrimonial et futuriste qui correspond assez au goût du temps, et qui est ma foi vraiment élégant – et plutôt apaisant.

3. Les contenus
Le choix a été fait de mettre peu d'objets à disposition, ce qui rend le parcours assez rapide à réaliser, et plutôt lisible : on n'est pas enseveli sous les objets de même type (il y aurait entre 40.000 et 60.000 objets en possession du musée…), on peut progresser en regardant simplement cette sélection de ce qui est le plus marquant.
J'apprécie le geste, mais il se révèle aussi un peu frustrant lorsqu'on entre dans une section qui nous intéresse particulièrement, et qu'on voudrait voir toutes les variantes d'un modèle réduit, ou un large éventail de proues – je serais vraiment preneur, sur le modèle des musées des carrosses, de musées de proues ! Sur la durée aussi, même si les collections sont destinées à tourner tous les trois ans, un visiteur régulier aurait vite épuisé le fonds.
Il n'y a pas vraiment de solution à cet enjeu (sauf à réaliser un musée à double lecture, avec un étage d'initiation et des salles en nombre infini en sous-sol pour exposer toutes les collections aux visiteurs plus chevronnés…).

En début de parcours, les maquettes qui sont le noyau historique du musée, puis une évocation de la marine commerciale. Arrivent ensuite les tempêtes au creux d'une vague géante (avec ambiance sonore) un peu platement stylisée à mon gré. On y voit tout de même un Incendie du Kent particulièrement monumental et impression de Théodore Gudin.

On se promène dans les objets techniques (jolie maquette qui ne fonctionne pas totalement mais permet de comprendre l'identification lumineuse des phares de la côte du Léon), jusqu'à la grande exposition et de la poupe de La Réale et des proues (figures de rois, de marchands, d'allégories…), l'endroit le plus exaltant du parcours, où j'ai réellement ressenti une émotion esthétique.

En descendant l'escalier, on se promène dans les 13 marines de Joseph Vernet représentant les ports de France (les 2 dernières de la série sont conservées au Louvre), puis – après un énigmatique couloir où une borne venue de l'Allier (département peu célèbre pour ses façades maritimes !) a été prêtée par l'Office National des Forêts (??) – dans un parcours chronologique de maquettes de navires du XVIIe au XXe siècles, qui s'achève par… deux sièges pour un simulateur de Rafale sur un porte-avion, clairement l'attraction la plus fréquentée. (Le directeur est un ancien de l'aéronavale et les deux sièges sont mécénés par Dassault, certes, mais le lien avec le musée ne m'a pas paru évident. Certes, c'est piloter un avion qui se pose sur un bateau.)

4. Les émotions
L'espace général est d'une grande beauté, et j'ai été vraiment séduit par ses grandes lignes à la fois neuves dans leur décoration minimaliste (quelques traits blancs au plafond en matériau peint, et c'est tout) et très traditionnellement alignées sur la forme haute galerie avec coupoles.
L'acmé de la visite est atteint, je l'ai dit, en sortant de la Vague, lors de l'apparition du Napoléon pour la proue du vaisseau Iéna et des grands ornements de poupe de la galère La Réale, en majesté au fond de la galerie, trônant au-dessus de la profondeur de l'escalier droit.
La nocturne jusqu'à 22h – sera-t-elle reconduite passé l'engouement de la réouverture ? je l'espère, c'est important pour permettre aux classes laborieuses d'accéder aux collections sans affronter la foule des week-ends et/ou immobiliser son dimanche – permet de profiter très agréablement des espaces non saturés.
5. Les manques
Je suis toutefois sorti mitigé de l'expérience : en dehors des espaces et des fragments de navire, j'ai été peu touché par les objets que j'ai vus. Et je pense qu'il y a une raison de cela – j'y reviens.
Les bornes interactives m'ont paru nombreuses, mais dans son entretien avec Xavier Mauduit, le directeur général a souligné qu'il avait fait le choix d'en mettre peu. Lors de ce premier parcours, je ne les ai pas utilisées ; j'ai aperçu qu'il y en avait pour suivre l'explication du décor de La Réale, en redondance avec les cartels – ça, c'est vraiment bien, interactivité pour ceux que ça aide à entrer dans les collections, et possibilité pour les autres de s'en passer. (Je déteste les propositions qui imposent de s'agglutiner autour d'une borne numérique unique ou d'écouter un audioguide lent qui interdit la conversation avec ses binômes d'exposition…)
La difficulté en revanche, c'est qu'elles sont disponibles seulement par unité – sauf pour le simulateur de vol, où il y en a deux –, si bien que même lors de la fin de la nocturne, clairsemée vers 21h, toutes les bornes étaient occupées, pour ne pas dire sujettes à queue… Si c'est encore possible, les doubler serait une bonne idée.
L'impression de dépareillement est liée aux collections elles-mêmes : la base historique du Musée tient dans les maquettes et les vues de port de Joseph Vernet, on y ajoute des objets de marine et nécessairement, on a l'impression de traverser des éléments assez disparates, surtout avec le choix d'un nombre réduit d'objets qui ne permet pas l'immersion. Je trouve ça très bien de ne pas être submergé, mais s'il n'y en a pas assez, on ne comprend pas nécessairement les lignes de force.
Mais surtout, j'ai été réellement frustré par l'impression de survol un peu schématique. Certes, je découvrais le musée avec un temps limité, et j'ai simplement observé la nature des sections, pris davantage de temps là où j'étais intéressé… mais j'ai eu l'impression qu'il manquait réellement une étape pédagogique.
Par exemple pour les modèles réduits : on nous explique à quoi ils servent, on nous parle de la reproduction des gréements… mais à aucun moment dans tout le parcours on ne nous explique comment un bateau flotte, quelles sont les parties qui le composent (et qu'est-ce qu'un gréement…), comment on le construit, quels sont les différents types de vaisseaux clairement classifiés par taille, caractéristiques, usages… On parcourt une somme d'exemples non contextualisés qui ne permet pas d'en ressortir avec une vision d'ensemble claire.

Autrement dit, le parcours pique la curiosité, donne envie d'en savoir davantage, mais il ne répond pas, à mon sens, aux questions fondamentales qu'il serait facile d'exposer dans un musée et plus délicat d'expliquer dans un livre – je vous aurais montré des maquettes de bateaux-qui-flottent et de bateaux-qui-coulent, moi !

Et c'est tout à fait possible : mon modèle en la matière réside dans les écomusées, dont je suis ressorti en ayant acquis de réelles connaissances sur les savoir-faires de la vie quotidienne : béalières à Pransles (milieu de l'Ardèche), meuniers de Kérouat à Commana, maisons à apoteiz à Saint-Rivoal (les deux dans les Monts d'Arrée), tanneurs (je ne me rappelle plus où !)… Dans ces cas, le musée est l'occasion d'éprouver en personne des technicités spécifiques, où l'on explique les buts, la matière première, les méthodes de transformation, en exposant les machines, en détaillant leur fonctionnement…
Dans le Musée de la Marine, je me suis trouvé face à des bateaux de toutes sortes sans connaître du tout leur mode de construction, ni même souvent leur vocation au sein d'une flotte, leur inscription dans une hiérarchie et une distribution des tâches. On m'a tout de suite dit qu'ils transportaient des cargaisons ou servaient à asseoir le prestige du pouvoir, mais cela je le savais, et j'attends d'un tel musée qu'il me permette de comprendre les mécanismes profonds plutôt que de me conduire à travers une suite de généralités dont il est facile par ailleurs d'avoir connaissance.

On n'en est pas au niveau du Quai Branly, dont les collections permanentes ne contiennent que très peu d'éléments de chaque zone (parfois un objet par pays !) et aucune médiation – il faut prendre l'audioguide, mais outre l'inconfort susmentionné, tous les objets ne figurent pas dans l'audiodescription, et il manque surtout un cadre pour comprendre ce que l'on voit. Masque rituel, mais quelle est la religion à laquelle il se rapporte ? Est-ce un masque rituel purement traditionnel, ou une version esthétisée plus tardive / ornementale ? Comment nous est-il parvenu (don, échange, vol – non pas pour rendre, mais pour comprendre) ? On ne peut rien lire de plus que le pays et l'époque, et surtout pas d'explication sur les dominantes culturelles de l'aire concernée – vous pouvez passer devant les costumes d'Asie Centrale sans en retirer aucune indication sur les religions concernées par ces habits de fête… Là, c'est pour moi un manque grave, qui finit, à force de vouloir laisser libre l'émotion du spectateur, par lui faire reproduire le regard du colon : on observe tous ces artéfacts bizarres avec des pensées qui finissent par aboutir à mais comment peut-on être Africain ?, ce qui paraît à peu près exactement l'inverse du but visé par un musée des arts du monde, censé nous émerveiller, nous faire comprendre, nous rapprocher, et non nous laisser perplexes ou persuadés du désordre intrinsèque de ces cultures lointaines…
(Leurs expositions temporaires sont au contraire très structurées, instructives et passionnantes, absolument à l'inverse du parcours permanent.)
6. Ce qu'on en retire
C'est donc à la fois une expérience très agréable et, à mon sens, une conception défectueuse qui n'apporte pas toutes les connaissances que j'aurais voulu. Typiquement, la Galerie de Minéralogie adossée au Museum d'Histoire Naturelle, avec ses compartiments étroits beaucoup plus traditionnels, prend le temps d'expliquer chaque notion et de la démontrer, si bien que si l'on prend le temps de faire tout le parcours (il y a deux pièces et j'y ai passé trois heures sans tout à fait finir…), on comprend vraiment des choses fondamentales, et qui resteraient plus abstraites dans un livre. Un véritable rôle de musée.
En sortant du Musée de la Marine, impressions mêlées de disposer d'un nouvel espace de jeu où il fera bon se promener en hiver, se poser le temps de lire quelques pages, de regarder quelques objets, d'admirer la dizaine de proues exposées… mais aussi de n'avoir à peu près rien appris.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Architecture a suscité :
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