Pardon pour le titre promotionnel, je ne connais aucun des artistes
présents (sauf par leur art) et personne non plus chez les
organisateurs. Les superlatifs sont simplement corrélés à l'intérêt de
la manifestation – gratuite et dans une salle très peu remplie, faut-il
le souligner.
Si vous avez l'habitude de payer pour entendre les quatuors étoilés
dans les salles de concert répéter leurs mêmes programmes, désinvoltes
(les Pražák en concert…), déclinants (les Tokyo d'aujourd'hui) ou déjà
morts avant d'entrer sur scène (Vermeer, déjà qu'ils n'étaient pas
vigoureux avant de mourir…), hé bien, sachez que vous avez tort.
Bien sûr, vous pouvez aussi être allé écouter les Danel dans
Tichtchenko ou les Jerusalem dans Kurtág, auquel cas je vous accorde ma
(réticente) absolution.
1. Le
concept
L'Académie Européenne de Musique de Chambre (ECMA →
European Chamber Music Academy)
Il s'agit d'une académie de perfectionnement où sont sélectionnés les
meilleurs instrumentistes actuels pour y suivre des masterclasses. Le
tout s'accompagne de quelques concerts pour les entraîner et les
présenter au public – c'est sensiblement le même type d'institution que
ProQuartet, par exemple.
2.
Les
gens
Les professeurs sont des autorités procédant de divers univers en
rapport avec la musique de chambre : Hatto
Beyerle (altiste du quatuor Alban Berg de 71 à 81), Johannes Meissl
(violon II du Quatuor Artis), Michel Lethiec (clarinette), Bruno
Mantovani, Corina Belcea (du quatuor lauréat d'Évian et pilier d'EMI),
Emmanuelle
Bertrand (violoncelle),
Ralf Gothóni (
un des
plus grands
pianistes vivants), Jean-Marc Phillips-Varjabédian
(violon), Jérôme Pernoo (violoncelle).
Côté élèves, on trouve actuellement (répartis en « ensembles » et «
alumni », sans que je puisse dire la différence – les « ensembles »
sont peut-être plus anciens dans le projet ?) un grand nombre de
formations déjà très abouties.
Plusieurs ont déjà été mentionnées dans la notule consacrée à la
séance de 2014 de l'ECMA à Paris.
En voici la liste actuelle (nationalité des musiciens, liens vers leurs
sites respectés), annotée par mes soins.
Ensembles
Acros Trio,
Venezuela/Germany/Ecuador
Amatis Trio,
Germany/UK/Netherlands
Arcis Saxophon Quartett,
Germany/Slovenia
Boccherini
Trio,
Australia/Belgium/Italy
Darian Trio,
France/Australia/Japan
Hanson
Quartet, Japan/UK/France
► Déjà
remarqué comme l'un des plus spirituels
représentants de l'art de la conversation en quatuor… Et hardis avec ça
(ils donnaient Zemlinsky 2 la saison passée).
Mettis
String Quartet, Lithuania
Quatuor
Akilone,
France
Stefan Zweig Trio, Japan/France/Bulgaria
Stratos
Quartet, Austria/Japan/Czech Republic
► La pianiste japonaise remplace le
pianiste finlandais Pauli Jämsä qui
m'avait ébloui (l'un des plus beaux touchers de
piano que j'aie pu entendre, une profondeur de son abyssale) – j'en
suis forcément un peu déçu, il était la grande force de l'ensemble,
mais la nouvelle venue est excellente etles autres aussi, une très
bonne fréquentation.
Trio
Metral, France
Trio Vitruvi,
Denmark/Switzerland/Australia
Alumni
Apollon
Musagète Quartet, Poland
Arcadia
Quartet,
Romania
Berlin
Piano
Trio, Poland/Germany
Boulanger Trio,
Germany
► Déjà auteur de plusieurs disques
très réussis, très investis et plutôt personnels.
Cuarteto
Quiroga, Spain
► Deuxième au concours
d'Évian-Bordeaux en 2005, mais remportant le prix de la presse (et de
loin le plus impressionnant de tous ceux que j'aie vus dans ce concours
pourtant superlatif). Voir par exemple
cette notule, mais en fouinant dans les archives
les plus anciennes du site par la boîte de recherche, vous pourrez voir
quelques impressions
sur le vif.
Je ne vois absolument pas, à leur âge, avec leur
palmarès et leurs engagements, ce qu'ils font dans un cycle de
perfectionnement, mais s'ils veulent venir l'année prochaine au concert
parisien de l'ECMA, qu'ils ne se fassent surtout pas prier !
Galatea
Quartet, Switzerland
Giocoso
String Quartet, Germany/Romania/Netherlands
► Excellent ensemble, au tempérament
pas du tout badin, qui avait fait partie des quatuors remarqués au
dernier concours de Bordeaux.
Kamus Quartet,
Finland
Meta4, Finland
Minetti
Quartet,
Austria
Pacific Quartet
Vienna, Japan/Hungary/Taiwan/Switzerland
► Déjà entendu lors de l'édition de
2014, où il était un peu écrasé par la personnalité des autres
participés, mais un très bon quatuor.
Streeton Trio,
Australia
Quartetto
di Cremona, Italy
► Assez ahuri de les voir dans cette
liste. Certes, ils sont jeunes, mais il ont beaucoup enregistré (leur
intégrale Beethoven vient de s'achever, ils me semble) et dotés d'une
personnalité complètement assumée – sons rêches comme sur boyaux, très
grande vivacité, goût du clair-obscur, un des quatuors en activité les
plus marquants, qui renouvellent vraiment l'écoute de pages rebattues,
de façon particulièrement marquante pour le XVIIIe et le premier XIXe !
Quatuor Girard,
France
Quatuor Zaïde,
France
► Lauréats du précédent Concours de
Bordeaux. Je ne les ai pas assez écoutées pour formuler un avis, mais
tout le monde paraît enchanté de les connaître.
Trio Atanassov, France
Trio Chausson, France
► Déjà fort d'une large discographie
chez Mirare, et originale (Hummel, Chaminade, Chausson, Lenormand !).
Trio FortVio,
Lithuania
Trio Gaspard,
Albania/Greece/UK/Germany
Trio Imàge,
Germany
Trio
Karénine, France
►
Un très beau trio avec piano, qui avait donné en particulier des
Quatuors avec piano (Premier de Fauré, Troisième de Brahms) très
prenants, avec Sarah Chenaf (alto du quatuor Zaïde, précisément).
Mentionné dans le
bilan de saisdon passée.
Je vois que le
Quatuor Arod, autre
formidable pensionnaire, en est désormais sorti…
Il faut dire que leur palmarès le justifie : vainqueurs à la FNAPEC, au
concours Nielsen de Copenhague, à l'ARD de Munich, lauréats de
l'Académie du Festival Aix, en résidence à Singer-Polignac et
ProQuartet, et mécéné par HSBC, Banque Populaire, Safran et Société
Générale…
Il se produira le 2 décembre à Tremblay-en-France, s'il y a des
curieux.
4. ECMA 2016
Pour ces sessions parisiennes, on eut donc :
Hatto Beyerle,
Johannes Meissl,
Emmanuelle Bertrand et
Jean-Marc Phillips-Varjabedian,
qui ont travaillé avec les ensembles suivants.
¶ 4 trios avec piano.
Trio Metral (France
– Haydn, Hob. XV: 41),
Trio Trikolon (Autriche
– Haydn, Hob. XV: 12),
Trio Zadig (France
– Schumann n°1),
Trio Sōra
(France – Kagel n°2).
¶ 4 quatuors à cordes.
Quatuor Animato
(Pays-Bas – Mozart n°19), Quatuor Tchalik (France – Beethoven n°8),
Quatuor Akilone (France –
Chostakovitch n°2),
Quatuor Bergen
(France – Chostakovitch n°5).
¶ 1 quatuor avec piano.
Quatuor
Stratos (Globe – Fauré n°2).
Joli programme très variés et formations diverses aussi – du moins
celles qui peuvent faire une carrière (et du côté des cordes seulement).
Je vais me contenter de toucher un mot de celles que j'ai aimées.
Toutes étaient très bonnes (même si je n'ai pas forcément aimé l'un des
deux pianistes dans Haydn – difficile de trouver un équilibre dans
cette musique avec ces instruments modernes dont les harmoniques ne se
fondent pas de la même façon avec les cordes,
a fortiori quand on choisit une
œuvre plutôt faible), à l'exception d'une, dont je ne toucherai mot,
puisqu'il s'agit de servir de tremplin et non de guet-apens à de jeunes
interprètes.
Disons que chez celle-là, malgré l'usage de partitions complètes et la
provenance d'une même fratrie (ils se reconnaîtront, et comme il n'y
avait presque personne dans la salle, ça reste entre nous), la cohésion
était inférieure à ce qu'on attend d'un ensemble professionnel. Les
entrées n'étaient pas nettement ensemble (ils l'étaient, globalement,
mais vu l'état de l'offre en quatuors émérites, ils sont très en deçà
des standards), la cohésion moyenne (chacun semblait jouer pour soi,
sans se décaler, mais sans non plus se retrouver à des points-clefs),
l'absence de discours suivi, la prédominance écrasante du premier
violon (assez acide et pas toujours juste, de surcroît) étaient plutôt
sujets de frustrations. Rien d'indigne, loin s'en faut, mais ils ne
sont pas encore prêts, me semble-t-il.
Chez tous les autres, maint sujet de satisfaction, et je ne citerai que
celles qui m'ont particulièrement marqué.
5.
Nos lauréats
♥ Le
Quatuor Bergen dans le
Quatuor n°5 de Chostakovitch. Il se caractérise par un son très simple,
pas du tout caractérisé, comme une page blanche… pour une
interprétation à la lisibilité parfaite (toutes les voix sont
individualisées, en permanence), et intenses comme un final de
symphonie… dans ces parties qui sont équivalentes à celles de solistes
de concerto, la visée générale est toujours sensible.
♥ Le
Quatuor (avec piano)
Stratos, dans le Quatuor avec piano
n°2 de Fauré, travaillait de façon très adroite les changements de
strates sonores, n'hésitaient pas à profiter de l'assiste de la
formation pour verser occasionnellement dans l'épanchement symphonique…
lecture très travaillée et aboutie et, ce qui ne gâche rien, une
excellente pianiste qui, sans égaler son prédécesseur Pauli Jämsä,
disposes de qualités de netteté et d'articulation rares.
♥♥ Le
Quatuor Akilone, déjà
quatre fois (
Ravel,
Schubert-Dvořák-Ravel-Boutry,
Bordeaux,
Beethoven-Brahms) loué dans ces pages, sur lequel
je ne reviens pas… Leur son légèrement acide et tranchant fait
merveille dans le Quatuor n°2 de Chostakovitch, qui sonne ainsi comme
un avatar ravélien – ce qui est plutôt à son avantage, dois-je dire.
♥♥♥ Le
Trio Sōra, dans le Trio avec piano n°2 de
Kagel, porte cette musique avec un charisme hors du commun. Tout ce qui
pourrait paraître arbitraire ou anecdotique sonne avec une évidence et
une conviction pleines, si bien que cette œuvre rare et joueuse paraît
aussi familière qu'une pièce du répertoire. Par ailleurs, de bien beaux
timbres. Elles doivent faire des étincelles dans les œuvres plus
faciles !
♥♥♥ Le
Trio Zadig dans le Trio
avec piano n°1 de Schumann. Quelle claque ! De tous jeunes
étudiants font voler en éclat mes habitudes d'écoute et mon palmarès
pour ce trio que j'aime beaucoup… et dans lequel je n'avais jamais
entendu un tel
raptus. La
puissance sonore, d'abord, surprend immédiatement, et puis cette
poussée permanente, presque insoutenable, d'une fièvre et d'une flamme
renversantes… Schumann l'écrit
Mit
Energie und Leidenschaft, et l'on se prend et l'un et l'autre au
visage, assurément.
Par ailleurs, les reprises sont variées très subtilement, en changeant
la dynamique et le sentiment tout en conservant l'essentiel du phrasé,
rien de systématique, belle pensée et grande réalisation.
Je l'avais déjà (pré)dit pour les Akilone, mais voilà deux ensembles
hors du commun qui raviront les publics dans les prochaines années. Ils
sont français de surcroît, ce qui veut dire qu'ils seront assez faciles
à voir prochainement.
6.
Occuper votre temps libre
Vous l'aurez remarqué, c'est le sacerdoce diabolique de CSS.
Voici donc où trouver les membres remarqués de l'ECMA dans les
prochaines semaines, lorsqu'ils se produisent dans un rayon raisonnable.
♦ Les
Hanson seront salle
Cortot du 1er au 17 décembre (Beethoven 7).
♦ Les
Arod à
Tremblay-en-France le 2 décembre (Schubert 13, Beethoven 15).
♦ Les
Akilone à Reims en
décembre, pour plusieurs dates. (Un spectacle, apparemment.)
♦ Les
Sōra à l'Hôtel de
Soubise le 12 novembre (Mozart K.502, Mendelssohn 2, Kagel 2).
♦ Les
Zadig à l'Hôtel de
Soubise le 25 novembre (Schumann 1, concert collectif), 2-3-4 décembre
via Les salons parisiens (Haydn 43,
Mendelssohn 1), 8 janvier à Marly-le-Roi, 11 janvier à l'Hôpital Paul
Brousse de Paris, 13 janvier à Bagneux, 15 janvier à Villethierry, et
du 19 janvier au 4 février salle Cortot (Ravel).
Allez les écouter, et revenez me dire combien j'ai raison, et comment
vous avez déstocké tous vos disques des Alban Berg après ce décillement
salutaire…