Grâce aux sites de flux, les sélections de CSS peuvent devenir moins
abstraites et plus faciles à écouter. C'est pourquoi j'ai tenté une
liste d'écoute prête à l'emploi.
Le parcours propose les meilleures pistes des opéras majeurs (célèbres ou dignes d'intérêt) du
répertoire français, dans des versions choisies ; et ce depuis les essais scéniques de Guédron (ballet
d'Alcine pour le mariage du duc de Vendôme) au début du XVIIe s.
jusqu'à, pour l'instant, Saint-Saëns – j'irai évidemment jusqu'en 2023,
mais il y a énormément de manques parmi les chefs-d'œuvre du XXIe
siècle, dont certains sont disponibles en DVD, beaucoup en bande radio
ou vidéo, et très peu en CD – c'est encore plus vrai pour les opéras
français, puisque que ceux en anglais disposent d'un petit avantage de
diffusion.
Liste bien sûr ouverte à contestation, débat, questions et discussions. (Je serai ravi d'apporter un éclairage sur la sélection ou un conseil sur une version.)
J'y ai intercalé de petits commentaires pour informer l'écoute (5
minutes toutes les 15-20 pistes, à vue de nez), faciles à zapper mais,
je l'espère, potentiellement utiles.
Je ne fournis pas, pour cette fois-ci, de retranscription : mon script
a tenu dans la liste des œuvres sélectionnées.
Il y en a aura en revanche pour les dernières livraisons du podcast « Qu'est-ce qu'un chef d'orchestre ? » et autres
podcasts de vulgarisation.
Par ailleurs, vous pouvez d'ores et déjà jeter une oreille aux
différentes playlists déjà
constituées en consultant mon profil Spotify : l'avantage de la plate-forme est
qu'on peut écouter intégralement les pistes, et en tout cas cela vous
fournit immédiatement un visuel avec toutes les métadonnées, beaucoup
plus rapide pour moi que de le réaliser manuellement. (Et la playlist est exportable, ce qui
fait qu'en cas de fermeture de la plate-forme, je pourrai toujours
partager un tableau avec ces références.)
Parmi celles qui sont déjà bien remplies : dernières écoutes,
nouveautés, histoire de l'opéra italien, peintres, basson, harpe,
sextuors, concertos pour clarinette… et tout cela est bien sûr un work
in progress.
Pour ce qui est de l'opéra français, je vous place ici en image la
liste des titres retenus :
… À bientôt pour la suite et de nouvelles aventures !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Intendance a suscité :
L'agenda de CSS a été massivement mis à jour (voir ici, ou sur le lien en haut de la page). J'y ai relevé beaucoup de petites salles, de concerts d'étudiants de haut niveau, énormément de choses gratuites et originales / exaltantes. N'hésitez pas à y puiser.
(Pour le reste, les liens en haut de page vous donnent aussi accès quasiment en temps réel au commentaire des nouveautés, découvertes discographiques ou en déchiffrage, aux comptes-rendus de spectacles, etc. Les notules prennent du temps à préparer, ce peut vous occuper dans l'intervalle.)
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Intendance a suscité :
Médaille commémorative du bicentenaire de la naissance de Semen
Hulak-Artemovsky, émise par la Banque d'Ukraine (2013).
J'ai repris les anciens épisodes du podcast Ukraine en en retravaillant
le son (pour qu'il soit plus audible dans les transports et mieux
égalisé). Je n'en avais publié aucune retranscription. Les épisodes
pensés en tant que notules sont déjà là pour les premiers, mais vu
que
j'ai
largement enrichi le contenu des épisodes autour des compositeurs (avec
notamment des anecdotes à vous
retourner le cerveau), je vous en livre la retranscription, quitte à
faire doublon. Et en plus, avec des œuvres
inédites enregistrées avec mes petites mains.
Vous pouvez retrouver tous les épisodes de la baladodiffusion par ici :
Panorama de la musique ukrainienne – 9 : Hulak-Artemovskiy,
a) contexte historique général
Nous voici rendus au cœur du sujet : l’apparition d’une musique
nationale ukrainienne, pensée comme telle. Attention, je vous préviens…
ce sera une période courte.
Je suis obligé, pour que vous puissiez comprendre ce qui est en jeu, de
proposer un rappel sur l’histoire de l’Ukraine pré-1800 en quelques
secondes. Mes excuses à ceux qui maîtrisent déjà le sujet, je vais le
survoler en quelques instants avec les très faibles connaissances que
j’en ai.
Au Moyen- ge, le mot et le concept d’Ukraine n’existent pas encore.
L’essentiel du territoire actuel (à part le Donbass actuel à l’Est et
toute la côte au Sud) est inclus dans le royaume polono-lituanien, qui
remonte au XIVe siècle et occupe une grande verticale Nord-Sud dans
cette Europe orientale. À son extension maximale au XVIIe siècle,
l’ensemble recouvre les territoires actuels de l’Estonie, de la
Lettonie, de la Lituanie, l’essentiel de la Pologne (sauf l’Ouest du
pays, qui n’était pas polonais à l’origine, mais des territoires de
langue allemande pris à l’Allemagne après la Seconde guerre mondiale en
dédommagement de la partie Est de la Pologne annexée par les
Soviétiques), toute la Biélorussie et un petit bout de la Russie
attenante, plus les parties de l’Ukraine déjà citées.
C’est un ensemble politique considérable, qui règne sur plusieurs
nations, et qui impose même des tsars à la Russie (en compétition avec
la Suède), ce qui explique une partie de la rancœur et de la paranoïa
russe, aujourd’hui encore, dans les médias qui assurent que la Pologne
complote pour contrôler (voire envahir) la Russie.
Cette longue intégration des territoires ukrainiens dans le royaume
polono-lituanien explique les doublets de vocabulaire polonais / russes
dans le lexique ukrainien, dont il a été question dans le premier
épisode de la série : beaucoup de mots existent en deux versions en
ukrainien, l’une avec un radical issu du polonais, l’autre du russe.
(ce qui fait que Polonais et Ukrainiens se comprennent assez facilement)
À partir du XVe siècle, des paysans ruthènes orthodoxes refusent le
servage et l'assimilation aux Polonais catholiques. (Le ruthène est la
quatrième langue slave orientale avec le russe, le biélorusse et
l'ukrainien). Ils sont utilisés comme rempart contre les Tatars puis
les Turcs : ce sont les fameux Cosaques, c’est-à-dire des hommes libres
(ni aristocrates, ni asservis, et à l’origine semi-nomades) qui étaient
engagés comme supplétifs dans les guerres contre les musulmans aux
frontières. Ils étaient particulièrement redoutés pour leur bravoure :
ils suivaient un entraînement militaire avancé, et leur statut original
a beaucoup fait rêver et suscité le mépris ou la crainte chez leurs
contemporains des autres nations.
On les considère en général comme les ancêtres de l'Ukraine en tant
qu'État car aux XVIe et XVIIe siècles, les révoltes cosaques finissent
par chasser les Polonais, avec l'aide des Tatars et des Russes. Ces
derniers font des Cosaques un État-tampon jouissant d'une certaine
autonomie, une Marche (et le mot qui signifie « marche » a donné… «
Ukraine »).
À la fin du XVIIIe siècle, l'Ouest de l'Ukraine (la Galicie) est
intégrée dans l'Empire autrichien. De là provient le style
architectural et le développement spécifique de cette région,
aujourd’hui encore davantage tournée vers l’Europe centrale. Pour le
reste du territoire, Catherine II supprime d’autorité l’autonomie des
Cosaques, qui deviennent de ce fait sujets de l'Empire russe.
C’est là où nous en sommes à l’époque qui nous intéresse aujourd’hui :
au milieu du XIXe siècle, l’Ukraine est une région périphérique de la
Russie, une minorité nationale intégrée à l’Empire, et qui sert
toujours de zone protectrice pour éviter que ses frontières proprement
russes ne soient inquiétées par les voisins ennemis.
Il va de soi que je ne suis absolument pas spécialiste de l'histoire de
l'Europe orientale, j'ai superficiellement parcouru quelques repères
sur le sujet, et je partage pour ceux qui, aussi candides que je
l'étais il y a quelques mois encore, y trouveront de quoi penser. (Je
me figure qu'il existe toutes sortes de débats nuançant ce que
j'esquisse ici.)
Mais je crois que cette perspective n’est pas inutile pour comprendre
la naissance du mouvement national ukrainien, dont je vais vous
entretenir dans le prochain épisode.
(Pour conclure, Prélude tiré des
Zaporogues au delà du Danube, rapidement déchiffré par mes
soins, pardon pour les nombreuses imperfections et les audibles
précautions.)
[[]]
Musique ukrainienne – 10 : Hulak-Artemovskiy, b) la gromada
& le mouvement national
Après une présentation très rapide des frontières et des appartenances
politiques du territoire, j’en viens à ce qui nous nous intéresse plus
précisément, en lien direct avec l'histoire musicale du pays.
Avec le romantisme et le souffle de 1848
(année de multiples révolutions en Europe), les Ukrainiens s'emparent
de leurs propres mythologies et de leur propre folklore musical, comme
partout en Europe. Le phénomène n'est pas limité aux compositeurs : la
population éduquée étudie la langue populaire, l'Histoire et les
histoires. C'est l'apparition des municipalités dans les villes
(hromada / gromada), du panslavisme libéral, du désir de maîtriser son
destin et de prendre fierté dans sa culture propre.
Cependant, après l'insurrection polonaise de 1863, l'Empire refuse ce
frémissement : le nom d'Ukraine est remplacé par celui de « Petite
Russie » ; il est même interdit d'imprimer des livres en ukrainien.
En Galicie (la partie Ouest,
autour de Lviv, qui appartenait à l’Empire austro-hongrois), il
subsiste des écoles enseignant l'ukrainien – on perçoit donc très bien
aujourd'hui cet héritage linguistique –, mais les élites y sont
majoritairement polonaises.
Dans ce cadre, les compositions qui exaltent la culture ukrainienne
s'inscrivent dans une fenêtre
temporelle et politique assez étroite.
Elle débute avec l'apparition d'une musique à l'occidentale à la fin du
XVIIIe siècle (mais largement inspirée par la musique italienne et
conditionnée par les besoins de la liturgie orthodoxe, ainsi qu'on l'a
vu dans les épisodes 6,7,8). On pourrait même dire un peu plus tard,
avec la naissance du sentiment national fort au fil du premier XIXe
siècle.
Et elle s’achève très vite par l'interdiction de la diffusion de la
langue ukrainienne par l'oukase d'Ems en 1876.
Cela explique sans doute qu'on ait peine à identifier aisément une
musique intrinsèquement ukrainienne – la tutelle russe a tout fait pour
la rendre impossible à diffuser. On comprend bien que dans ce contexte,
seul un folklore oral pouvait exister, tandis que la musique savante
vocale en ukrainien était tenue dans une quasi-clandestinité.
[Moi aussi, j'ai longtemps cru que le terme de « Petite Russie » était le terme
affectueux désignant un peuple frère, ainsi qu'on me l'a appris, un
hommage aux origines de l'Empire russe – qui remontent
traditionnellement à la Rus’ de Kyiv.
Or, en réalité, l'Ukraine, au même titre que les autres minorités de
l’Empire, est le paillasson de la Russie depuis la fin du XVIIIe siècle
– je vous passe les épisodes mieux connus des répressions politiques au
XXe siècle, de l'élimination méthodique des syndicalistes et des
élites, de l'abolition de la République, de la famine organisée,
etc. En somme, ce qui se passe aujourd'hui n'a dû surprendre
personne d'informé, je crois – oui, j’admets que je fus surpris.]
(Petite marche rapidement déchiffrée, pardon pour les imperfections.
Elle aussi tirée de l’opéra Les Zaporogues au delà du Danube.)
[[]]
Musique ukrainienne – 11 : Hulak-Artemovsky, c) chanteur et
compositeur
Après ce contexte nécessaire pour comprendre l’éveil national
ukrainien, venons-en au héros du jour.
Semen Hulak-Artemovsky, le premier compositeur emblématique de la
musique nationale ukrainienne. Il a commencé sa carrière comme
chanteur, mais aussi a aussi officié comme ethnologue et a même publié
un manuel de statisticien…
[On peut trouver Гулак-Артемовский graphié en Hulak ou Gulak suivant
les partis pris de translittération du « Г » (« guè ») cyrillique, et
Artemovsk-y ou -iy, même si je vous ai indiqué en titre la graphie la
plus courante. Pour plus d'information sur les translittérations
ukrainiennes, je renvoie à ce point complet par Lulu sur l'excellent forum Classik.]
Pour le situer, il est né en 1813,
est mort en 1873. C’est l’exacte génération de Verdi et Wagner,
de trois ans le cadet de Schumann et Chopin. L’époque où l’on plonge
dans le plein romantisme musical, où les liens avec la tradition
classique sont remplacés par de nouvelles normes – du moins en Europe
occidentale.
Il faut peut-être que je dise un mot de ce décalage : on a l’image
d’une histoire de la musique fondée sur de grandes innovations, mais en
réalité ce sont des points d’exception au sein d’un océan d’œuvres plus
conservatrices, dans des styles qui peuvent durer très longtemps après
les coups de tonnerre de Beethoven, Wagner ou Stravinski. Et dans les
pays plus éloignés des lieux de l’innovation musicale, le cheminement
de nouvelles idées musicales peut prendre des décennies de décalage.
Par ailleurs, il existe également un effet d’inertie autour de la
relation entre littérature et musique : je vous renvoie pour cela à l’épisode 12 de la série « L’opéra ? », où je
tente d’expliquer les raisons de cette asynchronicité. Tout cela pour
dire qu’il n’est pas étonnant qu’un compositeur contemporain de Chopin
et Wagner écrive une musique qui nous paraisse plutôt apparentée à des
générations antérieures, ce sont plutôt Chopin et Wagner qui
constituent des exceptions, et cela ne concerne pas que l’Ukraine, mais
bien la plupart des nations musicales.
Hulak (soyons familiers) a d'abord été un baryton à succès. Il est formé à
Kyiv (au Séminaire théologique !), repéré par Glinka qui cherchait un
Ruslan pour son opéra Rouslan & Loudmila (considéré comme l'opéra
fondateur de l'école russe). En connaissant les aspects rossiniens qui
subsistent dans cette partition, ou en ayant lu les épisodes
précédents, vous ne serez pas surpris qu'on ait envoyé Hulak pour se
former en Italie – il fait ses débuts à Florence en 1841. Il brille à
l'Opéra, à Saint-Pétersbourg comme à Moscou : Masetto dans Don
Giovanni, Ashton dans Lucia di Lammermoor…
Ses premiers opéras datent des
années 1850 : Українcькe Beciлля (« Noces ukrainiennes », 1851) est, si
je comprends bien mes sources (en ukrainien…), une collection de
chansons qu'il regroupe pour servir de structure à une petite intrigue
(où il chante lui-même le beau-père), Hiч на Iвaна Kyпaлa (« La veillée
d'Ivan Koupala », 1852).
En tant que compositeur, il est donc surtout tourné vers la voix, et il
reste célèbre surtout localement, pour des chansons ukrainiennes et…
Запорожець за Дунаєм (« Les
Zaporogues au delà du Danube »), l'un des tout premiers opéras à
succès écrits en ukrainien. L'œuvre est même créée d'abord au Mariinsky
de Saint-Pétersbourg, et le compositeur y participe comme chanteur (en
1863), puis au Bolchoï de Moscou l'année suivante !
À présent que nous avons tous un peu l'histoire de la région à
l'esprit, vous voyez bien ce que le sujet a de spécifiquement ukrainien
: elle raconte la libération des Cosaques de Zaporijia prisonniers des
Turcs, à travers une petite histoire de fuite amoureuse manquée. [Mais
oui, Zaporizhzhia (en translittération anglophone), désormais lieu
emblématique de la résistance ukrainienne, autour de la fameuse
centrale nucléaire. Cet endroit, au Sud-Est du pays actuel, vers
l'embouchure du Dniepr, était le fief des Cosaques d'où émana plus tard
l'État ukrainien.]
Finalement rattrapés, les Cosaques obtiennent le pardon du Sultan et
peuvent retourner sur leurs terres. Cette figure du Turc généreux est
très courante dans l’opéra du XVIIIe siècle, où elle est emblématique
de l’oriental, incompréhensible mais sage – que ce soit dans Les Indes Galantes de Rameau ou dans L’Enlèvement au Sérail de Mozart.
Il s’agit d’une figure allégorique de la sagesse, du triomphe sur les
passions (sous les traits d’un personnage dont le pouvoir sans limite
et la culture exotique ne semblaient pas le prédisposer à la
tempérance), mais pour les Ukrainiens, il s’agit aussi d’une histoire
réellement locale et nationale ! (Leurs luttes et alliances avec
les Tatars, par exemple, ont une grande place dans leur histoire, par
exemple lors de la rupture avec la Pologne et l’alliance avec la
Russie, et bien sûr lors des déportations staliniennes des Tatars de
Crimée – territoire qui est, depuis devenu un composante territoriale
de l'Ukraine, et dont l'histoire est ainsi entrée dans les consciences
locales.)
C’est un opéra des origines de la nation, et aussi de la captivité, une
sorte de Nabucco à
l'ukrainienne ! L’histoire de la rencontre de civilisations
rivales également. Gai et folklorisant, on peut y voir une collection
de chansons autant qu'un opéra ! Voyez par exempe l'arioso de
Karas, le rôle tenu par le compositeur lors de la création. Mais on y
rencontre aussi des airs très lyriques, par exemple celui du Sultan.
Cependant, dès 1876, l'oukase d'Ems
bannit l'impression d’ouvrages en ukrainien, et l'opéra est interdit de
représentation. Il ne revient sur scène qu'à partir de 1884, par une
troupe ukrainienne.
Au disque, il n'existe que des bribes de tout cela.
(Comme il n’existe pas, je crois, de version libre de droits des
Zaporogues, rapide déchiffrage
par mes soins de l’air du cosaque Andreï – je crois l'avoir par erreur
appelé « Prince » dans le podcast, sans doute par contamination
de Guerre & Paix –,
avec toutes les précautions d’usage : j’ai dû fusionner
l’accompagnement, la ligne du ténor, le chœur, tout cela sans l’avoir
préparé. Ce n’est clairement pas parfait, mais propose une petite idée
sonore de ce qu’est l’une des pages les plus célèbres de tout le
catalogue du compositeur.)
[[]]
Musique ukrainienne – 12 : Hulak-Artemovsky, d) l’honnête
homme
Pour finir sur la partie biographique, trois anecdotes qui me
paraissent révélatrices.
¶ Hulak n'est pas
qu'un chanteur, il est aussi un représentant de cette élite éclairée,
un honnête homme qui s'intéresse à l’éthnologie, à la médecine
populaire et… aux statistiques.
Il publie ainsi un ouvrage nommé Tableaux statistiques et géographiques
des villes de l'Empire russe, alors même que sa carrière bat son plein
(en 1854). Sa démarche de mettre en valeur le folklore et la langue
n'est donc pas à rapprocher d'une forme de chauvinisme nationaliste,
elle est plutôt le fruit d'un intérêt pour le vaste monde, d'une sorte
d'éveil de la conscience à une multitude de disciplines et de
patrimoines, à commencer par celui que l'on a près de soi et que l'on a
longtemps négligé.
¶ En février 2013, pour les 200 ans de sa naissance, la Banque nationale d'Ukraine émet
une pièce commémorative en argent, signe que le compositeur, même s'il
n'a pas à l'étranger la même réputation emblématique que Lysenko, est
toujours considéré comme un maillon considérable dans la formation de
l'identité ukrainienne. (Et notez bien que cela a eu lieu avant la
cristallisation des crispations identitaires depuis 2014 !)
¶ En février 2020, avant la première fin-du-monde, l'Opéra de Kyiv donnait l'opéra Les Zaporogues au delà du Danube.
Dans ces mêmes jours, l'Opéra de Donetsk
(ville principale de l’Est colonisé par la Russie en 2014) proposait La Fiancée du Tsar – qui raconte
comment le tsar russe Ivan le Terrible extorque le consentement des
femmes qu'il aime, mais le raconte tout en le glorifiant… Ce n'est pas
seulement un symbole, c'est aussi le symptôme de deux visions du monde
qui s'entrechoquaient déjà, celle d'une nation ukrainienne autonome
(qui, se crispant autour de la guerre civile à l'Est, a tendance à
marginaliser la langue russe), et, en miroir, le mythe d'une Russie
protectrice – d'une protection prédatrice, comme protège le parrain ou
le souteneur. L'opération spéciale humanitaire de maintien de la paix
et de bisous sur le nez a évidemment fait voler en éclat ces tensions
fines qui pouvaient s'exprimer dans la culture (voire dans une guerre
qui pouvait être considérée, peut-être à tort, comme civile) pour
établir aussi clairement qu'il est possible, désormais, des lignes de
fractures dans les ruines et le sang, lignes sur lesquelles il n'est
même plus possible de discuter – considérant le mur de l'information
totalement divergente. Mais il est frappant de constater comment ces
œuvres et ces langues d'une part émanent d'un fonds culturel spécifique
et profond (et antagonique), d'autre part annoncent des fractures entre
les territoires et les peuples.
(Et voici l’air du sultan dans les Zaporogues,
rapidement déchiffré au piano, pardon pour les nombreuses
imperfections.)
[[]]
Musique ukrainienne – 13 : Hulak-Artemovsky, e) l’impact
Je voudrais ici dire un mot sur les implications de toutes les
remarques précédentes.
J'avais déjà mentionné, dans l'épisode 4 « La Grande Matrice », autour des sources
folkloriques communes, qu'il n'était pas évident de différencier, du
simple point de vue musical, le patrimoine sonore russe du patrimoine
ukrainien. Je ne doute pas que ce soit possible avec une connaissance
fine du folklore, des thèmes des chants ukrainiens traditionnels ou de
leurs tournures mélodiques / harmoniques spécifiques, mais chez les
compositeurs les plus emblématiques, cela reste difficile : les talents
ukrainiens ont étudié en Italie, sont allés exercer en Russie jusqu'à
leur disgrâce ou leur mort ; la plupart sont de toute façon considérés
comme des pierres angulaires du patrimoine russe, comme Anton Rubinstein ou Alexander Mossolov…
Cette petite série, autour de Hulak-Artemovsky
et de l'école nationale ukrainienne du milieu du XIXe siècle, apporte à
mon sens une coloration différente : il existait une conscience ukrainienne, et une
musique qui se fondait sur le folklore (histoires et mélodies), dont la
saveur se distingue des œuvres russes de la même période. Il existait
même une certaine tension entre les deux mondes : Lysenko refusa à
Tchaïkovski – j’y reviendrai dans les prochains épisodes – la
traduction d'un de ses opéras pour une exécution en Russie. Pour lui,
la langue était véritablement consubtantielle de son œuvre, et le
projet même de ses compositions était de mettre en valeur un patrimoine
spécifiquement ukrainien, et certainement pas d'en faire un succès
international dont la forme, et particulièrement la langue, seraient
des variables relativement indifférentes. 30 ans à peine après
l'éclosion de l'opéra ukrainien, l'oukase d'Ems règle brutalement la
question en bannissant les œuvres en ukrainien des scènes – du moins
celles contrôlées par l'Empire russe, mais je ne crois pas qu'il y ait
eu une activité musicale ukrainienne particulièrement vivace en Galicie
(l’Ouest de l’Ukraine actuelle, où se trouve Lviv, était en effet
administrée par l’Empire austro-hongrois), et où l'Empire, justement,
garantissait cette liberté linguistique. Les élites y étaient plutôt
restées de langue polonaise, de ce que j’ai compris. (Le degré de
précision des recherches à effectuer pour l’affirmer avec assurance est
un peu trop considérable pour un point plutôt secondaire de cette
fresque, je n’ai vérifié cela que très superficiellement.)
Il faut donc voir que s’il n’y a pas une identité sonore très forte de
la musique ukrainienne (je suis persuadé qu’elle existe, mais elle est
peu décelable pour le mélomane généraliste, disons), c’est par
impossibilité pratique, et non par volonté – elle était bien là, et fut
étouffée.
Tout ce processus d’interdiction et
de répression advient à l'époque où la Norvège invente ses deux
néo-langues nationales, où les peuples des villes se soulèvent de Paris
à Budapest et un peu partout en Italie… Il y a là quelque chose de
puissant dans l'évolution des consciences nationales à l'échelle de
l'Europe, abondamment documentée par les historiens, mais qui touche
aussi jusqu'à l'existence des langues… et à l'esthétique musicale !
En ce sens, le sort de la culture ukrainienne fut à rebours de maint
autres pays d’Europe, où les spécificités locales ont au contraire
fleuri et été magnifiées.
Non seulement il existe un projet
ukrainien spécifique, donc, mais en regardant l'histoire
politique d'un peu plus près, je découvre pour ma part l'oppression
structurelle exercée par la Russie depuis le XVIIIe siècle : révoquant
des droits (l’indépendance des Cosaques qui avaient été leurs alliés,
la liberté linguistique comme on vient de le voir…), tout cela va
jusqu’à supprimer le nom d' « Ukraine » (ce pauvre mot qui voulait déjà
dire « Marche », « État-tampon »)… pour le remplacer par «
Petite-Russie », nom que je croyais affectueux, reflet de cette
fraternité dont on nous a temps parlé… C’est en réalité un euphémisme
puissamment orwellien, qui en interdisant un mot, tente d'interdire la
pensée. Le communisme n'a pas inventé la langue de coton, ni l'éthique
de l'Ogre. Il s’agit d’une tradition très ancienne et très documentée
de la Russie tsariste – certains observateurs se sont chargés de
compiler les territoires de la périphérie russe qui ont subi le sort de
l’Ukraine actuelle, et ils sont fort nombreux depuis 200 ans, avec les
mêmes crimes de guerre.
Je trouve – mais possiblement parce que je suis peu cultivé au départ –
que ces derniers épisodes permettent de compléter les constats émis
autour de la « Grande Matrice » : il est difficile de différencier la musique ukrainienne
de la musique russe… mais il existe une aspiration à une musique
spécifiquement ukrainienne, et cette indifférenciation est surtout le
fruit de structures géopolitiques : les meilleurs musiciens Ukrainiens
étaient éduqués en Russie ou partaient y exercer (en se conformant
éventuellement au goût des élites locales), des portions de leur
identité étaient interdites et leurs élites régulièrement décimées par
le pouvoir russe voisin. (Je parlerai plus tard du rassemblement des
trouvères ukrainiens organisé par le pouvoir soviétique pour les
massacrer.) S'il n'y a pas beaucoup de musique audiblement ukrainienne,
c'est donc moins par manque de désir ou de distinction réelle que par
une impossibilitépolitique, les talents étant
accaparés ou exilés et les spécificités locales réprimées.
Je pensais naïvement que la musique permettrait de sublimer notre
désarroi devant l'opération spéciale humanitaire de maintien de la paix
et de distribution de ganaches à la framboise. En réalité, elle nous y
renvoie violemment : nous sommes les témoins bien involontaires de
structures destructrices à l'œuvre depuis des siècles.
Je suis navré de vous offrir cette conclusion peu égayante, mais vous
avez bien vu le monde comme il va, adressez vos réclamation à qui de
droit, à Dieu, aux divers démons, au premier protozoaire ou à la morale
défaillante du LUCA, selon vos convictions – mais ne blâmez pas
le messager s’il vous plaît – je ne cherche qu’à vous égayer en
partageant quelques découvertes qui m’ont moi-même fasciné.
Prochaine étape : Mykola Lysenko évidemment, la superstar de l'opéra en
ukrainien. Pour lequel j’aurai des inédits à proposer !
(Je vous laisse avec une danse tirée des Zaporogues, qui reprend une partie
du matériau de la marche qui concluait l’épisode 10. Comme d’habitude :
je suis en train de la déchiffrer, il s’agit de vous donner une
ambiance sonore, beaucoup d’imperfections – mais comme je ne dispose
pas d’interprétation libre de droits, voyez ça comme du mieux-que-rien.)
J'ai repris les anciens épisodes du podcast Ukraine en en retravaillant
le son (pour qu'il soit plus audible dans les transports et mieux
égalisé). Je n'en avais publié aucune retranscription. Les épisodes
pensés en tant que notules sont déjà là pour les premiers, mais vu
que
j'ai
largement enrichi le contenu des épisodes autour des compositeurs (avec
notamment des anecdotes à vous
retourner le cerveau), je vous en livre la retranscription, quitte à
faire doublon. Et en plus, avec des œuvres
inédites enregistrées avec mes petites mains.
Vous pouvez retrouver tous les épisodes de la baladodiffusion par ici :
Musique ukrainienne – 6 – Triade d’Or : les Ukrainiens ont
inventé la musique russe (Berezovsky)
Qu'est-ce qu'un compositeur ukrainien ?
Comme mentionné dans les épisodes précédents, la distinction rigoureuse
entre langage musical ukrainien
et langage musical russe
paraît, à
grand échelle, une chimère. Il existe bien sûr des nuances
significatives, notamment dans le folklore (toutes les régions russes
n'ont pas de folklore polyphonique – c’est-à-dire à plusieurs voix
–, tel celui qu'on a observé ensemble dans le deuxième épisode de
cette série).
En revanche à l'échelle des compositeurs de musique sacrée ou de
concert, il est à peu près impossible (en tout cas avec les éléments
dont je dispose, en tant qu'auditeur essentiellement) de proposer une
distinction purement musicale (et fiable) entre la sphère ukrainienne
et la sphère russe.
Pour plusieurs raisons (et c'est ce qui est intéressant) :
¶ les frontières de l'Ukraine
fluctuent énormément entre son époque
polono-lituanienne d'une part (le double Royaume de Pologne et
Lituanie, si puissant qu'il a pu influer activement sur la succession
des tsars), c'est une époque où l'Ukraine s'étend plus à l'Ouest et au
Nord qu'aujourd'hui, et d'autre part l'époque soviétique, où elle
s'élargit largement vers l'Est ; pas toujours évident de décider qui
est ukrainien et qui est russe (ou autre chose) ;
¶ les grands compositeurs ukrainiens,
que ce soit à l'époque des tsars
ou des soviets, exercent à Saint-Pétersbourg ou Moscou, où ils ont
même, pour certains, étudié, si bien que leur style est en réalité
celui qui prévaut dans les capitales russes.
J'ai donc fait le choix d'une définition généreuse de l'ukraïnité :
tout compositeur qui peut par un biais ou l'autre être considéré comme
ukrainien (ancêtres, naissance, langue, lieu de vie…) sur une portion
de territoire qui correspond plus ou moins à l'Ukraine d'une époque
quelconque, peut être inclus.
Cela nous permet, au passage, d'interroger cette notion dans le cadre
de la musique. On comprend d'autant mieux le qualificatif de peuples
frères devant le nombre de grands
compositeurs russes qui sont d'une
façon ou d'une autre ukrainiens, et vice-versa – même si depuis
2014,
la politique et les conflits ont accentué le sentiment d'appartenance à
des entités distinctes. La guerre dont nous sommes les infortunés
témoins et acteurs va sans doute figer cette opposition assez
solennellement, et pour assez longtemps.
Aussi, la mission que je donne sera de présenter des figures
importantes de la culture locale, afin de vous inciter à découvrir ce
corpus assez passionnant… je ne chercherai pas à trancher qui est
ukrainien et qui ne l'est pas, puisque la notion de compositeur
ukrainien, faute de différence stylistique palpable, demeure une notion
essentiellement politique.
Ils étudient en Italie ou en Russie, utilisent des modes ou des thèmes
russes et ukrainiens : exactement comme les Russes en somme.
La Triade d'or
Aux origines de la musique russe autonome – c'est-à-dire non écrite par
des compositeurs italiens de passage ou installés –, on trouve trois
noms, de trois compositeurs… tous nés, voire formés, dans l'Ukraine
d'alors ! Ils sont habituellement désignés sous le nom collectif
de « Triade d’or ».
Berezovsky, Bortnyansky, Vedel restent aujourd'hui encore des
sortes
d'archétypes ou de super-héros : ces
ancêtres glorieux président à la
naissance de la musique proprement russe… Pour l'Histoire, ils sont les
premiers « russes » (façon de parler) à avoir composé de la musique
symphonique. Mais ils sont surtout au répertoire pour leur contribution
à l'Obikhod – les compositions qui forment la liturgie musicale
orthodoxe russe.
Berezovsky
Maksym Berezovsky (1745?-1777)
est né à Hlukhiv – dans
l’Oblast de Sumy, à l’extrême Nord du pays actuel, à peu près
équidistant de Kharkiv et Kyiv. Vous connaissez peut-être la ville sous
son nom russe de Glukhov. C'était alors la capitale d'un État-tampon
cosaque d'ethnie
ukrainienne, issu de leur révolte contre le royaume
polo-lituanien qui les dominait jusqu’au milieu du XVIIe siècle. Cet
État est celui des fameux cosaques Zaporogues (dont on reparlera à
propos des compositeurs romantiques nationaux). Donc bel et bien un
État ukrainien (même si pas le même que celui de Kyiv). L'église
Saint-Nicolas (1693) de Hlukhiv est d'ailleurs restée emblématique du
baroque ukrainien.
Berezovsky est recruté comme chanteurdans des opéras seria à
Saint-Petersbourg, où il devient membre de la Chapelle italienne du
Palais impérial. Il y étudie sur place auprès de Galuppi (compositeur
important pour le piano, avec des sonates post-scarlattiennes, et pour
l’opéra de l’époque classique, on dispose par exemple d’une Clémence de
Titus au disque). Après avoir été formé par Galuppi, Berezovsky
est
envoyé en Italie où il étudie,
auprès de son condisciple Mysliveček (la
future grande figure tchèque de l’opéra seria), avec le maître bolonais
Giovanni Battista Martini
(rien à voir avec le compositeur français de
« Plaisir d’amour »).
Berezovsky est resté à la postérité comme le premier compositeur de symphonies,
d'opéras, de sonates pour violon & piano en Russie, et
considéré
comme l'un des grands ancêtres de la musique russe. (Il est évidemment
probable que, comme lorsqu'on cite L'Orfeo
de
Monteverdi comme le premier opéra, ce ne soit pas tout à fait
complètement vrai, je n'ai pas un accès assez vaste aux fonds musicaux
ukrainiens du temps pour en être sûr en tout cas, et je me méfie de ce
genre de légendes un peu simples.)
La première symphonie jamais retrouvée d'un compositeur russe est ainsi
l'œuvre d'un… compositeur ukrainien !
Quand on vous dit que c'est
l'Ukraine qui encercle et envahit la Russie, vous ne voulez pas le
croire…
Sa contribution à l'Obikhod
(les compositions de l'ordinaire liturgique orthodoxe, leur psautier en
quelque sorte) est considérable,
et reste un classique du répertoire, au même titre que pour nous
Monteverdi pour l'opéra et Haydn pour le quatuor ou la symphonie. Il
reste toujours programmé dans ce cadre. Pour l'entendre, je vous
recommande le très beau disque de Yurchenko (chez les labels
Claudio ou
CDK).
Je termine cet épisode par quelques extraits de sa musique. Comme je
n’ai pas les droits, je les enregistre moi-même (ce sont des premières
lectures sur un piano mal réglé, n’espérez pas une révélation). Mais
vous aurez ainsi une idée de l’aspect de cette musique, dont il existe
quelques disques et quelques vidéos YouTube.
Je commence par les deux premiers mouvements (rapide et lent) d’une
Sonate pour violon et piano (à
ma connaissance jamais enregistrée) dans
une transcription pour piano seul.
Vous retrouverez dans le mouvement rapide toute la grammaire classique
mozartienne dans la Sonate, avec ses basses d’Alberti (les formules
d’accompagnement typiques), son thème principal pris à la dominante
puis à la tonique (c’est-à-dire qu’il change de hauteur lorsqu’il est
répété), ses incursions furtives dans le mode mineur… De même pour le
mouvement lent, agité par beaucoup de diminutions (notes plus brèves
sur un canevas préexistant, comme des variations) qui animent le
discours, typique de ce que l’on trouve régulièrement dans les
symphonies ou les sonates de Haydn et Mozart.
[[]]
[[]]
Puis c’est une hymne pour la
Communion (Psaume 116, verset 13). Côté musique sacrée, il
existe beaucoup de types d’écriture différents
chez les mêmes compositeurs. J’ai choisi de réserver le pur style
orthodoxe pour Vedel, que nous verrons d’ici deux épisodes, et où le
choix en partitions aisément accessibles est beaucoup plus réduit. Ici,
je vous ai au contaire sélectionné une mise en musique où l’influence
du langage classique européen est patente. L’œuvre doit être
interprétée a cappella, et avec les voix très résonnantes des émissions
slaves orientales (et les doublures des basses octavistes, capables de
chanter à l’octave inférieure des basses standard, technique
caractéristique de la liturgie orthodoxe), on entendrait beaucoup moins
cette filitation européenne et beaucoup plus l’atmosphère religieuse
orientale.
Lorsque vous entendrez la ligne de basse s’exprimer seule, c’est le
moment où est lancé l’Alléluia.
[[]]
Voilà, c’est fini pour cette fois.
À très bientôt pour le deuxième épisode de la Triade d’Or !
Musique ukrainienne – 7 – Triade d’Or : les Ukrainiens,
meilleurs
compositeurs italiens de leur temps (Bortniansky)
Dmytro Bortniansky (1751-1825)
est à peine le cadet de
Berezovsky, mais a vécu près de cinquante ans de plus, jusqu’aux années
20 du XIXe siècle. Comme Berezovsky, est né à Hlukhiv lui aussi. Il
étudie aussi auprès de Galuppi
à Saint-Pétersbourg, qui l'emmène lui-même en Italie ; il
remporte de grands succès à Modène et Venise en composant des opéras
seria.
[L’opera seria, c’est tout
simplement l’opéra à sujet sérieux de
l’époque : on chante des airs a da
capo, avec des reprises et beaucoup
d’ornementations, pour mettre en valeur la voix. Les sujets sont
toujours tirés de la mythologie et de l’histoire gréco-romaines,
parfois des romans de chevalerie. Ce genre occupe la totalité du XVIIIe
siècle italien, et de toutes les cours d’Europe excepté la France.]
Bortniansky réussit donc dans le
genre le plus prestigieux de l’époque,
et de surcroît dans le pays qui l’a créé, et qui voit passer les
meilleurs compositeurs d’Europe pour s’essayer à l’imiter ! Notre
compositeur repart à Saint-Pétersbourg, où il écrit en deux ans, de
1786 à 1787, quatre opéras sur des livrets français !
Toutes ces œuvres françaises sont dues au même librettiste, Lafermière,
sur des thèmes variés typiques de l'opéra comique : Le Faucon, La Fête
du seigneur, Don Carlos, Le fils-rival ou La moderne Stratonice.
Cependant sa notoriété, comme pour Berezovsky, s'est transmise jusqu'à
nous par ses grands concerts choraux
sacrés, dont beaucoup sont restés
dans la tradition de l'Obikhod (le recueil liturgique sonore du culte
orthodoxe russe), et qui marquent la naissance d'une tradition
'classique' de chant sacré en Russie. Il a notamment laissé un grand
nombre de Concertos pour Chœur
ou d’Hymnes Chérubiques,
toujours très
prisés.
Voyez par exemple les disques de Poliansky pour explorer ce
fonds.
Comme dans l’épisode précédent, ne disposant pas des droits pour
diffuser des disques, je déchiffre pour vous deux partitions de
Bortniansky, le mieux diffusé des trois maîtres de la Triade.
Je commence par un concerto pour
clavecin en un seul mouvement (ou dont
seul le premier nous est parvenu ?), inédit. Que je jouerai dans un
arrangement pour piano seul. Vous y retrouverez les formules
mozartiennes bien connues (beaucoup de parentés avec les concertos pour
piano, le
Vingtième notamment), les
atmosphères poétiques du concerto de
Dittersdorf (qui a fait les beaux jour des compilations de « classiques
favoris »), les arpèges résonants du clavecin, les unissons
d’orchestre, les notes piquées, les déformations thématiques en mineur,
les traits virtuoses et formules inversées de la cadence. Régulier mais
très séduisant dans ses consonances et ses petites formules, c’est un
coup de cœur pour moi. (J’ai écarté des Sonates que je trouvais assez
formelles et plates.)
[[]]
Et je poursuis par Kol’ Slaven,
un vrai choral assez célèbre de
Bortniansky. Là aussi, la densité de timbre des voix de la Chapelle
Impériale et du chant orthodoxe actuel occulteraient en partie la
grammaire classique de l’enchaînement des accords, qui paraissent alors
à la fois plus complexes et moins marqués par le style spécifique du
XVIIIe siècle. Très belle et douce prière quoi qu’il en soit. (Navré
pour la pédale qui grince, pas agréable sur les chorals. Je
réenregistrerai éventuellement certains extraits si la série a un peu
de succès.)
[[]]
À très vite pour le dernier membre de cette Triade d’Or, dont le destin
est lié de près aux délires assez insensés d’un tsar fou.
Musique ukrainienne – 8 –
Triade d’Or : le bannissement de la musique
profane (Vedel)
Un peu moins célèbre que les deux autres hors d'Ukraine et de Russie,
Artemy Vedel (1767-1800) naît à
Kyiv, y étudie, puis poursuit à
Saint-Pétersbourg et Moscou, lui aussi avec un maître italien (Giuseppe
Sarti).
Il laisse à son tour beaucoup de
musique sacrée considérée comme
importante, jusqu'à ce qu'en 1797 le tsar Paul Ier, décrit comme
notoirement fada, interdise
toute musique hors de la seule liturgie.
Ses partitions, par exemple celles écrites sur les Psaumes (et qui
osent parfois une recherche de contrastes dramatiques, d'effets
proprement musicaux…) sont alors occultées pour longtemps.
Petit intermède.
Pour vous aider à supporter la gravité de cette interdiction, et
assurer un salutaire soutien psychologique à vos âmes déjà ébranlées,
je vais tâcher quelques instants de remettre en perspective cette
interdiction avec autres événements du règne de Paul Ier, dont ce doit
être le décret le plus raisonnable.
Pour situer, il est fils de Catherine II et de son mari Pierre III… ou
de son amant Saltykov, vous ne saurez jamais. On raconte un nombre
invraisemblable d’anecdotes sur lui. J’en tire quelques-unes d’un
ouvrage (les Fous couronnés)
d’Augustin Cabanès, médecin et
littérateur de la toute fin du XIXe siècle. Le nombre d’ouvrages
d’anecdotes qu’il a publiés sur divers sujets, ainsi que son
attachement à la théorie des humeurs, sa fascination pour la
physiognomonie et la dégénérescence, rendent suspectes ces petites
histoires,
qui ne sont pas toutes sourcées. Je vous les transmets cependant, pour
le plaisir de vous laisser penser que l’interdiction de la musique par
Paul Ier n’était peut-être pas, et de loin, sa décision la plus
fantaisiste !
(Je paraphrase le livre pour les besoins du podcast, ce ne sont pas
nécessairement les mots de Cabanès qu'il aurait été plus cohérent de
reproduire dans le cadre de la notule ; il faut dire aussi que je vous
ai sélectionné les meilleurs épisodes. L'ouvrage se trouve sur Gallica,
pour les curieux, et ne concerne pas seulement Paul Ier.)
Chaque matin, le tsar observait la direction du vent. Affolé par la
Révolution et la peur d’être assassiné, il avait créé une amende pour
les femmes habillées en bleu-blanc-rouge, qui lui rappelaient trop la
sédition à la française. Il accusait régulièrement ses hôtes, même les
plus nobles d’Europe, d’avoir voulu l’empoisonner, lorsqu’un plat
n’était pas à son goût. Il avait fait bâtir un palais-forteresse, où
chacun devait inscrire ses allées et venues. Palais qui était posé au
sein d’une ville fermée où chaque soir, on faisait le décompte des
résidents pour vérifier l’absence d’étrangers. Il fut assassiné
dans ce palais deux mois plus tard.
Pour s’assurer du respect absolu de
ses sujets, il avait interdit la valse (qui suppose qu’on lui tourne
ponctuellement le dos, affront insupportable) et exigeait que la le
genou et la lèvre soient très sonores lors du baise-main fait au tsar.
Quoique parfois désordonné dans ses élans (lorsqu’il s’éprend d’Anna
Lopoukhine, il impose sa couleur préférée à la Cour et fait inscrire
son prénom sur la bannière de ses gardes), Paul est avant tout un homme
d’ordre. Il était un tyran de la mode : la police arrêtaient les hommes
qui portaient un chapeau rond, un bonnet, un pantalon long, un gilet
(car il fallait une veste allemande), de grosses cravates, des
brodequins ou des souliers à rubans, etc. Si un sujet plus fortuné
sortait avec son équipage mais enfreignait un de ses règlements,
l’équipage était saisi, et les chevaux partaient pour tirer les canons
impériaux, les domestiques étaient enrôlés dans l’armée, et le
propriétaire pouvait avoir affaire au fouet.
On raconte qu’il avait
demandé à ses soldats de ranger leur membre caché du même côté pour que
cela ne déforme pas la symétrie de leurs uniformes moulants. Il fit
défiler pendant huit jours un bataillon, dont il mit tous les officiers
aux arrêts, pour ne pas l’avoir salué à la manière qu’il voulait. Un
jour qu’il faisait battre une sentinelle qui s’était endormie, et que
l’impératrice tâcha de l’en dissuader, il la fit mettre aux arrêts.
Si je me suis autorisé cet excursus, c’est qu’en plus d’être méconnu et
très amusant, ce portrait (sans doute largement exagéré pour les
besoins financiers de l’auteur et du libraire) trace des lignes de
force particulièrement similaires à celles qu’on peut constater
en
Russie pendant toute notre histoire de la musique ukrainienne, et
jusqu’à nos jours : le pouvoir absolu qui mène immanquablement aux
abus, l’absence de considération pour la vie humaine lorsqu’on règne
sur un peuple aussi nombreux et aussi contrôlé, et aussi, en filigrane,
la cruauté – vraiment terrifiante lorsqu’on lit les ouvrages
spécialisés – de l’armée russe, depuis toujours. L’anecdote de
l’incorporation des domestiques (lorsqu’on sait ce qui les attendait
ensuite, d’autant plus !) m’a absolument glacé. Et ce n’est, hélas, pas
du tout la plus improbable de toutes celles que j’ai racontées.
Je reprends sur la Triade d’Or.
Berezovsky, Bortniansky, Vedel… Ces trois figures sont un exemple
éclatant de l'entrelacement de ces deux cultures, ce qu’on pourrait
appeler, chez les amateurs de sciences, une intrication slavique :
indubitablement ukrainienne, indiscutablement russe, la zone sécante
des deux aires est particulièrement large, et il serait vain de vouloir
leur attribuer une appartenance exclusive. (Vous le verrez… ce n'est
pas fini.)
Ces compositeurs sont nés dans deux États ukrainiens : celui de Kyiv,
et la principauté militaire des Zaporogues. Ils y ont été formés. Ils
sont indubitablement ukrainiens.
Et une fois leur talent établi, ils
furent reçus à la Chapelle Impériale et formés par des maîtres
italiens, pour s’ajuster au goût de la cour russe. Ils ont donc écrit
de la musique spécifiquement pour le tsar, et ont par la suite servi
pour de modèle aux compositeurs russes pour des siècles – c’est donc
indiscutablement de lamusique russe, écrite pour le
pouvoir russe, des
phares de tout l’art russe.
Les deux simultanément.
Entendons-nous bien : il s’agit d’entités politiques différentes.
L’État des Zaporogues s’est révolté contre les polono-lituaniens au
milieu du XVIIe siècle, et a servi d’État-tampon, avant son absorption
arbitraire par la Russie au début du règne de Catherine II. (Les
mélomanes connaissent bien Ivan Mazepa, le Zaporogue qui tente, en
vain, de conserver l’indépendance de la dernière portion de cette
région : Liszt, Balfe, Tchaïkovski l’ont mis en musique. Et bien sûr,
le poème de Byron qui décrit son histoire, puis celui d'Hugo dans Les Orientales,
qui se concentre sur sa fin, ont répandu cette histoire dans
l'imaginaire collectif d'Europe occidentale, même si elle semble moins
présente aujourd'hui. )
’TWAS after dread
Pultowa’s day,
When fortune left the royal Swede,
Around a slaughter’d army lay,
No more to combat and to bleed.
The power and glory of the war,
Faithless as their vain votaries, men,
Had pass’d to the triumphant Czar,
And Moscow’s walls were safe again,
Until a day more dark and drear,
And a more memorable year,
Should give to slaughter and to shame
A mightier host and haughtier name;
A greater wreck, a deeper fall,
A shock to one—a thunderbolt to all.
Qui peut savoir,
hormis les démons et les anges,
Ce qu’il souffre à te suivre, et quels éclairs étranges
À ses yeux reluiront,
Comme il sera brûlé d’ardentes étincelles,
Hélas ! et dans la nuit combien de froides ailes
Viendront battre son front ?
Mais, bien qu’il s’agisse de peuples différents, les moyens financiers,
l’influence politique et culturelle de Saint-Pétersbourg, puis Moscou,
sont telles que les meilleurs artistes partent s’y former et y exercer.
Si bien que les meilleurs
compositeurs ukrainiens sont pour la plupart
devenus, dans les faits, des compositeurs de style russe.
La politique commence déjà à expliquer la difficulté de séparer les
styles à l’audition seule, puisque les grands compositeurs ukrainiens
étaient tous aspirés vers le modèle (et les lieux de résidence) russes.
Il ne peut pas y avoir de style spécifiquement ukrainien dans ces
conditions, bien que les compositeurs ukrainiens soient en réalité très
nombreux.
Et vous le verrez, de façon encore plus criante par la suite,
l’histoire de la musique ukrainienne,
que j’abordais sans idée
particulière, recoupe avec une
remarquable fidélité l’histoire de
l’impérialisme russe. Cela a déjà été documenté par beaucoup
d’observateurs informés, mais ce qui se déroule sous nos yeux n’est pas
tant un basculement inattendu qu’une répétition, quasiment dans les
même termes, de l’histoire du territoire russe et de ses zones
d’influence depuis XVIe siècle.
En attendant, comme pour les épisodes précédents, je vous propose de
déchiffrer pour vous, en cette fin d’épisode, deux pièces d’Artemy
Vedel.
La première, caractéristique des petites audaces de Vedel, évoque le
chant znamenny
(tradition orthodoxe qui fait la part belle aux notes
répétées et aux mélismes),
tout en ménageant des surprises rythmiques
et des effets dramatiques : basses et ténors qui attaquent avec emphase
les mêmes notes en décalé, accords d’hommes et de femmes qui se
répondent comme dans une ouverture ou une tempête d’opéra, pupitres qui
chantent seuls à découvert… Je crois que, même au piano (et mal joué),
on entend
assez nettement cette veine et ces surprises (en tout cas ces ruptures
de ton).
Navré pour les crouik crouik de
pédale assez désagréables dans les accords répétés, j'ai fait avec les
moyens du bord.
[[]]
La seconde est au contraire une longue
pièce typique de l’Obikhod :
psalmodie d’accords répétés à l’infini, avec des pédales (note
fixe à
la basse), des intervalles courts (c’est-à-dire des notes qui se
suivent, et en petit nombre), des harmonies (enchaînement d’accords)
très simples, des formules sans cesse réutilisées. Par de belles voix,
effet hypnotique garanti, qui met très bien en valeur le texte !
[[]]
Dans le prochain épisode, nous irons du côté des romantiques cette
fois-ci revendiqués uniquement par l'Ukraine (bien que leurs œuvres
aient été jouées et appréciées en Russie), et qui ont, par le
truchement de l'opéra, de la mélodie, des reprises de thèmes musicaux
folkloriques dans leur musique de chambre, ou encore par l'usage de la
langue ukrainienne, proclamé leur spécificité nationale au XIXe siècle.
Comme vous le constaterez, ce sera une courte période.
J'ai peu publié ici ces dernières semaines, mais cela n'implique pas
qu'il n'y ait pas de quoi lire dans les sphères de CSS !
En préparation, la suite de la série ukrainienne, les classifications
vocales des barytons, une nomenclature des opéras de Verdi, une notule
sur « les choses que j'aime / que je
n'aime pas dans le classique », des opéras inédits commentés
fournis avec l'audio…
Mais comme tout cela prend du temps, a
fortiori en les dupliquant au format podcast (avec des
exigences plus grandes des auditeurs, je prends maintenant le temps de
remanier l'audio, d'adjoindre des virgules, etc.), je vous indique de
quoi vous occuper si vous êtes en mal de lecture.
[[]]
Petite liste en temps réel des derniers albums écoutés – les plus récemment écoutés sont en bas, je ne peux pas changer ce paramètre. (Je précise aussi que les
pistes choisies pour représenter ces albums sont prises au hasard, ce ne sont pas nécessairement les meilleures.)
Culture quotidienne
1) J'ai repris la grande série « 1
jour, 1 opéra », vraiment chronophage à adapter sur le site tel qu'il est, mais que vous pouvez
retrouver en intégralité sur ce fil social. C'est un voyage qui permet très
brièvement de découvrir un répertoire insoupçonné dans les villes du
monde, mais aussi des théâtres, les traditions musicales locales, et
souvent un peu de littérature et de géopolitique au passage…
3) Je continue de commenter beaucoup des concerts auxquels je vais… vous
pouvez tous les retrouver ici (il suffit de cliquer sur la vignette de texte
pour afficher tout le commentaire).
Vie musicale
4) Depuis que Qobuz ne fait plus de présentation efficace des
nouveautés, les mélomanes de la
Toile se sont retrouvés un peu
orphelins. Aussi, je produis un fil qui recense
celles que je repère ou écoute. Je vous recommande aussi celui de Frédérique Reibell, qui explore en
général les meilleures sorties indépendamment du prestige du label.
Pour les très grosses sorties, il reste Qobuz, et pour une vue vaste d'un très grand
nombre de labels, le catalogue bimensuel de Naxos USA (distributeur de
beaucoup de merveilles, dont CPO, DUX, BIS, Alpha…).
5) Même sans être inscrit sur Twitter,
il est possible d'en
lire le fil, alimenté au quotidien de découvertes (extra-musicales
aussi : lectures, ornitho, meilleures randonnées d'Île-de-France…).
(Il est aussi possible de me lire sur Facebook, mais j'y suis beaucoup
moins bavard, le format est assez rigide et l'algorithme d'un
arbitraire assez irritant.)
6) De même, je ne puis trop vous recommander la lecture de l'omniscient
forum Classik, que ce soit pour lire les bons
plans de concerts, les impressions des mélomanes après écoute sur le
vif ou au disque, ou simplement puiser à travers les archives comme
dans une encyclopédie de conseils d'écoute…
7) Enfin, si vous n'aimez pas lire, vous pouvez aussi aller au concert,
et c'est pourquoi je maintiens cette très large sélection de concerts
dans l'agenda (francilien) idoine.
Le fonds de CSS
8) Je ne vous fais pas l'injure de vous rappeler qu'il demeure beaucoup
de podcasts que vous n'avez
pas encore écoutés. Le répertoire du quatuor à cordes, le rôle du
chef d'orchestre, l'histoire de la musique ukrainienne, les questions
que vous vous êtes toujours posées sur l'opéra, les styles de l'opéra
italien ? Tout est dans la boîte.
Vous pouvez copier le lien RSS dans l'application de votre choix https://anchor.fm/s/c6ebb4c0/podcast/rss,
ou écouter ça directement sur Spotify, Google, Deezer,
Amazon…
9) Quelques-unes des notules du fonds de CSS sont accessibles par l'index
(très partiel), ou par les chapitres de la colonne de droite – mais
pour remonter dans le temps, il faut ensuite sélectionner les mois plus
bas dans la colonne de droite, ce n'est pas très commode.
…
C'est pourquoi, même pendant mes périodes de moindre activité en ces
lieux – il faut bien écouter les disques, aller en bibliothèque lire
les incunables, jouer un peu les partitions, sans compter la nécessité
de se promener un peu, la place laissée à mon day job passionnant et l'entretien
ponctuel mais charmant de deux ou trois maîtresses (avec les quelques enfants naturels afférents) –, je vous laisse
avec la possibilité de lire chaque jour du neuf en ma délectable
compagnie, quitte à déborder un peu la structure du site Carnets sur sol.
À très bientôt, fidèles lecteurs.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Intendance a suscité :
Le bon goût, lui, a depuis longtemps mis fin à son règne.
Je poursuis mon aventure autour du format audio.
Je me suis surtout lancé dans une transcription en cours de la série musique ukrainienne, avec la contrainte, pour des
raisons de droits d'auteurs (droits
voisins
plus exactement), d'enregistrer moi-même les extraits sonores. C'est
beaucoup de travail, mais pour ceux qui consultent le format écrit de Carnets sur sol
et n'hésitent pas à en suivre les recommandations sonores ou écouter
les extraits, il n'y a pas encore beaucoup de nouveautés (j'en suis à
Hulak-Artemovskiy et à la brève génération qui a pu exercer un art national
ukrainien). Bien sûr, des précisions nouvelles ont été apportées, que
je n'avais pas lorsque j'ai débuté cette série, et je vous invite à y
jeter une oreille, mais dès que j'aborderai des compositeurs ou des
sujets inédits, je le signalerai ici et en posterai les
retranscriptions pour les fidèles de l'écrit.
Pour la suite de la baladodiffusion autour de la vulgarisation de
certaines questions relatives à l'opéra en général (sobrement intitulée
« L'opéra ? »), je me suis lancé dans une évocation des grandes
tendances de l'opéra, à travers l'histoire de chaque nation lyrique. Je
commence évidemment par les Italiens qui nous ont apporté toute cette
corruption depuis le début.
Épisode 7 : Comment l’opéra italien
a-t-il dominé le monde ? – a) La naissance d’un modèle
L’opéra italien occupe en général – avec Faust, Carmen et Wagner –
l’essentiel de l’imaginaire grand public autour de l’opéra. Et de fait,
il domine la scène européenne et mondiale en quantité et en prestige
pendant l’essentiel de l’histoire de l’opéra.
Plutôt que de vous proposer simplement une histoire de l’opéra italien,
je vous propose de nous demander ensemble comment ce genre a pu rester
aussi étroitement associé à une nation, une langue. Ce sont des raisons
multiples : historiques, linguistiques, politiques, pratiques… qui
peuvent expliquer cette prédominance.
Au sein même de l’Italie, l’opéra a été vécu comme le genre prédominant
– ce qui est vrai dans les autres nations musicales, mais pas à ce
point – on pourrait d’ailleurs presque parler d’histoire de la musique
italienne, tant le vocal prévaut sur tous les autres genres dans la
péninsule.
1. Naissance de l’opéra
L’opéra est né à la toute fin du XVIe siècle en Italie. Il est le fruit
de réflexions sur le théâtre musical (qui n’était jamais intégralement
chanté) et d’une admiration pour le modèle grec tel que perçu par les
érudits du temps. La parole doit être exaltée par la musique. On
écrivait essentiellement pour la voix avec des formes polyphoniques –
c’est-à-dire des musiques avec plusieurs mélodies chantées à la fois,
ce qui rend le texte difficilement compréhensible.
Des groupes de poètes et de musiciens, réunis autour de mécènes
florentins, donne sa chance à la monodie (mélodie unique, simplement
accompagnée), et tout le monde constate que cela rend l’expression plus
vive, plus individuelle. Essayez d’obtenir une émotion précise de la
part d’un chœur, c’est toujours moins touchant qu’un chanteur seul sur
le même texte, parce qu’il va exprimer sa propre singularité, sans
qu’elle soit « équilibrée » par l’ensemble des différences de tous les
chanteurs.
Pour le détail de cette aventure qui a bouleversé toute la hiérarchie
de l’art européen, je vous renvoie au troisième épisode de la série,
qui le traite en détail.
Ces artistes donnent ainsi naissance aux premiers opéras : des drames
entièrement mis en musique, où l’émotion du texte est exaltée par la
force expressive de la musique ! On y adore donc, en bonne
logique,
les lamentations. La Dafne de Peri & Corsi (1597), perdue,
L’Euridice de Peri (1600) et presque simultanément de Caccini
(1600-1602), et quelques années plus tard l’Orfeo de Monteverdi (1607,
je crois avoir dit par erreur 1604 dans l’épisode consacré au sujet !).
Les premiers opéras sont ainsi florentins, et nord-italiens. Ils sont
en bonne logique écrits en italien, pensés en lien avec la poésie
italienne (l’autre genre vocal profane dominant était alors le
madrigal, composition à plusieurs voix sur des poèmes italiens). Ils se
répandent dans toute l’Italie. Il s’agit, dans la première moitié du
XVIIe siècle, d’un art local.
Après Monteverdi à Crémone, Mantoue et Venise, viennent d’autres grands
représentants, comme Landi à Padoue et Rome, Rossi à Florence et Rome,
Cavalli à Venise, Legrenzi à Bergame et Venise… Chaque grande famille,
chaque grande cité a ses musiciens de prédilection. Le style austère de
la déclamation soutenue de musique s’enjolive progressivement d’airs
plus ornés.
2. Premières imitations
Lorsque Cambert & Perrin, puis LULLY & Quinault ont adapté le
modèle italien en France, ils se sont fondés sur cette image de la
déclamation soutenue par la musique. On sent dans les œuvres de LULLY
que le modèle est déjà propre à être orné d’ariettes et de jolies
choses plus décoratives, mais il reste avant tout fondé sur la
prééminence du texte ; depuis lors, les Français, têtus de leur gloire,
n’en démordent pas, et alors que les Italiens exploraient d’autres
chemins, en sont toujours restés là.
Les Français se sont ainsi toujours accrochés à une image de l'opéra liée aux objectifs de sa création, résistant farouchement aux Italiens… dont ils avaient importé le concept, mis au point par un Italien (LULLI), et magnifié par maint italien à Paris (Piccinni, Sacchini, Salieri, Rossini, Donizetti, Verdi…).
Cependant, tandis que les Français adaptent à leur manière l’opéra
italien tel que pensé dans la première moitié du XVIIe siècle, les
Italiens s’engagent progressivement, à partir des années 1670 (avec
Legrenzi, notamment), vers un autre modèle, qui devient dominant dès
les années 1690 : l’opéra seria. Une machine maléfique qui va conquérir
le monde.
Je voulais écrire un mot sur les géniales trouvailles motiviques de Falstaff (les bassons qui répètent
« dalle due alle tre » dans l'esprit de Ford rendu fou par la
jalousie), ou les parodies insensées (son propre chœur de louange à
Dieu dans Nabucco !), mais
en réalité j'ai déjà écrit la notule il y a près de cinq ans…
Je me contente donc, au lieu de refaire la même chose en moins bien,
d'y renvoyer.
Et je réalise en ce moment même une petite écoute comparée de
l'ensemble de l'œuvre, plusieurs versions que je réécoute ou que je
n'avais pas encore essayées, dont une nouveauté toute fraîchement
sortie hier. Dans la fameuse liste commentée et publique des écoutes.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Intendance a suscité :
Voilà deux semaines que rien de neuf n'a été posté ici, ce qui est déjà rare en soi, et mes contraintes me laissent entrevoir qu'il sera difficile d'achever une des notules en cours – avant une semaine supplémentaire au bas mot.
Au lieu de remplir des Alerte enlèvement, comme je sais que vous auriez été tentés de le faire, je ne puis que vous inviter, en échange, à lire les quelques documents que je continue de mettre à jour dans l'intervalle :
¶ agenda des concerts (jusqu'en juillet 2023 !), incluant les ajouts récents de la première moitié du Mois Molière de Versailles ;
¶ bref commentaires d'écoutes sur les nouveautés discographiques et les autres disques parcourus au fil de la semaine ;
¶ comptes-rendus de concert, sur Twitter essentiellement (lisible sans aucune application ni abonnement, il suffit de cliquer sur les messages et de dérouler) ;
… et bien sûr, à partir du 10 juin, les notices du programme de salle du Festival Un Temps pour Elles, auxquelles j'ai eu le plaisir de contribuer. (Quantité d'inédits de première farine, dans des lieux hors du commun et inaccessibles d'ordinaire en transports en commun comme les châteaux de La Roche-Guyon ou Villarceaux. Réservez la navette et profitez de l'expérience exceptionnelle, comme je le fais moi-même depuis deux ans…)
Je suis confus de ne vous laisser pas plus que ces quelques miettes, mais que voulez-vous, la vie reprend, ainsi que les vastes conquêtes promenades, et mes activités contingentes et quotidiennes réclament aussi leur dû quelquefois. Néanmoins les projets de notule ne manquent pas, sur le passé et l'avenir de l'opéra, sur les grandes thématiques de Bible ou d'Ukraine, sur les anniversaires du tournant du siècle, sur les noms confus des orchestres des grandes capitales ou encore sur les utilisations des airs patriotiques français dans la musique mondiale… Elles enflent progressivement et écloront bientôt, je le souhaite, sur vos écrans ébaubis.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Intendance a suscité :
Tandis que je poursuis ma documentation des anniversaires 2022 (la suite bientôt, j'espère) et
de la musique ukrainienne (quand je ne m'égaie pas sur les chemins à la
recherche des églises de la campagne francilienne et adjacente), je ne
voudrais pas vous laisser désœuvrés.
C'est pourquoi je signale à nouveau deux outils qui sont mis quasiment
quotidiennement à jour, et que vous pouvez sauvegarder facilement dans
vos favoris sur ordinateur ou téléphone.
¶ L'agenda des concerts, ma sélection minutieuse de
concerts que même Cadences ou l'Offi ne voient pas (des merveilles dans
de petites salles et des concerts au chapeau…). Il est particulièrement
à jour, puisque j'y ai inclus mon relevé de ce qui me paraissait le
plus marquant dans la saison 2023 de l'Opéra
de Paris (date par date et alternance de chanteur par alternance
de chanteur !), du Théâtre des
Champs-Élysées (énormément de titres d'opéra français très
stimulants, dont Grisélidis de Massenet et Le Rossignol de Stravinski
!), la première moitié de la saison de la Philharmonie (je n'ai pas fini à
cette heure) et même la pré-saison non encore officiel de l'Opéra Royal de Versailles (dont
quelques pépites dès longtemps attendues…). 2023 commence à se remplir
!
[Ne fondez tout de même pas trop d'espoirs sur les titres programmés
cet hiver nucléaire, vous l'avez constaté d'expérience
ces deux dernières années.]
¶ Le nouveau format de commentaire en direct de mes écoutes
discographiques est vraiment pratique pour moi (instané, sans me
prendre trop de temps ni engorger CSS),
je le poursuis en espérant qu'il trouve aussi son chemin vers les
lecteurs. Chaque jour, j'indique la pochette, les références et un
petit commentaire (parfois quelques jours plus tard, il ne faut pas
hésiter à aller vérifier plus bas) pour les écoutes que je fais. Cela
me permet de documenter les nouveautés en temps réel – et de vous
laissez quelques suggestions d'écoutes pour les autres œuvres.
Beaucoup de très belles nouveautés ces deux dernières semaines :
musique sacrée de Dreyer, un
incroyable récit figuratif d'Edelmann
(en français), les tempêtueux quatuors classiques d'Eberl, intégrale des mélodies de Franck, Siberia de Giordano (plus sophistiqué que le
Giordano connu), la fameuse Sonate debussyste d'Ireland (couplée avec une Sonate en si de Liszt très
marquante), la suite très persuasive des parutions orchestrales de Vladigerov, un opéra italien
passionnant du chef Marinuzzi,
musique d'église d'Ian King,
concertos pour violon d'Eleanor Alberga…
et bien d'autres choses qui ne sont pas des nouveautés, dont une
cinquantaine de disques consacrés à mon cycle Ukraine !
J'envisage de reporter aussi certaines séries publiées au jour le jour
sur Twitter, comme cette sélection commentée de disques Naxos marquants – j'en ai depuis relevé
une autre dizaine d'indispensables, il y a une véritable notule à
proposer là-dessus.
Et, bien sûr, s'annonce la poursuite en parallèle sur Twitter et sur Carnets sur sol de la série autour
du patrimoine musical ukrainien. Celle sur Twitter est un peu plus
avancée, en particulier autour des compositeurs :
Toujours dans l'esprit de rendre l'agenda le plus souple, accessible et
réactif possible, je tente une nouvelle adaptation : plutôt que de
mettre à jour le fichier régulièrement (dans les faits, même une fois
par semaine, c'est assez contraignant de transporter les données dans
le fichier, de le remettre à charger…), je tente le format Google Docs.
Le principe est toujours le même, format texte qui va beaucoup plus
vite. Je délocalise mon agenda personnel sur un autre logiciel en
sélectionnant seulement mes dates, et ce nouveau changement permet de
vous faire voir les ajustements et nouveautés en temps réel, dès que je les ajoute.
Les plus geeks-purulents-de-concert
d'entre vous danseront de joie !
L'adresse est évidemment beaucoup plus complexe, mais c'est le prix à
payer. Je la change dans le haut de page qui apparaît sur tous les
articles de CSS, vous y aurez ainsi un accès direct.
Je suis cette année, découragement des annulations aidant et évolution
de mes pratiques commandant – de plus en plus de petits concerts et de
moins en moins de soirées à Bastille ou même la Philharmonie –, assez
en retard sur mes relevés, il manque beaucoup de choses que je laisse
délibérément filer. Je n'ai pas noté la série des Noces de Figaro à Garnier, par
exemple. Cela viendra plus tard si mon agenda se fait trop vide.
Toujours preneur de retours évidemment. J'espère que le fichier restera
utile !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Intendance a suscité :
Cette huitième livraison sera aussi, selon toute vraisemblance la
dernière de l'année.
J'ai trop tardé, occupé à documenter les anniversaires (gros travail à
venir, pour l'immense génération 1872 !), à publier les nouveautés et
les écoutes. Conclusion : non seulement je les documente en décalé,
mais chaque semaine, je dois repousser la publication impossible de
l'ensemble des écoutes… La mise en forme prend trop de temps, il faudra
que j'agisse sur ce point.
Aussi, pour l'instant, à part les quelques non-nouveautés que j'ai
relevées en début de notule, je me contente dans cette livraison de
mentionner les parutions récentes.
Tout cela se trouve aisément en flux (type Deezer, gratuit sur PC ; ou
sur YouTube) et en général en disque. Il faut simplement pousser la
porte.
(Pardon, mes présentations de titres ne sont pas toutes normalisées, il
faut déjà pas mal d'heures pour mettre au propre, classer et mettre un
minimum en forme toutes ces notes d'écoutes. Il s'agit vraiment de
données brutes, qui prennent déjà quelques heures à vérifier,
réorganiser et remettre en forme.)
Cycles
J'ai moins écouté de nouveautés, à force de revoir toujours passer les
mêmes œuvres, les mêmes genres musicaux… Non pas qu'il n'y ait pas
(beaucoup !) de nouveautés dignes d'intérêt, comme vous verrez, mais
considérant l'ampleur de ma consommation, aller fouiller dans le fonds
préexistant ménage davantage de satisfactions.
Plusieurs découvertes marquantes hors des publications toutes fraîches,
donc : les œuvres sacrées de (Jean) Mouton,
le luth de Robert Ballard, le
Stabat Mater de DomenicoScarlatti (l'une des rares
survivances de son œuvre hors clavier), l'orgue de Lasceux, les œuvres vocales de Cartellieri et Schürmann, le Quatuor Scientifique
de Rejcha (j'étais passé à
côté au disque, le concert m'a dessillé), les symphonies de Goła̧bek, les motets du wallon
Jean-Noël Hamal (écoute en
boucle de Miles fortis, une
bonne quizaine de fois en deux semaines…),
les quatuors de Kienzl (quel
sens simultané de la mélodie et de la structure !)…
J'ai aussi mené des cycles méthodiques de découverte : les concertos et
opéras de Dupuy le Suédois,
les poèmes symphoniques et les quatuors de Novák, Karg-Elert (ce n'est pas le plus
célèbre de son catalogue qui est le plus enthousiasmant !), tout ce
qu'on trouve de Biarent, Lipatti (ses compositions), l'orgue
intégral de Leighton, Eben (Job, bon sang !)…
Je me dis que je devrais plutôt faire tout de bon une notule par cycle,
ou reprendre le principe du disque de la semaine, pour ne pas ensevelir
mes lecteurs… et avoir du temps à consacrer à d'autres sujets.
La légende
Les vignettes sont au maximum tirées des nouveautés. Beaucoup de
merveilles réécoutées ou déjà parues n'ont ainsi pas été immédiatement
mises en avant dans la notule : référez-vous aux disques avec deux ou
trois cœurs pour remonter la trace.
(Un effort a été fait pour classer par genre et époque, en principe
vous devriez pouvoir trouver votre compte dans vos genres de
prédilection.)
J'indique par (nouveauté) ou (réédition)
les enregistrements parus ces dernières semaines (voire, si j'ai un peu
de retard, ces derniers mois).
♥ : réussi !
♥♥ : jalon considérable.
♥♥♥ : écoute capitale.
¤ : pas convaincu du tout.
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons
disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la
profusion de l'offre.)
Le tout est classé par genre, puis par ordre chronologique très
approximatif (tantôt la génération des compositeurs, tantôt la
composition des œuvres, quelquefois les groupes nationaux…) au sein de
chaque catégorie, pour ménager une sorte de progression tout de même.
A. Opéra
Beaucoup de titres, et quelques révolutions dans l'interprétation de
l'opéra italien.
nouveautés
Rossi
– Ézéchias (YT)
→ Cantate, rare évocation directe du règne d'Ézéchias, auquel on vient
de consacrer une notule. Et une cantate plutôt bien écrite. (Pas sûr de
recommander la version, qui sonne un peu comme la Foire au chapon.)
♥ Rameau
– Platée – Beekman, Auvity, Mauillon ; Les Arts
Florissants, Christie (HM 2021)
→ Belle version qui privilégié souvent le ton élégiaque sur la couleur
– pas nécessairement mon Rameau, et pas très bien capté (on entend
vraiment la sècheresse du théâtre, le changement d'emplacement des
comédies), ce n'est pas une révélation par rapport à l'histoire récente
de l'interprétation de l'œuvre.
→ En revanche la distribution époustoufle : Auvity, Beekman et
Mauillon, stupéfiants de projection naturelle en salle, et monstres
d'abattage !
→ Parution en somme bienvenue, considérant que la plupart des versions
marquantes ont été vidéodiffusées (et pas toujours en DVD).
♥♥ Rameau – Acanthe & Céphise –
Devieilhe, Wanroij, Dubois, Witczak ; Les Ambassadeurs & La
Grande Écurie, Kossenko
→ Incroyable ouverture, d'une profusion assez folle, réellement un
inédit et un inouï. L'intrigue est par ailleurs plus sympathique que la
plupart des galanteries du genre, avec quelques moments un peu plus
typés tragédie en musique, et le chœur final est magnifique. Le reste
demeure dans les étiages habituel des joliesses ramistes. (Orchestre
magnifique.)
Beck– L'Île déserte – (CPO 2021)
→ Diction difficile à suivre, style instrumental peu français (dans la
conception et surtout l'exécution) ; musique de Beck comme souvent
assez peu marquante : essai méritoire de redonner vie à cette figure de
la vie musicale bordelaise (que je n'ai jamais beaucoup admiré
jusqu'ici), mais pas un disque bouleversant.
♥♥♥ Mozart – Mitridate –
Spyres, Fuchs, Dreisig, Bénos, Devieilhe, Dubois ; Les Musiciens
du Louvre, Minkowski (Erato
2021)
→ Cet enregistrement ébouriffe complètement ! Distribution
exceptionnelle – en particulier Bénos, mais les autres ne sont pas en
reste ! – et surtout orchestre totalement haletant, le résultat
ressemble plus aux Danaïdes qu'à un seria de jeunesse de Mozart !
→ Bissé.
Mayr – L'amor conjugale – Santon,
Pérez, Agudelo, Rimondi, Gourdy, Fournaison – Opera Fuoco, David Stern
(Aparté 2021)
→ La portée du projet m'a échappé : un opéra bouffe du
rang, sans grandes saillances, interprété par d'excellents chanteurs un
peu hors de leur zone de confort (Santon, très grande musicienne, mais
pour du joli dans ce genre, la voix est vraiment trop large, grise et
vibrée ; Gourdy et Fournaison, chanteurs que j'adore en salle,
mais peu flattés par les micros), et présentés sur une pochette
Mondrian (mais pourquoi donc ?).
→ Au demeurant, Opera Fuoco est toujours épatant, vivant, coloré… (Mais
pourquoi jouer ceci plutôt qu'autre chose ?)
→ Il y a eu des représentations de lancement, auxquelles je n'ai pu me
rendre, peut-être des reprises à venir, à essayer pour tester sur
pièce, dans une véritable configuration dramatique ?
♥♥♥ Bellini – Il Pirata – Rebeka,
Camarena, Vassallo ; Opéra de Catane, Carminati (Prima Classics)
→ Disque électrisant, capté avec les équilibres parfaits d'un studio
(ça existe, une prise de studio pour Prima Classics ?), dirigé avec
beaucoup de vivacité et de franchise (Carminati est manifestement
marqué par les expérimentations des chefs
« musicologiques »), et magnifiquement chanté par une
distribution constituée des meilleurs titulaires actuels de rôles
belcantistes, grandes voix singulières et bien faites, artistes rompus
au style et particulièrement expressifs.
→ Dans ces conditions, on peut réévaluer l'œuvre, qui n'est pas
seulement un réservoir à airs languides sur arpèges d'accords parfaits
aux cordes, mais contient aussi de superbes ensembles et de véritables
élans dramatiques dont la vigueur évoque le final du II de Norma (par
exemple « Parti alfine, il tempo vola »).
Moniuszko – Le Manoir hanté
– Poznan (Operavision 2021)
→ L'œuvre, pourtant emblématique, ne m'a jamais convaincu, ni
dramatiquement (que c'est lourdaud, ce passage obligé par tous les
invariants des opéras comiques d'Auber…), ni musicalement (vraiment
plat à mon sens). Halka
mérite plus de considération, malgré le livret pesantissime (très
triste et difficile à endurer aujourd'hui), et surtout ses très belles
cantates, chroniquées cette année dans le cadre des nouveautés.
Franck – Hulda –
Philharmonique de Fribourg, Bollon (Naxos 2021)
→ Enfin une intégrale de l'œuvre ! Je l'attendais depuis
longtemps, bien que la lecture (rapide) de la partition ne m'ait pas
révélé de merveilles cachées (que c'est consonant pour du Franck !).
→ Intégrale hélas servie par des chanteuses aux voix opaques et
trémulantes – et à l'accent impossible. Le ténor et le baryton sont
tout à fait bons.
→ Toujours l'énergie, le relief et la transparence exemplaires de
Fabrice Bollon avec Fribourg, qu'on avait tant admiré pour ses Magnard.
→ L'œuvre n'est pas du grand Franck : orchestre opaque, mélodies
peu marquantes, bien moindre audace harmonique qu'à son ordinaire,
comme s'il se coulait de façon malaisée à la fois dans la simplicité de
l'opéra et le modèle monumental de l'opéra postwagnérien.
→ Son sens dramatique est par ailleurs remarquablement
inhibé (alors que le livret est plutôt exubérant, à la façon de La
Tour de Nesle de Dumas !) : lors de l'assassinat terrible qui
marque le point culminant de l'œuvre, la musique ne signale rien, même
pas un silence. Au disque, on ne s'aperçoit de l'événement que parce
que les personnages le disent. La musique ne s'est pas agitée d'un
pouce.
→ Bientôt donné dans de bien meilleures conditions par Bru Zane. Mais
l'œuvre est longue et pas nécessairement convaincante : je suis curieux
du résultat.
♥♥ Smareglia – Il Vassallo di Szigeth –
Cerutti (Bongiovanni 2021)
→ Très proche de l'esprit de Verdi, et très bien écrit. (Avec un
décalage temporel très conséquent : né en 1854 !). L'interprétation
n'est pas parfaite, comme toujours chez Bongiovanni, mais on les
remercie de documenter ces pans si mal servis de la musique vocale
italienne (leur grand cycle Perosi !).
♥ Guiraud, Saint-Saëns & Dukas –
Frédégonde – Kim, Sohn, Romanovsky, Opéra de Dortmund (vidéo
officielle 2021)
→ Ouvrage collectif achevé par Saint-Saëns à la mort de Guiraud,
conformément aux dernières volontés de celui-ci, et en partie orchestré
par le jeune Dukas, une histoire terrible de reine mérovingienne.
→ En lisant / jouant la partition il y a quelques années, j'avais été
saisi par l'intérêt de la chose… mais l'orchestration en semble assez
opaque, et chanté dans un français aussi incompréhensible et des voix
aussi opaques, on passe vraiment à côté. J'attends impatiemment la
venue à Tours dans une distribution francophone !
♥ Puccini-Matuz – acte II de Turandot,
pour 2 flûtes, violon, violoncelle, piano – Gergely Matuz & Friends
(YT 2021)
→ Ce n'est pas un disque, mais une nouvelle parution tout de même, très
attendue, le nouvel enregistrement d'un acte intégral d'opéra par
Gergely Matuz (qui a déjà publié le I de Tristan, les II & III du Crépuscule !).
→ Moins de transcriptions des lignes vocales que pour Tristan ou le
Crépuscule. Le piano aussi, produit un effet moins chambriste que la
version 2 flûtes + quatuor + contrebasse. Pour finir la matière
musicale, riche mais très tournée vers le pittoresque simili--oriental,
est moins intéressant en tant que telle.
→ Donc une belle transcription jouée de façon enthousiaste, mais pas
prioritaire par rapport à ses autres réalisations !
♥♥♥ Hersant – Les Éclairs – Lanièce, E.
Benoit, Bouchard-Lesieur, Rougier, Heyboer ; Aedes, Philharmonique de
Radio-France, Matiakh (Operavision 2021)
→ Une création mondiale et diable de chef-d'œuvre. J'en dis plus par là.
♥ Monteverdi – Il Ritorno d'Ulisse in
patria – Zanasi, Richardot ; Gardiner (SDG 2018)
♥♥ LULLY
– Alceste, actes I & II – Malgoire (Auvidis, réédition Naïve) → La focalisation de la voix de Sophie Marin-Degor est
miraculeuse ! ♥♥♥ LULLY – Alceste, actes I
& II – Rousset (Aparté) → Un des meilleurs disques de tragédie en musique, œuvre comme
exécution. ♥♥♥ LULLY – Isis, acte
IV – Rousset (Aparté)
♥ Campra – Tancrède –
Schneebeli (Alpha) → Déçu par l'interprétation à la réécoute, vraiment sage et même
un peu terne. (Malgoire c'était bien mieux, malgré le vieillissement du
style !) ♥ Marais – Alcione (Prologue,
acte I) – Minkowski (Erato) Les voix, c'est un peu le musée des horreurs… Ce Minko-là,
contrairement par exemple à son Phaëton,
a pas mal vieilli – tandis que l'Alcione
de Savall est au contrairement un accomplissement stupéfiant.
Georg Caspar Schürmann – Die getreue Alceste – Zumsande,
Karnīte, Müller, Harari, Ludwig, Drosdziok, Grobe, Heinemeyer,
Barockwerk Hamburg, Hochman (CPO)
→ Du seria écrit comme de la cantate sacrée à l'Allemande, avec
quelques chœurs à la française. Agréable.
♥ Grétry - Richard Coeur de Lion,
acte I - Doneux
→
Il faut écouter le disque de Versailles pour bien se rendre compte de
la qualité (épatante) de l'œuvre, ici c'est un peu malaisé.
Mozart – Il re pastore –
Harnoncourt
→ Pas passionnant ça.
Mozart – Lucio Silla –
Harnoncourt
→ Comme à chaque fois : belles intuitions mélodiques, mais que c'est
ennuyeux tout de même, sur la longueur. Et Harnoncourt, aux phrasés
courts, manque un peu de couleurs et de « reprise »
dramatique. On attend toujours une version émérite comme le Mitridate
de Minkowski (ou même de Rousset).
→ Même vocalement, je trouve que ces voix assez opaques, un peu
geignardes, ne font qu'accentuer l'impatience de l'auditeur que je
suis.
→ (Ce reste néanmoins probablement, vu l'état sinistré de la
discographie, le meilleur disque qu'on puisse trouver pour cet opéra…)
♥♥ Mozart – Der Schauspieldirektor
– Harnoncourt
♥♥
Mozart – Thamos – Harnoncourt
¤ Beethoven – Fidelio, « Mir ist
so wunderbar », « Das Gold » – Klemperer
→ Réécouté pour donner tort à un ami qui en disait le plus grand bien.
Effectivement, le soleil s'est couché avant qu'on atteigne le second
accord. (Et ce n'est même pas de la lenteur intense ou détaillée…)
♥♥♥ Beethoven – Fidelio –
Altmeyer, Jerusalem, Nimsgern, Adam ; GdHsLeipzig, Masur (Sony) → Quel orchestre rond et savoureux à la fois ! Quelle
distribution de feu ! (Jerusalem plane sur le rôle, Adam rayonne
comme
toujours dans les rôles de basse, et les seconds rôles sont fabuleux.)
♥♥♥ Beethoven – Fidelio, « Mir
ist so wunderbar » – Marzelline (Lucia Popp),
Leonore (Gundula Janowitz), Rocco (Manfred Jungwirth) & Jaquino
(Adolf Dallapozza). Leonard Bernstein
conducting the Chor und Orchester der Wiener Staatsoper, 1978
(DVD DGG 1978)
♥ Beethoven – Fidelio, final du I –
Marie McLaughlin, Gabriela Benačková, Neill Archer, Josef Protschka,
Monte Pederson, Robert Lloyd ; ROH, von Dohnányi (DVD Arthaus 1991)
→ Il existe deux Fidelio de Dohnányi dans le commerce ! Le CD avec
Ziesak-Schnaut-Protschka-Welker-Rydl (qui fait vraiment envie), et le
DVD de la même année, avec
McLaughlin-Benačková-Protschka-Pederson-Lloyd.
→ Le CD est depuis longtemps difficile à trouver, hélas (du moins en
flux) : je n'ai pas pu essayer – alors que Ziesak, comment rêver mieux
ici ?
→ Le DVD est très bien, même si Dohnányi n'y est pas dans ses soirs les
plus colorés / mordants. Lloyd est un peu impavide, mais Benačková
tient très bien sa partie, et Pederson est absolument terrifiant –
l'insolence vocale mais aussi la posture en scène, jeune, arrogant,
cruel.
E.T.A. Hoffmann – Dirna –
German ChbAc Neuss, Goritzki (CPO)
→ Mélodrame orchestral à plusieurs personnages, bien fait, sans se
distinguer particulièrement.
♥ E.T.A HOFFMANN – Liebe und Eifersucht – Seller,
Simson, Specht, Martin, Wincent, Ludwigsburg Castle Festival Orchestra,
Hofstetter
→ Singspiel joué avec beaucoup de vie par Hofstetter. Bonne œuvre.
♥♥ DUPUY – Ungdom Og Galskab /
Flute Concerto n°1 – Collegium Musicum de Copenhague, Schønwandt
(Dacapo 1997)
→ Sorte de singspiel suédois du romantisme encore classicisant, dans
une veine volontiers emportée et avec de très beaux ensembles, sorte
d'équivalent nordique aux opéras avec dialogues de Méhul.
→ Trissé.
♥♥ Foroni – Elisabetta, regina di
Svezia – Göteborg (Sterling)
→ Pour la notule.
→ Bissé.
OFFENBACH, J.: Grande-Duchesse de
Gerolstein – Ligot (Valentini-Terrani, Censo, Allemanno,
Orchestra Internazionale d'Italia, Villaume) – Trio de la conspiration
(Dynamic)
♥ HUMPERDINCK, E.: Hänsel und Gretel (Sung
in Italian) (Jurinac, Schwarzkopf, Streich, Panerai, Palombini,
Ronchini, Karajan)
→ Chouette version qui sonne bien en italien. Panerai y est tellement
charismatique ! (Évidemment, Scharzkopf sonne toujours aussi
bouchée et Jurinac très homogène et fondue.
♥ Stockhausen – Michaels Reise
– MusikFabrik, Rundel (Arte à Cologne)
→ (Je préfère l'acte I de ce Donnerstag
de Licht, mais c'est quand
même bien beau.)
B. Récital d'opéra
Des récitaux originals, mais aucun qui ne m'ait pleinement convaincu
par son propos ou sa réalisation.
nouveautés
Monteverdi,
landi, Belli, Telemann, Haendel – « Orpheus Uncut » – Vox
Nidrosiensis, Orkester Nord, Wåhlberg (Aparté 2021) → Objet étrange, fait de bouts d'œuvres sans être un
récital individuel. La qualité du son de l'ensemble se retrouve,
l'inventivité de Wåhlberg également, mais j'avoue ne pas avoir bien
compris le projet (je n'ai pas accès à la notice).
→ Je crois à la vérité que j'ai surtout été gêné par l'accent en
italien (l'accent bokmål de Stensvold lui procure une couleur très
singulière et touchante en allemand, mais en italien, la distance est
vraiment trop grande).
Lulier, Bononcini, Caldara… –
« Maria & Maddalena » – Francesca Aspromonte, I Barocchisti, Diego
Fasolis (PentaTone 2021)
→ Répertoire un peu tardif pour la voix d'Aspromonte, qui peut être si
expressive dans le XVIIe, mais paraît tout de suite poussée et
blanchie, aux voyelles beaucoup moins différenciées, lorsqu'il faut
donner dans un répertoire plus « vocal ». Dommage, elle
ferait fureur dans un récital Cavalli-Rossi-Legrenzi à base de grands
récits (quelle Euridice de Rossi ce fut !)…
Anna Netrebko
dans Wagner (Tannhäuser, Lohengrin, Tristan), Verdi (Don Carlo, Aida),
Tchaïkovski (Pikovaya Dama), Puccini (Butterfly), Cilea (Lecouvreur),
R. Strauss (Ariadne)… – « Amata dalle tenebre » – Scala,
Chailly (DGG 2021)
→ Récital sans aucune cohérence thématique, juste des airs que Netrebko
a peu chantés et qu'elle avait manifestement envie d'essayer. Ce n'est
pas un problèpme en soi et le résultat est fort probant, mais
l'interprétation n'est peut-être pas assez marquante pour donner envie
de réécouter.
→ La voix reste toujours aussi grande (et peu articulée),
intéressant surtimbrage grave en russe, plus étrange viscosité en
allemand…
→ Se distingue tout de même l'Isolde d'un moelleux, d'une ductilité,
d'une facilité assez extraordinaires. (Comme on a l'habitude de ne pas
y avoir des mots très détaillés, on ressent surtout les avantages ici !)
♥♥ Arne Tyrén
(basse) : Dupuy (opéra suédois), Bartolo Nozze en suédois, Rocco
Fidelio, Magnifico Cenerentola en suédois, Fille du Régiment duo
patriotique en suédois (Bluebell)
→ Voix magnifique et versions traduites éloquentes.
C. Ballet &
musiques de scène
nouveautés
AUBER,
D.-F.: Overtures, Vol. 1 - Le maçon / Leicester / Le séjour
militaire / La neige (Czech Chamber Philharmonic Orchestra, Pardubice,
D. Salvi) AUBER, D.-F.: Overtures,
Vol. 2 - Le concert à la cour / Fiorella
/
Julie / Violin Concerto (Čepická, Czech Chamber Philharmonic,
Pardubice, Salvi)
♥ AUBER, D.-F.: Overtures,
Vol. 3 - La Barcarolle / Les Chaperons Blancs
/ Lestocq / La Muette de Portici / Rêve d'Amour (Moravian Philharmonic,
Salvi)
♥♥
AUBER, D.-F.: Overtures,
Vol. 4 - Le duc d'Olonne / Fra Diavolo / Le
Philtre / Actéon / Divertissement de
Versailles (Moravian Philharmonic,
Salvi)
♥♥
AUBER, D.-F.: Overtures,
Vol. 5 - Zanetta / Zerline
(Janáček Philharmonic, Salvi)
→ Je ne suis d'ordinaire pas très enthousiaste devant les regroupements
d'ouvertures : isolées de leur contexte dramatique, assez semblables
quand on constitue des disques autour d'un même compositeur, et surtout
en général pas le meilleur de l'œuvre intégrale. Pour Auber, il en va
un peu autrement : ses ouvertures sont très bonnes, et si la forme en
est assez régulière, la typicité mélodique peut véritablement varier
assez fortement de l'une à l'autre.
→ Elles sont ici interprétées avec une bonne rigueur stylistique, sans
empâtement, et cela permet aussi de découvrir quelques pépites, comme
ce Divertissement de Versailles où l'on entend la Passacaille d'Armide
de LULLY, l'orage liminaire d'Iphigénie en Tauride ou encore « La
Victoire est à nous » de La Caravane
du Caire de Grétry ! De beaux ballets (tirés d'opéras)
dans le volume 5 : de belles pièces (légères, certes), et de belles
découvertes !
♥♥ Lord Berners – A Wedding Bouquet,
Luna Park – RTÉ, Kenneth Alwyn (Marco Polo 1996 réédité Naxos
2021)
→ Réjouissante fantaisie vocale, où s'expriment les consonances
loufoques de Berners. Réédition très bienvenue.
♥
Benda – Medea – Bosch
♥♥ Benda – Medea –
Prague ChbO, Christian Benda (Naxos)
→ Cf. notule.
D. Cantates profanes
E. Sacré
nouveautés
Tůma
– Requiem & Mirerere – Czesh Ensemble Baroque O (Supraphon
2021)
→ Pas du tout dans le goût du Brixi (adoré dans la précédente
livraison) : on est bien plus tard, au milieu du XVIIIe siècle, dans un
univers qui évoque bien pus Pergolèse. Et l'interprétation n'a pas non
plus l'acuité des meilleurs ensembles tchèques.
→ Bon disque, mais clairement pas mon univers, trop proche du seria.
♥♥♥ Jean-Noël HAMAL –
« Motets » – Scherzi Musicali, Achten (Musiques en Wallonie
2021)
→ Pour moi clairement plutôt du genre cantate.
→ Musique wallonne du milieu du XVIIIe siècle (1709-1778), très marquée
par les univers italien et allemand, pas tout à fait oratorio façon
seria ,pas tout à fait cantate luthérienne, avec de jolies tournures.
→ Côté dramatique post-gluckiste quelquefois, très réussi dans
l'ensemble sous ses diverses influences.
→ Le sommet du disque : l'air héroïque de ténor « Miles
fortis » qui clôt la cantate Astra Cœli, d'une agilité et d'une
vaillance parfaitement mozartiennes (augmentées d'une grâce mélodique
et harmonique très grétryste), et qui pénètre dans l'oreille comme un
véritable tube, ponctué par ses éclats de cor et ses violons autour de
notes-pivots…
→
Splendide interprétation des Scherzi Musicali, qui ravive de la plus
belle façon ces pages oubliées. Mañalich remarquable dans les parties
très exposées de ténor, à la fois doux, vaillant et solide.
→ Écouté 7 fois en quatre jours (pas très séduit en première écoute,
puis de plus en plus enthousiaste). Et largement une douzaine de fois
dans ces deux semaines depuis parution. Comme quoi, il faut vraiment
donner
leur chance aux compositeurs moins connus, et ne pas se contenter d'une
écoute distraite pour décréter leur inutilité.
♥ Henri HARDOUIN : Four-Part A
Cappella Masses, Vol. 2 (St. Martin's Chamber Choir, Krueger)
(Toccata Classics 2021)
→ Nettement moins bien chanté que le premier volet, je ne sais pourquoi
(ça sonne presque amateur cette fois-ci, alors que c'était très bien
dans le volume 1 de 2013, que j'ai écouté conjointement).
→ Messes a cappella rares de
la seconde moitié du XVIIIe siècles, très
dépouillées et marquant déjà le désir du retour au plain-chant qui
explose dans les années 1820-1830.
→ Belle musique dépouillée, vraiment conçues pour la prière.
♥ Verdi – Requiem – Norman, Baltsa, Carreras,
Nesterenko ; BayRSO, Muti (BR Klassik)
→ Voix évidemment impressionnantes (le grain de Baltsa, le fondu de
Norman…), mais interprétation orchestrale un peu blanche (le son de la
Radio Bavaroise…) accentuée par la mollesse d'articulation de Muti,
typique de sa période d'avant les années 90 bien avancées…
→ Il demeure cependant une raison puissante d'écouter cet
enregistrement le Libera me de Norman, dans sa meilleure voix
enveloppante, d'une intensité saisissante, d'une urgence à peine
soutenable.
→ Bissé le Libera me.
♥ Stanford – « Stanford
& Howells Remebered », Magnificat
à double chœur en si bémol, Op. 164 – The Cambridge Singers,
John Rutter (Collegium 2020)
→ Voix un peu grêles d'enfants et jeunes gens, pour une œuvre dont les
volutes enthousiastes, en contraste avec des sections recueillies,
évoquent furieusement Singet dem Herrn ein neues Lied, le motet le plus
allant et pyrotechnique de Bach.
→ Curieux d'entendre cela dans de meilleures conditions sonores !
♥♥♥ MOUTON, J.: Missa Dictes moy
toutes voz pensées (Tallis Scholars, Phillips)
→ Fabuleux disque, très organique, des Tallis Scholars (Gimell 2012),
très loin de leurs approches autrefois plus désincarnées – basses
rugissantes, contre-ténors caressants, entrées nettes, texte bien mis
en valeur.
→ Cf. notule.
♥♥ Claude Goudimel – Psaumes, Messe
– Ensemble vocal de Lausanne, Corboz (Erato)
→ Grand compositeur de Psaumes dans leur traduction française, à
l'intention des Réformés. Dans une langue musicale simple, plutôt
homorythmique, très dépouillée et poétique.
→ Au disque, une version un peu fruste chez Naxos. La lecture de Corboz
en revanche, pour chœur de chambre assez fourni, a très bien résisté au
temps et permet de saisir les beautés de verbe et d'harmonie de la
chose. (Couplé avec sa messe, très intéressante également.)
→ Cf. notule.
♥ Monteverdi – Il Ritorno d'Ulisse in
patria – Zanasi, Richardot ; Gardiner (SDG 2018)
BENEVOLI, O.: In angusita pestilentiae
(Cappella Musicale di Santa Maria in Campitelli di Roma, Betta)
→ Disque consacré à la Messe « In angusita pestilentiæ » (messe des
tourments de la peste !), intéressant dans son propos, mais un peu
laborieusement exécutée (voix pas toujours belles, captation pas très
claire, rythmes très rectilignes comme si l'on jouait de la musique du
XVe…).
♥
Johann Ernst BACH II : Passionsoratorium – Schlik,
Prégardien, Varcoe ; Das Kleine Concert, Hermann Max (Capriccio)
♥♥♥ Jean GILLES – Requiem –
Mellon, Crook, Lamy, Kooij, La Chapelle Royale Choir, Herreweghe (HM)
♥♥ Campa – Requiem – Malgoire
♥
Georg Caspar Schürmann – Cantates
– Bremen Weser-Renaissance, Cordes (CPO)
→ Dans le goût de Bach, assez réussi.
♥
Bach – Cantate BWV 68, dont le
« choral » air Ach, bleib bei uns, Herr Jesu Christ –
Schlick, Limoges, Coin
→ Dans l'esprit de l'Erfühllet de la BWV, cette fois avec violoncelle
piccolo. Très belle volutes.
→ Le reste de la cantate me passionne moins
♥♥ (Domenico) Scarlatti –
Stabat Mater – Immortal Bach Ensemble; Baunkilde, Lars; Ducker,
Michael; Meyer, Leif; Schuldt-Jensen, Morten (Naxos 2007)
→ Écrite à 10 voix réelles, une merveille aussi éloignée que possible
de l'épure de ses œuvres pour clavier. Une des rares survivances de son
legs sacré (largement détruit lors du tremblement de terre de
Lisbonne).
→ À un par partie !
♥
Haendel – Theodora HWV 68 –
Gabrieli Consort, Gabrieli Players, Paul McCreesh (Archiv)
→ Très bien côté exécution, mais l'oeuvre toujours aussi molle et peu
prenante.
♥ HARDOUIN, H.: Four-Part A Cappella
Masses, Vol. 1 (St. Martin's Chamber Choir, Krueger) (Toccata
Classics 2021)
→ Nettement mieux chanté que le second volet paru tout récemment, je ne
sais pourquoi.
→ Messes a cappella rares de
la seconde moitié du XVIIIe siècles, très dépouillées et marquant déjà
le désir du retour au plain-chant qui explose dans les années
1820-1830.
→ Belle musique dépouillée, vraiment conçues pour la prière.
♥ CARTELLIERI, A.C.: La Celebre
Natività del Redentore (Spering) (Capriccio)
♥♥ Cartellieri – Gioas, re di Giuda
– Detmolder ChbO, Gernot Schmalfuss (MDG 1997)
→ Cf. notule.
♥ Perne – Messe des solennels mineurs
(Kyrie), extrait de « Polyphonies Oubliées : Faux-bourdons
XVIe-XIXe » – Ensemble Gilles Binchois, Maîtrise de Toulouse,
Vellard (Aparté 2014)
♥♥ Perne – trois pistes
réparties sur deux disques, le Kyrie de la Messe des solennels mineurs
chez Aparté (programme passionnant de l'ensemble Gilles Binchois
consacré à ce renouveau XIXe du plain-chant, à faux-bourdon), et
Sanctus & Agnus Dei (messe non précisée) en complément du disque
Boëly de Ménissier dans la collection « Tempéraments » de Radio-France.
On y entend pour l'un la simplicité archaïsante, pour l'autre la
maîtrise contrapuntique de cette écriture. Rien de particulièrement
saillant en soi, mais la démarche me paraît tout à fait fascinante, un
écho à l'épopée de Félix Danjou – le disque de Ménissier est d'ailleurs
le seul à ma connaissance où l'on puisse aussi entendre sa musique !
♥♥ Liszt – Requiem –
Ferencsik (Hungaroton)
→ Cf. notule.
Liszt - Requiem R488 – Gruppo
Polifonico "Claudio Monteverdi"
→ Voix qui flageolent…
♥♥ Stanford – Requiem & extraits de
The Veiled Prophet of Khorassan – RTÉ, Leaper & Colman Pearce
(Marco Polo 1997)
→ Terne jusqu'à l'Offertoire, qui éclate en fugues très parentes du
Deutsches Requiem de Brahms. Sanctus diaphane qui prend son expansion
de façon très réussi !
♥♥♥ Howells, Pizzetti, Puccini – les
Requiem – Camerata Vocale Freiburg, Toll (Ars Musici 2010)
→ A cappella, aux inspirations grégoriennes, à la prévalence prosodique
et aux nombreux enrichissements harmoniques imprévus, le Requiem de
Pizzetti est un petit bijou (absolument pas italianisant) ; encore
surpassé dans ce genre par celui de Howells, d'une sobre profusion
absolument délectable.
→ Celui de Puccini ne contient que les cinq minutes d'Introitus, moins
marquant.
→ Timbres et incarnation splendides.
♥ EBEN, P.: Choral Music (In
Heaven) (Jitro Czech Girls Choir, Skopal) (Navona Records 2019)
→ Jolies psalmodies.
F. Autres chœurs
nouveautés
♥♥ Franck – Chœurs « De l'autel au
salon » – Chœur de Chambre de Namur, Lenaerts (Musiques en
Wallonie 2021)
→ De réelles pépites dans cette anthologie, avec des chœurs qui vont du
décoratif charmant à l'ambitieux chromatique. Le tout accompagné sur
piano et harmonium – d'époque !
→ Hélas, ce chœur émérite est capté étrangement, donnant presque
l'impression d'entendre les timbres un peu dépareillés et écrasés d'un
ensemble amateur – alors que je sais de source sûre, les ayant entendus
très souvent, que c'est un des excellents chœurs de l'aire francophone.
Ce n'est toutefois pas au point de gâcher l'écoute et la découverte,
loin s'en faut !
♥ Pizzetti – 3 composizioni corali +
2 composizioni corali – Chœur de la Radio Nationale Danoise,
Stefan Parkman (Chandos 1991)
→ Chœur un peu baveux, prise de son aussi. Œuvres atypiques
intéressantes, mais pas du tout la même intensité que le Requiem (a
cappella, aux inspirations grégoriennes, à la prévalence prosodique et
aux nombreux enrichissements harmoniques imprévus).
G. Symphonies
nouveautés
♥♥ Pavel Vranický / Paul Wranitzky
– Orchestral Works, Vol. 3 :
Ouvertures, Symphonies Op.25 en ré « La Chasse » et Op.33 en
ut – Cz Chb PO Pardubice, Marek Stilec (Naxos 2021)
→ Volume beaucoup plus accompli que les précédents, des œuvres plus
marquantes (l'énergie de la Symphonie en ré !) et une
interprétation beaucoup plus concernée et frémissante que les assez
placides parutions précédentes. Rend bien mieux compte de la qualité
d'écriture de P. Vranický, même si le plus singulier de son œuvre reste
à remettre au théâtre avec son Oberon.
♥♥♥ Mendelssohn – Symphonies 1 & 3
– SwChbO, Dausgaard (BIS)
→ Pas nécessairement de surprise, après être passé récemment entre les
mains de beaucoup de propositions extrêmes (comme Heras-Casado ou Fey),
mais on retrouve le fouetté et le moelleux simultanés qui faisaient
tout le sel de l'intégrale (assez idéale) de Dausgaard chez Beethoven,
avec le même orchestre. Grand sens du discours, des couleurs, véritable
mordant, mais aussi plénitude permise par l'orchestre traditionnel (qui
joue comme un ensemble spécialiste). Le meilleur de tous les mondes à
la fois.
♥ Bruckner – Symphonie n°2 –
Philharmonique de Berlin, Paavo Järvi (Berliner Philharmoniker 2021)
→ Comme on pouvait s'y attendre : très fluide, superbes
transitions remarquablement amenées dans un univers où ce peut paraître
assez contre-intuitif, mais un certain manque de contrastes à mon goût
pour soutenir pleinement l'attention (et rendre justice à l'écriture de
Bruckner).
♥♥ Tchaïkovski – Symphonie n°1,
Capriccio italien, Valse d'Onéguine – Tonhalle Zürich, Paavo Järvi (Alpha 2021)
→ Très pudique, retenu et dépouillé, beaucoup de charme (et absolument
pas russe), paradoxalement. (Le solo de hautbois du II, au lieu de
décoller par son lyrisme, semble rester à sa place comme on murmurerait
un poème.
→ L'agogique est vraiment carrée pour de la musique russe (alors que
Järvi est d'ordinaire l'empereur des transitions extensibles), les
timbres restent très tenus aussi, mais la conception tient très bien ce
parti pris inattendu.
→ Le final renoue avec les qualités motoriques entendues dans la n°2 et
dans Roméo. Idem pour celui du Capriccio italien.
→ La Valse d'Onéguine est jouée avec une insolence inusitée, comme un
véritable morceau de concert. (Ce sens dramatique fait rêver à ce que
pourrait produire Järvi en dirigeant un opéra de Tchaïkovski ou Rimski…)
→ Bissé.
♥ Tchaïkovski – Symphonie n°3,
Polonaise d'Onéguine, Marche du Couronnement – Tonhalle Zürich,
Paavo Järvi (Alpha 2021)
→ Là aussi, un peu carré mais bel éclat (avec un orchestre droit et peu
coloré), très réussi dans son genre même si moins grisant que les
meilleurs volumes.
→ Bissé.
♥♥♥ Saint-Saëns – Intégrale des
Symphonies – O National de France, Macelaru (Warner 2021)
→ Après avoir trouvé que Măcelaru rendait ces œuvres complètement
fascinantes, je me demandais si le coffret paru ce jour tiendrait la
rampe en face des souvenirs de concert.
→ OUI. Totalement. Limpidité, poésie, tension, on a vraiment le
meilleur de tous les mondes à la fois, beaux timbres et clarté,
charpente et élan…
→ Voilà qui remet ces symphonies à leur niveau réel, pas toujours
avisément orchestrées pour mettre en valeur un matériau qui est en
réalité de haute volée – et Măcelaru rééquilibre précisément les
aspects par lesquels les autres, même les meilleurs comme Martinon,
restaient modérément enthousiasmants.
♥♥ Walton, Vaughan Williams – Symphonie n°1 pour piano à quatre mains
(arr. H. Murrill) + Crown Imperial (arr. H. Murrill)
// Suite pour piano à 4 mains – Lynn Arnold (2021)
→ Fabuleuse expérience de vivre la radiographie des rythmes et
harmonies riches et complexes de l'une des plus belles symphonies du
XXe siècle !
♥ Florence PRICE :
Symphony No. 3 / The Mississippi River / Ethiopia's Shadow in
America (ORF Vienna Radio Symphony, Jeter)
Beaucoup de thèmes folkloriques, mais j'ai davantage été frappé par
l'aspect rhapsodique de la pensée que par la structure, cette fois.
Moins luxueux et moins architecturé, j'ai l'impression, que la version
Nézet-Séguin.
Walter Werzowa-Beethoven –
Beethoven X : The AI Project – Cameron Carpenter, Bonn
Beethoven O, Kaftan (Modern Recordings 2021)
→ Construction par une intelligence artificielle d'un scherzo et d'un
rondeau final pour une symphonie imaginaire de Beethoven.
→ Amusant sur le principe, peu convaincant dans les faits : on
retrouve des caractéristiques (le pom-pom-pom-pom de la Cinquième,
comme il y en a beaucoup, rejaillit nécessairement dans l'algorithme),
l'orchestration est plutôt bien imitée… mais il manque toutes les
idées, les ruptures, le sens de la mélodie ou de l'événement, qui
émanent ordinairement du compositeur. Ici, une jolie pièce décorative
et finalement prévisible… qui ne cadre pas vraiment avec ce que l'on
attend de Beethoven.
→ Je n'ai pas compris l'inclusion d'un orgue concertant dans le rondeau
final, ni le pourquoi de la seconde (« edited ») version, le
livret n'étant pas disponible sur les sites de flux que j'ai consultés.
Mais on s'éloigne d'autant plus de Beethoven, clairement.
→ Bissé.
H. Poèmes
symphoniques & Ouvertures
nouveautés
♥ MacMillan – Larghetto pour orchestre
– Pittsburgh SO, Honeck (Reference Recordings 2021)
→ Très doux, jolies tensions harmoniques simples. Manque un peu de
reprise rythmique.
→ Couplé avec une Quatrième de Brahms que je n'ai pas eu le temps
d'écouter. (Mais Pittsburgh-Honeck, ce doit être vraiment excellent.)
I. Lied orchestral
nouveautés
Messiaen
– La Transfiguration, Poèmes pour mi, Chronochromie – Daviet,
BayRSO, Nagano (BR Klassik)
→ Pas très enthousiaste sur la grisaille (proverbiale à mon sens) de
l'orchestre. Et la Transfiguration, c'est assez peu passionnant. Pas
les meilleurs Poèmes ni Chronochromie non plus, même si très léché dans
la direction.
I. Concertos
nouveautés
Aubert,
Leclair, Quentin, Exaudet, Corrette - Concertos pour violon -
Ensemble Diderot, Pramsohler (Audax 2021)
→ Le son de l'Ensemble Diderot reste toujours aussi étroit et pincé,
vraiment du violon soliste sur boyau accompagné par un tout petit
ensemble aux timbres un peu stridents, mais c'est là un beau tour
d'horizon du concerto français – où j'ai hélas avant tout remarqué
Leclair (et le coucou Corrette, qui fait comme toujours son nid dans
les mélodies des autres…).
Hoffmeister, Stamitz &
Mozart - Concertos pour alto - Mate Szucs, Anima Musicæ ChbO
→ Inclut une transcription du concerto pour clarinette. Interprétation
tradi pas très exaltante. Le concerto de Hoffmeister se tient, celui de
Stamitz ne m'a pas paru très dense.
♥ PRATTÉ – Œuvres pour harpe
concertante
: Grand Concert / Theme and Variations on a Swedish Folk Tune /
Souvenir de Norvège – Constantin-Reznik, Norrköping Symphony, D. Musca
(BIS 2021)
→ Très intéressant legs (avec de la véritable musique incluse) à la
harpe.
→ Trissé.
J. Musique de chambre
nouveautés
♥♥ Caix d'Hervelois – « Dans les pas de
Marin Marais » – La Rêveuse
→ Superbe parcours qui révèle un compositeur de premier intérêt, varié
et expressif – la viole de gambe sans l'aspect méditatif et sombre qui
caractérise Marais et surtout Sainte-Colombe. Une expression plus
ouverte et avenante, que j'ai été surpris de voir développée avec un
matériau d'aussi bonne qualité !
GYROWETZ, A.: String Quartets, Op. 42, Nos. 1-3 (Quartetto
Oceano) (OMF 2021) → Ceux, composés à peine plus tôt, parus chez CPO
m'avaient bien davantage convaincu, dans une veine à-peine-postérieur-à-Mozart.
♥ Pleyel – Quatuors
10,11,12 – Pleyel Quartett Köln (CPO 2021)
→ Quatuors d'un classicisme tardif, toujours de très bonne facture et
très bien servis ! L'intégrale se poursuit au même niveau
d'excellence.
Draeseke – Quatuor n°3, Scène pour violon & piano, Suite
pour 2 violons - Constanze SQ (CPO 2021)
→ Belles œuvres, sans saillances majeures, mais bien écrites. Petite
déception par rapport au volume précédent, qui m'avait hautement
réjoui.
→ Bissé.
♥ Henri Bertini – Nonette, Grand Trio
– Linos Ensemble (CPO 2021)
→ Belle musique romantique pour ensemble, toujours impeccablement
réalisée par le Linos Ensemble.
♥♥♥ LYATOSHINSKY, SILVESTROV, POLEVA
– « Ukrainian Piano Quintets » – Pivnenko, Yaropud,
Suprun, Pogoretskyi, Starodub (Naxos 2021)
→ Trois petites merveilles – en particulier Poleva, à la fois d'une
fièvre postromantique et tout à fait tendu harmoniquement comme il se
doit se son temps. Liatochinsky se révèle contre toute attente le plus
sage des trois.
♥ KLEBANOV, D.L.: String Quartets Nos.
4 and 5 / Piano Trio No. 2 (ARC Ensemble)
→ Début du Quatuor n°4 fondé
sur le le Carol of the Bells,
dans un traitement très minimaliste et tintinnabulant (forcément), qui
débouche sur un esprit beaucoup plus swingué, très intéressant,
persuasif et séduisant. Le reste m'a moins impressionné.
→ Bissé.
K. Bois solos
L. Cordes à main
nouveautés
♥♥ Salzedo, Tchaïkovski, Hasselmans –
« La Harpe de Noël » – Xavier de Maistre
→ En réalité de belles paraphrases et variations, virtuoses et assez
denses musicalement, autour de thèmes célèbres. Pas un disque de
bluettes sirupeuses, de véritables qualités musicales indubitablement.
Beaucoup de compositions et d'arrangements de Salzedo.
M. Violon
(solo ou accompagné)
nouveautés
♥ PADEREWSKI, I.J. / STOJOWSKI, S.: Violin
Sonatas (Pławner, Sałajczyk) (CPO 2021)
→ Beau romantisme passionné et très, très bien joué et capté.
→ Bissé.
♥ Maija EINFELDE –Sonate pour violon solo , Sonates
violon-piano 1,2,3 – Magdalēna Geka, Iveta Cālīte (Skani 2021)
→ Monographie consacrée à la compositrice lettonne du XXe siècle. J'y
entends d'abord de la musique « de violoniste », virtuose et
pas exagérément personnelle, trouvé-je. Mais le final de la Sonate pour
violon solo impressionne par sa calme virtuosité et par le creusé de
son ton.
→ Geka formidable évidemment,
mais ce n'est pas le répertoire qui met le plus en valeur sa
sensibilité.
N. Violoncelle
(Pas nécessairement intuitif de prime abord : le disque
Lasceux-Jullien chez le fameux label P4Y-JQZ.
On a bien le droit de mettre les pochettes qu'on veut et de nommer son
label chacun à son goût…)
O. Orgue &
clavecin
nouveautés
Orgues
de Sicile (collection « Orgues du monde », vol. 1) –
Arnaud De Pasquale (HM 2021)
→ Orgues dont le tempérament est très typé, mais dont il faut vraiment
voir le clavier unique, étroit et branlant, pour apprécier toute la
saveur. Aussi, par rapport au disque, qui ne met pas beaucoup en avant
cet aspect (je ne sais quelle en est la raison technique), la vidéo
promotionnelle qui montre le cliquetis de la traction mécanique du
Speradeo de 1666 de l'église San Pantaleone à Alcara Li Fusi est assez incroyable.
♥♥♥ Guillaume Lasceux – Simphonie
concertante pour orgue solo – St. Lambertuskerk Helmond,
Jan van de Laar (P4Y JQZ 2020) + Jullien : suite n°5 du
livre I, Couperin fantaisie en ré, Böhm Vater unser, Jongen
Improvisation-Caprice, Franck pièce héroïque
→ Le disque contenant le plus de Gilles Jullien, et une version
extraordinairement saillante de la Pièce Héroïque de Franck.
→ Quel orgue fantastiquement savoureux !
♥♥ Bruckner – Psaume + Symphonie n°2
(Arr. E. Horn for Organ) – Hansjörg Albrecht (Oehms 2021)
→ Le Psaume se prête très bien à la transcription, magnifique, et la
Deuxième symphonie est le premier Bruckner joué par H. Albrecht où je
ne trouve pas les possibilités d'un clavier sans attaques dynamiques
différenciées, sans plans finement réglables, frustrantes. Magnifiques
couleurs et atmosphères, cela fonctionne à merveille dans cette
symphonie, celle au ton le plus insolent et l'une des structure les
plus simples du corpus, j'ai l'impression (je l'aime beaucoup).
Saint-Saëns – Complete Music for
Organ – Michele Savino (Brilliant Classics 2021)
→ À écouter d'un bloc, un peu difficile vu la pudeur du corpus. (On
connaît mieux les grandes Fantaisies, plus ambitieuses…)
♥♥ Oscar Jockel, Bruckner – Bruckner-Fenster II, Symphonie n°1
(Arr. pour orgue, Erwin Horn), 3 Pièces pour orchestre, Marche en ré
mineur – Hansjörg Albrecht (Oehms 2021)
→ Moins intéressant que la symphonie n°2, le résultat paraît plus
statique, mais le planant et dense Bruckner-Fenster m'a tout à fait
réjoui !
♥♥ Petr Eben – Anthologie
d'orgue :
4 Danses bibliques, Variations sur Le bon roi Venceslas, des extraits
de Musique dominicale, Faust et Job – Janette Fishell (Pro Organo
2020)
→ Œuvres formidables, mais pour Job,
allez impérativement voir du côté de David Titterington avec Howard Lee
en récitant (chez Multisonic).
♥♥ Petr EBEN – Momenti d'organo,
Festium omnium sacrorum, De nomine Ceciliæ, In conceptione immacaculatæ
BMV, Arie Ruth, 4 Danses bibliques –Michiko Takanashi, Ludger Lohmann
(Pan Classics 2021)
→ Les pièces vocales sacrées sont un peu figées dans leur prosodie
minutieuse, en revanche les Momenti
d'organo
sont des merveilles de tonalité stable mais très enrichie, qui n'est
pas sans parentés avec l'univers de Messiaen (en moins radicalement
autre, bien sûr).
Fanny
Mendelssohn-Hensel – Piano Sonatas – Gaia Sokoli (Piano
Classics 2021)
→ Jolies sonates équilibrées, qui ne cherchent pas les grands
contrastes dramatiques, et très bien exécutées.
Dora Pejačević – 6
Phantasiestücke, Blumenleben, Walzer-Capricen, 2 Esquisses pour
piano, 2 Nocturnes, Sonate – Ekaterina Litvintseva (Piano Classics 2021)
→ Piano postromantique assez standard, pas du tout du niveau de son
incroyable musique de chambre, même si la Sonate finit par culminer en
un beau lyrisme.
→ Interprétation et captation tout à fait valeureuses.
♥♥ Walton, Vaughan Williams – Symphonie n°1 pour piano à quatre mains
(arr. H. Murrill) + Crown Imperial (arr. H. Murrill)
// Suite pour piano à 4 mains – Lynn Arnold, Charles Matthews (Albion
Records 2021)
→ Fabuleuse expérience de vivre la radiographie des rythmes et
harmonies riches et complexes de l'une des plus belles symphonies du
XXe siècle !
Mariotte Sonate en fa#m,
(Didier) Rotella Étude en
blanc n°2, Ravel Prélude 1913, Jacquet de La Guerre Suite en ré
mineur – Andrew Zhou (Solstice 2021)
→ Première occasion d'entendre le Mariotte, crois-je, au
disque ! Pas du tout aussi singulier que les Impressions
urbaines ou même les Kakémonos, loin aussi du richardstraussisme de sa
Salomé…mais tout de même un beau postromantisme enrichi.
→ La pièce de Rotella en hommage à Ravel est très réussie. En revanche,
l'exécution de la suite pour clavecin d'ÉCJdLG souffre vraiment de
toutes les difficultés liées au piano (agréments très lourds, staccato
peu gracieux, tempérament égal particulièrement plat), sans que
l'interprète parvienne à résoudre tous ces problèmes.
→ Prise de son difficile, dans un petit espace et acide, surtout pour
le Jacquet de La Guerre et le final du Mariotte.
Q. Airs de cour,
lieder & mélodies…
nouveautés
♥♥ Bousset, Leclair, Fedeli, Naudé
l'Aîné, Pinel, Lambert, anonymes… – « Vous
avez dit Brunettes ? » – Les Kapsber'girls (Alpha
2021)
→ Programme fascinant consacré à ces pièces tendres et pastorales
appelées Brunettes, et dont plusieurs recueils ont paru au début du
XVIIIe sièce chez Christophe Ballard.
→ Refusant la prononciation restituée et favorisant au maximum le
naturel des textes, l'ensemble propose une lecture extrêmement
persuasive de ces pièces. La voix de la soprane (Alice Duport-Percier),
douce, se marie merveilleusement à l'émission beaucoup plus tranchante
de la mezzo (Axelle Verner), alliance inhabituelle (d'ordinaire
inversée) qui permet une intelligibilité maximale de la musique et du
texte – de surcroît, les solos révèlent des voix intrinsèquement
sublimes.
→ Seule frustration, la prise de son très sèche d'Alpha, trop proche
des chanteuses, qui relègue et écrase l'accompagnement, toutc en
atténuant le fondu de leurs voix qui fait merveille en concert (j'étais
à celui de lancement Salle Colonne, l'équilibre était bien meilleur
même sans être au premier rang).
♥ Beethoven – Irish Songs –
Maria Keohane, Ricercar Consort, Philippe Pierlot (Mirare 2021)
→ Accompagnées à la harpe plutôt qu’au piano, avec violon sur boyaux,
interprétation atypique de ces beaux chants traditionnels arrangés par
Beethoven.
♥♥ Schubert – Die schöne Müllerin
– Andrè Schuen, Daniel Heide (DGG 2021)
→ Très belle version. Des efforts pour être expressifs à tous les
moments-clefs ; qualité d'articulation de la part des deux
artistes. J'aime beaucoup la façon dont ils caractérisent précisément
chaque moment de chaque lied.
→ Mais tout de même deux réserves pour ma part.
a) la transposition pour baryton
rend la partie de piano un peu épaisse et poisseuse, on perd un peu en
charme, malgré le grand soin des nuances ;
b) la substance de la voix du baryton. Dès que c'est fort, la
l'instrument est poussé, et la couverture est exagérée (de francs [eu]
pour des [è]...). En revanche toutes les nuances douces sont absolument
merveilleuses, pour ainsi dire inégalée.
→ Ce n'est pas la lecture que je trouve la plus personnelle ou qui me
touche le plus, il y a potentiellement de petites réserves techniques
sur la voix, mais sur le plan artistique, l'interêt de
l'interprétation, une grande version !
♥♥ Thorsteinson, Schumann – Lieder
(en islandais + Op.39) – Andri Björn Róbertsson, Ástríður Alda
Sigurðardóttir (Fuga Libera 2021)
→ Remarquable interprétation de Schumann, une voix aux belles moirures
graves. Les lieder islandais souffrent de la comparaison avec Schumann
(plus jolis que dramatiques, un peu lisses), possiblement aussi de ma
maîtrise linguistique bien moindre.
♥ Edouard Lassen – Lieder, mélodies
– Reinoud van Mechelen, Anthony Romaniuk (Musiques en Wallonie 2021)
→ Un grand succès de son temps. Très doux, très simple, très réussi. Et
le fondu de la voix de Mechelen se déploie idéalement dans ce contexte
romantique.
♥♥♥ Biarent, Salvador-Daniel,
Fourdrain, Berlioz, Gounod, Bizet, Saint-Saëns, Chausson –
mélodies orientales « La chanson du vent » – Clotilde van
Dieren, Katsura Mizumoto (Cyprès 2021)
→ Plusieurs véritables raretés dont les 8 Mélodies de Biarent, Alger le soir de Félix Fourdrain
ou l'entêtante Chanson mauresque de
Tunis de Francisco Salvador-Daniel ! Belle sélection de
pièces très persuasives.
→ Interprétation par un mezzo capiteux mais à la diction précise, la
voix sonne très « opéra » mais se coule remarquablement dans les
exigences de l'exercice.
♥♥ Debussy, Rihm, Strauss, Schönberg –
Ariettes oubliées (+ mélodies de jeunesse), 3 Hölderlin, Mädchenblumen,
Op.2 – Sheva Tehoval, Daniel
Heide (Cavi 2021)
→ Superbe voix, légèrement pincée, à l'aigu facile, aux graces clairs
et naturels, le tout dans un français impeccable.
♥♥ Schumann, Barber – Schöne Wiege
meiner Leiden, I Hear an Army – John Chest, Hans Adolfsen
(VocalCompetition YT, 2016)
♥♥ FARWELL, A.: Songs, Choral and
Piano Works (« America's Neglected Composer) (W. Sharp, Arciuli,
Dakota String Quartet)
→ Compositeur nord-américain qui a mis à l'honneur la musique
traditionnelle amérindienne en en insérant des thèmes arrangés dans sa
musique. D'après la notice, il souffre aujourd'hui des
thématiques débattues autour de l'appropriation
culturelle pour être remis à l'honneur.
Il est vrai que sa musique est de grand intérêt, conçues avec un très
beau métier et une belle inspiration personnelle ; vu son peu de
notoriété initial, la plus grande difficulté réside sans doute d'abord
là.
Je crois que vous avez là encore de quoi vous laisser surprendre… en
attendant d'éventuelles présentation de cycles hors nouveautés, avec
des exploration encore plus enthousiasmantes ! (En ce moment
même, Alfvén 2 par Svetlanov et la Radio Suédoise, quelle Épiphanie !)
À très bientôt pour de nouvelles aventures autour des anniversaires,
d'éditoriaux, de suggestions de découvertes ou de petites découvertes «
pédagogiques »… ce n'est pas sûr encore !
🔵 Ce 24 mai, on donne au Théâtre de Comédie
Musicale de Saint-Pétersbourg, dont le
bâtiment est connu sous le nom « Théâtre du Palais du Ballet »
(!), une
adaptation russe de l'opérette la plus célèbre de LAJTAI
Lajos, A
régi
nyár (« Le vieil été ») – subtilement renommée pour l'occasion Été d'amour.
Exerçant de 1923 à 1958, Lajtai
se fait d'abord connaître avec ce
titre, écrit pour la scène hongroise, et incluant du folklore local.
L'œuvre est typique de son temps : rengaines de caractère, très courtes
(1 à 2 minutes !),
marquées par le jazz, le café-concert – et ici la valse viennoise.
L'œuvre est si populaire en Hongrie qu'elle existe sous trois formes
vidéo : en film (peu après la création), en téléfilm et en captation
filmée. Certaines de ses chansons ont aussi été empruntées pour égayer
des
films.
Juif, Lajtai quitte le pays avec sa femme et exerce dans les années 30
à
Paris, où il collabore avec Christiné (il écrit anonymement au moins
une chanson de La Poule) et
compose ses propres opérettes dans le
style français,
puis dans les années 40 en Suède (opérettes en suédois…) – où il
conserve son nom francisé, Louis
Lajtai.
¶ L'intrigue ? En pleine représentation d'un grand théâtre européen, la
prima donna s'évanouit : elle a aperçu dans le public celui qui
l'a
abandonnée 18 ans plus tôt.
Elle projette alors sa vengeance, mais leur fils (de 18 ans) s'éprend
de
la fille que son père absent a adoptée, ce qui va tout compliquer…
¶ La compagnie du Théâtre de Comédie Musicale de Saint-Pétersbourg naît
en 1927, de la fusion des troupes de « comédie musicale »
des villes de Kharkov et de Leningrad. Il s'installe dans la Rue
Italienne en 1938,
sur cette place emblématique dessinée par Carlo Rossi, l'architecte
italien des grands ensembles pétersbourgeois – cette place
accueille la
Philharmonie de Saint-Pétersbourg, le Palais Mihailovsky et le Théâtre
du même nom…
Vous avez vu les intérieurs.
Extérieur beaucoup plus banal, à l'italienne – et servant de parking.
Sans vouloir porter de jugement sur l'urbanisme italien ni l'élégance
russe bien sûr, c'est quand même un peu moisi.
À ne pas confondre avec le théâtre de
Comédie Akimov bien plus récent
et considérablement moins luxueux ! – sur la Perspective Nevski.
Pendant des décennies, pour le mélomane, le cas de Pelléasparaissait assez clair : œuvre du
XXe siècle, dont le compositeur a évidemment livré une version
définitive – à partir de cette époque, les partitions laissent assez
peu de part à l'interprétation compositrice (il ne s'agit plus
d'inventer des figures d'accompagnement, ni même d'enjoliver les lignes
vocales). Dans une œuvre aussi aboutie que Pelléas, on se figure bien que
Debussy a laissé peu d'éléments au hasard.
Tout au plus connaissait-on l'histoire admirables de
ces interludes, joués même en
concert (alors qu'ils paraissent bien uniformes ainsi présentés…),
composés durant les répétitions pour des raisons très contingentes de
changements de décor… Fin de l'histoire.
Pourtant, ces dernières années, on a pu remarquer,
de plus en plus fréquemment, des altérations
de détails plus ou moins frappants lors de représentations de Pelléas. Que s'est-il passé ?
En réalité, les musiciens connaissent la chose de première main depuis
très longtemps, puisque même dans le matériel d'exécution… c'est un
assez grand désordre. Je vous propose donc un rapide tour du
propriétaire, pour que ces surprises et divergences ne troublent plus
vos nuits.
[[]]
Fin de l'acte III dans son édition habituelle, avec coupures.
Chloé Briot (Yniold), Jean-François Lapointe (Golaud),
Orchestre National des Pays de la Loire, Daniel Kawka
(Nantes 2014, captation France Musique).
2) L'élan de la
composition
En 1890, Catulle
Mendès, qui cherchait un compositeur pour son livretRodrigue
et Chimènede 1878,
dans le but de le donner à l'Opéra, le propose à Debussy, en qui il
pressent un futur grand. Le compositeur accepte (il n'a essayé que des
esquises jusqu'ici, dont Diane au bois),
notamment pour la rémunération et la célébrité que cet accomplissement
lui procurerait instantanément, mais ne cesse de souligner dans ses
lettres ses souffrances : le livret, trop conventionnel, le fait
travailler à rebours de son inspiration peu sensible aux figures
obligées issus du grand opéra à la française ; par ailleurs, le
wagnérisme affiché du librettiste semble l'irriter. Plus tard, après
son abandon, il prétendra l'avoir brûlé par erreur – ce qui, nous le
savons désormais que en avons retrouvé les partitions, est faux.
Le Prélude et le duo liminaire constituent pourtant
un accomplissement majeur, une atmosphère post-tristanienne totalement
renouvelée par une transparence qui sera bientôt, grâce à lui, la
marque de l'école française. La suite semble s'essouffler
progressivement, il est vrai. Les grandes déclamations conventionnelles
de sentiments élevés ou stéréotypés semblent le laisser totalement de
marbre – c'est d'ailleurs exactement ce qu'il confesse à Paul Dukas
lorsqu'il lui en joue des extraits.
En 1893,
c'est la révélation. Il voit Pelléas
lors de ses premières représentations théâtrales, et en sort enchanté.
Il demande l'autorisation à Maeterlinck, qui lui donne pleins pouvoirs
sur son texte (pacte à l'origine de leur célèbre brouille, culminant
dans la provocation en duel et la mort de Messaline…), et achève son œuvre dès 1895, sous la
forme d'une partition piano-chant.
(Rodrigue est
subséquemment abandonné.)
Il réalise alors
sans cesse des retouches, mais
ne débute l'orchestration qu'à partir de 1898, lorsque la commande de l'Opéra-Comique est
confirmée.
À partir de ce moment, nous disposons d'un matériel assez mouvant.
3) Ce qui n'a pas
été écrit / ce qui a été ajouté
Certaines scènes n'ont jamais été mises en musique :
Scènes d'emblée coupées
(numérotation des scènes de Maeterlinck)
I,1
L'espèce de Prologue avec les servantes (de qui essuient-elles le
sang ? du père de Golaud ? ou bien de la tragédie qui va se
dérouler
sous nos yeux ?) ;
III,1
les jeux d'Yniold dans la tour en présence de Mélisande et Pelléas
(d'où est tirée et extrapolée la chanson de la Tour, de la main
de Debussy) ;
V,1
les dialogues des servantes sur le drame qui vient de se produire (V,1).
Le texte en est donc coupé, mais pas la musique.
En 1901,
Debussy a achevé une partition «
définitive » pour piano et chant, qui a longtemps été utilisée
pour préparer les chanteurs, mais elle diffère
en plusieurs points de la version orchestrale que nous
connaissons (révision de 1905) – ce qui réclamait une certaine
acrobatie pour se conformer ensuite à la partition d'orchestre lors des
représentations.
Certains spectacles ont d'ailleurs été conçus en
utilisant cette réduction piano comme
une réelle œuvre autonome – par exemple le DVD réalisé à
Compiègne, des représentations accompagnées par Alexandre Tharaud ou
encore celles du New York City Opera avec Patricia Petibon.
Arrive le moment de la création, en 1902. Au cours des répétitions,
André Messager – qui avait
co-commandé l'œuvre avec Albert Carré (directeur de l'Opéra-Comique),
et devait diriger l'œuvre – demande
des mesures supplémentaires aux interludes des actes :
I
→ scènes 1-2, entre la forêt et le
château, 33 mesures supplémentaires ;
→ scènes 2-3 entre une salle du château et les jardins, 18 mesures
supplémentaires ;
II
→ scènes 1-2 entre la fontaine dans la
forêt et la chambre de Golaud, 37 mesures supplémentaires ;
→ scènes 2-3 entre la chambre de Golaud et la grotte, 15 mesures
supplémentaires ;
IV
→ scènes 2-3 entre un appartement du
château et la fontaine, 45 mesures supplémentaires.
La scène de l'Opéra-Comique étant peu profonde, la substitution des décors est difficile
entre les tableaux (nommés « scènes » dans le livret, mais ce
sont en réalité des changements de décor et non seulement de
personnages), et le 1er avril (la générale était le 28, la première le
30) Messager réclame précisément le nombre de mesures nécessaire à la
bonne exécution des opérations. Cet épisode est largement connu et
documenté, s'agissant de la part la plus souvent jouée de l'opéra, même
loin des scènes de théâtre.
Messager précise qu'il a collecté une à une les
pages écrites en urgence par Debussy pour allonger les transitions.
Tout fut monté pour la première, et le public a toujours connu Pelléas avec ses interludes longs.
Toutefois, la partition parue en 1902 chez Fromont présente au
contraire la version sans interludes allongés – mais intégrant les
coupures admises pendant les répétitions. C'est sur elle que se sont
fondées les tentatives de
représentations de la version « originale » avec orchestre (en
réalité un état de la partition jamais entendu par le public), par
exemple Gardiner à Lyon ou Minkowski à l'Opéra-Comique pour le
centenaire. (Retrancher ces mesures écrites certes dans l'urgence, mais
aussi dans une veine très inspirée, paraît toujours un peu décevant.)
4) Ce qui a disparu
et mérite peut-être de renaître
Pour autant, Debussy, qui recevait volontiers chez
lui les chanteurs qui reprenaient Pelléas
au fil des séries, continuait
de corriger sa partition… Des mélodies et rythmes chez les
chanteurs, par exemple. Ce n'est qu'en 1905,
avec la parution de sa version
réorchestrée (chez Durand),
que s'achèvent, je crois, la série des variantes – en tout cas des
variantes publiées / publiables.
Est-ce la version complète ? Non. Car, et
c'est là le plus intéressant, à
divers stades, Debussy a écarté des groupes de mesures, et
surtout du texte qu'il avait déjà mis
en musique. Les voici résumés.
Les coupures sur la musique
III,3
(la terrasse au sortir des
souterrains)
→ Suppression
d'une remarque sur les
moutons « Ils pleurent comme des enfants perdus ; on dirait qu'ils
sentent déjà le boucher » et d'un climax où Golaud chante « Quelle
belle journée ! Quelle admirable journée pour la moisson ! »
III,4
(torture d'Yniold)
→ Le fameux « Et le lit ?
Sont-ils près du lit ? », qui est revenu en grâce dans plusieurs
représentations et parutions récentes (Rattle par exemple). Je reviens
sur son histoire pour conclure cette notule.
→ 13 mesures allongeaient la fin
de
l'acte, dont une phrase qui complète la dernière parole de Golaud – qui
ne s'éloigne pas avec Yniold, mais va au contraire se rapprocher : «
Viens, nous allons voir ce qui est arrivé. » (et non « Viens ! »).
IV,4
(monologue de Pelléas avant la grande scène d'amour)
→ Référence au père de Pelléas
dont la
guérison confronte Pelléas à ses choix : « Mon père est hors de danger,
et je n'ai plus de quoi me mentir à même » (avant « Il est tard, elle
ne vient pas. Je ferais mieux de m'en aller sans la revoir »).
→ 24 mesures avant la fermeture des portes.
→ Suppression d'une glose de Pelléas autour de « il ne sait pas que
nous l'avons vu », quand ils aperçoivent Golaud caché.
Uniquement des portions
courtes, mais à l'exception du « lit », ces extraits n'ont
jamais été enregistrés – officiellement du moins. Il semble néanmoins
que ces dernières années soient apparues certaines de ces variantes
(notamment « viens, nous allons voir ce qui est arrivé ») dans des
versions en DVD. Je n'ai pas encore réuni toutes les références ni tout
vérifié.
Il me semble aussi avoir lu incidemment que la scène d'Yniold avec les
moutons n'avait pas été donnée à la création, mais je n'ai pas le temps
de vérifier ce point avant publication, et il n'est pas crucial : il
s'agit d'une scène entière, bien connue et aisée à rétablir sans rien
altérer.
En attendant, tout cela permet de bénéficier de petits suppléments, de surprises, de
fragments qui peuvent éclairer les éléments restés vaporeux dans les
intentions des personnages – Debussy a eu tendance à gommer les aspects généalogiques trop précis,
en particulier. Et, je l'espère, permettra de vous rassurer quant à
l'origine de ces variantes : il y a effectivement eu quelques années où
certaines articulations ont connu un peu de jeu sous la plume de Debussy.
On ne peut qu'être étonné, devant la célébrité de
l'œuvre, sa fréquence sur les scènes et le profil plutôt
intellectualisant de ses amateurs, que des versions alternatives,
fût-ce sur des détails, n'aient pas servi d'argument commercial.
Deux versions différentes de cette phrase du
monologue de Pelléas supprimée à l'acte IV.
Je vous quitte, estimés lecteurs, avec ces quelques
éléments autour du Lit.
Et le lit ??
Alors que Golaud interroge
vainement Yniold, juché sur ses épaules en espion innocent, sur
ce que
font Mélisande et Pelléas dans la Tour (« Que font-ils ? », « Sont-ils
près l'un de l'autre ? »), il finit par lâcher le fond de sa pensée,
alors que l'orchestre se tait soudain : «
Et le lit ? Sont-ils près du lit ? ». Pourtant, nous ne le
connaissons
que dans de rares versions de ces dix-quinze dernières années.
Nous disposons d'une lettre de Debussy qui l'explique :
les
coupures de la fin de l'acte III sont dues à une censure. En effet, le
jour de la générale costumes, le «
directeur des Beaux-Arts » (je retraduis d'après
le texte anglais proposé par Robert Orledge… est-ce un ministre
? un agent du ministère ? un censeur ? je n'ai pas eu
le temps ni
l'intérêt, à vrai dire, de vérifier), M. Roujon, avise le caractère
trivial de cette scène de voyeurisme, et demande à Carré la suppression
du tableau entier. Debussy refuse absolument, et propose en échange les
coupures (très ciblées, finalement) que nous venons de parcourir
ensemble. Il ne s'agit que de celles
de l'acte III, les autres semblent
réellement issues de choix artistiques de Debussy, de repentirs dirions-nous s'il était
peintre…
Il avance même qu'il aurait dû modifier le passage
litigieux
lui-même, et que seule la « ridicule dispute » (je retraduis la lettre
de l'anglais, n'ayant pu la retrouver en français, je ne garantis pas
l'exactitude de l'expression ici non plus) qui l'opposa à Maeterlinck
l'avait empêché de lui demander des altérations. Ceci me paraît d'une
tartufferie confondante, dans la mesure où Debussy a précisément fait ce qu'il voulait
de la prose de Maeterlinck, non seulement en coupant (ce qui est
inévitable en adaptation une pièce parlée à l'opéra, et ce à quoi avait
consenti le poète), mais aussi en récrivant un assez grand nombre
d'expressions ! Une bonne partie des citations désormais célèbres
de
Pelléas ont été remaniées, voire écrites par Debussy… La lettre finit
d'ailleurs par des flatteries assez obséquieuses envers le critique qui
semble avoir bien accueilli la première.
Changement de dernière minute et commandé par la
menace imminente
d'une suppression pure et simple d'une scène complète d'une douzaine de
minutes. Mais qu'en est-il musicalement
? Hé bien, et apparemment pas mal de mélomanes et même
d'exégètes partagent mon sentiment, cette
interruption pleine de crudité, presque dans le silence – qui traduit
très efficacement l'obsession de Golaud – freine en réalité la
progression implacable de cette dernière section, de plus en
plus
trépidante dans sa version coupée, jusqu'à l'explosion de fureur
orchestrale finale. Au contraire, en rétablissant les questions autour
du Lit, c'est une pause qui est ménagée, certes saisissante, avant la
brève reprise, terrifiante, de la cavalcade. Très réussi aussi, mais la
musique nous a soudain relâchés et la conclusion se révèle alors un peu
courte.
À cela s'ajoute que, systématiquement, le public rit
généreusement
à l'aspect vaudevillesque de la situation. [Je suis toujours fasciné
par ces spectateurs capables de rire spontanément au moindre trait
d'humour au sein de la tragédie la plus noire, alors que je suis
moi-même écrasé par la pesanteur des enjeux et peut-être encore plus
dévasté par l'ironie mordante de certains traits. Je ne sais quel
mécanisme me manque.] Ces rires, dans une œuvre mise en musique,
tendent à interrompre d'autant plus la continuité et briser
l'atmosphère : du point de vue très terre-à-terre du confort d'écoute,
le supprimer représente également un gain.
Je ne suis pas nécessairement convaincu non plus, sur le papier, par la
nécessité des autres ajouts – sauf l'allongement des parties
instrumentales, comme en cette fin d'acte III, précisément, qui
rééquilibre peut-être la rupture du Lit ! Il est cependant très
probable que mon habitude de Pelléas
me rende toute nouveauté vaguement décevante, triviale ou sacrilège ;
aussi je suis très curieux de les entendre, dès qu'il sera possible,
avant de me prononcer.
[[]]
Fin de l'acte III avec rétablissement du Lit.
Elias Mädler (Yniold), Gerald Finley (Golaud),
London Symphony Orchestra, Simon Rattle
(CD LSO Live 2017).
5) Une édition
critique… vers l'avenir
Les entendre avant de se prononcer, ce devrait être
chose faite bientôt, puisque les
éditions Durand-Salabert-Eschig ont lancé, en grande pompe l'an
dernier, une édition critique de Pelléas,
incluant une nouvelle réduction piano, correspondant réellement à la
partition d'orchestre cette fois, et contenant ces passages coupés
(avec la possibilité de continuer à les omettre si le chef le souhaite).
J'aurais envie de les féliciter, mais Durand est
quand même la maison qui est restée pendant tout ce temps assise sur
son tas d'or à toucher des droits d'auteur automatiques avec ces
éditions bancales de Pelléas
(contenant de surcroît des fautes…), dont elle avait, grâce au droit de
la propriété intellectuelle français, une parfaite exclusivité. D'une
part grâce au principe de l'œuvre collective, protégée jusqu'à la mort
du dernier collaborateur (Maeterlinck est mort en 1949, très longtemps
après Debussy) ; d'autre part grâce aux années de guerre, très longues lorsque les œuvres ont été composées
avant la première guerre mondiale (quelque chose comme 14 ans), qui
s'ajoutent aux 70 ans de protection post
mortem.
Alors les voir produire cette édition rigoureuse que
tout le monde attendait maintenant,
alors que l'œuvre sera, d'ici 2025 au
maximum – probablement avant – dans
le domaine public (donc utilisable sans rien reverser à
l'éditeur historique)… Je ris doucement, et je leur souhaite
cordialement de se faire tailler des croupières par la concurrence qui
rééditera l'ancienne édition ou en fera de nouvelles tout aussi
documentées. (Oui, je n'ai pas pardonné, quand j'étais
étudiant, la pratique de vendre les cycles de Ravel uniquement en
mélodies détachées, pour obtenir les 5 pages à 25€ – à l'époque où,
avec 25€, on pouvait acheter une Mercedes…)
Pour autant, il s'agit d'une nouvelle merveilleuse
pour tous les amateurs de Pelléas,
qui irradiera à travers les représentations et enregistrements que nous
découvrirons dans les années à venir !
J'espère que cette notule aura contribuer à réduire
vos alarmes devant la multiplicités des bizarreries pelléassiennes,
toutes prêtes à déferler sur vos salles et disquaires préférés, et qui
n'auraient pas tardé à envahir votre disponibilité auditive et mentale.
Puissent, estimés lecteurs, ces quelques
explications parvenir à éclairer, autant qu'il est possible, les jours sombres que notre engeance
maudite traverse.
À nouveau, tandis que je construis patiemment la suite de la série biblicomusicale ou que je grimpe Vercors
et Cévennes à la recherche de chapelles romanes emblématiques et d'aqueducs cachés…
… une petite mise à jour des lecteurs audio d'une ancienne notule
(avril 2009 !) consacrée à la qualité de prononciation à l'Opéra, sur lesquelles
s'écharpent quelquefois les mélomanes.
J'y proposais quatre angles d'approche (articulation, accentuation,
aperture, accent) pour trier un peu les critères – et leur impact sur
l'interprétation. Avec les extraits adéquats – dont quelques petites
merveilles un peu rares.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Intendance a suscité :
Suite à la perfidie d'Adobe et à l'intérêt persistant (merci
!) de mes lecteurs, me voici à reprendre une à une mes notules encore
utiles pour y inclure de nouveaux lecteurs audio – oui, je voudrais
automatiser ce travail, mais c'est moins simple qu'il n'y paraît.
Et comme les recherches pour nourrir CSS,
ainsi que la vie elle-même, réclament quotidiennement leur dû sur le
temps de rédaction disponible, je me contente aujourd'hui de vous
renvoyer vers la notule sur le vibrato
(de 2009 !), que j'ai légèrement amendée (en particulier sur ses
périodes d'usage dans le domaine vocal).
La voici désormais avec des extraits flambants neufs, pour essayer de
comprendre quels paramètres peuvent varier lorsqu'on entend une voix
vibrer, et essayer de les sérier. Il n'y est pas seulement question
d'aspect esthétique, mais aussi… moral. Car le vibrato induit des représentations
assez fortes – il n'est que de voir ce qu'il produit sur les néophytes,
stupéfaction, fascination… et plus souvent encore épouvante !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Intendance a suscité :
L'idée de départ : proposer une découverte de la Bible à travers ses
mises en musique. Le but ultime (possiblement inaccessible) serait de
couvrir l'ensemble des épisodes ou poèmes bibliques jamais mis en
musique. Il ne serait évidemment pas envisageable d'inclure l'ensemble
des œuvres écrites pour un épisode donné, mais plutôt de proposer un
parcours varié stylistiquement qui permette d'approcher ce corpus par
le biais musical – et éventuellement de s'interroger sur ce que cela
altère du rapport à l'original.
Quelques avantages :
♦ incarner
certains textes ou poèmes un peu arides en les ancrant dans la musique
(ce qui devrait satisfaire le lobby chrétien) ;
♦ observer différentes approches possibles de cette matière-première
(pour les musiqueux).
Sur ce second point, beaucoup peut être appris :
D'une part le nécessaire
équilibreentre
♦ le langage
musical du temps,
♦
les formes liturgiques décidées
par les autorités religieuses,
♦
la nature même de l'épisode narré.
Sur certains épisodes qui ont traversé les périodes (« Tristis est
anima mea » !), il y aurait tant à dire sur l'évolution des usages
formels…
D'autre part le positionnement plus
ou moins distant du culte religieux :
niveau 1 → utilisé pour toutes les célébrations (l'Ordinaire des catholiques),
niveau 2 → pour certaines fêtes
ou moments spécifiques de l'année liturgique (le Propre),
niveau 3 → en complément de la messe proprement
dite (comme les cantates),
niveau 4 → en forme de concert sacré mais
distinct du culte (les oratorios),
niveau 5 → sous forme œuvres destinées à édifier le public mais représentées dans
les théâtres (oratorios hors églises ou opéras un peu
révérencieux),
niveau 6 → de libres adaptations
(typiquement à l'opéra, lorsque Adam, Joseph ou Moïse deviennent des
héros un peu plus complexes)
niveau 7 → ou même de relectures
critiques (détournements d'Abraham ou de Caïn au XXe siècle…).
À cette fin, j'ai commencé un tableau
qui devrait, à terme, viser l'exhaustivité – non pas, encore une fois,
des mises en musique, mais des épisodes bibliques. Il s'avère déjà que,
même pour les tubes de la
Genèse, certains épisodes sont très peu représentés – l'ivresse de Noé,
pourtant abondamment iconographiée, est particulièrement peu répandue
dans les adaptations musicales, y compris au XXe siècle où les
questions de bienséance se posent avec une moindre acuité.
Mais en plus du tableau, de petits épisodes détachés avec un peu de
glose ne peuvent pas faire de mal. (Comme ils seront dans le désordre,
ils pourront ensuite être recensés dans le tableau ou une notule
adéquate.) Nous verrons combien je réussis à produire, et si cela revêt
quelque pertinence.
Abel & Caïn
Étrangement, le premier homicide connaît peu de versions populaires…
mais c'est aussi l'un des épisodes qui a été traité avec le plus de
diversité dans les approches. Commençons par cette copieuse entrée en
matière.
Texte énigmatique, qui montre Dieu se détourner sans cause explicite du
laboureur pour favoriser le berger, faisant naître la première rivalité
fraternelle au taux de létalité de 1.
La source
1. Or Adam connut
Eve sa femme, laquelle conçut, et enfanta Caïn; et elle dit : J'ai
acquis un homme de par l'Eternel.
2. Elle enfanta encore Abel son frère; et Abel fut
berger, et Caïn laboureur.
3. Or il arriva, au bout de quelque temps, que Caïn
offrit à l'Eternel une oblation des fruits de la terre ;
4. Et qu'Abel aussi offrit des premiers-nés de son
troupeau, et de leur graisse ; et l'Eternel eut égard à Abel, et à son
oblation.
5. Mais il n'eut point d'égard à Caïn, ni à son
oblation ; et Caïn fut fort irrité, et son visage fut abattu.
6. Et l'Eternel dit à Caïn : Pourquoi es-tu irrité ?
et pourquoi ton visage est-il abattu ?
7. Si tu fais bien, ne sera-t-il pas reçu ? mais si
tu ne fais pas bien, le péché est à la porte ; or ses désirs se
[rapportent] à toi, et tu as Seigneurie sur lui.
8. Or Caïn parla avec Abel son frère, et comme ils
étaient aux champs, Caïn s'éleva contre Abel son frère, et le tua.
9. Et l'Eternel dit à Caïn : Où est Abel ton frère ?
Et il lui répondit : Je ne sais, suis-je le gardien de mon frère, moi ?
10. Et Dieu dit : Qu'as-tu fait ? La voix du sang de
ton frère crie de la terre à moi.
11. Maintenant donc tu [seras] maudit, [même] de la
part de la terre, qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le
sang de ton frère.
12. Quand tu laboureras la terre, elle ne te rendra
plus son fruit, et tu seras vagabond et fugitif sur la terre.
13. Et Caïn dit à l'Eternel : Ma peine est plus
grande que je ne puis porter.
14. Voici, tu m'as chassé aujourd'hui de cette
terre-ci, et je serai caché de devant ta face, et serai vagabond et
fugitif sur la terre, et il arrivera que quiconque me trouvera, me
tuera.
15. Et l'Eternel lui dit : C'est pourquoi quiconque
tuera Caïn sera puni sept fois davantage. Ainsi l'Eternel mit une
marque sur Caïn, afin que quiconque le trouverait, ne le tuât point.
16. Alors Caïn sortit de devant la face de
l'Eternel, et habita au pays de Nod, vers l'Orient d'Héden.
17. Puis Caïn connut sa femme, qui conçut et enfanta
Hénoc ; et il bâtit une ville, et appela la ville Hénoc, du nom de son
fils.
Genèse 4:1-17, traduction de
Martin (1744).
Les
adaptations musicales
1567 Roland DE
LASSUS – Ubi est Abel
¶ Réutilisation littérale des versets
9 et 10 sous forme d'une polyphonie
à cinq parties. C'est-à-dire le dialogue avec Dieu, sommet du
potentiel dramatique de l'épisode, autour de la fameuse réplique «
Suis-je le gardien de mon frère ? ».
¶ Seule petite divergence : le verbe, « ait » dans ma vulgate
sixto-clémentine de de 1592, « dixit » chez Lassus, probablement une
question de version de la vulgate. Le verbe est en outre placé à la
fin, peut-être une intervention de la tradition pour placer dès le
début de la pièce musicale les mots importants.
¶ En effet, cet texte était utilisé depuis l'ère grégorienne comme répons
– chanté pendant un office à la suite d'une lecture de la Bible, avec
des effets de reprise en écho (vis-à-vis du verset du soliste).
¶ En l'occurrence, celui-ci est prévu pour
le dimanche de la Septuagésime – c'est-à-dire le neuvième
dimanche avant Pâques, période entre le temps liturgique de Noël et
celui de Carême, caractérisé chez les catholiques par l'usage du
violet. Vatican II a supprimé cette période (devenu le temps ordinaire
qui suit l'Épiphanie), il est donc plus délicat de l'appréhender en
personne aujourd'hui, mais c'était une réalité tangible au moment de la
composition.
¶ Œuvre appartenant donc au Niveau 2 : interprété pendant la
célébration de certains jours spécifiques.
¶ Très belle œuvre pleine de fluidité et d'éloquence, comme toujours
chez Lassus.
[[]]
Un seul enregistrement à ma connaissance (Singer Pur, Ars Musici 2009).
Existe aussi une transcription pour consort de viole chez Delphian (par
The Rose Consort of Viols).
Ubi
est Abel : un répons musical au temps de la Réforme
Bien qu'à ma connaissance, la
version de Lassus (prévue pour le culte catholique), soit la seule qui
ait été gravée sur disque, nous sommes en possession d'au moins 4
autres mises en musique, toutes de la part de de compositeurs
luthériens : en 1543 Balthazar Resinarius
(un proche de Luther), en 1547 Nickolaus Kropstein (un pasteur, proche de
Luther également), en 1550 Lorenz Lemlin,
en 1556 Hollander…
Il faut dire qu'au cœur de la Réforme, la figure de Caïn a été un
emblème très utilisé dans la propagande.
§
Sur le plan de l'exégèse, d'abord, Luther,
dans ses Commentaires sur la Genèse,
développe l'idée que la question posée « Où est Abel ? » n'est pas réellement de Dieu (Caïn
aurait su qu'il était inutile de mentir) mais d'Adam inspiré par Dieu.
Il est possible, selon les commentateurs, que Luther ait pensé, en
écrivant cela, à un parallèle avec les procès expéditifs contre les
protestants, tandis que Dieu, lui, laisse toujours une voie ouverte
pour se défendre et se repentir.
§
Plus concrètement (et suivant une interprétation inverse), dans les chansons politiques qui circulaient,
on trouve souvent Abel comme représentant le protestant de bonne
volonté victime des moqueries des sophistes catholiques ou de la
persécution – assimilant les catholiques oppresseurs à Caïn.
Dans le culte luthérien, Ubi est Cain était utilisé à des moments distincts du culte
catholique, aussi bien à l'extérieur des célébrations proprement dites
qu'au cœur même du culte ordinaire.
milieu XVIIe Giacomo CARISSIMI – Offerebat Cain (milieu XVIIe)
¶ Extraits (coupés, simplifiés et réagencés avec quelques « connecteurs
logiques » simples) du texte de la Genèse
(débutant au troisième verset, les offrandes du cultivateur Caïn).
Narrateur en ténor solo ou par deux sopranos – ces narrateurs à deux
voix sont une caractéristique du milieu du XVIIe, et se
retrouvent à
l'autre bout de l'Europe chez Pfleger à la cour du Schlewig, par
exemple –, incluant les répliques Dieu (basse profonde avec
contre-notes
graves assez spectaculaires.
¶ Mélange de récits sobres et de virevoltantes volutes vocales (les
deux sopranos), avec un soupçon de stile
concitato (figuralismes de violences façon Combattimento de Monteverdi) pour
épouser la colère de Caïn (« iratusque
est Cain vehementer »), une version extrêmement condensée de l'épisode,
en ce qu'elle ne fait que six minutes, mais qui reprend l'essentiel du
texte biblique, y compris les instructions de Dieu pour épargner
Caïn.
Très beau et prégnant en tout cas, un des meilleurs Carissimi.
¶ Niveau 4 ? (une sorte de catéchisme ?)
[[]]
L'enregistrement des Paladins est remarquable. L'autre existant, de
l'ensemble Seicentonovecento, reste problématique (justesse des
solistes).
1671 Bernardo PASQUINI – Caino e Abele (oratorio)
¶ La seconde moitié du XVIIe siècle voit se développer le genre de
l'oratorio. En 1671 à Rome, Pasquini (une grande figure d'alors)
conçoit, pour la chapelle du Palazzo Borghese, ce Caïn & Abel. Dans les États
pontificaux, l'oratorio était un genre
très couru pendant la période de Carême où les événements
musicaux et théâtraux étaient interdits. Pour évêques et aristocrates,
commander une scène sacrée de ce genre permettait de contourner
l'interdit. Ils étaient exécutés aussi bien dans les églises que dans
les palais.
¶ L'oratorio de Pasquini demeure très
proche de la prosodie, essentiellement sous forme de récitatifs
un peu mélodiques, ménageant en sus quelques ensembles polyphoniques
(chœur à 5) qui réunissent les différents chanteurs : narrateur, Adam,
Abel, Caïn, Ève, Satan, Dieu. En une heure, le livret se contente de
développer sous forme de dialogues (plus quelques récits, pas tout à
fait des traductions littérales, mais souvent proches de l'original) le
contenu des versets de la Genèse.
¶ Caïn y est présenté comme un libre
penseur, ne reconnaissant que sa propre volonté, et comme tel
ressentant les conseils de vertu d'Abel comme de la malveillance et de
l'hypocrisie, le tout culminant dans un duo en stichomythie où l'on assiste directement à la mort d'Abel
(qui n'est pas aussi précisément évoquée dans la Bible).
¶ Parmi les bizarreries, l'intervention de Satan (tout à fait absente
des sources) pour motiver Caïn, et plus encore l'évocation de toute une
mythologie païenne : le narrateur parle de l'Averne et de Pluton, Satan
du Cocyte, et Eve elle-même met Dieu (la paix) en balance avec Pluton
(la guerre) ! Sacré mélange, témoin de la pensée d'alors – on le
retrouve dans la peinture, où l'excuse donnée à la représentation
abondante de scènes mythologiques tient dans l'équivalence mystique
donnée pour chaque élément avec les Écritures.
¶ La conclusion est elle aussi d'un fort parti pris, advenant après les
reproches de Dieu et la déréliction de Caïn : le chœur final insiste
sur la dimension du destin (le Ciel décide de notre mort), s'achevant
sur la
miséricorde de Dieu… tempérée par la justice – « chacun meurt comme il
a
vécu ».
¶ Niveau 5. (Et même par certains aspects fantaisistes Niveau 6.)
¶ Trois extraits : stichomythie et mort d'Abel, questions de Dieu,
chœur polyphonique qui célèbre la crainte de Dieu par les cœurs
coupables.
[[]]
[[]]
[[]]
Enregistrement intégral par De Marchi chez Pan Classics, avec un
soprano d'allure très enfantine pour Caïn, assez déroutant. Continuo un peu raide et
parcimonieux, mais l'ensemble fonctionne tout à fait bien. Le monologue
du désespoir de Caïn peut aussi s'entendre, avec lirone, par Headley
chez Nimbus Alliance.
1707
Alessandro SCARLATTI – Il primo
omicidio, overo Cain («
Le premier meurtre, ou Caïn », oratorio)
¶ Oratorio créé à Venise en 1707 (à l'occasion de son séjour parrainé
par les Grimaldi), le Scarlatti correspond déjà aux formats de l'opéra seria avec ses
alternances très identifiables d'airs et de récitatifs. Néanmoins on y
rencontre quelques récitatifs plus travaillés (comme la plainte
liminaire d'Adam sur ses fils condamnés à la dure vie hors d'Éden) et
même quelques récitatifs accompagnés par l'orchestre, comme dans
l'extrait ici retenu (les questions de Dieu en recitativo secco sont suivies de
ses imprécations en recitativo
accompagnato).
¶ Cette temporalité lente favorise
l'expression de sentiments plus
tendres et édifiants : les conseils d'Adam, la dévotion des
frères…
¶ Mêmes personnages que chez Pasquini, à l'exclusion du narrateur, absent – chez Scarlatti
les airs émotifs remplacent la glose du Testo qui complétait l'action des
personnages, chez Pasquini. Autre détail amusant et troublant, Satan est ici nommé Lucifero – ce
qui constitue un mélange assez déroutant ; en effet Lucifer est issu
d'interprétations des livres d'Ésaïe, Ézéchiel ou encore Hénoch (ce
dernier uniquement retenu dans le corpus de la Bible éthiopienne), et
donc absolument anachronique pour désigner le démon hébraïque nommé
Satan… qui n'apparaît déjà pas du tout dans l'épisode d'Abel et Caïn
! Exemple aussi bien du caractère syncrétique des références
(chez Pasquini, nous avions carrément Pluton !) que de la superposition
quasiment parfaite de Lucifer avec les autres figures démoniaques
hébraïques plus anciennes.
¶ Contrairement à Pasquini, le dénouement ne s'arrête pas au châtiment
de Caïn mais fait revenir Adam pour lui promettre une nouvelle
descendance, et de nouveaux espoirs. Ainsi l'épisode ne représente pas
nécessairement l'humanité d'aujourd'hui, qui procède plutôt de
l'expérience positive retirée de cette catastrophe.
¶ Niveau 5.
[[]]
[[]]
La version Alessandrini-Biondi de 1992 n'étant plus disponible, reste
la version Jacobs, très léchée.
1732
Antonio CALDARA – La morte d'Abel
figura di quella del nostro Redentore (« La mort d'Abel, symbole de celle
de notre Rédempteur », oratorio)
¶ À la fin de sa vie, alors que le Vénitien Caldara exerce comme Vize-Kapellmeister pour la Cour
impériale à Vienne, il écrit cet oratorio dont le projet est explicité
jusque dans le titre : Abel, c'est ici la figure de l'innocence, et
même davantage, celle de l'innocence qui expie les péchés de tiers, le
bouc émissaire, l'agneau pascal. L'une des multiples interprétations
qui ont eu cours, annoncée d'emblée, et qui se retrouve dans l'unique
air qui en a été gravé à ce jour : « Quel buon pastor son io » – « Je
suis ce bon berger ».
¶ Le format en est très caractéristique du seria des années 1730, dont
les airs s'allongent considérablement, atteignant régulièrement les dix
minutes – ce qui accroît encore, d'un point de vue dramaturgique, la
suspension de l'action au profit de la voix, de la musique, des
méditations et affects proposés dans les airs.
¶ Sa Sinfonia d'ouverture a,
avec beaucoup d'autres écrites par Caldara, été regroupée en recueil
et réutilisée comme musique instrumentale autonome avec ou sans
remaniements, ce qui lui a permis d'être très souvent enregistrée. Vous
en trouverez beaucoup de (bonnes) versions, mais cela ne vous avancera
beaucoup sur le sujet biblique, l'écriture instrumentale des ouvertures
étant assez interchangeable entre les sujets.
¶ Niveau 5.
[[]]
Bartoli et Il Giardino Armonico, 2009.
On est bien sûr loin d'avoir épuisé le sujet, mais vous disposez ainsi
de quelques exemples d'approches de la figure de Caïn du XVIe au XVIIIe
siècle : du texte littéral de la Genèse traité en polyphonie, à peine
dramatisé (XVIe-début XVIIe), à des intrigues dramatiques totalement
recréées, ajoutant quantité de détails (et mêmes des personnages
mythologiques…) pour en faire un opéra déguisé. Bon moyen de suivre
l'évolution de l'intérêt pour les voix et pour le rapport au texte au
fil des décennies.
Le plus étonnant demeure cependant, à mon sens, la diversité
d'interprétations du mythe que l'on couvre ainsi : énigmatique épisode
brut d'origine, Caïn comme rappel en creux de toutes victimes qui n'ont
pas eu un procès aussi équitable, Abel comme victime d'un camp ennemi,
Caïn comme rappel de notre propre aveuglement et de la rigueur de la
justice de Dieu, Abel comme premier présage de la figure du Christ… !
Au XIXe siècle, la figure
pourtant hautement contrastée et compatible de Caïn me paraît avoir
moins rencontré la faveur des compositeurs – je n'ai d'ailleurs trouvé
aucune œuvre enregistrée à ce sujet. C'est pourquoi je reparlerai de
ses avatars en abordant directement le
XXe siècle, où se débusqueront un
certain nombre de compositions aux contours assez étonnants –
musique de chambre, suites d'orchestre à plusieurs mains autour de la
Genèse, opéra en hébreu, et même un opéra psychanalysant des années
1910, assez critique sur les personnages bibliques (et peut-être même
Dieu)…
Du fait de l'évolution des standards du web, l'utilitaire flash, petit logiciel libre à la
pointe de l'art que j'avais soigneusement sélectionné dans les années
2000, n'est plus visible sur les téléphones, et se trouve depuis
décembre dernier banni de Chrome, rendant certaines notules avec
extraits sonores plus difficiles d'accès. (Il faut avoir la patience de
recopier l'adresser, d'aller sur un poste fixe, d'activer Flash… bref, être un héros.)
Aussi, je vais entreprendre, très progressivement, pour des notules qui
me paraissent utiles, la mise aux normes du HTML 5 (qui n'existait pas
encore…). Un peu rageant d'avoir tout bien fait – de même que pour le
logiciel produisant ce site, Dotclear, alors l'alternative élégante
face à Wordpress, aujourd'hui abandonné – et de devoir passer du temps
à bidouiller la technique au lieu d'écrire des notules.
Quoi qu'il en soit, mon énergie a d'abord porté sur ce que je considère
probablement comme la meilleure notule de Carnets sur sol, celle consacrée à
expliquer l'étrangeté de la prosodie dans Pelléaset Mélisande de Debussy, courte
enquête qui nous mène à travers les univers de Gluck et de Massenet
avant d'aboutir, au cœur des partitions, à observer que l'accentuation
et les intervalles mélodiques n'ont peu-être pas le rôle si déterminant
que l'on croit dans cette impression de flottement insaisissable qui
parcourt toute l'œuvre (et la rend si difficile à chanter en
dilettante).
Je vous la recommande donc chaleureusement.
Et ce sera probablement tout pour quelques jours encore : préparation
de beaucoup de projets de grande envergure, des séries où
interviendront Caïn et, suite à un vote public (où il avait supplanté Pelléas), le basson.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Intendance a suscité :
(Ah, et aussi un opéra fabuleux, mais ça vous aurait pas autant incité à cliquer, avouez.) (Note pour 2021 : mettre davantage les mots « morts-vivants » et « apocalypse nucléaire » dans mes titres.)
Voici une notule que je vous invite tout particulièrement à lire en entier. (Attention, plot twists à prévoir.)
[[]]
Le début de Das Schloß Dürande,
version Venzago.
Chapitre I – Il Davidde
deluso
En 2018, événement : la résurrection de Das Schloß Dürande,
opéra tardif d'Othmar Schoeck d'après le roman d'Eichendorff.
L'entreprise est menée par Mario Venzago, directeur musical du
Symphonique de Berne.
Mais voilà : il s'avère que le texte n'est pas le
livret d'origine, mais une réécriture, décidée par un collectif
universitaire de berne, coordonné par Thomas Gartmann. Schoeck a fait
représenter son œuvre (débutée avant la guerre mondiale) pour la
première fois dans le Berlin de 1943, compromission (pas du tout
idéologiste, mais concrète) inacceptable qui rendrait impossible
d'écouter à nouveau l'œuvre, et le livret serait trop connoté. Si mon
amour pour les bidouillages
me place au-dessus de tout soupçon de psychorigidité en matière
d'interprétation et d'arrangements, j'étais tout de même assez
mécontent de découvrir ceci. Pour de multiples raisons, que ne me
paraissent pas toutes dérisoires.
1) J'espérais une résurrection de
l'œuvre depuis longtemps, après en avoir entendu des extraits
totalement exaltants… et je me rends compte que non seulement ce n'est
pas la véritable œuvre que j'entends, mais qu'on me théorise que de
toute façon personne ne remontera jamais la version originale. Du coup,
pourquoi ne pas avoir fait l'effort, pour ce hapax, de remonter la version
authentique de Schoeck ?
Mon mouvement d'humeur s'est un peu apaisé depuis : je n'ai découvert
qu'en préparant cette notule qu'il en existe en réalité déjà deux
versions captées.
a) Une publication
commerciale intégrale (que je croyais seulement fragmentaire !) de la
bande radio de 1943 – certes chez un label qui repique à la louche,
pratique des coupes indéfendables pour comprimer en 2 CDs, n'inclut
aucune notice et encore moins livret… les gars sont capables de publier
une Walkyrie en deux disques… Mais cela existe.
b) Sans doute une bande radio de Gerd Albrecht en
1993– version remaniée du vivant de Schoeck et coupée pour être montée
sur scène, comme le faisait souvent Albrecht avec les musiques qu'il
défendait.
2) En tant qu'amateur d'art,
d'histoire, de musiques anciennes, j'ai envie de connaître l'objet
d'origine, de pouvoir le replacer dans son contexte, d'entendre les
échos (et au besoin les tensions, les contradictions) entre l'auteur et
son époque. En proposant une œuvre composite, on me met face à de la
musique certes sublime, mais hors sol (elle ne tombe pas sur les mots
qu'a connus l'auteur, et Venzago a même retravaillé les rythmes pour
coller au nouveau livret !).
Je suis tout à fait intéressé par des propositions alternatives, mais
pour le seul disque disponible (car l'autre publication, dans un son
ancien, confidentielle et sans livret, est épuisée depuis longtemps),
n'avoir qu'une version retravaillée, c'est vraiment dommage – tout ce
que la postérité aura, c'est un bidouillage dont l'auditeur ne sera
jamais trop sûr des contours.
3) Surtout, ce qui m'a réellement
scandalisé, c'est l'argumentaire qui l'accompagnait.
a) Argumentaire
esthétique : « de toute façon le livret n'était pas bon ». Pour les
raisons précédemment évoquées, j'aimerais qu'on me laisse en juger !
b) Argumentaire politique, celui que je trouve le
plus insupportable. Il y aurait (j'y reviens plus tard) un lexique qui
à l'époque évoquait la phraséologie nazie, donc on ne peut pas le
monter sur scène. Qu'en tant que citoyen, on suppose que monter un
opéra qui contienne les mots Heimat
ou Blut
(oui, ce sont vraiment les exemples retenus dans la notice de Thomas
Gartmann !) me change instantanément en racialiste buveur de sang, je
me sens profondément insulté.
Toutefois, le résultat demeure très enthousiasmant, un des disques de
l'année 2020, et bien au delà – je reparlerai plus loin du détail. Je
m'en suis bruyamment réjoui.
Photographie (Sebastian Stolz) de la production de Meiningen
(novembre 2019) qui a suivi le concert de Berne.
[[]]
Gabriele et les pierreries (acte II), version Venzago.
Chapitre II – Le passé
dérobé
Je m'en suis bruyamment réjoui, oui. Et j'ai dit mon humeur.
Cette notule était censée faire écho à ma perplexité face à cet air du
temps… Je trouve salutaire qu'on ne déifie plus les grands hommes du
passé et qu'on rende à ceux que nous admirons pour d'autres raisons
leurs vilains traits racistes, misogynes, mégalomanes… mais ne puis me
résoudre à comprendre que nous les jugions ou pis, les effacions de la
mémoire collective – comme si seul ce qui est identique à nous-mêmes et
à notre opinion du jour pouvait être intéressant. Comme si le passé,
fût-il imparfait, ne pouvait apporter ses satisfactions et ses
enseignements.
La question légitime du regard critique sur le passé (un philosophe des
Lumières misogyne, un politicien émancipateur qui vit au milieu de ses
esclaves, un général vénéré comme un faiseur de paix…) mérite le débat,
et non l'iconoclasme en son sens le plus concret, l'effacement du
passé, le rejet sans nuance de tout ce qui nous est différent.
Le comble de la stupidité s'est incarné devant moi à
la Sorbonne, le 25 mars 2019, lorsqu'un groupe d'étudiants militants –
et manifestement plutôt incultes – s'était infiltré pour empêcher la
représentation par d'une mise en scène des Suppliantes
d'Euripide s'inspirant de la tradition antique sous l'égide de Philippe
Brunet, spécialiste éprouvé de la question. Certaines comédiennes
portaient un maquillage sombre, ce qui se serait apparenté à un blackface – car, bien sûr,
Euripide a tout volé aux chansonniers américains du XIXe siècle.
(Outre l'incohérence chronologique / culturelle de
cette hantise du blackface,
je trouve absolument invraisemblable d'accepter d'habiller des femmes
en homme, de faire de gros Falstaff avec des coussins sur le ventre, de
mettre des valides en fauteuil roulant, mais d'interdire absolument de
rappeler, dans des œuvres dont ce peut être un ressort capital – et un
joli symbole – comme Aida,
sorte de Roméo & Juliette
égyptien interethnique, qu'il existe des gens noirs. Ou alors il
faudrait cantonner les interprètes à leur couleur de peau et leur
phyique, et les noirs n'y seraient pas gagnants – sans parler de la
quête de sopranos dramatiques de seize ans pour faire Isolde…)
D'une manière générale, et ceci concerne le cas de notre livret, ne pas
faire la différence entre la défense d'une théorie racialiste (« les
noirs sont inférieurs aux blancs »), les motifs qui peuvent rappeler
cette théorie (comme le blackface ou
le vocabulaire utilisé par les nazis, qu'on peut employer dans plein
d'autres contextes qui ne sous-entendent aucune infériorité), et la
capacité des gens à ne pas être racistes même s'ils utilisent mal
certains mots (aux USA, le mot race
reste consacré dans le langage courant, à commencer par ceux qui ne
sont absolument pas des racists)
demeure un problème de notre temps.
Et autant le blackface reste
une coquetterie de mise en scène dont je me passe très bien si cela
peut ménager les sensibilités, autant récrire des œuvres me gêne
vraiment. Pas si ce sont des œuvres disponibles par ailleurs (qu'il
existe une traduction amendée des Dix
petits nègres
ne lèse personne, chacun peut choisir la version de son choix), mais
pour un opéra qui ne sera diffusé que par le biais de ces
représentations et de ce disque, c'est prendre une responsabilité
considérable dans l'occultation de l'histoire des arts.
Se pose ainsi la question de la documentation historique : si l'on
récrit Mein Kampf
en remplaçant toutes les occurrences de « ce sont des êtres inférieurs
» par « on voudrait leur faire des bisous », on risque de passer à côté
du sujet. (Et ce n'est même pas un point Godwin, puisqu'il est
précisément question d'affleurements nazis dans ce livret…)
En somme, j'aurais beaucoup aimé pouvoir découvrir l'œuvre originale
d'abord, et disposer de refontes fantaisistes ensuite, ce qui ne me
paraissait pas trop demander : ce livret ne contient pas de manifeste
nazi ; les fascistes ne gouvernent pas le monde ; les spectateurs sont
capables de ne pas devenir instantanément des chemises brunes parce
qu'il est écrit Feuerquelle
(« jet de feu »)…
Schoeck dirige à Lucerne
l'Orchestre de la Scala de Milan (1941).
(Une des illustrations saisissantes que j'ai empruntées à la Neue
Zürcher Zeitung.)
[[]]
Malédiction de Penthésilée, Penthesilea
version Venzago.
Chapitre III – La
puissance de ma colère
Et j'ai donc partagé avec mes camarades mon excitation et ma
réprobation, que je réaménage ici en lui conservant toute sa véhémence
échevelée.
Vous pouvez aussi consulter la notice complète (lien vers le site de l'éditeur
Claves) pour vous faire votre propre opinion.
Je ne comprenais pas pourquoi
j'avais entendu le thème mais pas le texte du duo emblématique « Heil
dir, du Feuerquelle ».
Comme ils trouvaient le texte «
lexicalement trop nazi », le groupe scientifique en charge de cette
résurrection a embauché un librettiste – qui a bidouillé le texte pour
le rendre plus acceptable.
Celui-ci a donc réintégré de gros
bouts d'Eichendorff dedans (ce qui se défend), en prenant en certains
endroits le contrepied de la littéralité du livret d'origine, pas
simplement en expurgeant de mots trop connotés « comme Heil », dit la
notice ! Sérieux, vous êtes allemands et vous n'avez entendu Heil
que dans les films de nazis ?? J'attends avec impatience
l'argumentation sur la censure du final de Fidelio et de l'Hymne à sainte Cécile de Purcell…
Je trouve assez aberrant, lorsqu'on
est dans une démarche patrimoniale (c'est un partenariat avec
l'Université de Bern), de bidouiller une œuvre, alors que justement,
quand on a le texte d'origine, on peut se faire une représentation des
idées du temps, on peut débattre des présupposés idéologiques… D'autant
que Schoeck n'est pas précisément un compositeur de cantates
aryanisantes sur des accords parfaits – et vu qu'il n'y a plus guère de
nazis, on ne peut même pas dire qu'on risque de servir la soupe à un
parti actuel menaçant…
À l'écoute avec le livret, c'est
encore plus saugrenu : à cause des inclusions (non adaptées… mais qu'a
fichu le nouveau librettiste ?) les personnages se mettent à parler
d'eux-mêmes à la troisième personne – typiquement Gabriele, pendant sa
scène d'amour ou lorsque son frère les surprend, décrit ses propres
actions : « Gabrielle tint fermement son bras, le fixant d'un air de
défi ». Les têtes d'œuf de Bern, ils ont trop cru Eichendorff c'était
une interview d'Alain Delon !
Le problème est que l'argumentaire
du conseil scientifique de l'Université de Berne, pour justifier cette
démarche, porte largement le fer sur le plan littéraire… de façon assez
peu brillante. (En tout cas dans le compte-rendu de Gartmann publié
dans la notice, je ne doute pas que leurs débats furent plus riches.)
Je vous laisse juge :
“Heil
dir, du Feuerquelle,
Der Heimat Sonnenblut!
Ich trinke und küsse die Stelle,
Wo deine Lippen geruht!”
→ “Heil”, “Feuerquelle”, “Heimat”,
“Sonnenblut” – all these are core words in the vocabulary of the Third
Reich (the Lingua Tertii Imperiias
Victor Klemperer called it). They are here condensed in a pathosladen
context and intensified by the exclamation marks and the end rhymes.
The alliteration “Heil – Heimat”, with its echoes of Stabreim, serves
to dot the i’s, as it were. The second half of the strophe is
pedestrian, pretentious and crassly different in tone. These four lines
alone demonstrate how the duo of Burte and Schoeck accommodated
themselves to the Nazi regime and how the vocabulary, pathos, rhymes
and linguistic banalities of the text disqualified their opera for
later generations. The solution proposed by Micieli is radically
different – it is a kind of textual counter-proposition, though one
that actually reflects the pianissimo that Schoeck wrote in his score
at this point.
→ These four lines alone demonstrate
how the duo of Burte and Schoeck accommodated themselves to the Nazi
regime.
Je suis prêt à entendre l'argument
qu'un opéra proto-nazi soit difficile à encaisser pour un public
germanique (mais pourquoi joue-t-on toujours Orff, loue-t-on les
enregistrements de Böhm et Karajan, témoignages autrement vifs, me
semble-t-il, de l'univers nazifié ?), et mieux vaut cette tripatouille
que de ne pas rejouer l'œuvre, commele Saint Christophe
de d'Indy (toujours présenté comme un texte insupportablement
antisément… je n'en ai pas fini la lecture, mais je n'ai pour l'instant
rien repéré de tel…)
Mais Heimat
? Les allitérations en [h] ? Les points d'exclamation
? Les rythmes et les banalités linguistiques… nazies ?
Qu'on
n'ait pas eu envie de donner la dernière tirade de Sachs après la
guerre, je comprends, mais récrire un livret en 2018 parce qu'il y a
des mots comme Heimat et des
points d'exclamation, j'avoue que ça m'échappe vigoureusement.
La démarche d'avoir dénazifié le
livret, qui pouvait paraître légitime, est expliquée, dans le détail
par un jugement littéraire sur la qualité des rimes (qu'on a simplement
retirées, pas remplacées, en fait
d'enrichissement…). Cela démonétise même la justification de départ,
accumulant «
le texte a été créé au mauvais endroit au mauvais moment », « on ne
peut plus représenter ça, et c'est tant mieux », « de
toute façon le livret est mauvais » dans un désordre assez peu
rigoureux. On a l'impression que les gars ont besoin de convoquer des
arguments totalement hétéroclites pour empêcher à tout prix qu'on
puisse entendre son livret, parce que ça pourrait déclencher la venue
de l'Antéchrist… On n'est pas des niais, ce n'est
pas parce qu'il y a une idéologie qui préside à un livret qu'on va
rentrer à la maison pour brûler nos voisins sémites le soir… En
revanche, disposer d'œuvres données en contexte, ça permet d'informer,
de nourrir la curiosité… j'ai envie de voir ce qu'on représentait en 43
à Berlin, même si c'est un peu dérangeant – car je perçois davantage
des allusions, un registre lexical, qu'une apologie articulée de
quelque sorte que ce soit.
Je l'aurais sans doute mieux
accepté si l'on m'avait dit : « ce pourrait être violent pour le public
encore marqué par cet héritage, on a bidouillé, c'est mal mais c'était
la condition ». Plutôt que d'inventer des justifications esthétiques et
de les mêler à du commentaire composé de seconde…
Convoquer la versification, tout de même – le
fameux mètre Himmler ? la rime croisée-de-Speer ? – pour attester de sa
nazité, ça me laisse assez interdit.
Avec leur raisonnement, je me
demande dans quel état on jouerait les opéras de Verdi et bien sûr
Wagner.
(Au demeurant, ça reste le meilleur
disque paru depuis un an voire davantage, donc si c'est le prix pour
avoir cet opéra et cette version, je l'accepte volontiers.) Car l'essentiel reste qu'on ait
l'opéra, dans une version exportable (il y a ensuite eu une version
scénique, à Meiningen en 2019), et sur disque ; mais me voilà frustré,
ils n'ont pas mis en italique les parties du livret qui ont été
modifiées, et comme ils se vantent d'avoir inversé la signification de
certains passages, changé les psychologies des personnages, etc. – je
ne suis plus trop sûr de ce que j'écoute.
D'autant que, pour ce que j'en
avais lu en cherchant des infos sur l'œuvre, Schoeck a été boudé à son
retour en Suisse parce qu'il était resté faire de la musique alors que
l'Allemagne hitlérienne était ce qu'elle était, mais personne ne l'a
accusé de collaborer – juste d'avoir été imperméable à de plus grands
enjeux que sa musique.
Que le vocabulaire puisse mettre
mal à l'aise est autre chose (dans Fierrabras
de
Schubert, il est devenu courant de remplacer l'épée du chef (« Führer
») par celle du roi (« König »), quitte à saccager la rime. Pourquoi
pas, ce n'est qu'un détail ponctuel, on pouvait faire ça. (Même si,
enlever des références nazies dans du Schubert, là aussi je reste
plutôt perplexe.)
Pour couronner le tout, le chef
d'orchestre a récrit les rythmes pour s'adapter au nouveau poème, ils
ont tout de bon recomposé un nouvel opéra (60% du texte !). Et comme
les extraits du roman d'Eichendorff étaient trop bavards, il a fait
chanter simultanément certains extraits par les personnages…
Cela dit, une fois informé, cette
part de la démarche ne m'est pas antipathique : si le livret est
vraiment mauvais (je pressens hélas que leur avis est d'abord
idéologique), essayer de réadapter la musique en puisant directement
dans Eichendorff, ce fait plutôt envie. C'est un exercice de bricolage
auquel je me suis plusieurs fois prêté, et qui donne parfois de beaux
résultats par des rencontres imprévues entre deux arts qui, sans avoir
été pensés ensemble, se nourrissent réciproquement. Cela a aussi permis de remonter
l'œuvre, et potentiellement d'éviter de compromettre sa reprise. Le
livret d'arrivée, malgré ses défauts, fonctionne très décemment, et la
musique absolument splendide ne peut qu'inciter à franchir le pas. On
ne peut pas trop râler. (Mais je n'aime quand même pas beaucoup qu'on
me traite implicitement de
pas-assez-raisonnable-pour-ne-pas-devenir-nazi.)
La seule autre version, des fragments de la création.
[[]]
Extrait de Besuch in Urach,
lied en version orchestrale par Rachel Harnisch et Mario Venzago.
Chapitre IV – La démarche
(re)créatrice
Venzago est un radical, un libre penseur : très
grand chef, il propose des options
extrêmes pour exécuter Schubert aussi bien que Bruckner, avec une sècheresse et une urgence
rarement entendues. Il reconstruit,
sur le fondement des éléments qui nous restent, mais aussi d'une fiction de son cru, l'Inachevée de Schubert. Il brille également, de
façon plus consensuelle sans doute, dans la musique du vingtième siècle (version
incroyablement frémissante du Roi
Pausole d'Honegger), et en particulier dans le grand
postromantisme décadent, notamment Schoeck
qu'il sert comme personne : version symphonique du grand lied Besuch in Urach, enregistrements
absolument enthousiasmants Penthesilea
(d'après Kleist) et Venus
(d'après la nouvelle de Mérimée)…
Il ne faut donc pas s'étonner qu'il soit celui qui
explore et remette à l'honneur ce dernier opéra de Schoeck (son sixième
ou son neuvième, selon le périmètre qu'on donne à la définition d'opéra…),
dont la postérité discographique se limitait à la publication
d'extraits entrecoupés d'explications du speaker de la radio officielle (50
minutes sprecher compris),
lors de la création – à la Staatsoper Berlin le 1er avril 1943
avec Maria Cebotari, Marta Fuchs, Peter Anders, Willi
Domgraf-Fassbaender et Josef Greindl, commercialisée tardivement chez
des labels relativement confidentiels (Jecklin 1994, qui complète de
quelques lieder son CD, et Line / Cantus Classics en 2014, à ce qu'on
m'en a dit les mêmes 50 minutes
réparties sur les 2 CDs dans le son épouvantable habituel du label).
Seulement, voilà : l'œuvre (composée de 1937 à 1941)
a été créée en 1943. À Berlin. Le livret est d'un poète, Hermann Burte,
activement völkisch, membre
de partis nationalistes, puis du parti nazi, travaillant sous une croix
gammée de sa confection, écrivant des hymnes à Hitler, espionnant pour
le compte des S.S.… Schoeck, malgré l'accueil favorable de la presse
lors de la création suisse, fut immédiatement très critiqué pour cette
compromission.
Pis, Burte a été entre autres travaux l'artisan
d'une version aryanisée de Judas
Maccabeus
de Haendel, ouvrant la porte à la suspicion d'un travail idéologique –
le livret fut jugé mauvais par Hermann Göring, qui écrivit une missive
courroucée à Heinz Tietjen (directeur de le la Staatsoper Unter den
Linden), causant semble-t-il l'annulation de la suite des
représentations. Globalement, la presse jugea favorablement la musique
et sévèrement le livret.
On voit bien la difficulté de jouer aujourd'hui un
opéra (potentiellement, j'y reviens…) ouvertement pro-nazi. C'est
pourquoi l'Université des Arts de Berne, financée par la Fondation
Nationale Suisse pour les Sciences, a réuni autour de Thomas Gartmann,
musicologue, un groupe d'experts qui a envisagé la réécriture du
livret, confiée à Francesco Micieli.
Le principe était simple : dénazifier le livret, et
si possible le rendre meilleur. Micieli en a récrit 60% (et Venzago a
modifié en conséquence les rythmes des lignes vocales, voire superposé
des lignes lorsque roman était trop bavard !), enlevant les mots
connotés, modifiant l'intrigue, supprimant les rimes (jugées
mauvaises). Le tout en insérant des morceaux de poèmes d'Eichendorff et
surtout du roman-source. (Quand on connaît un tout petit peu l'océan
prosodique qui sépare un roman d'une pièce de théâtre, on frémit
légèrement.) Et, de fait, les personnages parlent souvent
d'eux-mêmes à la troisième personne, s'agissant de citations littérales
du roman – je peine à comprendre le sens de la chose, tout à coup ces
figures fictionnelles cessent de dire « je » et se commentent
elles-mêmes sans transition, comme un mauvais documentaire pour enfants.
Le résultat n'a pas soulevé la presse (qui n'a pas
toujours pleine clairvoyance, certains des auteurs étant manifestement
peu informés – tel Classiquenews.com qui parle de sprachgesang [sic] pour dire
plutôt durchkomponiert)
d'enthousiasme, mais on y a trouvé quelques échos aux grandes questions
soulevées par cette re-création. La presse suisse a salué la tentative
(en appréciant l'œuvre diversement) de rendre cette œuvre jouable et
représentable, tandis que la presse française a semblé gênée par cette
réécriture de l'Histoire.
Le télégramme imprécatoire de Göring qui mène à l'annulation de
la suite des représentations.
[[]]
Monologue d'Horace à la fin de l'acte II de Venus. James O'Neal, Mario Venzago.
Chapitre V – Où s'éteint
ma haine
Alors que je me lançais dans cette notule pour exprimer à la fois mon
enthousiasme débordant pour l'œuvre (j'y viens) et ma gêne (en tant
qu'auditeur curieux, en tant que citoyen aussi)… en ouvrant un peu des
livres, mon indignation s'émousse.
a) L'avis de Schoeck
Les lettres de Schoeck laissent entendre qu'il avait écrit une large
partie de la musique avant que n'arrive le texte du livret – et qu'il
fut déçu de sa qualité littéraire. Il n'y a donc pas nécessairement de
lien très étroit entre le texte et sa mise en musique en cette
occurrence – ce fut aussi le cas pour Rigoletto
de Verdi, figurez-vous, on n'imaginerait pas que la musique fut
en partie composée avant les paroles !
b) Le prix de la résurrection
Il existe quantité de livrets médiocres, celui-ci rafistolé
fonctionne bien, c'est suffisant. Si cela peut permettre aux tutelles
de financer des reprises, aux théâtres d'oser le monter sans se
soumettre à toutes sortes d'anathème, et aux spectateurs d'oser
franchir la porte des théâtres pour découvrir une œuvres qui ne
renforce pas les stéréotypes opéra = musique de possédants et de
collaborateurs, ce n'est pas mal. On a même eu un disque et une série
de représentations scéniques, qui n'auraient sans doute pas trouvé de
financements sans cela !
À l'heure de la cancel culture,
où l'on peut empêcher par la force des représentations d'Euripide qui
fait l'apologie de la Ségrégation à l'américaine, on n'est jamais trop
prudent.
c) La réalité du nazisme
Le plus déterminant fut la découverte du pedigree du librettiste. À
l'origine, je jetais un œil là-dessus simplement pour vous tenir
informés… Et je dois dire que la lecture de ses faits d'armes comme
poète officiel de l'Empire, et même aède-courtisan enthousiaste du
court-moustachu porte à la réflexion. J'ai lu avec plus de sérieux les
recensions, assez cohérentes entre elles, de la presse germanophone,
qui soulignait que, non, le lexique nazi, ça mettrait trop mal à l'aise
sur scène.
Ma maîtrise de cet univers est insuffisante pour déterminer si – comme
je l'avais cru tout d'abord – il s'agissait de sentiment de culpabilité
mal placé, repris ensuite par conformisme par toute la presse qui veut
montrer patte blanche et ne pas avoir d'ennuis en encensant par erreur
des allusions racistes qui lui échappent… ou bien si, réellement, quand
on est de langue allemande et qu'on a un peu de culture, si, en
entendant cette phraséologie, on entend parler des nazis. (Ce qui peut
être assez peu engageant lorsqu'on va se détendre au spectacle et que
les jeunes premiers nous évoquent ces souvenirs-là.) Découvrir
l'œuvre de Hermann Burte (ah oui,
quand même, c'est un de ceux-là…) m'a en effet rendu moins
réticent au principe de ce remaniement.
Par hasard, d'autres de mes lectures m'ont confirmé, ces jours-ci,
qu'une certaine forme de discours (à base de formulations qui
paraîtraient anodines en français) était immédiatement assimilable à
cette période. De ce fait, je peux comprendre qu'on ait peine à
redonner des cantates à la gloire du régime – même si, étrangement, on
le fait volontiers pour les cantates staliniennes (sans doute parce
qu'en Russie on ne rejette pas aussi radicalement ce passé et qu'en
Europe de l'Ouest ce souvenir se pare d'un côté exotique qui le met à
distance).
d) Le résultat
Le résultat est artistiquement remarquable, l'œuvre sonne très bien, et
le livret, qui tente de redonner la parole à l'immense Eichendorff,
fonctionne plutôt bien. Le résultat est très original (quoique bancal
par endroit, comme avec ce problème de troisième personne…) et contre
toute attente, Venzago a vraiment bien réussi à inclure la prosodie
d'un récit dans un flux de parole typique de la langue de Schoeck – on
n'entend vraiment pas que c'est un autre artiste que celui de Venus ou Massimilia Doni !
e) La cause de mon indignation
En réalité, le problème provient surtout de la notice, qui m'a
initialement mis en fureur : outre que les exemples paraissent très peu
convaincants (ils n'avaient vraiment rien d'autre pour discréditer
Burte que des « rimes mauvaises » qui prouveraient son nazisme ?), le
mélange avec les considérations esthétiques brouillent tout, et l'on a
l'impression tenace qu'ils veulent à tout prix détester ce poème parce
que son auteur était nazi. (Ce qui n'a pas de sens, ce sont deux
postulats distincts : on peut très bien admirer la facture d'un bon
poème aux mauvaises idées, ou à l'inverse choisir par principe de
boycotter un bon poème à cause de ses connotations…)
Il aurait été plus pertinent d'insister sur son rôle très actif dans le
régime, et la peur de que cela transparaisse et mette mal à l'aise
musiciens et public. Voire le refus de glorifier les tristes sires.
La feuille de distribution de la première représentation, avec
les symboles qui font bien frémir. (Et altèrent la lucidité des
conseils scientifiques ?)
[[]]
Extrait de Massimilla Doni,
version Gerd Albrecht.
f) Opinion sur sol
Ensuite, si vous me demandez mon avis : moi (petit français et né bien
après tout ça) je n'aurais rien changé. Le passé est ce qu'il est. Si
l'on devait tout récrire… Tancrède tant vanté par le Tasse était
semble-t-il un rançonneur et un parjure, faudrait-il récrire le Combattimento de Monteverdi pour ne
pas ménager de gloire à ce criminel de guerre ?
Pourquoi pas, et devant la façon dont notre représentation de
l'histoire ne laisse place qu'aux politiciens et aux combattants (donc,
pour faire simple, à ceux qui tuent), je m'interroge sur l'intérêt
qu'il y aurait à enseigner l'histoire selon un paradigme totalement
nouveau : en n'enseignant que les avancées des techniques et en plaçant
l'histoire de l'humanité sur une frise où n'apparaîtraient que les
fondateurs d'œuvres de bienfaisance. En rendant anonymes dans le roman
national les gens qui ont pris le pouvoir ou fait la guerre, en leur
réservant seulement les livres des spécialistes et en inondant le
marché de biographies de fondateurs de bonnes œuvres.
(Petite difficulté, outre que c'est moins amusant à lire pour un vaste
public : si on exclut les bienfaiteurs qui ont aussi été des hommes de
pouvoir, des racistes et des violeurs, on va se limiter à faire la
biographie du bon voisin dont on ne connaît que la date de baptême…)
En somme, même si je comprends (et approuve par certains côté) le désir
de retirer certains sentiments mauvais du monde, je ne suis pas sûr que
le faire en maquillant le passé soit une solution réaliste. Qu'on ne
commande pas d'opéras nouveaux glorifiant les nazis, c'est entendu ;
qu'on trafique le passé, à une époque où les représentants de l'époque
ont à peu près tous disparu (et où l'héritage politique du parti n'est
plus que repoussoir), je suis plus dubitatif.
Mais encore une fois, si c'est le prix à payer pour découvrir cette
musique, je l'accepte, je veux bien le comprendre. Je crains toutefois
que ce ne soit pas une démarche pérenne – ni complètement saine.
Répétitions à Berne.
[[]]
« Peuple de Paris ! », début de l'acte III de Das Schloß Dürande, version Venzago.
Chapitre VI – Un peu de
musique ?
À présent que j'ai partagé ces interrogations sur les démarches
mémorielles, et aussi cette expérience personnelle, dans ma chair pour
ainsi dire, que l'indignation se nourrit souvent de l'insuffisante
compréhension des choses… peut-être le moment d'évoquer pourquoi cette
œuvre m'intéresse aussi vivement.
Sur les 6 « véritables » opéras de Schoeck, 3 sont d'inspiration
française, dont les 2 derniers.
→Venus (1921) est
adapté de la Vénus d'Ille de
Mérimée (et de Das Marmorbild
d'Eichendorff).
→Massimilla
Doni (1936), empruntée à Balzac (une nouvelle qui met en
scène une représentation du Mosè in
Egitto de Rossini à Venise).
→ Das Schloß
Dürande (1941), tiré du roman homonyme d'Eichendorff, dont
l'action se déroule en Provence pendant la Révolution française.
Les trois sont écrits dans la même langue sonore, très différente du
pudique postromantisme d'Erwin ou
Elmire (1916) ou de la furie d'une Grèce hystérique à la mode d'Elektra dans Penthesilea (1925) : ici, domine
une grande chatoyance, un grand esprit de flux, qui favorise la parole
et la mélodie, sans jamais atteindre tout à fait l'épanchement. Un très
bel équilibre entre la couleur, l'élan propre aux décadents
germaniques, sans jamais tomber dans l'écueil du sirop (façon Korngold)
ou des longs récitatifs ascétiques (comme il s'en trouve beaucoup même
chez R. Strauss ou Schreker). Un équilibre assez miraculeux pour moi,
dans les trois. Un peu plus de lyrisme dans Venus (où certains moments décollent réellement), un peu de
plus de drame frontal avec de la déclamation un peu plus « verdienne »
dans Massimilla, et pour Dürande, un équilibre permanent où
l'on remarque la grande place, étonnante, du piano dans
l'orchestration.
On se situe donc dans le domaine du postromantisme légèrement décadent,
très lyrique et sophistiqué, mais toujours d'un sens mélodique assez
direct… quelque part entre Die
Gezeichneten pour la qualité du contrepoint et de l'harmonie et
la capacité d'élan et de lumière de Die
tote Stadt, tirant un peu le meilleur des deux mondes – ou du
moins tombant assez exactement dans mon goût.
Je recommande donc très chaudement. Le livret est fourni en monolingue,
mais comme il peut se trouver sur le site de Claves, il n'est pas très
difficile d'opérer des copiés-collés dans Google Traduction (qui est
devenu très décemment performant pour ce genre de tâche).
À l'année prochaine pour tester de nouveaux formats, poursuivre
quelques séries et, n'en doutons pas, découvrir ensemble quelques
merveilles inattendues ! Peut-être même dans une salle avec de
vrais gens, qui sait.
Portez-vous bien.
Un peu de
contexte : le prodige Arriaga
Cette
symphonie est l'œuvre
d'un compositeur de 18 ans.
Remarqué à Bilbao pour ses dons (de son seul opéra, donné sur place, Los esclavos felices, admiré pour
sa grâce et son originalité par Fétis, seule nous est parvenue
l'Ouverture, très belle), il est envoyé à Paris où il se lie, au cœur
de la querelle qui les oppose sur l'enseignement du contrepoint, à la
fois avec Fétis et Reicha.
Sa maîtrise du contrepoint dans
la musique sacrée impressionne tant Cherubini que celui-ci l'appointe professeur
assistant au Conservatoire de Paris, à l'âge de dix-sept ans.
Ses trois quatuors, encore
enregistrés et donnés en concert (en particulier le troisième), sont
regardés comme d'excellents témoins de l'influence du style
beethovenien (de l'opus 18) à Paris.
À l'exception des motets qui l'ont fait remarquer de
Cherubini et de son recueil d'Ensayos
líricos-dramáticos, fragments de livrets d'opéras préexistants
(notamment la Médée de
Cherubini-F.B.Hoffmann) qu'il met en musique sous forme de scènes
autonomes (Ma tante Aurore, Œdipe,
Médée, Herminie, Agar dans le
désert), très peu de chose nous est parvenu, puisqu'il meurt,
vraisemblablement de tuberculose, à 19 ans.
Sa Symphonie à grand orchestre, son chef-d'œuvre avec Herminie (sa dernière œuvre
achevée, Agar laissant
percevoir les compléments d'une main étrangère), n'est exécutée pour la
première fois qu'en 1888, sous l'impulsion de ses héritiers, très
actifs jusqu'au XXe siècle – où le nationalisme basque va aussi nourrir
l'intérêt pour les artistes locaux.
Compositeur :Juan Crisóstomo de ARRIAGA
(1806-1826) Œuvre :Symphonie à grand orchestre, en ré (1824) Commentaire 1 : ♣
Bien que couramment désignée comme « Symphonie en ré » et
achevée en majeur sur ses dernières mesures, elle se trouve clairement
écrite en ré mineur dans ses
mouvements extrêmes (et non ré majeur comme son nom pourrait le laisser
supposer) ; dans ce cadre, Arriaga tire des possibilités du mode mineur
beaucoup d'effets dramatiques et d'événements harmoniques. ♣ Première
particularité : cette seule symphonie qu'il ait eu le temps de composer
manifeste une grande ambition formelle.
À part le Menuet, tous les mouvements consistent en des formes sonates (l'organisation
musicale la plus sophistiquée en dehors de la fugue, qui n'est jamais
rigoureusement employée dans les symphonies). Pas de juxtapositions, de
variations, de rondeaux… Arriaga vise d'emblée le plus difficile. Plus
encore, les thèmes sont très parents
d'un mouvement à l'autre (ceux du premier et du dernier mouvement en
particulier) comme dans les meilleurs Haydn ; et, chose plus étonnante,
peuvent circuler d'un mouvement
à l'autre – ainsi, dans le développement de l'Andante se trouve cité
incidemment le premier thème du premier Allegro ! ♣ Côté
influences, l'armature générale reste assez haydnienne (il demeure même un
Menuet), avec un sens post-gluckiste
du drame (battues de cordes, ponctuations de cuivres), mais aussi une
veine mélodique immédiate et un sens de la modulation colorante qui
évoquent beaucoup Schubert (dont
il n'a pu, d'après Stig Jacobsson, connaître la musique). Bien sûr,
l'ambition générale et les ruptures soudaines attestent son étude
admirative de Beethoven.
Ainsi, une véritable symphonie du début du romantisme, mais qui combine
à un assez haut degré les qualités des grands représentants d'alors de
l'art symphonique. ♣ Pourquoi
l'avoir choisie ? Outre la beauté de son geste général et sa qualité de finition (vraiment
remarquable, la partition fourmille de trouvailles, de petites
attentions…), plus intimement, je suis séduit par son sens du geste dramatique, son goût pour les
tuilages favorisant un contrepoint
expressif, et surtout pour sa veine
mélodique extraordinaire – le thème B de l'Andante s'impose à
vous d'une façon incroyable, vous l'entendez pour la première fois et
vous croyez entendre une mélodie qui vous accompagne depuis l'enfance,
le tout sur une carrure pas du tout évidente rythmiquement, qui ménage
une sorte d'instabilité, évite la lassiture de la rengaine.
Interprètes :Le Concert des Nations, Jordi SAVALL Label :Astrée / Auvidis (1994), réédition
numérique sous Alia Vox (2009) Commentaire 2 : ♣ Cette version Savall, sur
instruments anciens, combine le meilleur de tous les mondes :
les couleurs sont très chaleureuses, l'individualité des pupitres très
audible (assurant un relief impressionnant du spectre sonore), sans
pour autant rien céder (malgré l'impression d'aération) sur la qualité
de legato ni de fondu. Tout à
fait idéal. Les fulgurances d'Arriaga y apparaissent avec plus de
netteté encore que dans les versions plus conservatrices.
[[]]
I. Premier mouvement.
Un peu de détail
: guide d'écoute À quoi
faut-il prêter attention dans la symphonie ? Quelques beautés.
I. Après
l'ouverture en accords qui évoque Beethoven 2, notez les frottements de
seconde dans les accompagnements (dès le début, les accords sont
tendus), la doublure des violons I par les bois, les reprises variées
des thèmes avec flûte, hautbois ou clarinette, les longs ponts entre
thèmes ; et si le développement reste court à cette époque, il convoque
tout de même un beau fugato
où le thème B en mineur domine, traversé de quelques traits simultanés
assimilables au A. La coda presto, façon Egmont ou Beethoven 5, s'emballe
interrompue par des violons dans le suraigu qui annoncent déjà les
effets d'orchestration de Berlioz.
II. Andante d'emblée tendu et dramatique lui aussi,
mais son second thème, ineffable, paraît apaisé et lumineux. Si vous
essayez de le chanter, vous aurez peut-être quelques difficultés de
rythme : sa carrure n'est pas régulière et le jeu sur les valeurs est
assez sophistiqué, évitant la régularité de la rengaine.
III. Jeux de syncopes, d'échos avec les bois,
méchants sauts d'octave entre sections (alla Beethoven), traits aux altos.
Le trio avec flûte solo est au contraire très chantant, sur des pizz
dansants, et met en valeur l'aisance de l'inspiration mélodique
d'Arriaga.
IV. À nouveau un mouvement dramatique, où le
martèlement des vents à contremps, les violoncelles et
contrebasses divisés, l'absence de répétition immédiate des cellules,
la codetta assez développée
(petite conclusion à la fin de l'exposition) qui mêle déjà des éléments
des deux thèmes principaux, le développement court conçu à nouveau en fugato laissent tout de la place à
des solutions créatives qui magnifient la forme sonate et, malgré le
lumineux thème B (miroir majeur du A), maintiennent une tension
permanente – qui se résout dans une dernière page entièrement sur
l'accord de ré majeur.
Discographie : ♣ Arriaga, malgré sa notoriété
limitée chez le grand public et sa très rare exécution en concert (hors
quatuors, çà et là donnés par des ensembles en général espagnols et/ou
basques), se révèle très bien servi au disque, depuis la musique de
chambre jusqu'aux cantates profanes, airs isolés et motets. Sa Symphonie est particulièrement
fêtée. Tout particulièrement convaincu, pour ma part, outre Savall, par
Zollmann, qui traite avec beaucoup de soin les articulations des
phrasés et d'équilibre l'étagement du son. Vous remarquez que Savall
est, d'assez loin, le premier à avoir mis cette symphonie à l'honneur.
Chez les tradis moelleux :
→ Orquestra de Cadaqués, Neville MARRINER (Tritó 2013)*
→ Hispanian SO, Enrique García ASENSIO (IBS Classical
2014)** → BBC PO, Juanjo MENA (Chandos 2019) ** Chez les tradis légers
:
→ Orchestre National Basque, Cristian MANDEAL (Claves
2006) *** Chez les « informés » : → Chambre de Suède, Ronald ZOLLMANN (Bluebell
1997)*** Sur instruments
d'époque : → Le Concert des Nations, Jordi SAVALL (Astrée
1994) *****
→ Il Fondamento, Paul DOMBRECHT (Fuga Libera 2006)***
♣
(Le reste d'Arriaga mérite complètement le détour aussi, même si
la Symphonie reste à mon
sens son œuvre la plus frappante. Essayez par exemple la cantate Herminie chez Mena et les autres
pièces vocales chez Dombrecht.)
Je vois la panique qui s'empare de vous. Je vois vos âmes flétries sous
les coups de ce destin qui efface implacablement les vies que vous
rêviez.
C'est pourquoi je vous ai pris en pitié.
En attendant la prochaine limitation, quelles sont les salles
potentiellement affectées par la limite globale de jauge à 1000
personnes ? (personnel inclus normalement, mais il semble que
Roland-Garros soit en passe d'obtenir dérogation pour ne compter que
les spectateurs, ou du moins ne pas compter tous les accrédités du
site, qui explosent largement cette limite… je ne sais ce qu'il en sera
pour les théâtres)
→ Opéra Bastille : 2745 places. Donc largement en-dessous des 65% de
remplissage qu'on peut espérer (vu qu'on ne distancie que sur le même
rang, et que la plupart des gens viennent à 2 ou 3). Ce n'est pas que
la saison-testament de Lissner, ni à son annonce, ni à présent que les
travaux sont lancés, ni avec ce qu'il en reste (un Ring donné une seule
fois et en version de concert, une Carmen…), fasse terriblement envie,
mais c'est encore plus mal parti, disons.
→ Philharmonie de Paris : 2400 places. Il y aura donc des pertes
significatives sur les spectacles les plus remplis. Lorsque ce fut le
cas en février-mars, la maison n'avait pas essayé de rembourser les
spectateurs excédentaires et avait purement et simplement annulé – avec
un véritable débat qui s'en est suivi sur la rémunération des artistes
qui avaient été embauchés sans avoir pu jouer. Je ne sais pas si
c'était un découragement face à la complexité de la tâche (la jauge
allant toujours plus bas de jour en jour) et la colère potentielle du
public, ou une projection rationnelle du poids économique démesuré de
faire jouer de grands orchestres étrangers devant une salle largement
vide.
La grande salle de la Cité de la Musique / Philharmonie 2 n'est pas
concernée : 1600 places maximum (en mettant le public debout au
parterre), mais c'est plutôt 900 dans le format concert qu'on voit
ordinairement.
→ Châtelet : 2010 places. Avec la distanciation, il ne doit pas y avoir
trop de perte, mais les spectacles les mieux vendus risquent d'être
remboursés à la marge, ou fermés à la réservation.
→ Opéra Garnier : 1979 places. Garnier étant toujours plein – et les
spectateurs de ballet classique tradi ne pouvant pas très souvent se
satisfaire ailleurs –, on risque d'avoir quelques remboursements. Mais
pas énormément (les stalles et les places aveugles ne sont jamais très
remplies, on est plutôt sur une jauge de 1700 places lorsque tout est
bien vendu, soit très peu d'excédent avec la distanciation).
→ Théâtre des Champs-Élysées : 1905 places. Avec la distanciation et
les places aveugles qui ne sont jamais vendues, il ne devrait y avoir,
de même, pas trop de tension hors des marges, et seulement pour
quelques spectacles totalement vendus en jauge distanciés.
Les autres salles (Maison de la Radio, 1461 places, Opéra-Comique, 1100 places ; Marigny, 1024…) sont
nettement en-dessous de la limite en incluant les mesures de
distanciation, même à guichet fermé (ce qui à Radio-France, huhu…).
Ainsi, hors Bastille et Philharmonie, le préjudice en classique et
théâtre devrait être minime (ce ne sont ni le Zénith ni les Arenas !).
Le TCE a tout de même déjà prévenu ses spectateurs.
--
La justice serait de rembourser les détenteurs de billets selon leur
moment de réservation, comme prime à la planification, la fidélité (et
la trésorerie)… Mais je trouverai pour ma part tout à fait recevable
que le théâtre fasse le choix de rembourser en priorité les billets les
moins onéreux. C'est injuste socialement, mais quand on sait la tension
mise sur les maisons – la plupart des subventions nouvelles ont été
absorbées par l'Opéra de Paris, et se limitent de toute façon
essentiellement aux établissement publics ! –, on pourrait comprendre
qu'elles tâchent de limiter la catastrophe en préservant au maximum
leurs recettes (et ce n'est pas comme au restaurant ou dans l'avion, le
coût de production d'un siège loué à 10€ est exactement le même que
pour un siège loué à 200€…).
Toutes les maisons ne communiquent pas bien : la Philharmonie ne
modifie ses informations, si l'on n'a pas déjà un billet, que sur la
page des spectacles, il faut donc régulièrement tout relire pour
découvrir que le programme et le chef ont changé ; de même pour la
Maison de la Radio, pas de page dédiée aux modifications ; l'Opéra
parle depuis des mois d'un Ring donné une seconde fois à Radio-France
sans avancer de dates précises, de grille tarifaire, de conditions de
réservation, et n'a toujours pas, je crois, révisé la distribution de
la série ; même à l'Athénée, le meilleur accueil de la capitale, on
semblait lassé alors qu'on réserve un abonnement, leur principale
source de devises…
Je leur souhaite donc à tous beaucoup de courage : sans même parler de
la panique absolue de créer des spectacles qui s'avèrent impossibles,
au fil des nouvelles normes, les uns après les autres, il doit être
particulièrement difficile d'équilibrer la parcimonie de communication
(il ne s'agit pas d'effrayer le public au moindre doute) et le respect
du spectateur – l'annulation tardive de certains concerts dont le
caractère irréalisable était un secret de polichinelle parfois depuis
des mois –, la ligne de crête est fine.
L'été est propice à la déconnexion des lecteurs… mais aussi à la
productivité du rédacteur. C'est pourquoi je mentionne ici les quelques
notules de l'été que je voulais publier depuis longtemps qui vous auront
peut-être échappé.
Un mot d'excuse auprès des (quelques) lecteurs réguliers de CSS : d'une à deux notules par semaine (à deux exceptions près sur 15 ans), voici des mois d'automne exceptionnellement chiches. La quantité de concerts vus (75 depuis septembre), un emploi du temps professionnel peu propice, des commandes extérieures 'officielles' qui se sont accumulées et quelques autres éléments ont amputé le temps disponible pour produire quelque chose qui me convienne. Quelques nouvelles entrées arrivent.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Intendance a suscité :
En haut à gauche de chaque page du site, en bleu, figure « Nouveautés
discographiques & commentaires
». En cliquant dessus, vous accédez à l'intégralité des disques publiés
& commentés depuis janvier (une centaine actuellement, sur les plus
de 500 à mentionner).
Récemment mis à jour : la plus incroyable prise de son de Bruckner du
monde, le dernier Winterreise de
Bostridge, Mendelssohn par Johannes Moser, grands motets de LULLY avec
Mathias Vidal en vedette, Fauré et Berlioz par Fouchécourt avec
accompagnement de quatuor à cordes, Wesendonck-Lieder par Ch.
Prégardien…
Belles découvertes à vous !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Intendance a suscité :
Voilà un moment que je devais opérer un petit changement, mes modes de
recension ces derniers mois ayant changé. Le logiciel Dotclear, à la
pointe lors de l'inauguration en 2005, a cessé d'évoluer (et la
migration vers la seule v2, qui a déjà bien 10 ans, réclamerait un gros
travail de réagencement, nécessairement pris sur le temps de rédaction
des notules), ce qui rend la réorganisation du contenu complexe.
Un autre atelier… qui est aussi une salle de concert.
(clavecins von Nagel)
Enjeu : ne pas noyer les entrées un peu plus ambitieuses au milieu des
nombreuses impressions laissées sur les disques ou les concerts.
J'ai donc un peu modifié la structure du bandeau supérieur (merci aux
développeurs, la hiérarchie des fichiers Dotclear reste limpide même
pour le profane !) pour faire apparaître quelques raccourcis utiles.
♦ Le fichier qui recente les nouveautés discographiques
intéressantes. (Google Sheet public)
♦ La notule qui concentre mes commentaires
desdites nouveautés (éventuellement transformées en notules
pleines pour les œuvres rares enthousiasmantes).
♦ L'index (très partiel) des
notules les plus anciennes. (Là aussi, le réorganiser sérieusement
prendrait sur le temps de recherche et d'écriture…)
♦ Le très prisé agenda des concerts,
sous forme de tableau, mis régulièrement à jour, pour ne pas rater les
petits concerts franciliens rares et exaltants. Ou pour occuper vos
soirées au débotté lorsque vous n'avez pas réservé, mais envie tout de
même d'aller voir de la musique.
♦ Le lien vers le fil Twitter des
commentaires de concert – pour économiser du temps pour les
notules aux sujets moins éphémères, je tâche de réaliser mes
commentaires de concerts dans les transports et d'échanger avec la
communauté des mélomanes qui fréquente cette interface… Il faut cliquer
sur le message, et le fil des commentaires sur le concert s'affiche.
J'espère ainsi répondre aux demandes sur l'accessibilité de ces
informations d'actualité, difficiles à maintenir en haut de page sans
écraser tout le reste (que je juge plus intéressant, au moins sur le
long terme).
En état de cause, pour rmoi, ce sera plus pratique d'avoir ainsi
tout sous la main !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Intendance a suscité :
Demandez le programme ! Le programme avec le livret !
L'agenda de CSS vient d'être mis à jour jusqu'aux premières semaines de juillet (il faudra compléter avec les festivals de Jeunes Talents et de l'OCP, ce sera fait).
Je réponds évidemment avec plaisir à toute question sur les contenus exacts / intérêt des œuvres & interprètes / astuces de réservation et de placement.
Je vais tâcher d'améliorer l'interface du site afin que vous puissiez accéder directement à l'agenda, aux parutions discographiques, aux commentaires de concerts…
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Intendance a suscité :
Après relevé des nombreuses auditions de classes, concerts de fin d'années d'ensembles amateurs et pros, voici le planning des choses à voir pour les deux prochaines semaines (bientôt complété de façon plus ample par les propositions du CRR et d'autres conservatoires). Un début de relevé pour les semaines suivante, qui sera mis à jour.
Tout figure à cette adresse, sous la forme d'un tableau que vous pouvez copier-coller pour en faire votre propre usage.
Le code couleur est le même qu'à l'ordinaire : violet exceptionnel / immanquable, bleu très intéressant (œuvres + interprétation), vert appétissant (sur au moins l'un des critères). J'ai tâché de mettre dans les cinq premières cases immédiatement visibles, à gauche, ce qui me paraissait le plus intéressant pour chaque jour, et de laisser les événements récurrents plutôt sur la droite, pour ne pas encombrer.
Excellent mai musical à vous !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Intendance a suscité :
75)
Leopold Mozart, Missa Solemnis
Bayerische Kammerphilharmonie, Alessandro De Marchi (Aparté, coproduction Radio Bavaroise) (parution 19 avril 2019)
Nouvelle parution très stimulante : une messe dans le style classique qui, contrairement à l'image qu'on a de Léopold, se distingue par une certaine originalité. Orchestration riche (d'autant que De Marchi ajoute un continuo qui devenait progressivement optionnel en cette période), belles mélodies qui ne se limitent pas aux formules classiques, et un certain nombre d'effets peu ordinaires. Le Credo regorge de merveilles, notamment ce Crucifixus aux trompettes farouchement martelées dans des nuances douces, ou la vocalisation (littéralement) fulgurante du ténor au Et resurrexit. Un petit bijou.
Le tout est très bien chanté par le chœur (Das Vokalproject) et les solistes (en particulier le moelleux Patrick Grahl dans le ténor très exposé, qui vocalise remarquablement), joué, ainsi que dirigé – De Marchi, formé à l'école du seria, a depuis commis une superbe Clémence de Titus version révisée début XIXe dont j'ai dû faire état quelque part (il sait diriger des orchestres modernes et s'est réellement adapté à l'évolution du style et ne fait pas du « Mozart baroquisé »). Et comme d'habitude, capté avec beaucoup d'espace, de précision et de couleurs par Aparté (dont j'aime décidément beaucoup les pochettes…).
Vraiment à découvrir, pour l'œuvre aussi bien que pour l'aboutissement du projet lui-même.
Petit mot sur la Bayerische Kammerphilharmonie, qui n'est pas un orchestre munichois, ni une émanation baroque de la Radio Bavaroise (qui produit des disques baroques, comme leur formidable Saint-Jean par Dijkstra qui vient justement d'être rééditée, mais avec des musiciens du Symphonique de la Radio sous leur nom habituel). Il s'agit d'un jeune orchestre (sur instruments modernes, il fait même beaucoup de contemporain) d'Augsbourg, distinct du Philharmonique de la ville, et fondé seulement en 1990. On peut juger par ce disque de son accomplissement technique et de sa remarquable plasticité stylistique. Ce n'est pas leur premier disque, loin de là, mais qu'il les met joliment en lumière !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Intendance a suscité :
Cet aimable bac à sable accueille divers badinages :
opéra, lied,
théâtres & musiques
interlopes,
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ou de voix...
en discrètes notules,
parfois constituées en séries.
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