Carnets sur sol

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dimanche 12 octobre 2025

Les cloches dans les musiques sans cloches


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Les barrils métalliques qui servaient à mimer les cloches de Montsalvat à Bayreuth jusqu'en 1929. J'en reparlerai.

Nouvelle série, au principe un peu loufoque, mais qui permet de mettre les mains dans les logiques de composition sans embrasser l'entièreté du système de façon un peu fastidieuse.

Ce sujet-ci se prête bien aux vidéos – vous aurez noté que l'approche de ce nouveau format ne pèse pas sur le nombre de notules ici, mais les prolonge, les inspire, ou tout simplement permet d'aborder d'autres sujets moins propices à la mise en forme écrite.

Les deux premiers épisodes ont déjà été publiés, en voici le contenu.

Les cloches dans les musiques sans cloches — 01 — Medley, histoire & physique
Ce premier épisode débute par un medley de quelques-unes des œuvres à explorer dans cette série :
Parsifal de Wagner (1882) ;
La Khovanchtchina de Moussorgski (1880) ;
Boris Godounov de Moussorgski (1869) ;
¶ « Cloches à travers les feuilles » des Images de Debussy (1907) ;
¶ scène du bénitier, puis du Te Deum dans Tosca de Puccini (1899) ;
¶ « Le Cimetière », tiré des Clairs de lune d'Abel Decaux (1907).

Puis je tâche de remettre en perspective historique – apparition des cloches en Chine au XVIe s. av. J.-C., traces de fonderies en Angleterre à partir du premier siècle de notre ère, le « trou noir » du XVIIIe siècle et du plus clair du XIXe siècle…

Enfin on pose ensemble quelques principes de physique acoustique (accessibles sans aucun prérequis) :
→ énergie / vibration / onde ;
→ les 134 (oui, vraiment) modes vibratoires des cloches ;
→ harmoniques & partiels ;
→ inharmonicité et séries de Fourier : do-do-sol-do-mi-sol-sib-do-ré-mi-fa#-sol… ;
→ polysémie du bourdon (drone en anglais) : pédale de basse, très grosse cloche, ou comme ici une harmonique inférieure à la fondamentale ;
→ à l'intérieur de la note, la résonance crée un effet d'accord (la tierce est en général très forte dans les harmoniques des cloches) ;
→ accommodements avec la justesse (et /faussetés/ volontaires ?) ;
→ fonte et accordage (en grattant l'intérieur) des cloches.

Tout cela exposé le plus simplement possible, et en tout cas sans nécessité de compétences en physique ni en musique autre que d'avoir déjà entendu (même pas vu, je vous montre un dessin) des cloches.

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Les cloches dans les musiques sans cloches — 02 — Parsifal et le carillon
Dans ce deuxième épisode, on explore l'usage (assez simple) des cloches chez Wagner : ici, la marche du Graal se révèle écrite sur une basse qui est en réalité le carillon de quatre notes propre à Montsalvat, et qui débouche sur l'Amen de Dresde (motif du Graal). [Pourquoi l'inclure ? Parce que ce sont rarement des cloches qui le jouent. Je ferai un petit épisode séparé sur la question.]

Vidéo sur l'Amen de Dresde : https://youtu.be/CHr1ldk17Ts .

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Toutes les vidéos apparaîtront sur la chaîne de Carnets sur sol ou, pour suivre spécifiquement cette série, dans la playlist dédiée.

vendredi 26 septembre 2025

[Enquête] — Le Concile de Trente a-t-il interdit la polyphonie ? – II – Les véritables recommandations de la Commission


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Le contenu de la playlist s'éclairera au fil de votre lecture, mais il sera aussi commenté dans le dernier épisode.

La première partie de l'aventure se trouve dans cette notule.

N'hésitez pas à cliquer sur les liens, ils renvoient pour la plupart vers des exemples musicaux qui permettent d'incarner davantage les notions techniques.



La lecture débute ici – sinon vous ne saisirez pas nécessairement ce qu'on cherche ni ce qu'on trouve.



7. Bibliographie et I.A.

C'est parti pour l'exploration en bibliothèque !  Paris a bien des défauts, mais offre en ce qui concerne la documentation des ressources à peu près illimitées.

Mais par où commencer ?  Pas évident lorsqu'on aborde un sujet où l'on a à peu près tout à apprendre — comme, récemment, l'éthologie des sangliers… En l'occurrence, il s'agissait de répondre à une question totalement incidente dans une conversation entre mélomanes, je n'ai donc pas le besoin impérieux de la meilleure référence, seulement d'un point de départ. Pour ce type de tâche de sélection un peu organisée de références sur un sujet où je ne sais pas où trouver les bonnes ressources – Sinbad, pour de la recherche-loisir, on a toujours peur de déranger… –, je trouve souvent satisfaction en interrogeant les I.A. (Deepseek est particulièrement efficace pour les bibliographies) : bien sûr, certains titres sont inventés et recomposés, et il ne faut surtout pas en attendre une démonstration (appuyée sur des sources très crédibles mais imaginaires…), mais comme ces choses-là ont absorbé des bibliothèques entières, elles ressortent assez bien les titres dont je peux, ensuite, vérifier qu'ils font bien autorité. Et dont je n'aurais pas trouvé trace simplement en écrivant « Trente » et « musique » — Les langages du culte ou Traditio canendi, je n'étais pas près d'y penser !

Pourquoi passer par là plutôt que par le catalogue de la BNF ?  Parce que les titres concernant Trente doivent être innombrables, et que ceux qui m'intéressent ne comportent pas nécessairement « musique » dans le titre (ce peut être 'chant', 'liturgie', etc.), et surtout je ne mesure pas nécessairement, individuellement, leur contenu détaillé, leur degré de précision ni leur fiabilité académique. Les LLM ont des tas de bibliographies dans le ventre, ce qui leur permet de ne pas avoir trop à inventer et me fait un point de départ, avec un début de classification des spécialités de chaque ouvrage. Bien sûr, une fois les bons livres en main, je dispose d'autres titres à explorer – mais, par définition, pas les plus récents. Et surtout, il faut déjà être en bibliothèque, ce qui est moins commode pour commander d'autres ouvrages – pour que mon choix soit suffisamment étendu, surtout vu les sujets de niche qui sont en général les miens, je privilégie les bibliothèques de recherche, où il faut commander en amont les exemplaires.

Le processus a très bien fonctionné pour Pelléas (Nichols, Grayson & Langham Smith, qui se sont avérés de loin les plus complets et précis, figuraient en tête des recommandations), un peu moins pour Tosca (où c'est finalement une exploration méthodique du catalogue de la BNF qui m'a permis de trouver les meilleurs titres), et m'a bien aidé à dépister des articles scientifiques ou trouver des noms de revues auxquels je n'aurais pas pensé.
Je trouve paradoxalement le résultat moins aléatoire que d'aller voir sur sur Wikipédia ou un site spécialisé, où les bibliographies me paraissent souvent davantage refléter le hasard de ce que les auteurs ont lu ou aimé. (Évidemment, rien ne vaut la connaissance de l'endroit où chercher les bons conseils, et j'aurais pu le faire pour Pelléas, pour lequel j'ai surtout voulu tester l'efficacité des modèles sur un sujet où je pouvais avoir un regard critique ; mais pour les sangliers ou Trente, c'était une aide très bienvenue pour donner l'impulsion de départ et faire une première bonne pioche en bibliothèque.)

Cela pour l'anecdote de la méthode, qui n'est pas la plus rigoureuse, mais peu importe, l'idée est d'avoir un premier volume de qualité entre les mains – par lequel on peut ensuite récolter le reste de la bibliographie si nécessaire. La hiérarchisation proposée par le LLM est en général plus parlante que la succincte notice du catalogue, même si j'en passe évidemment aussi par là !

Pour vous faire une idée, voici le résultat de ma demande. Ne vous laissez surtout pas abuser par ses affirmations :

Cette correction s'appuie sur une méthodologie historique rigoureuse : analyse in extenso des documents primaires (actes conciliaires, correspondances), confrontés aux études musicologiques récentes.

En effet lorsqu'on essaie de vérifier, on se rend compte qu'il n'a pas forcément eu accès à ces textes et a inventé ou affirmé en l'air. (Si le sujet vous intéresse, un tout récent papier de Kalai, Nachum, Vempala & E. Zhang lève enfin le voile sur cette tendance à l'hallucination : les modèles sont tout simplement récompensés pour donner une bonne réponse, et pas pour admettre honnêtement leur ignorance, si bien que la probabilité d'atteindre aléatoirement une bonne réponse prévaut, dans leur logique de réussir les tests, sur l'honnêteté.)

Mon attention est attirée par ceci, qui correspond exactement à ce que je recherche :

Après le concile, une commission comprenant les cardinaux Charles Borromée et Vitellozzo Vitelli fut chargée d'élaborer des règles concrètes.

Cependant je trouve étonnant que la superstar du concile trempe dans mon affaire. Et un survol des notices sur le cardinal Vitelli ne laisse pas d'emblée percevoir non plus une dilection spécifique pour la musique. Je ne trouve pas davantage trace du rapport issu de cette commission. Ce serait exactement ce que je cherche, un peu trop beau pour être vrai, voilà qui a tout l'air d'une hallucination vraisemblable typique des LLMs – mais je le conserve dans un coin de mon esprit. Et vous verrez par la suite que…



8. Richelieu & Tolbiac


Me voilà rendu devant mes documents.

J'ai donc, sur la musique :
¶ Édith WEBER, Le Concile de Trente (1545-1563) et la musique, chez Champion (1982, version révisée de 2008) ;
¶ Pierre GAILLARD, Les prolongements musicaux du Concile de Trente, Mémoire de maîtrise d'histoire (1968) ;
Les langages du culte aux XVIIe et XVIIIe siècles dirigé par Bernard DOMPNIER (PU Blaise Pascal, 2020), passionnant ensemble (comparatif des messes polyphoniques françaises du XVIIe siècle par Jean DURON, incroyable), mais un recueil d'articles sur des contextes à chaque fois très précis, sans lien fort établi avec le concile qui commence à remonter un peu ;
¶ Felice RAINOLDI, Traditio canendi : appunti per una storia dei riti cristiani cantati (Edizione Liturgiche di Roma, 2000).

Plus largement sur la liturgie, si jamais je ne trouve pas assez de matière ou que je dois élargir ma compréhension du phénomène :
¶ Jean-Marie POMMARÈS, Trente et le missel : l'évolution de la question de l'autorité compétente en matière de missels (1997)
¶ James MONTI ; « The Roman Missal of the Council of Trent » et Anthony J. CHADWICK, « In pursuit of participation ; Liturgy and liturgists in early modern and post-enlightenment Catholicism », deux articles du T & T Clark companion to liturgy ;
¶ Simon DITCHFIELD, Liturgy, sanctity and history in Tridentine Italy (Cambridge 1995).

Il s'avère que je n'ai pas eu besoin de tout cela : Weber et Gaillard étaient particulièrement denses et pédagogiques. Le recueil Dompnier, quoique passionnant, ne répondait pas à mes questions. Je n'ai pas eu besoin de me lancer dans l'immense somme de Rainoldi, à laquelle je reviendrai sans doute simplement pour mieux appréhender les périodes pré-1600 que je ne connais pas très bien.
La question du missel était déjà abordée dans ces ouvrages et ne traitaient pas le cœur de mon sujet, ou en tout cas n'apportaient pas de nouveauté par rapport aux préconisations purement musicales issues du Concile, je n'ai donc pas eu à parcourir les trois ouvrages complémentaires – et pas eu le temps non plus, j'avais aussi à lire l'édition critique du piano-chant de Pelléas, la correspondance de Debussy, des études sur Puccini, éplucher la presse catholique de la décennie 1830 pour comprendre la réception de Robert le Diable, le Jésus de Nazareth de Wagner et Le Rivage des Syrtes de Luciano Chailly, ainsi que des choses sur l'histoire de Orchestre de l'Opéra, sur les particularités des essences de chênes et sur les vocalisations de sangliers

Il se trouve que Weber offrait, de surcroît, des citations textes-sources (que j'ai ensuite pu consulter plus largement pour vérifier qu'elle ne m'induise pas en erreur), et que sa prétentation était exactement concordante avec Gaillard, et conforme à ma compréhension préalable des enjeux de Trente. J'en suis donc resté là – tout cela pour savoir d'où je tiens ma science particulièrement fraîche (comme la sœur de mes lecteurs), qui ne fait nullement de moi un spécialiste omniscient de ces questions.



trente_decrets.png



9. L'objet du Concile

Je n'aborde pas les questions de dogme : Symbole de Nicée, la Grâce, le libre arbitre, le péché originel, le statut des sacrements, place de la tradition… C'est évidemment ce à quoi le Concile s'est d'abord attelé, à la fois pour placer un cadre idéologique à l'ensemble et pour répondre aux contestations sur le fond de ce que l'on croit, émanant des Réformés.
Je vais m'en tenir plutôt aux aspects pratiques.

En très simplifié, vu que ce n'est pas un sujet que je maîtrise en profondeur : des tensions existent depuis longtemps, au sein de l'église catholique, autour du culte. Le comportement des ecclésiastiques, qui n'assistent parfois pas aux messes de leurs propres paroisses, qui débitent du texte sacré sans qu'on puisse le comprendre (ni même parfois l'entendre), en somme toutes sortes d'abus qui ont agacé les fidèles et notamment suscité la Réforme (ou plutôt les Réformes luthérienne, calviniste, zwinglienne et leurs très nombreux échos).

Le Concile cherche à répondre à ces questions, jugées légitimes, dans le but notamment de tenir la maison face à l'attractivité de la Réforme. En définitive, la messe en latin sera réaffirmée, mais assortie de gloses en langue vernaculaire, la responsabilité des clercs resserrée ; surtout, en ce qui nous concerne, la dévotion elle-même, en particulier comme elle se pratique durant la messe, sera reconsidérée.

L'idée est d'expulser du culte les éléments profanes (beaucoup de nouveaux textes ajoutés sans beaucoup de contrôle), les désinvoltures des officiants (obligation d'assister aux offices de sa charge, interdiction des prêtres vagabonds), les mondanités (interdire l'affectation des églises à d'autres objets), les négociations (interdire la programmation de messes selon les désirs de laïcs et les rites très disparates, jusqu'aux les messes basses qui ont parfois lieu en même temps que la grand'messe), le divertissement (c'est là où la musique va être concernée). Le tout afin de recentrer l'Église sur l'essentiel, à savoir la Parole : qu'elle arrive en ligne directe jusqu'au fidèle, qu'elle ne soit pas marmonnée, apprêtée de colifichets, négociée, qu'on ne divertisse pas les croyants au moment où ils doivent être réceptifs aux émotions de la dévotion.

L'essentiel des recommandations liturgiques (je laisse de côté le reste sur la structure même de l'Église et le raffermissement de la hiérarchie), me semble tendre vers cet objectif : remettre, comme la Réforme, la Parole sacrée au centre de l'attention. Les textes du Concile proprement dit ne comportent pas de recommandations musicales précises, comme vous l'avez vu.



10. La constitution de recommandations musicales

Comment vont ensuite s'incarner les préceptes d'intelligibilité et de dévotion, les deux principales préoccupations du Concile concernant la musique ?

L'année de la clôture du Concile, en 1563, une Commission des Cardinaux se réunit – on trouve trace de ses travaux jusqu'en 1565. Son titre est Institution de la Congrégation des Cardinaux de la Sainte Église Romaine pour l'exécution et l'observance du Saint Concile de Trente et des autres réformes de ce Pontife (pape Pie IV). Et qui en sont les principaux participants… Charles Borromée et Vitellozzo Vitelli !  Ce n'était donc pas une hallucination de LLM, mais il m'aura fallu creuser assez loin pour en trouver mention, sans avoir à ce stade mis la main sur les textes eux-mêmes – fût-ce l'original en latin ecclésiastique du XVIe siècle, ce serait déjà intéressant.

Autre validation de ce que j'avais supposé : cette commission occupe assez exactement le rôle des « décrets d'application » que je m'étais imaginé. Jusqu'à quel point de détail s'est-elle penchée sur la musique, considérant que son rôle était plus vaste que la seule ambiance du culte ?

À cette Commission, il faut ajouter le nouveau missel de 1570, qui précise les limites dans les pièces chantées ou jouées à l'orgue.

Par ailleurs, bien que ce missel de Pie V soit obligatoire, le détail des mesures dépend aussi des choix ultérieurs des Synodes provinciaux pour les directives concrètes données sur leurs territoires.



11. Quels sont ces changements ?

LE PROFANE
Pour lutter contre la musique « lascive, profane et impure » :
interdiction des thèmes profanes – notamment toutes les messes qui empruntaient leurs thèmes à des chansons populaires, qui leur donnaient parfois leur sous-titre pour les différencier : L'Homme armé, Suzanne un jour, etc. La musique doit être composée expressément pour le culte, et dans un sentiment religieux ;
interdiction aux organistes de jouer de la musique de danse, comme c'était semble-t-il fréquent (il existait en réalité des danses sacrées depuis le Moyen Âge) ;
limiter les ornements purement décoratifs sur les lignes musicales.

LA PURETÉ
Pour garantir la cohérence liturgique :
les tropes et séquences sont supprimés (pas les autres proses ?). Ce sont, pour faire simple – la classification en est complexe, et mouvante au fil des siècles – des ajouts de textes, en général extérieurs aux Écritures, pour prolonger des moments de la messe. Les tropes qui prolongent l'Alleluia sont appelés séquences. Ce peut se réaliser de bien des façons, aussi bien purement musicale – rajouter des mélismes à l'inifini, comme c'est resté l'usage sur l'Alleluia – qu'en ajoutant tout de bon des textes entiers. Quatre séquences sont épargnées par le Missel de 1570 : Lauda Sion, Stabat Mater, Veni Sancte Spiritus, Victimæ Paschali laudes. Le Dies iræ (cette Prose des Morts n'est techniquement pas une séquence, malgré le nom qu'elle porte régulièrement dans les Requiem) survit lui aussi.

LA CONCENTRATION
Afin de ne pas distraire les fidèles de l'émotion sacrée et du climat de piété :
suppression des thèmes variés – c'est-à-dire la reprise du même thème en le modifiant musicalement, une pratique trop purement musicale / artistique / abstraite [exemple facile de ce qu'est un thème varié, et infos sur l'œuvre là] ;
suppression de l'alternatim, c'est-à-dire des pièces d'orgue qui ponctuent après le chant, et qui sont là aussi perçues comme de la musique pure et non de la musique exaltant le texte sacré. (Oui, les Messes de Couperin sont une aberration au sens tridentin !) [exemple ici] ;
→ et, d'une manière générale, la consigne que la joie intellectuelle ou esthétique ne doit pas prendre le pas sur les élans pieux de l'âme [coucou Oli].

L'INTELLIGIBILITÉ
Pour assurer la transmission du texte sacré :
limitation des répétitions du texte, pour rendre son déroulé clair : les compositeurs doivent éviter de reprendre des groupes de mots au fil de la phrase, ce qui limite l'intelligibilité de la syntaxe et donc le sens des phrases. Le but est toujours de rendre le texte sacré émouvant mais avant tout accessible en tant que texte, d'où l'insistance auprès des prêtres pour une bonne diction ;
atténuation des mélismes (ces notes de goût ajoutées), pour ne pas cacher les mots sous les ornements ;
simplification de la polyphonie, on continue à écrire des œuvres à plusieurs fois, mais on recommande plutôt une écriture « note pour note », c'est-à-dire une régularité des valeurs rythmiques qui permette d'identifier chaque voix au lieu d'être submergé, et donc de comprendre le texte ;
développement des compositions syllabiques, où chaque syllabe est représentée par une note, au lieu qu'elle puisse être étendue et diluée par des ornements, ce qui rend le mot considérablement plus flou ;
mise en valeur de l'accentuation prosodique exacte. Sous l'influence de l'humanisme, le Missel de 1570 entreprend d'insister sur les bonnes accentuations authentiques des syllabes. La recommandation est que les musiques fassent de même, et insistent sur les syllabes longues – rappelons que tout cela concerne du texte latin ;
organisation d'alternances plus fréquentes avec des sections monodiques, que tout ne soit pas composé exclusivement en contrepoint.

Une phrase des Pères conciliaires résume assez bien, souhaitant que la musique favorise « la compréhension du texte, l'aspiration à l'harmonie céleste, la contemplation du bonheur des Saints ».

(Pas évident de synthétiser les recommandations, présentées de façon un peu redondantes dans les livres, dans l'ordre des décisions ou réparties selon les organes ecclésiastiques, mais je crois que vous avez là l'essentiel.)



Vous avez donc déjà une première réponse – assez précise finalement – sur ce qu'a réellement préconisé le Concile et ses suites.

Mais à présent que je suis lancé, l'aventure ne fait que commencer… Dans le prochain épisode (« Lever le voile sur les légendes »), je répondrai donc, fort de ces nouvelles connaissances, à la double question initialement posée – à savoir la polyphonie et les tierces.

mardi 2 septembre 2025

Frontispice


Pour information, la barre en haut du site a été rénovée, et redirige vers des branches actives de Carnets sur sol : versant disques, versant concerts, versant promenades, agenda, vidéos, podcasts et linktree récapitulatif…

(Ce sera plus simple que d'effectuer à chaque fois des renvois vers les lieux concernés.)

jeudi 21 août 2025

Nouveautés disques #8 (20 août 2025) — Stanley, Stamitz, Job de Loewe, 20 ans de VOCES8, F. Price…


Les nouveaux disques qu'on a aimés cette semaine (et demie), en vidéo :

¶ vingt ans de l'ensemble VOCES8 (double chœur à un par partie) : Renaissance, XXe, cross over… ;

¶ Voluntaries de John Stanley, du XVIIIe anglais pour orgue très réussi, vraiment différent des styles allemand et français ;

¶ Hiob (Job) de Carl Loewe, un nouvel oratorio de Loewe, qui vaut à nouveau le détour (tout comme Gutenberg, Johann Huss ou la Passion titrée Das Sühnopfer…). Sur instruments anciens ! ;

¶ Concertos pour clarinette 7,9,10,11 de Carl Stamitz (Paul Meyer et la Chambre de Kurpfal), excellente surprise, bien plus avenant que les deux autres volumes de ces concertos pour clarinette ou que celui sur les symphonies concertantes, vraiment un naturel mélodique, de beaux climats… et ce rondeau final du 11 avec cors obligés qui se transforme en Chasse du jeune Henri !

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Parmi les autres choses intéressantes :

→ un EP (Extended Playing, entre le single et l'album, dans les 15-20 minutes) d'arrangements lyriques pour piano 8 mains (l'Ouverture des Nozze de Mozart est vraiment réussie !) ;

→ le rare Nerone de Boito (un peu moins de tubes que dans Mefistofele, mais solidement écrit) avec les excellents barytons Roberto Frontali et Franco Vassallo ;

→ le beau récital Haendel & Hasse de Megan Kahts, chouette voix colorée et pas pâteuse ;

→ les arrangements pour piano solo de symphonies, concertos (et de la Sérénade pour cordes entière) de Tchaïkovski confectionnés par Peter Breiner ;

→ deux EP Coleridge-Taylor : Four Characteristic Waltzes (violon-piano, pas du niveau des African Dances, mais tout de même plus sophistiqué de la pure musique de salon) et une /Petite suite de concert/ (en français dans le texte) gentiment pittoresque, dans une interprétation un peu épaisse du Philharmonia.

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Et puis, parce que vous avez le goût du sang, ce que je n'ai pas particulièrement aimé dans la sélection (en réalité ils m'ont plu, simplement je ne pense pas leur écoute prioritaire si vous avez des choix à opérer) :

♠ la Messe en fa de Bach par Solomon's Knot, dont les Motets m'avaient fait très forte impression, et dont les extraits promettaient beaucoup (c'est très bien, mais vu la discographie, et Pichon en particulier, le détour n'est pas indispensable) ;

♠ les trois chœurs Op.42 de Brahms par la Radio Bavaroise dirigé par Peter Dijkstra, de même, très beau mais pas aussi singulier que les noms réunis le laissaient espérer ; superbe, mais pas prioritaire si vous connaissez déjà ces œuvres (fabuleuses) ;

♠ le Concerto in One Movement de Florence Price (en réalité découpé en plusieurs mouvements sur cet EP…), une sorte de symphonie concertante avec piano, avec quelques accents afro-américains. Pas le meilleur du Price à mon sens, une œuvre charmante plus que marquante, par rapport à ses symphonies par exemple ;

♠ et pour finir les Concertos pour flûte de Mozart par A Nocte Temporis, un ensemble que j'aime beaucoup mais qui se retrouve très peu souvent, je crois, en grand effectif (ils ont surtout fait de la tragédie en musique et des cantates profanes françaises jusqu'ici, je crois). Et l'on retrouve en effet le même problème de spectre tassé, de timbres dépareillés, que dans les airs de Mozart (que je n'avais, pour le coup, vraiment pas aimé du tout). Surtout, je ne trouve pas, malgré le spectre sonore différent, que le discours apporte quoi que ce soit de neuf. Bien sûr, on a le plaisir d'entendre d'excellentes spécialistes de ces instruments d'époque, qui sonnent très différemment des modernes, mais ce n'est pas mis au profit, je trouve, d'un discours musical singulier au sein de ces œuvres très bien documentées. (Mais c'est toujours un plaisir de réentendre un concerto pour vent de Mozart quel qu'il soit, d'autant que ça reste bien sûr très bien joué.)

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Par ailleurs, rapide relevé d'autres nouveautés sur lesquelles je lorgne et vais bientôt écouter.

À très vite !

lundi 9 juin 2025

Raoul Gunsbourg : une (fugace) première mondiale par Borras, Monte-Carlo & Dumoussaud


Article

Malgré la notoriété du personnage (directeur de l'Opéra de Monte-Carlo pendant près de soixante ans), la quantité de ses opéras et leur qualité de haute volée, il n'existait à ma connaissance aucun extrait d'opéra de Raoul Gunsbourg gravé au disque. Récemment, l'excellent ténor Mark Milhofer a enregistré une mélodie (mignonnette et anecdotique), Le temps qui passe, dans son album-hommage à Caruso, mais c'est à peu près tout.

À moins de mettre son nez / ses doigts / sa glotte directement sur les partitions, pas vraiment de moyen de se faire une idée de sa musique, qui m'a pourtant très fortement marqué par sa qualité propre, et surtout son sens dramatique particulièrement aiguisé – en tout cas pour ses deux premiers opéras, Le vieil Aigle et Ivan Le Terrible, car au rapide survol de son troisième, Venise, le seul autre titre disponible à la BNF, ce ne paraît pas de la même envergure (pour l'anecdote, une large partie de l'opéra se déroule… à Paris !).
Le reste (Maître Manole, Satan, Lysistrata, Les Dames galantes de Brantôme, que de titres intriguants !) gît à Monaco, hors de ma portée – mais vous pouvez toujours ouvrir une cagnotte pour financer mon voyage et je vous enregistre les sept opéras ! (C'est déjà fait pour les deux premiers, du reste, et les deux premiers volets d'Ivan sont même déjà en ligne : 1, 2.)

Ces deux titres, les plus diffusés dans les réduction piano-chant vendues aux particuliers, sont parmi les œuvres qui m'ont le plus intensément marqué à la lecture.

L'acte I d'Ivan incarne la seule utilisation probante que j'aie croisé des modes russes dans de la musique française, et sur le plan dramatique, le viol (certes interrompu) très réaliste de l'héroïne à la fin de l'acte II m'a durablement troublé – Gunsbourg a commencé sa carrière comme médecin militaire sur le front turco-russe, avec un rôle paraît-il décisif dans la prise de Nikopol (avec un scénario encore plus épique que L'Enlèvement de la redoute de Mérimée). J'imagine qu'il a pu tirer cette connaissance de cette expérience. En effet, la scène évoque beaucoup les récits, désormais largement diffusés, de viols utilisés comme arme de guerre dans le but de démoraliser les peuples ennemis – le dispositif en est glaçant, et malgré le dispositif convenu d'anagnorisis (scène de reconnaissance, un personnage se révèle le parent ou l'obligé de son ennemi), le malaise ne se dissipe pas.
J'ai un peu présenté l'œuvre et l'auteur ici.

Dans ce disque, c'est un arioso issu du Vieil Aigle qui est utilisé, issu du premier tiers de l'opéra en un acte. Moment d'émotion particulier, puisque c'est la première fois qu'on peut entendre du Gunsbourg orchestré ! De ce que j'ai compris dans mes lectures (à compléter prochainement), Gunsbourg composait bel et bien ses opéras (en piano-chant), mais recourait ensuite aux services d'orchestrateurs. Et ici, on entend le résultat d'expert, tout cela sonne très bien, avec de la couleur, et met en valeur les trouvailles musicales de la version piano, alors même que le fragment choisi pour ouvrir cet album de Jean-François Borras est à peu près le moment le moins intéressant musicalement (débordant de jolies trouvailles touchantes) et dramatiquement de tout l'opéra.
Une histoire simple, dont on ne peut croire au caractère inexorable. J'en suis sorti, à chacune de mes trois lectures au piano, durablement bouleversé.


Même si cet extrait n'est pas représentatif, c'est un plaisir rare et un témoignage précieux que d'avoir enfin accès à cet aspect de Gunsbourg : enregistré par des professionnels et joué pour grand orchestre.

Il faut savoir se satisfaire de peu, car il ne faut pas se faire d'illusion sur le fait qu'on continuera de nous empiler les disques (invendus…) de Faust et de Carmen tandis les grands drames de Gunsbourg, Fourdrain ou Nouguès ne seront peut-être jamais remontés.

Disque bien sûr souverainement chanté avec l'assurance et la clarté (deux qualités qui vont rarement de pair) de Jean-François Borras, et l'accompagnement éloquent du Philharmonique de Monte-Carlo dirigé par l'excellent spécialiste Pierre Dumoussaud.

samedi 25 janvier 2025

Pourquoi je ne joue pas de piano au piano — [Un an et demi de déchiffrages d'inédits – VII – Arrangements inédits, de Mozart à Sibelius]


asgér hamerik
Asgér Hamerik, l'une des seules pas-vraiment-superstar de cette notule.

Pour les implications techniques (pianistiques) de l'entreprise, voyez la première notule de la série.

Pour le point sur les dernières découvertes côté opéras en français, voyez la deuxième notule de la série.

Pour les opéras en allemand, voyez la troisième.

Pour les opéras en d'autres langues, le répertoire sacré, la musique symphonique, les mélodies françaises : épisode n°4.

Pour les lieder et songs : épisode n°5.

Quant à la musique de chambre, au clavecin, au piano solo, aux mélodies slaves : épisode n°6.

J'ai aussi recueilli ces lectures dans un fichier que je mettrai à jour.



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(Quelques transcriptions ou fantaisies pour piano à partir de tubes mentionnés plus bas.
Le disque le plus conforme que je connaisse, la Troisième Symphonie de Bruckner
transcrite pour piano à quatre mains par Mahler,
n'est pas disponible en flux.)


13. Tubes en réduction

Je touche à la fin de ce panorama, avec dans l’intervalle des nouveautés, évidemment.

Je n’ai pas évoqué cependant une catégorie d’inédits, qui m’a beaucoup occupée, mais qu’il serait probablement assez peu utile de commenter (et encore moins de diffuser) : une vaste partie des pièces que je joue au piano sont des transcriptions, de symphonies, de quatuors... jamais enregistrées en version piano ou, quand c’est le cas, pas dans l’arrangement que j’ai soigneusement sélectionné.
Je ne parle même pas des opéras en version réduite, où j’intègre moi-même les lignes vocales à l’« orchestre ».


a) Répertoire

Dans cet ensemble, des œuvres peu célèbres (Concertos pour violon de Pierre Rode [lien], Quatuors d’Anton Rubinstein [lien], Symphonie n°1  de Kalinnikov ou n°2 d’Asgér Hamerik [lien]…), et beaucoup de tubes. Les symphonies de Beethoven (1,2,3,4,5,6,7,8,9), de Schubert (3,5), de Mendelssohn (3,4,5), de Schumann (2,3,4), de Bruckner (2,3,4,5,6,7,9), de Brahms (1,4), de Tchaïkovski (1,2,3,4,5,6), de Dvořák (7,8,9), de Mahler (1,2,3,5,8,9), de Sibelius (1,5, faute de trouver les autres) ; les poèmes symphoniques de Tchaïkovski, les trois grands ballets français de Stravinski ; les quatuors de Beethoven (1,2,3,4,5,6,7,8,9,15 pour l’instant), Schubert (12,13,14,15), Mendelssohn (2,6), Schumann (3), Debussy...

Côté opéra, parmi les plus joués :
→ l'horrible Richard Wagner [notules] : le Vaisseau fantôme, les scènes aquatiques et célestes de Rheingold, les actes I et III de la Walkyrie, l'acte III de Parsifal… souvent dans des traductions françaises ;
→ Richard Strauss [notules] : tout le début d'Elektra jusqu'à la fin de la première scène de Chrysothemis, les débuts du I et du II du Rosenkavalier, tout Ariadne auf Naxos, le début de Die Frau ohne Schatten, et surtout tout Arabella, ;
→ Mozart : actes pairs des Noces, tout Don Giovanni, tout Così, toute la Clemenza ;
→ Verdi : Stiffelio, Un Ballo in Maschera (tableau du gibet), Don Carlos (actes impairs), Aida (actes III et IV), Otello (acte II)… ;
→ Debussy : tout Pelléas & Mélisande ;
→ Bizet : tout Carmen ;
→ Puccini : tout Tosca, acte I de La Bohème ;
→ Reyer : acte IV de Sigurd ;
→ Meyerbeer : actes I et V des Huguenots ;
→ Halévy : extraits de La Juive ;
→ Bellini : actes I et II, fin de l'opéra des Puritains ;
→ etc.
Le plus joué sans conteste, l'acte III de Die Walküre (comme d'habitude), suivi des I et III d'Arabella, puis l'acte IV des Noces, tout Tosca, Pelléas, l'acte II d'Otello, le final de Stiffelio. (Si l'on compte les extraits isolés, le duo de révélation du V de La Reine de Chypre d'Halévy arrive dans le trio de tête !  Réduction réalisée par… l'horrible Richard Wagner.)

Côté musique sacrée, beaucoup de lectures de la Missa Solemnis de Beethoven, du Psaume 42 et d'Elias de Mendelssohn, du Requiem de Verdi, du Deutsches Requiem de Brahms

Et sans doute bien d'autres choses que j'oublie.



b) Effets

Et il faut bien le dire, accéder à une partie de la richesse de ces musiques, la réaliser seul, en incarner les arcanes, a quelque chose de particulièrement grisant. Parmi les bonnes surprises, le Quatuor de Debussy se joue assez bien au piano, qui tombe assez bien sous les doigts, peu de sacrifices à opérer dans la musique, alors qu'il faut souvent opérer des choix déchirants dans les réductions de quatuor !  Quant au mouvement lent de l’opus 59 n°2 de Beethoven, voilà probablement l’une des pièces « pour piano » que j’ai le plus jouées... une partie de son caractère ineffable et de la succession ininterrompue d’idées fulgurantes se communique très bien à la version piano.

Évidemment, toutes les polyphonies ne sont pas réalisables (certaines ne sont même pas notées par les transcripteurs !) et les effets de timbre ou de texture peuvent ne pas trouver de correspondance au piano, mais ce reste tout de même un outil d’approche incroyablement intuitif et jubilatoire ! 

Les choix des transcripteurs sont en eux-mêmes éclairants, également : ainsi pour les symphonies de Beethoven, Otto Singer II, le grand transcripteur d’opéras de Wagner et Strauss, n’est-il pas le plus confortable pianistiquement ni le mieux sonnant quand aux équilibres des registres. Liszt, que je n’ai jamais beaucoup aimé ici, me paraît vraiment un attrape-pianiste – des octaves partout, mais cela imite assez mal les textures d’un orchestre à cordes et vents ; on le perçoit déjà à l’audition, et c’est encore plus vrai lorsqu’on le lit et le joue. (En outre, quoique très pianistique, je ne trouve pas ça confortable à jouer, on sent les grandes mains puissantes, on a l'impression de toujours courir après le brillant plutôt que de travailler le fondu et la couleur.) Une œuvre pour faire briller le pianiste plutôt que pour évoquer fidèlement le souvenir de l’original. Après pas mal d’essais, je me suis tourné vers Ernst Pauer, pianiste et compositeur deux générations plus tard (né en 1826), dont les propositions modestes et équilibrées, qui visent davantage à la fidélité qu’à l’effet, permettent réellement de faire réentendre le matériau d’origine, avec, évidemment, son lot de simplifications ou d’impossibilités pratiques. De même pour Tchaïkovski, où j’ai privilégié l’éditeur moscovite Jadassohn, lui-même transcripteur, sur d’autres noms plus prestigieux.



c) Déviance

Vous vous posez peut-être la même question que celle naguère émise par un camarade : il existe tellement de chefs-d’œuvre pour le piano (documentés ou non), pourquoi t’acharner sur des œuvres qui ne sont pas écrites pour l’instrument?

Et en effet, je joue beaucoup plus d’opéras, de symphonies, de musique de chambre (avec ou sans piano prévu !) que de musique pour piano. Phénomène encore spectaculairement accentué lorsqu’il s’agit de jouer des œuvres qui figurent dans le grand-répertoire.

C’est à la vérité une très bonne et légitime question, et il se trouve que je dispose de réponses – qui éclairent certes mon approche, mais aussi, je crois, une dimension musicale susceptible de tous nous concerner à divers degrés.

1) Beaucoup de pièces pour piano sont déjà disponibles au disque : ce sont les plus faciles à enregistrer et diffuser ; même si je ne les trouve pas de prime abord, il est fréquent qu’en réalité une piste isolée (et mal référencée) se dissimule dans une anthologie, sans parler bien évidemment des captations artisanales publiées sur YouTube. Le risque de travailler pour rien est donc assez élevé.

2) Les œuvres pour piano sont souvent écrites pour mettre en valeur les pianistes, nécessitent de la virtuosité, contiennent des traits purement pianistiques. Autant je peux arriver à donner le change en première lecture d’un opéra (quitte à opérer des choix d’urgence dans les voix et/ou l’accompagnement), autant sur une pièce écrite pour piano, si on escamote les cabrioles prévues, le résultat paraît tout de suite moche. Néanmoins, cette considération ne concerne en réalité surtout les captations / diffusions – rien ne m’empêche de les jouer pour moi-même.

3) La véritable raison, c’est que ladite virtuosité est souvent présentée comme une vertu (un grand pianiste, c’est un « virtuose »), alors que pour ma part, en tant qu’auditeur, à matériau égal, je trouve l’œuvre virtuose moins intéressante. Non seulement les fanfreluches n’apportent rien au discours, mais elles l’affadissent (pour moi), se reposant sur des formules vives et stéréotypées au lieu de laisser chanter la mélodie, l’harmonie, en somme le discours.
Or, très peu de compositions pour piano échappent à ce genre de réflexe. Je trouve donc plus satisfaisant de jouer d’autres genres musicaux transcrits, qui échappent à ces formules prédéfinies que je trouve à la fois inutilement difficiles à jouer et particulièrement pauvres en sens musical.

4) Mais la motivation ultime, celle à laquelle vous n’aviez peut-être pas pensé, celle qui fait que je reviens sans cesse, à mon piano, plutôt aux Quatuors de Beethoven et aux Symphonies de Tchaïkovski (pourtant vraiment virtuoses) qu’aux Études de Chopin et aux Rhapsodies de Liszt : la rêverie.
Lorsque vous jouez une pièce pour piano écrite pour le piano, tout est écrit sur la partition, il faut exécuter ce qui est prévu, il n’y a pas vraiment de place à la créativité. Tandis qu’avec une œuvre prévue pour un autre instrumentarium, il faut souvent opérer des choix (y compris sur la réduction piano déjà écrite, pas nécessairement exécutable en l’état), choisir les voix à faire sonner... Une sorte de co-transcription, en quelque sorte, assez stimulante intellectuellement. Cet aspect est encore plus évident concernant les opéras, évidemment : il faut chercher à intégrer les voix au maximum tout en jouant l’accompagnement piano, lire le texte et les didascalies pour comprendre ce qui s’y passe... mais quel cocktail d’émotions !

5) Corollaire : une grande partie du travail se situe du côté de l'imagination. Il faut se figurer les timbres des instruments absents, et essayer de rendre audibles leurs textures, leur étagement,  leurs contrastes – l'attaque fine d'un hautbois, la transparence pénétrante d'un cor, un glissando de corde ou un portamento de voix. on a réellement l’impression d’effectuer un travail d’interprète, de coloriste, de concepteur. On se représente les timbres que l’on veut suggérer, et ce sont des mondes qui s’ouvrent en plus de la simple exécution : ainsi, jouer une symphonie, c’est aussi être chef d’orchestre en plus d'être co-arrangeur.
Évidemment, je ne pense pas du tout avoir le niveau pour parvenir à communiquer cela (j’essaie), mais sur le plan intérieur, cette approche est d’une richesse sans commune mesure avec la simple tentive de jouer bien propre des bouts de gammes ou d’arpège conçus pour épater la galerie – et, accessoirement, pour écarter des scènes des pianistes médiocres comme moi.

6) Encore plus irrationnel, dans des pièces transcrites, je ressens le frisson d’être utile (même si ces lectures-plaisir n’ont pas du tout vocation à être jamais diffusées !) : je suis certain que personne n’a capté les transcriptions de Pauer, Jadassohn ou Singer, et d'une certaine façon, je documente un état de la partition qui n'est disponible nulle part. (Et ce, même si l'intérêt de publier des disques de transcription piano assez littérales par des pianistes compétents n'aurait peut-être pas un intérêt majeur – vous ne serez pas surpris que je pense en réalité que si.)



D) Point final

Vous connaissez à présent mon secret, celui que mon confesseur tremble de devoir un jour révéler sous les sévices, portant ainsi malgré lui le désarroi dans le monde, pour la seconde fois depuis l’Arbre de la connaissance du Bien et du Mal.

Vous pouvez désormais vous constituer tribunal et me mettre aux fers avec Dreyfus et Valjean.

Vous serez, estimé lecteur, le héros de l'épisode qui achèvera cette série : je dois vous poser une question dont dépendra – peut-être – le reste de ma vie.

vendredi 1 décembre 2023

Les périmètres de l'improvisation – « pochette-surprise », Zygel & pupils 2023


Concert annuel de la classe d'improvisation de Jean-François Zygel au CNSM (24 novembre). Cette fois avec pour thématique principale Bach (ce qui contraint quand même beaucoup harmoniquement l'improvisation, hélas), et même plus précisément des inspirations d'œuvres spécifiques : Premier Prélude du Clavier bien tempéré, Fugue en ut mineur du Clavier bien tempéré, mouvement lent du Concerto Italien, Allemande de la Quatrième des Suites Françaises, un choral de la Passion selon saint Matthieu

L'occasion de méditations sur la pratique de l'improvisation.

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Les artistes

Énormément d'univers, de science et de talents combinés, comme d'habitude. On a pu entendre, par ordre de passage :

Mehdi Telhaoui, pour une belle Toccata qui reprenait habilement tous les codes, puis une improvisation libre très réussie (là aussi, on coche toutes les cases, beaucoup de belles harmonies, d'évolutions intéressantes, de contrastes, et un thème principal que j'ai trouvé très intéressant, un peu disjoint mais paradoxalement très mélodique) ;

Abel Saint-Bris, improvisation sur l'Allemande en mi bémol de la quatrième des Suites Françaises, puis improvisation libre. Esthétique dans les deux cas très claire, évoquant l'univers harmonique du musical theatre (la comédie musicale anglophone) ;

Adrien Avezard, dans une adaptation du Premier Prélude du Clavier bien tempéré qui m'a paru suivre de près le modèle (de façon peu intéressante), avec des clins d'œil un peu lourdement affirmatifs comme la reprise littérale des arpèges la Première Étude Op.10 de Chopin – qu'il a dû bosser, et faire la références aurait pu être amusant, mais pas aussi littéralement et aussi longuement. Improvisation libre en revanche très réussie, avec son thème qui semble issu du même univers, mais traité d'une façon plus dégingandée et méphistophélique ;

Kolia Chabanier, qui frappe par son assurance (improvisation manifestement bien préparée), programme libre ouvert par des accords soudains, avant des motifs qui reviennent d'une façon joliment travaillée (j'ai pensé aussi bien à Star Wars qu'aux films muets). Moins intéressé là aussi par l'improvisation Bach en duo deux pianos avec Kellian Camus (dont la propre improvisation libre tire un peu plus vers le jazz), fondée sur la Fugue en ut mineur du Clavier bien tempéré, belle réalisation qui reste encore très proche de Bach – et qui a dû être très préparée, pour pouvoir gérer ce genre de progression harmonique et contrapuntique sans la moindre sortie de route.

→ C'est d'une manière générale toute la question, l'improvisation occupe tout le continuum depuis tirer un thème dans un chapeau – ce que sont capables de faire ces étudiants – jusqu'à une forme de composition totalement préparée mais ouverte, non écrite, sujette à des amendements sentis dans l'instant.

¶ À cause d'une tendinite, Thomas Ficheux n'a joué que de la main gauche, et après un début un peu andalou (sans doute pour habiller une matériau contraint par le peu de doigts disponibles), le voyage m'a paru vraiment complet et très réussi, il parvient à combiner un thème et un accompagnement avec sa main unique, sans expédients purement pianistiques. Belle qualité d'inspiration.

Sinan Asiyan propose son improvisation sur un choral de la Passion selon saint Matthieu, assez proche de l'original, la main droite opère une animation douce (à l'aide d'une formule assez stable) et la main gauche joue la mélodie dans le grave ou l'aigu. J'ai davantage aimé son improvisation libre, très dynamique, un côté Semaine grasse de Petrouchka dans les harmonies et les climats.

¶ Dans l'improvisation libre de Lucien Legrand, j'entends davantage l'influence des romantiques décadents et de l'atonalité, avec un beau travail sur la résonance. Le résultat sonore m'a assez évoqué les deux premiers Clairs de lune d'Abel Decaux. En duo avec Demian Martin, c'est ensuite une improvisation en mode octotonique, manifestement très concertée, pas d'hésitation dans les chemins harmoniques, très cohérente – mais là aussi moins touchante.

¶ L'improvisation de Denian Martin m'a laissé assez perplexe : elle commence assez traditionnellement par des bouts de Debussy, puis cite à plusieurs reprises une phrase entière du cinquième mouvement de la Troisième Symphonie de Mahler (la grande phrase lyrique de l'alto dans Bim, bam), littéralement, et en fait même son plat de résistance. Je n'ai pas bien compris l'intérêt : qu'on ait des réminiscences en improvisant, c'est entendu, mais citer une œuvre préexistante sans l'intégrer ni la retravailler, quel est l'intérêt, à part étaler sa mémoire ? J'ai même ressenti une certaine gêne en imaginant pouvoir être mystifié, sans doute pas avec une symphonie de Mahler, mais d'autres choses moins célèbres qui seraient réutilisées sans vergogne par des improvisateurs peu scrupuleux, s'attirant les bravi en puisant les meilleurs thèmes d'une Sonate d'Alfano ou d'une Symphonie de Klenau… J'aurais été très curieux de converser avec lui et d'entendre aussi le debriefing de J.-F. Zygel avec lui : s'est-il laissé emporté par un souvenir sans arriver à se rappeler de sa provenance ? a-t-il cru au contraire étoffer à bon compte son improvisation ? était-ce un clin d'œil un peu trop affirmatif ?

→ La question de la citation est donc revenue plusieurs fois ; à mon sens, pour qu'elle soit intéressante, il faut certes qu'elle soit identifiable, mais aussi qu'elle soit le moins platement explicite possible ; éviter de citer toute la phrase (juste un fragment, pour laisser à l'auditeur le plaisir de restituer mentalement le reste), et bien sûr la déformer, l'intégrer au langage et au propos de la pièce. Sans quoi on se retrouve avec une simple exécution d'une œuvre déjà connue.

¶ Je me suis un peu posé la même question pour Arnaud Dedeycker dont l'improvisation d'après le mouvement lent du Concerto italien se démarquait peu du modèle, créait en tout cas peu de surprises, mais dont l'improvisation libre, surtout, multipliait là aussi les emprunts. Notamment les traits de la fin de l'étude Op.25 n°11 (« Vent d'hiver ») de Chopin, vraiment réutilisés tels quels. Certes, ce n'est qu'un trait et ça vaut bien une gamme, mais là aussi, l'emprunt m'a paru posé là sans réelle intégration, comme un expédient pour dire quelque chose d'efficace, mais qui ne répond pas nécessairement à la logique de la pièce. (Et là encore, la question de la paternité me trouble un peu.)

¶ Enfin Hijune Han, qui semble un peu chercher sa voie dans l'improvisation d'après les Partitas pour clavecin, j'ai l'impression d'y percevoir quelques hésitations, j'y entends surnager du matériau issu de Chopin et, plus étrangement… d'Iphigénie en Tauride de Gluck ! Là aussi, j'aurais aimé pouvoir en parler avec elle, savoir si c'était délibéré, si c'était bien son modèle, quelque chose qu'elle avait lu récemment, etc. Son improvisation libre en revanche, bondissante, imaginative et figurative, était particulièrement réussie.

Final en tournante, avec les 11 élèves qui se relaient pour des improvisations à deux, chacun laissant sa place une fois qu'il a rapidement développé une idée qui se concaténait à l'improvisateur précédent – je veux dire par là qu'ils ne s'arrêtaient jamais de jouer, qu'un pianiste venait rejoindre le premier sur le second piano, que les deux se superposaient jusqu'à ce que le premier laisse sa place à un troisième qui se superposait alors au deuxième, etc.
Ce n'est évidemment pas la proposition la plus cohérente ou persuasive de la soirée, mais l'évolution de la matière au gré des rencontres de personnalité et le savoir-faire harmonique de ces jeunes gens, leur réactivité, forcent l'admiration.

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Les questions

Si je vous raconte cela, c'est que l'expérience permettait d'explorer quelques aspects de l'exercice d'improvisation.

Le degré de préparation peut être très variable : des improvisations à deux où le canevas harmonique était clairement convenu entre les musiciens, des sujets donnés plus ou moins à l'avance (il me semble que Zygel propose souvent des sujets la veille seulement) et donc une part de préparation / composition invérifiable (si c'est donné une semaine à l'avance, ce peut tout à fait être une composition apprise par cœur, à peu de choses près), ou un véritable élan du moment. J'ai été très marqué par le concept des improvisations de Xavier Busatto (1,2,3,4,5,6,7), ancien élève de la classe, capable d'improviser des tableaux très cohérents avec des contraintes fortes choisies dans l'instant (« God Save the King un jour de pluie dans le style d'une fugue de Bach », « la Marche funèbre du Crépuscule des Dieux chez les Schtroumpfs dans le style de Messiaen »…), dont le dispositif ne permet pas la préparation. Mais Jean-François Zygel le soulignait lui-même, l'improvisation couvre un large spectre de préparations plus ou moins assidues – typiquement, on ne va pas accompagner un film la fleur au fusil, sans l'avoir vu ni préparé quelques thèmes, anticipé quelques effets.

♦ Ma propre pratique de l'improvisation, depuis quelques mois – j'ai été inspiré par le dialogue entre un maître et son élève sur la nécessité de « lâcher prise », de ne pas chercher à contrôler la logique harmonique de tous les enchaînements –, m'a fait comprendre l'importance d'un catalogue mental de références. Et en effet, je n'improvise jamais mieux que lorsque dans ma tête je prends un modèle mélodique, harmonique ou rythmique d'une œuvre existante, quitte à le déformer tellement que personne ne pourrait en deviner la provenance. Mais disposer de ce répertoire formules donne un très bon point de départ pour savoir comment on peut faire sonner telle ou telle intention. En général, mes improvisations (exercice tout frais pour moi) consistent à chromatiser et enrichir des motifs, à les faire dériver, dissoner, et souvent à en superposer deux ou trois ; le fait que la matière en soit empruntée ou inspirée importe peu, puisque le parcours va mener très loin du style original – ne serait-ce que parce que ma maîtrise est insuffisante pour réaliser exactement ce que je voudrais dans le style de départ !
La question se pose avec plus d'acuité quand on réutilise vraiment littéralement des formules appartenant à d'autres compositeurs. J'ai été parfois perplexe, presque mal à l'aise, lorsque ces improvisations libres débouchaient sur des citations, drolatiques mais très littérales, ou vraiment intégrée comme s'il s'agissait d'une composition de l'improvisation. (Le décalque exact de Mahler 3 m'a vraiment plongé dans des abîmes de perplexité.) Il y a là tout un jeu sur l'authenticité du geste, la paternité, l'importance ou non du caractère original / imputable, du mérite individuel, qui est en fin de compte assez subtil à débrouiller.

♦ Si j'ai moins aimé cette séance d'improvisation que les précédentes pochettes surprises (ou que les improvisations sur films muets des élèves de la classe, toutes les semaines à la Fondation Pathé), c'est sans doute en raison de quelques paramètres défavorables.
D'abord l'utilisation de pièces préexistantes, qu'il faut bien citer et qui conditionnent le langage, le cadre, l'imagination ; ce n'étaient pas seulement des improvisations sur Bach (ça pourrait être « les enfants de Bach », « la prière de Bach », « l'échauffement de Bach », « Bach sous la douche », « Bach fait du ski » ou que sais-je…), mais des improvisations sur des mouvements précis d'œuvres de Bach, avec des références d'autant plus littérales et étroites à sa musique.
Ensuite le langage lui-même de Bach, tout de même très spécifique (et un peu archaïsant pour des improvisations utilisant tout le patrimoine jusqu'au XXIe siècle), qui rendait souvent les débuts un peu formels, et semblaient souvent empêcher l'envol.
Mais je pense aussi et surtout qu'il manquait la dimension humoristique (les petites histoires de voisins, de clef oubliée, de pluie pendant une nuit de veille, parfois convoquées pour ces séances) et narrative, ou en tout cas quelque chose qui fasse entrer l'imagination en relation avec la musique, au lieu de simples improvisations libres « pures » (et qui se sont parfois avérées moins pures qu'inspirées de corpus préexistants). De même qu'à l'opéra, le texte et la musique se joignent pour augmenter l'émotion, en improvisation un programme un peu vague et évocateur, voire loufoque, permet souvent de rendre l'exercice plus fécond chez les interprètes-compositeurs, et plus stimulant et roboratif pour les auditeurs !

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Ayant lancé ces profondes méditations sur le sens de l'improvisation (et de la vie), je vous laisse en proie à votre intense perplexité tandis que je m'en vais préparer quelques autres pensées issues de concerts… et bien sûr les prochaines notules de fond. (Je devrais parler prochainement d'œuvres collectives !)

dimanche 26 novembre 2023

Oskar POSA – maître oublié de l'harmonie viennoise


À l'occasion du récent concert (que j'ai raté, abandonné sur les falaises de la Seine par le TÀD meulanais qui n'a pas honoré son engagement…) et à l'annonce du prochain disque, je place ici un petit mot sur Oskar Posa, compositeur viennois au cœur du meilleur milieu musical d'alors, programmé dans les concerts auprès de Mahler et Schönberg, et vanté par ses contemporains pour sa science harmonique.

De fait, sans du tout moduler de façon histrionique ni utiliser d'accords très chargés, il renouvelle sans cesse ses couleurs, et dès qu'une idée a été exploitée, il la fait évoluer et la relance. Pas de surplace, de remplissage, d'expédients… de la musique pure qui coule à débit très élevé.

Les lieder Op.6 sont très beaux, mais la Sonate violon-piano est vraiment une splendeur vertigineuse, d'un lyrisme à la fois direct et sophistiqué, reposant sur le réemploi ininterrompu de son motif-matrice et se relançant sans cesse sans jamais interrompre son flux de mélodies et d'idées. Le premier mouvement est d'une griserie incroyable : je n'ai pu jouer que la partie piano, faute de violoniste volontaire à proximité, mais je la tiens tout de même pour une des meilleures sonates (pour piano !) du répertoire. (Son final, où la basse travaille toujours le motif principiel sans jamais se limiter à un simple accompagnement, avait rendu Julius Röntgen complètement hystérique d'admiration !) C'est devenu une œuvre que je me rejoue régulièrement – en tout cas le premier mouvement, les autres ont davantage besoin du violon et sont beaucoup plus exigeants en travail pour sonner convenablement.

Les lieder, la sonate (et davantage encore, je crois) seront de toute façon au programme du disque qui inaugurera le label voilà records.

Ma gratitude d'auditeur à Olivier Lalane qui a mis ces dernières années tout son temps libre, sa curiosité, ses finances au service de la remise en circulation de ce corpus extraordinaire au sens le plus strict. La musique a besoin de missionnaires de son calibre.

samedi 25 novembre 2023

Le nouveau Musée de la Marine


musée de la marine réouverture

Le Musée de la Marine (antenne de Paris) vient de rouvrir cette semaine. Je m'y suis rendu, puis ai écouté l'heure de « note d'intention » du directeur et de l'adjointe au chef de projet muséographique. Je ne connaissais pas l'ancien parcours (apparemment beaucoup plus compartimenté), mais pour les curieux, quelques impressions.


1. Un vénérable ancêtre

Il s'agit du second plus ancien musée de marine au monde (après celui de Saint-Pétersbourg), débuté par les collections d'un inspecteur des constructions navales, qui convainc Louis XV de conserver les maquettes que l'homme possède dans une Salle de Marine (1752). La collection voyage beaucoup, dans l'Hôtel de la Marine, le Grand Trianon (sous l'Empire), et après un retour au Louvre, est définitivement installée au Palais de Chaillot après l'Exposition Universelle, en 1943.

musée de la marine réouverture


2. Les espaces


J'ai été frappé par la vastitude et la beauté immaculée des espaces ainsi rénovés, immense galerie blanche, ponctuée d'ambiances : un simili-navire à l'entrée (que je n'ai pas vraiment perçu), des conteneurs, des demi-cercles suspendus comme des postes de commandement de navires modernes, une vague stylisée pour la partie sur les tempêtes et naufrages, et l'ensemble du parcours aboutit en apothéose sur la collection de proues, et surtout sur les exubérantes décorations de poupe de La Réale, la plus grosse galère de l'ère Louis XIV, au fond de la perspective.

musée de la marine réouverture


Deux grands escaliers droits permettent d'accéder à l'étage de sous-sol.

Les voûtes en plein cintre, recoffrées avec des lamelles blanches et séparées par des coupoles, sont traitées de façon très épurées, d'une blancheur parfaite. Un côté à la fois patrimonial et futuriste qui correspond assez au goût du temps, et qui est ma foi vraiment élégant – et plutôt apaisant.

musée de la marine réouverture

3. Les contenus


Le choix a été fait de mettre peu d'objets à disposition, ce qui rend le parcours assez rapide à réaliser, et plutôt lisible : on n'est pas enseveli sous les objets de même type (il y aurait entre 40.000 et 60.000 objets en possession du musée…), on peut progresser en regardant simplement cette sélection de ce qui est le plus marquant.
J'apprécie le geste, mais il se révèle aussi un peu frustrant lorsqu'on entre dans une section qui nous intéresse particulièrement, et qu'on voudrait voir toutes les variantes d'un modèle réduit, ou un large éventail de proues – je serais vraiment preneur, sur le modèle des musées des carrosses, de musées de proues !  Sur la durée aussi, même si les collections sont destinées à tourner tous les trois ans, un visiteur régulier aurait vite épuisé le fonds.
Il n'y a pas vraiment de solution à cet enjeu (sauf à réaliser un musée à double lecture, avec un étage d'initiation et des salles en nombre infini en sous-sol pour exposer toutes les collections aux visiteurs plus chevronnés…).

musée de la marine réouverture

En début de parcours, les maquettes qui sont le noyau historique du musée, puis une évocation de la marine commerciale. Arrivent ensuite les tempêtes au creux d'une vague géante (avec ambiance sonore) un peu platement stylisée à mon gré. On y voit tout de même un Incendie du Kent particulièrement monumental et impression de Théodore Gudin.

musée de la marine réouverture

On se promène dans les objets techniques (jolie maquette qui ne fonctionne pas totalement mais permet de comprendre l'identification lumineuse des phares de la côte du Léon), jusqu'à la grande exposition et de la poupe de La Réale et des proues (figures de rois, de marchands, d'allégories…), l'endroit le plus exaltant du parcours, où j'ai réellement ressenti une émotion esthétique.

musée de la marine réouverture

En descendant l'escalier, on se promène dans les 13 marines de Joseph Vernet représentant les ports de France (les 2 dernières de la série sont conservées au Louvre), puis – après un énigmatique couloir où une borne venue de l'Allier (département peu célèbre pour ses façades maritimes !) a été prêtée par l'Office National des Forêts (??) – dans un parcours chronologique de maquettes de navires du XVIIe au XXe siècles, qui s'achève par… deux sièges pour un simulateur de Rafale sur un porte-avion, clairement l'attraction la plus fréquentée. (Le directeur est un ancien de l'aéronavale et les deux sièges sont mécénés par Dassault, certes, mais le lien avec le musée ne m'a pas paru évident. Certes, c'est piloter un avion qui se pose sur un bateau.)

musée de la marine réouverture


4. Les émotions

L'espace général est d'une grande beauté, et j'ai été vraiment séduit par ses grandes lignes à la fois neuves dans leur décoration minimaliste (quelques traits blancs au plafond en matériau peint, et c'est tout) et très traditionnellement alignées sur la forme haute galerie avec coupoles.

L'acmé de la visite est atteint, je l'ai dit, en sortant de la Vague, lors de l'apparition du Napoléon pour la proue du vaisseau Iéna et des grands ornements de poupe de la galère La Réale, en majesté au fond de la galerie, trônant au-dessus de la profondeur de l'escalier droit.

La nocturne jusqu'à 22h – sera-t-elle reconduite passé l'engouement de la réouverture ?  je l'espère, c'est important pour permettre aux classes laborieuses d'accéder aux collections sans affronter la foule des week-ends et/ou immobiliser son dimanche – permet de profiter très agréablement des espaces non saturés.


5. Les manques

Je suis toutefois sorti mitigé de l'expérience : en dehors des espaces et des fragments de navire, j'ai été peu touché par les objets que j'ai vus. Et je pense qu'il y a une raison de cela – j'y reviens.

Les bornes interactives m'ont paru nombreuses, mais dans son entretien avec Xavier Mauduit, le directeur général a souligné qu'il avait fait le choix d'en mettre peu. Lors de ce premier parcours, je ne les ai pas utilisées ; j'ai aperçu qu'il y en avait pour suivre l'explication du décor de La Réale, en redondance avec les cartels – ça, c'est vraiment bien, interactivité pour ceux que ça aide à entrer dans les collections, et possibilité pour les autres de s'en passer. (Je déteste les propositions qui imposent de s'agglutiner autour d'une borne numérique unique ou d'écouter un audioguide lent qui interdit la conversation avec ses binômes d'exposition…)
La difficulté en revanche, c'est qu'elles sont disponibles seulement par unité – sauf pour le simulateur de vol, où il y en a deux –, si bien que même lors de la fin de la nocturne,  clairsemée vers 21h, toutes les bornes étaient occupées, pour ne pas dire sujettes à queue… Si c'est encore possible, les doubler serait une bonne idée.

L'impression de dépareillement est liée aux collections elles-mêmes : la base historique du Musée tient dans les maquettes et les vues de port de Joseph Vernet, on y ajoute des objets de marine et nécessairement, on a l'impression de traverser des éléments assez disparates, surtout avec le choix d'un nombre réduit d'objets qui ne permet pas l'immersion. Je trouve ça très bien de ne pas être submergé, mais s'il n'y en a pas assez, on ne comprend pas nécessairement les lignes de force.

Mais surtout, j'ai été réellement frustré par l'impression de survol un peu schématique. Certes, je découvrais le musée avec un temps limité, et j'ai simplement observé la nature des sections, pris davantage de temps là où j'étais intéressé… mais j'ai eu l'impression qu'il manquait réellement une étape pédagogique.
Par exemple pour les modèles réduits : on nous explique à quoi ils servent, on nous parle de la reproduction des gréements… mais à aucun moment dans tout le parcours on ne nous explique comment un bateau flotte, quelles sont les parties qui le composent (et qu'est-ce qu'un gréement…), comment on le construit, quels sont les différents types de vaisseaux clairement classifiés par taille, caractéristiques, usages… On parcourt une somme d'exemples non contextualisés qui ne permet pas d'en ressortir avec une vision d'ensemble claire.

musée de la marine réouverture

Autrement dit, le parcours pique la curiosité, donne envie d'en savoir davantage, mais il ne répond pas, à mon sens, aux questions fondamentales qu'il serait facile d'exposer dans un musée et plus délicat d'expliquer dans un livre – je vous aurais montré des maquettes de bateaux-qui-flottent et de bateaux-qui-coulent, moi !

musée de la marine réouverture

Et c'est tout à fait possible : mon modèle en la matière réside dans les écomusées, dont je suis ressorti en ayant acquis de réelles connaissances sur les savoir-faires de la vie quotidienne : béalières à Pransles (milieu de l'Ardèche), meuniers de Kérouat à Commana, maisons à apoteiz à Saint-Rivoal (les deux dans les Monts d'Arrée), tanneurs (je ne me rappelle plus où !)… Dans ces cas, le musée est l'occasion d'éprouver en personne des technicités spécifiques, où l'on explique les buts, la matière première, les méthodes de transformation, en exposant les machines, en détaillant leur fonctionnement…
Dans le Musée de la Marine, je me suis trouvé face à des bateaux de toutes sortes sans connaître du tout leur mode de construction, ni même souvent leur vocation au sein d'une flotte, leur inscription dans une hiérarchie et une distribution des tâches. On m'a tout de suite dit qu'ils transportaient des cargaisons ou servaient à asseoir le prestige du pouvoir, mais cela je le savais, et j'attends d'un tel musée qu'il me permette de comprendre les mécanismes profonds plutôt que de me conduire à travers une suite de généralités dont il est facile par ailleurs d'avoir connaissance.

musée de la marine réouverture

On n'en est pas au niveau du Quai Branly, dont les collections permanentes ne contiennent que très peu d'éléments de chaque zone (parfois un objet par pays !) et aucune médiation – il faut prendre l'audioguide, mais outre l'inconfort susmentionné, tous les objets ne figurent pas dans l'audiodescription, et il manque surtout un cadre pour comprendre ce que l'on voit. Masque rituel, mais quelle est la religion à laquelle il se rapporte ?  Est-ce un masque rituel purement traditionnel, ou une version esthétisée plus tardive / ornementale ?  Comment nous est-il parvenu (don, échange, vol – non pas pour rendre, mais pour comprendre) ?  On ne peut rien lire de plus que le pays et l'époque, et surtout pas d'explication sur les dominantes culturelles de l'aire concernée – vous pouvez passer devant les costumes d'Asie Centrale sans en retirer aucune indication sur les religions concernées par ces habits de fête… Là, c'est pour moi un manque grave, qui finit, à force de vouloir laisser libre l'émotion du spectateur, par lui faire reproduire le regard du colon : on observe tous ces artéfacts bizarres avec des pensées qui finissent par aboutir à mais comment peut-on être Africain ?, ce qui paraît à peu près exactement l'inverse du but visé par un musée des arts du monde, censé nous émerveiller, nous faire comprendre, nous rapprocher, et non nous laisser perplexes ou persuadés du désordre intrinsèque de ces cultures lointaines…
(Leurs expositions temporaires sont au contraire très structurées, instructives et passionnantes, absolument à l'inverse du parcours permanent.)


6. Ce qu'on en retire

C'est donc à la fois une expérience très agréable et, à mon sens, une conception défectueuse qui n'apporte pas toutes les connaissances que j'aurais voulu. Typiquement, la Galerie de Minéralogie adossée au Museum d'Histoire Naturelle, avec ses compartiments étroits beaucoup plus traditionnels, prend le temps d'expliquer chaque notion et de la démontrer, si bien que si l'on prend le temps de faire tout le parcours (il y a deux pièces et j'y ai passé trois heures sans tout à fait finir…), on comprend vraiment des choses fondamentales, et qui resteraient plus abstraites dans un livre. Un véritable rôle de musée.

En sortant du Musée de la Marine, impressions mêlées de disposer d'un nouvel espace de jeu où il fera bon se promener en hiver, se poser le temps de lire quelques pages, de regarder quelques objets, d'admirer la dizaine de proues exposées… mais aussi de n'avoir à peu près rien appris. 

mercredi 15 novembre 2023

Philippe d'Orléans, le compositeur le plus hardi de son temps – Penthée (1705)


dusapin macbeth

L'exécution de Penthée de Philippe d'Orléans par les Conservatoires d'Île-de-France (CMBV, CNSM, Pôle Sup' Boulogne-Billancourt, les CRR de Paris, Rueil-Malmaison et Versailles Grand Parc, CRD de Clamart) me donne d'occasion d'écrire la notule que je n'avais pas commise en 2018, lorsque j'avais assisté à de larges extraits de l'œuvre (actes III, IV, V !) jouée par les Chantres du CMBV à l'occasion d'un jeudi musical.


L'œuvre pré-Régence

Avant qu'il ne devienne régent du royaume, Philippe d'Orléans a reçu l'enseignement de Charpentier, peut-être Campra, puis Gervais et enfin Bernier, c'est-à-dire la fine fleur des compositeurs français novateurs / influencés par l'Italie. (Car le style italien tel qu'il est perçu par les Français et importé dans leur musique suppose plutôt la complexité du contrepoint et de l'harmonie que la superficialité virtuose qu'on lui attribue rétrospectivement.)
Il écrit ainsi trois opéras : Philomèle dans les années 1690, qui est perdu, puis vers 1704 Penthée et La suite d'Armide (pour lequel il existe déjà une notule).

Il existe toujours des spéculations sur la part de son professeur Gervais dans la partition – Gervais en a réutilisé deux tambourins, qui ont par ailleurs connu un grand succès, jusque dans les parodies grivoises – la parenté des styles est patente, mais l'un étant élève de l'autre, difficile de trancher sans meilleures sources. L'audace de la partition peut aussi bien faire douter qu'elle soit l'œuvre d'un amateur… que laisser penser que seul un amateur pouvait s'autoriser à bousculer aussi fort le cadre attendu par le public !

Je racontais cette anecdote dans la notule précédente :

Philippe d'Orléans n'a pas hésité, on le sait, à passer commande de motets (ou de parties intermédiaires de motets ?) à Gervais pour les signer de son nom. Un jour, un courtisan lui fait (respectueusement ou malicieusement, je ne sais plus) remarquer que son motet comporte des fautes. Philippe d'Orléans ne dit rien, descend voir Gervais, le giffle devant ses gens et lui dit en substance : « Lorsque je vous charge d'écrire un motet pour moi, j'attends que vous le fassiez en personne, et non que vous le laissiez à vos apprentis ! ». Ce témoignage rend donc d'autant plus vraisemblable la collaboration de Gervais, voire sa participation à l'essentiel de l'œuvre.

Le livret, que je trouve très bon, est dû à… son capitaine des gardes (et mauvais sujet !), le marquis de La Fare. Il culmine – et l'inspiration musicale aussi – dans la fête bachique de l'acte V – où le roi est massacré par sa propre mère.

Vous ne trouverez pas la partition en ligne dans vos crèmeries habituelles (IMSLP, Gallica, etc.) : Philippe d'Orléans avait refusé que l'œuvre soit donnée publiquement ou imprimée, si bien que le matériel a dû être refabriqué à l'occasion de ces représentations modernes.


La force de Penthée

J'ai été, lors des deux soirées, impressionné par le cinquième acte paroxystique, qui enchaîne les scènes emportées et les trouvailles musicales. Son ambiance festive crépusculaire manie le paradoxe émotionnel d'une façon rare avant des époques beaucoup plus tardives.
(Voyez sur cette captation de 2018 manifestement réalisée par les musiciens.)

Pour situer l'action : Penthée, petit-fils de Cadmus, est amoureux d'Érigone (invention du librettiste), ancienne amante de Bacchus mais qui le croit mort. Les fiançailles sont prévues (malgré une jalouse), mais Bacchus revient. Penthée le fait enfermer, ne croyant pas à sa naissance divine ou du moins à ses droits sur sa fiancée. Bacchus sort miraculeusement de prison, et frappe change la mère du roi, Agave, Agave, en ménade. Celle-ci tue son fils en croyant avoir vaincu un lion, et vient l'annoncer sur une musique de triomphe (et en chantant un arioso par-dessus, comme un air concertant à l'italienne, très rare avec trompettes et timbales !) ; son crime lui est révélé par son propre père, Cadmus (sur le modèle de la fin de Tancrède de Danchet & Campra), mais la musique et le livret demeurent complètement joyeux jusque là, subjectivité totale très troublante – le public partage le délire de la ménade.
S'ensuit une série de tirades désespérées des femmes coupables, très belles (celle d'Autonoé en particulier), qui se conclut abruptement, comme c'est l'usage (Didon de Desmarest, Callirhoé de Destouches, Pyrrhus de Royer… quand c'est fini c'est fini), sur les dernières paroles d'Agave qui se tue.

Dans le mythe d'origine, Penthée refuse simplement de rendre les hommages religieux à Bacchus, et Penthée est massacré par toutes les ménades ensemble, dont les femmes les plus proches de lui.

Comme il se doit, on rencontre dans la musique débauche d'effets étonnants – pas nécessairement frappants quand on pratique peu de le genre, mais nuances remarquables lorsqu'on est habitué au modèle LULLYste –, témoins de l'influence ultramontaine du duc d'Orléans.
Par exemple :
√ à l'acte II, tuilage contre-intuitif dans le duo d'amour, plus complexe que les duos habituels ;
√ notes de basse répétées, au moment de la révélation ;
√ fantaisie harmonique (chromatismes osés à la basse, mais aussi, plus étrange encore, à la mélodie, comme du madrigal du début du siècle précédent !) ;
√ accompagnement en trémolos à la fin du III, lorsque Agave appelle à la fête de Bacchus (rare, hors tempêtes, avant Rameau et surtout la génération gluckiste ; s'entend dans Atys par Christie, mais je n'ai pas vérifié dans les parties orchestrales complètes si c'était écrit ; j'en doute) ;
√ de même, beaucoup de batteries de cordes, typiquement italianisantes (cf. fureur de Corésus au II de Callirhoé de Destouches) ;
√  le merveilleux chœur des prisonniers, (Bacchus est en effet jeté en prison !), presque religieux, avec beaucoup de contrepoint expressif, écriture très inhabituelle à l'Opéra ;
√ autre moment particulièrement rare, un trio de vengeance, avec trois parties vraiment simultanées. Il ressemble au duo de Campra composé un peu plus tard (1712) pour Idoménée – mais précisément, ce n'est pas un trio.
√ à la fin de l'acte III, pour la célébration de Bacchus, c'est même un trio de femmes (bientôt rejointes par une quatrième !) avec des lignes individualisées (jamais vu ça dans ce répertoire, personnellement).
√ le basson est apparemment explicitement requis (comme chez son maître Charpentier) pour renforcer certains récitatifs ; et il est assurément très virtuose ! 


Interprétations d'étudiants

Malgré les voix peu puissantes, j'avais beaucoup aimé la version du CMBV dans la Galerie des Batailles, un véritable effort de phrasé (et une bonne élocution) chez les jeunes chantres, même si leur technique est davantage celle de choristes que de solistes pour apporter un impact sonore réel.


En dehors des Chantres du CMBV, très bien préparés (par le chef, Fabien Armengaud) et étagés dans les belles sections chorales qui évoquent la musique sacrée (dont ils sont spécialistes), j'ai été un peu plus mitigé sur la réalisation de la semaine dernière présentée au CRR de Paris. D'ordinaire les représentations de tragédie en musique (avec un orchestre formé de musiciens du CRR de Paris, Versailles, Cergy et du Pôle Sup' de Boulogne) sont, concernant l'orchestre, de niveau professionnel. Cette fois-ci, sans doute du fait de la diversité de recrutement, les décalages étaient nombreux, et la prudence / concentration n'était pas sans impact sur l'urgence dramatique.
De même pour les voix, je ne vais pas refaire mon couplet, mais lorsqu'un chanteur français interprète de la tragédie en musique sans que du deuxième rang on comprenne ce qu'il dit, ou utilise une émission lyrique et que sa voix est couverte par un orchestre sur instruments naturels… clairement il faut repenser quelque chose dans la technique. Mais ce sont encore des voix en formation, en l'occurrence ; ce qui m'alarme est qu'on entend aussi cela, et très souvent, chez des professionnels de ce répertoire.

On entend cependant quelques voix très bien faites, comme Gaël Lefèvre (Thirésie) et Martin Barigault (Cadmus), et je saluele soin du texte d'Alice Marzuola (Érigone), dont je n'aime pas beaucoup l'émission très ronde / en bouche mais qui sert impeccablement les vers (et c'est le plus important), Manon Sekfali (Agave), une véritable personnalité vocale lorsqu'elle fend l'armure passé les premières scènes. Kyungna Ko (Ino), malgré l'obstacle de la langue, se livre avec énergie, avec un instrument mieux projeté que les autres. Marcos Vinicius Almeida Costa (Arbas) a de très belles intentions verbales, la voix peut encore mûrir mais a beaucoup d'atouts.
J'ai moins aimé Antoine Ageorges en Bacchus, jolie voix équilibrée et diction limpide, mais tempérament dramatique à construire, il ne se passe rien, et dans un rôle qui est lui-même assez peu intéressant, tout paraît immobile. Quant à Sébastien Tonnel, son timbre et son expression sont très séduisants, mais il semble vraiment embarrassé dans ses graves et projette très peu, n'y aurait-il pas un baryton clair voire un ténor à tirer de cela pour pouvoir l'épanouir ?
En somme, j'ai apprécié l'investissement individuel dans les rôles ; c'est davantage le type de profil vocal commun à toutes ces voix qui me préoccupe pour leur carrière, l'avenir du chant et le répertoire de la tragédie en musique.

Cependant l'essentiel reste la contribution de ces représentations à la formation de ces jeunes d'une part, et d'autre part la mise au théâtre de l'œuvre entière peu ou prou pour la première fois ! Merci de laisser le public profiter de ces moments – gratuitement, qui plus est.


Envoi

Je termine en vous égayant par la citation de la note du musicotéléologue Olivier Schneebeli dans le programme de 2018 :

« Le sang suinte dans Penthée, jusque dans ses bacchanales, au sein même de ses danses aux rythmes disloqués, aux chorégraphies boiteuses, comme si, déjà, dans la folie des fêtes du Palais-Royal, dans leur démesure orgueilleuse et ricanante, se devinait l'issue d'un siècle à peine commencé. »

La phrase est jolie, mais il fallait oser la prophétie rétrospective – le rapport entre les deux échappe, surtout. Il est vrai en revanche que les danses de Penthée, pourtant écrit de façon plus traditionnelle, à cinq parties (à la française) et non à quatre (à l'italienne) comme La suite d'Armide, sont souvent assez dégingandées et surprenantes dans leurs appuis.
(J'admire beaucoup au demeurant le travail accompli par Schneebeli au CMBV !)

dimanche 12 novembre 2023

Don Quichotte, l'opéra napolitain, l'effeuillage et GROUÏK GROUÏK


dusapin macbeth
(à droite, mes pensées pendant l'acte II)

L'Orchestre du San Carlo (l'Opéra de Naples) était de passage à Paris à l'Auditorium du Louvre, où il proposait une véritable rareté, le Don Chisciotte della Mancia (« Don Quichotte ») composé (1769) dans la première période de la carrière de Giovanni Paisiello (1740-1816), où il composait essentielle de l'opera buffa , et notamment avec le librettiste Giovanni Battista Lorenzi.





Compositeur

Paisiello, haut représentant du style napolitain, a connu un immense succès européen, surtout avec ses opéras. On conserve surtout la mémoire, aujourd'hui, de son Barbiere di Siviglia, d'un succès tel que celui de Rossini suscita des réprobations pour essayer de remplacer une œuvre si parfaite ; et de sa Nina ossia la pazza per amore, une pastorale conçue comme une immense scène de folie, dont la logique dramatique annonce très clairement le canevas de nombre d'opéras du belcanto romantique. Et c'est bien là la spécificité de Paisiello, à la fois l'aîné de Mozart, d'un classicisme très dépouillé et consonant, mais aussi un promoteur du théâtre des affetti (des sentiments) et d'une forme de réalité psychologique accrue de ses personnages, dont les émotions nous paraissent familières et non stéréotypées ou élevées et les lointaines. Il est bien sûr impossible de tracer un portrait fidèle de sa place en si peu de mots, sur une œuvre aussi vaste (des dizaines d'opéras) et peu aisément disponible (l'immense majorité n'a jamais été enregistrée), mais cela donne une idée des éléments qui ont le plus marqué les contemporains et qui nous sont parvenus aujourd'hui dans le peu que nous pratiquons de sa musique – car Paisiello a également composé beaucoup d'opera seria à succès, mais ce corpus est moins célèbre de nos jours.

Pour ma part, j'aime bien son Barbier, moins motorique et jubilatoire que celui de Rossini, mais très respectueux de la prosodie et des élans de son texte ; tout y tombre très juste. Et je raffole   des airs de basse de Nina : le récitatif et l'air du Comte, d'un naturel incroyables (le récitatif m'évoque le meilleur Mozart et l'air le meilleur Grétry) ; ou l'air de Giorgio très séduisant mélodiquement et rythmiquement. Pour le reste, plutôt que ses opéras, j'ai beaucoup aimé sa musique sacrée, mais elle est beaucoup plus tardive et date en particulier de sa période française.

Car Paisiello était le compositeur préféré de Bonaparte… et à force de pression sur le roi de Naples (qui était encore Ferdinand IV, avant la parenthèse bonapartiste), le Premier Consul obtient l'envoi de Paisiello à Paris, où il devient Maître de Chapelle des Tuileries et compose beaucoup de musique sacrée – et notamment la Messe du Sacre !  L'échec de sa Proserpine en français, néanmoins, décourage le compositeur qui finit par retourner à Naples.



Livret

Il y a eu au XVIIIe siècle et dans la première moitié du XIXe siècle un assez grand nombre d'opéras autour du Quichotte – chez la Duchesse avec Boismortier (l'opéra le plus génialement concis de tous les temps), dans la Sierra Morena pour l'opéra de Conti avec la Follia di Spagna qui sert de grand final concertato à tous les protagonistes, mais aussi Mercadante et Mendelssohn (les deux pour les noces à Camacho). Avant que la figure ne soit recyclée en modèle de sublime, sorte d'équivalent romanesque à l'Albatros baudelairien, dans la seconde moitié du XIXe siècle (et même, au XXe siècle, chez Massenet), le sujet est clairement traité sous son versant comique : comme dans le roman, Alonso Quijano est un original dont les fantaisies absolument pas conforme aux normes sociales sont censées amuser le spectateur. C'est sensiblement le même ressort que pour Sheldon Cooper, du comique de caractère qui se repose sur l'inaptitude sociale. J'avouerai même m'être senti gêné par moment, en me rendant compte que dans ce livret, Quixada était probablement affecté d'une forme de désordre mental, qui devrait nous inciter à nous inquiéter pour lui plutôt qu'à le tourner en dérision.

Au demeurant, le livret de Giovanni Battista Lorenzi est plein d'idées assez réussies, qui incarnent réellement les personnages au lieu de se limiter à des types (même si les tournures verbales demeurent tout à fait dans la norme du temps) :
¶ don Quichotte espère devenir fou comme Roland, et demande à Sancho de lui lire des extraits de l'Arioste pour disposer d'un mode d'emploi ;
¶ il veut ainsi montrer son dos nu comme son modèle (au grand effroi de Sancho, dans un long duo réjouissant), ou se lamente d'avoir accepté de manger au banquet où il est convié puisque Roland avait jeûné pendant sa folie ;
¶ dans un grand air de bravoure, typique des évocations de chasse, Quichotte, arrivé au climax de sa vocalisation… se met à chanter des grouïk grouïk (« Già l’assalto / Già lo sgozzo,
/ Ed il querulo lamento / Io già sento del guì... guì » / « Je l'assaille, je l'égorge, et j'entends déjà sa plainte querelleuse grouïk grouïk ») ;
¶ l'un des prétendants à la Comtesse (oui, il y a une Comtesse en plus de la Duchesse, sans doute pour avoir droit à deux fois plus d'airs ennuyeux) se fait passer pour une princesse devenue barbue ;
¶ l'un des airs de Sancho est une évocation d'une situation impossible pour complaire à l'imagination de son maître (« Seigneur, elle est étendue sur un lit d'or potable »).

La plupart de ces éléments ne figurent pas dans le roman de Cervantes, autant qu'il m'en souvienne, et c'est donc une fantaisie renouvelée que je salue !

Pour couronner le tout, les personnages populaires (pas Sancho, qui vient d'une autre région !), comme les servantes et l'un des prétendants, s'expriment en dialecte napolitain, ce qui produit un opéra bilingue, parfois de façon juxtaposée, la chose n'est pas fréquente !  (Je comprends mal le napolitain à l'oral, je n'ai donc pas pu goûter toutes les subtilités de la chose, mais à l'écrit, il n'y a évidemment pas d'audaces majeures, l'effet peut se comparer à la Villageoise prise pour Dulcinée par le Quichotte de Favart & Boismortier : « Aga s'tila, que vient-il nous dire ? ».).



Mise en musique

Musicalement, hélas, ce n'est pas du même tonnel. On sent le Paisiello de jeunesse (29 ans) qui ne propose pas nécessairement beaucoup de surprises ou de nouveautés. Les finals sont un peu plus écrits, notamment celui du II, où l'auberge enchantée décrite par Sancho se termine avec l'épisode des moulins d'un ton particulièrement enlevé ! 

En revanche les airs, à part ceux de Sancho (qui évoquent beaucoup Leporello) manquent singulièrement de relief mélodique, de couleur, de caractère, de surprise.

Les récitatifs non plus ne sont guère intéressants ; même les lectures de l'Arioste, qui auraient pu donner lieu à quelques facéties, sont d'une platitude insigne (un seul aplat de cordes) et mal accentués – pour moquer la mauvaise lecture de Sancho, peut-être, mais le résultat est bien plus ennuyeux que drôle… !

On y entend certes les unissons orchestraux régulièrement utilisés par Mozart dans Don Giovanni ou la couleur des noces du début du II de Così fan tutte, mais ce sont davantage des formules toutes faites que des parentés d'inspiration remarquables.

Ce n'est donc pas une merveille, même si cela s'écoute sans déplaisir – et mille fois une découverte un peu terne plutôt qu'une belle interprétation d'une œuvre que je connais par cœur, je ne me plains certainement pas d'avoir pu découvrir ce titre !

Pour les curieux, il en existe un disque par le Philharmonique de Piacenza, que j'ai inclus dans la playlist.



Un orchestre prestigieux qui déchiffre

J'avais un bon souvenir de l'Orchestre du San Carlo (dans leur salle) pour une création (ennuyeuse) de Ronchetti et dans la Quinzième de Chostakovitch : timbres pas du tout spécifiques, assez blanc, mais bon niveau d'ensemble, tout à fait professionnel, pas du tout ce que l'on entend dans les bandes d'opéra italien des années cinquante !

Ce n'est pas du tout à fait ce que j'ai entendu ce 8 novembre à l'Auditorium du Louvre : non seulement le style est assez impossible (évidemment pas musicologique, mais surtout tout égal et mécanique, aucun étagement des plans, vraiment ce que la tradition a fait de pire pour jouer le XVIIIe siècle), mais ils sont assez ostensiblement en déchiffrage – les regards qu'ils jettent, les hésitations lors de leurs entrées, quelques traits (difficiles mais pas du tout inaccessibles si préparés) manqués et même une justesse imparfaite, c'est particulièrement rare d'entendre ça d'un orchestre prestigieux en tournée !  Certes, c'était une production pour l'Académie des jeunes chanteurs, je suppose que le temps de répétition a été limité, mais ça reste surprenant pour des musiciens de ce niveau, surtout lorsqu'ils traversent un bout d'Europe pour le présenter ; on a davantage l'habitude d'entendre des orchestres qui rutilent et choisissent les pièces qu'ils connaissent le mieux pour les exécuter au cordeau.

Au demeurant, je redis ce que j'ai dit : j'aime mieux une interprétation d'une rareté, forcément moins maîtrisée, qu'un Don Giovanni. Mais à ce degré, ça rendait tout de même l'adhésion difficile, alors que certains endroits de l'œuvre, comme le duo du dos nu ou le final du II avaient de quoi être assez jubilatoires.



Ma rengaine sur le chant

Stéphane Lissner, l'érudit qui qui a réussi en l'espace de six mois à saborder l'Opéra de Paris – et l'Athénée, qu'il ne dirigeait pourtant pas ! –, a créé à Naples, sur le modèle ce qui existe dans beaucoup d'autres maisons, une Académie pour jeunes chanteurs. Je ne sais pas pourquoi l'accent est mis partout sur cet aspect de formation, méritoire, mais qui ne doit pas rapporter de recettes, et qui n'est au fond pas la vocation principale d'une salle de spectacle. Je soupçonne que ce soit une façon d'obtenir de plus larges subventions et une meilleure reconnaissance de la part des tutelles politiques – avec un projet plus complet et « ouvert », ce qui plaît en général aux autorités (qui n'y connaissent à peu près rien). On peut reprocher bien des choses à Lissner, mais pas de ne pas savoir tenir compte de ce que la tutelle a envie d'entendre.

On y retrouve donc le même principe : de jeunes chanteurs sont entraînés au sein de l'institution à se produire au sein de spectacles publics de haut niveau, et ici de surcroît avec le concours de l'orchestre maison !

Sun Tianxuefei, Don Chisciotte
Sebastià Serra, Sancio Panza 
Tamar Otanadze, La Contessa
Maria Knihnytska, La Duchessa
Francesco Domenico Doto, Il Conte don Galafrone
Maurizio Bove, Don Platone
Maria Sardaryan, Carmosina
Costanza Cutaia, Cardolella
Orchestra del Teatro di San Carlo
Diego Ceretta, direction

Sans surprise, comme un peu partout, je ne suis pas très séduit par l'idée d'un recrutement très international, qui ne permet pas de profiter de la saveur spécifique des mots, surtout dans une œuvre aux tels liens avec la langue (les langues !) et la littérature, et où les tessitures et l'orchestre ne sont pas si écrasants qu'ils requièrent des voix très couvertes.

Or, ici, on a vraiment le pire des deux mondes : voix très couvertes et anonymes, timbres ternes et/ou laids, diction totalement incompréhensible… et même pas une bonne projection, les voix sont tellement émises en arrières et bloquées dans le larynx et la bouche qu'on ne les entend pas toujours dans cette toute petite salle avec ce tout petit orchestre !  Bref, vraiment le compilation de tout ce qui me déplaît dans les modes actuelles de l'émission lyrique… mais sans les éventuelles contreparties de la versatilité stylistique ou du volume – mais en général, je le dis toujours, la couverture exagérée et les émissions sombrées ou en arrière sont beaucoup moins efficaces en projection que des voix claires.

Ce n'est pas horrible (même si certains aigus sont criés et certaines chanteuses incompréhensibles de bout en bout), mais assez peu intéressant, surtout mis bout à bout avec la musique qui ne décolle pas et l'orchestre qui déchiffre…

Le problème est surtout patent chez les femmes (seule Maria Knihnytska a un timbre plutôt agréable, avec les mêmes problèmes de volapük et de monochromie que les camarades), les hommes sont intelligibles et correctement émis. Ce sont surtout Sun Tianxuefei en Quichotte (pas un grand volume, mais voix bâtie avec beaucoup de cohérence, s'il pense un peu moins au chant parfait, il pourrait mûrir de belle façon) et Sebastià Serra en Pancho qui m'impressionnent – ce dernier avec un remarquable abattage, un sens du texte, le seul non seulement compréhensible mais évocateur, et l'on se rend compte de ce qu'aurait pu être cette soirée si l'on avait choisi d'autres priorités.



Ce n'était donc pas une grande soirée de musique, mais assurément une expérience passionnante – c'est l'avantage, en allant voir du rare, on ne peut être déçu, puisque même si l'on n'aime pas plus que cela, au moins l'on sait. Alors qu'avec un tube qu'on adore dans une proposition qui ne nous soulève pas, on peut avoir le sentiment de perdre son temps.

lundi 4 septembre 2023

L'agenda de la rentrée 2023


Comme c'est la tradition, en septembre CSS propose un agenda assez vaste de l'offre francilienne – toujours accessible en haut à gauche de toutes les pages du site. Cette année, je me suis vraiment concentré sur le mois de septembre, en relevant les propositions de plus de 100 salles / institutions / ensembles / artistes. Beaucoup de choses très originales, c'est pourquoi je fais un tout petit peu d'éditorialisation pour cette fois.

La tâche étant colossale à moi seul, j'ouvre, pour les mois suivants, le fichier à d'autres contributeurs – je serai ravi de vous inclure si vous m'envoyez un petit message. De manière à pouvoir couvrir le maximum de salles et de dates.



http://piloris.free.fr/css/images/rungis_piano.jpg



1. Opéra

Ce n'est pas encore le moment de l'offre pléthorique, uniquement des choses déjà données : Les Boréades de Rameau (TCE) et La Fille de Madame Angot de Lecocq (Favart) dans des distributions similaires à celles déjà entendues, reprise de l'excellent Don Giovanni de Guth une quinzaine d'années après sa création à Salzbourg (que restera-t-il de la direction d'acteurs ?), et début octobre Ariodante de Haendel en version … pas de découvertes majeures en ce début de saison.

Un pas de côté est cependant possible avec le week-end Japon de la Philharmonie : du et du kyōgen (variante supposée comique, mais ce sont en réalité plutôt des œuvres assez lentes, hiératiques et sérieuses, simplement elles évoquent plutôt la vie quotidienne, l'accueil du mari chez sa belle-famille par exemple) du 23 au 26 septembre !



2. Ballet

C'est la reprise du mythique The Season's Canon de Pyte (sur l'arrangement de Max Richter des 4 Saisons), c'est de la musique enregistrée mais il paraît que c'est le ballet qui magnifie le mieux les danseurs de l'Opéra. J'attendais depuis longtemps l'occasion de le voir après en avoir entendu tant de bien unanime – et je serai donc probablement un peu déçu vu les superlatifs entendus au préalable.



3. Symphonique

Berlin, Boston, Tel-Aviv, Vienne, Milan… beaucoup d'orchestres prestigieux de retour à Paris, dans des programmes pas toujours très originaux, mais tout de même quelques pépites à glaner (la pièce contemporaine chez Boston, les variations Mozart de Reger chez Berlin…). Et tout le monde dit le plus grand bien de l'association Vienne-Hrůša.

Les Cloches de Rachmaninov en ouverture de saison pour l'Orchestre de Paris, avec une belle distribution russophone (Peretyatko, Petro, Markov).

Et une courte symphonie contemporaine en ouverture du concert du Peace Orchestra Project – on vous l'a vendu comme un concert Argerich, le concerto à deux pianos de Poulenc a déjà été déprogrammé et son état de santé actuel laisse penser qu'elle ne sera pas là, si jamais ça compte pour vous. Mais le début et le clou du spectacle, c'est la Symphonie n°2 de Nicolas Campogrande, inspirée par la guerre en Ukraine, une jolie symphonie tonale simple, très brève, lumineuse, qui a déjà beaucoup tourné chez les grands orchestres d'Europe. Ça s'écoute très agréablement, c'est de la musique positive et excessivement accessible (sans être plate ni pauvre).



4. Musique de chambre

Quelques concerts assez merveilleux : dimanche 3 septembre à Saint-Merry, Phantasy Quartet de Britten avec hautbois, Trio pour deux violons et alto d'Ysaÿe, et autres raretés de Milhaud, Isang Yun… Très original et gratuit.

Intégrale de la musique de chambre de Schumann à l'Orangerie de Sceaux, le 15 septembre. Ces trios, pourtant largement aussi aboutis que les Sonates violon-piano, sont très rarements donnés en concert, même séparément. Alors les trois !

Et le Festival de duos de piano de Rungis !  Ils invitent plus cette année Anderson & Roe, le meilleur duo de pianistes de tous les temps, incroyablement inventifs,  j'ai parlé à plusieurs reprises de leur travail ici. Leur dernier album (avec des originaux de Mozart) n'est pas le plus intéressant (outre leurs Star Wars Impressions en concert qu'ils n'ont jamais eu le droit de rejouer mais qui ont fait beaucoup pour leur notoriété, l'album When Words Fade a été le sommet), mais ils y adjoignent des réécritures réjouissantes tirées de leur répertoire passé. Et on peut espérer quelques bis croustillants !
On a aussi du Rachmaninov-Medtner à deux pianos et un duo de clavecins (Baumont & Delage !) autour de Le Roux, Couperin, Krebs et Johann Christian Bach !



5. Lied et mélodie


Auprès de jeunes chanteurs de l'Académie du Wigmore Hall, concert (pour 7 chanteurs de toutes les tessitures) de mélodie française (après un an de classes avec Lott et Le Roux !). Programme très attirant : Lalo, Falla, Viardot, Debussy, Duparc, Chausson, Chaminade, Barraine et Cras ! Le mardi 5 septembre à Cortot (15€).

Concert gratuit de l'Atelier Lyrique de l'Opéra de Massy le 26, avec des airs sacrés et profanes de Poulenc.

J'ai aussi repéré, à la Scala Paris, le récital de sortie de disque pour du Schubert accompagné à la guitare et chanté par l'emblématique Maria-Christina Kiehr – chanteuse baroque à la carrière extraordinaire, elle était déjà dans la BO de Tous les matins du monde !  Elle chante désormais dans des tessitures basses, mais l'émission reste très conforme à ce qu'elle était, ce devrait être très beau.

Le clou, ce sera la journée de Royaumont autour du lied postromantique et décadent, le 16 septembre : communications le matin (avec extraits sonores, notamment du Oskar Posa, grand compositeur oublié qu'on programmait à Vienne sur les mêmes concerts que Mahler et Schönberg), et la journée, après maint développement, se clôture sur le récital du spécialiste Christian Immler (qui forme les jeunes à Royaumont) dans Mahler, Schönberg, Zemlinsky, Schreker (les Cinq Chants pour voix grave !) et Robert Gund !  Ça va être dément.



6. Création

Énormément de cycles de création contemporaine sur une seule semaine : à la Scala Paris (11 septembre), à l'Échangeur de Bagnolet (le théâtre !) les 13 et 16, à la Cité de la Musique le 14 (James Dillon), à Royaumont le 17 (compositrices)… !



7. Concours publics

Académie du joué-dirigé organisée par l'Orchestre de Chambre de Paris (8 septembre).

Concours de chant lyrique « Paris Opera Competition » au Théâtre des Champs-Élysées (15 septembre).



8. Glotte

Les 4 derniers lieder de R. Strauss par l'impressionnante Asmik Grigorian (quelle ampleur, quelle aisance !), à la maison de la radio (15 septembre). En revanche Mikko Franck y rejouera la Sixième de Tchaïkovski (pour la sixième fois ?).

Le chœur de la Scala dans les hits de Verdi au TCE (12 septembre).



9. Gratuité

Un certain nombre de concerts gratuits ou au chapeau ; je n'ai pas pu relever toutes les églises et auditions d'orgue de Paris (Saint-Sulpice le dimanche à midi, Saint-Eustache le dimanche à 17h, en général c'est programmé chaque semaine, et de haut niveau), par exemple.

Mais il y a l'ONDIF au Blanc-Mesnil, toute la saison (chaque semaine que Dieu fait, même l'été) de l'Accueil Musical de Saint-Merry, tous les dimanches, extrêmement varié et ambitieux (retour de l'orchestre impermanent de La Haye, qui m'avait impressionné dans l'écrasante Troisième Symphonie de Sibelius !).

Et deux spectacles dans le Parc de Sceaux, les 9 et 10 septembre (dont un superbe programme d'Adélaïde Ferrière aux percussions diverses, mêlant Xenakis, Gerswhin et compositeurs vivants !).



http://piloris.free.fr/css/images/sceaux_festival.png



10. Codes promos

Pour finir, c'est l'apparition de codes promos « Carnets sur sol ». Je n'ai rien demandé pourtant (ni à l'institution, ni en échange), mais le Festival de l'Orangerie de Sceaux m'a contacté pour me proposer une promotion spécifique au site.
Comme les propositions sont assez chouettes – quelques raretés, et d'excellents artistes, dans le cadre incroyable du Parc de Sceaux, une des plus belles choses de toute l'Île-de-France – et les tarifs relativement élevés (tarif unique 35€, pas cher du tout pour un premier rang, mais cher si l'on a l'habitude des dernières catégories), c'est une aubaine que je partage.

[Je précise que je n'y gagne rien – pas de rémunération, de soirée spéciale, d'entretien exclusif… j'ai le droit d'être invité pour le concert qui me tente le plus (intégrale des trios de Schumann, déjà rares en individuel !), mais il est très probable que je ne sois de toute façon pas disponible à cette date. C'est vraiment pour aider le festival et avantage les lecteurs que je prends ce rôle d'intermédiaire.]

Trois concerts sont concernés :

Le jeudi 7 septembre : Jean Baptiste FONLUPT, piano
Giuseppe Verdi (1813-1901) / Franz Liszt (1811-1886)
Ernani, paraphrase de concert S. 432
Danse sacrée et duo final S. 436, transcription de Aïda
Richard Wagner (1813-1883) / Franz Liszt (1811-1886)
Elsas Brautzug zum Münster, de Lohengrin S. 445
Ouverture de Tannhäuser
Igor Stravinsky (1882-1971)
Petrouchka
Sergueï Prokofiev (1891-1953)
Romeo et Juliette, Opus 75 no.10 « Romeo et Juliette avant la séparation »
Maurice Ravel (1892-1937)
La Valse
Avec le code « Carnets sur sol » en appelant la billetterie, vous disposez d’une place offerte pour une place achetée.

Le vendredi 8 septembre : Amaury COEYTAUX (violon solo du quatuor Modigliani), Geoffroy COUTEAU (piano)
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour violon nᵒ 5 en fa majeur, Opus 24
Eugène Ysaÿe (1858 – 1931)
Poème élégiaque en ré mineur, Opus 12
Johannes Brahms (1833-1897)
Sonate pour violon et piano nᵒ 3 en ré mineur, Opus 108
Avec le code « Carnets sur sol » en appelant la billetterie, vous disposez d’une place offerte pour une place achetée.

Le dimanche 17 septembre (à 11h), « Le Carnaval des animaux sudaméricain »
avec Elliot JENICOT comédien (ancien de la Comédie-Française), et l'Ensemble ALMAVIVA, petite mise en scène.
Avec le code « Carnets sur sol » en appelant la billetterie, toute la famille a le droit au tarif enfant.




Avec tout ce choix, vous devriez avoir de quoi occuper les soirées de septembre encore trop chaudes pour profiter du plein air !

mercredi 31 mai 2023

[playlist] – Histoire de l'opéra français


Grâce aux sites de flux, les sélections de CSS peuvent devenir moins abstraites et plus faciles à écouter. C'est pourquoi j'ai tenté une liste d'écoute prête à l'emploi.

Le parcours propose les meilleures pistes des opéras majeurs (célèbres ou dignes d'intérêt) du répertoire français, dans des versions choisies ; et ce depuis les essais scéniques de Guédron (ballet d'Alcine pour le mariage du duc de Vendôme) au début du XVIIe s. jusqu'à, pour l'instant, Saint-Saëns – j'irai évidemment jusqu'en 2023, mais il y a énormément de manques parmi les chefs-d'œuvre du XXIe siècle, dont certains sont disponibles en DVD, beaucoup en bande radio ou vidéo, et très peu en CD – c'est encore plus vrai pour les opéras français, puisque que ceux en anglais disposent d'un petit avantage de diffusion.

Liste bien sûr ouverte à contestation, débat, questions et discussions. (Je serai ravi d'apporter un éclairage sur la sélection ou un conseil sur une version.)

J'y ai intercalé de petits commentaires pour informer l'écoute (5 minutes toutes les 15-20 pistes, à vue de nez), faciles à zapper mais, je l'espère, potentiellement utiles.

Je ne fournis pas, pour cette fois-ci, de retranscription : mon script a tenu dans la liste des œuvres sélectionnées.

Il y en a aura en revanche pour les dernières livraisons du podcast « Qu'est-ce qu'un chef d'orchestre ? » et autres podcasts de vulgarisation.

Par ailleurs, vous pouvez d'ores et déjà jeter une oreille aux différentes playlists déjà constituées en consultant mon profil Spotify : l'avantage de la plate-forme est qu'on peut écouter intégralement les pistes, et en tout cas cela vous fournit immédiatement un visuel avec toutes les métadonnées, beaucoup plus rapide pour moi que de le réaliser manuellement. (Et la playlist est exportable, ce qui fait qu'en cas de fermeture de la plate-forme, je pourrai toujours partager un tableau avec ces références.)
Parmi celles qui sont déjà bien remplies : dernières écoutes, nouveautés, histoire de l'opéra italien, peintres, basson, harpe, sextuors, concertos pour clarinette… et tout cela est bien sûr un work in progress.

Pour ce qui est de l'opéra français, je vous place ici en image la liste des titres retenus :

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… À bientôt pour la suite et de nouvelles aventures !

samedi 13 mai 2023

L'agenda de la fin du printemps




L'agenda de CSS a été massivement mis à jour (voir ici, ou sur le lien en haut de la page). J'y ai relevé beaucoup de petites salles, de concerts d'étudiants de haut niveau, énormément de choses gratuites et originales / exaltantes. N'hésitez pas à y puiser.

(Pour le reste, les liens en haut de page vous donnent aussi accès quasiment en temps réel au commentaire des nouveautés, découvertes discographiques ou en déchiffrage, aux comptes-rendus de spectacles, etc. Les notules prennent du temps à préparer, ce peut vous occuper dans l'intervalle.)

mardi 2 mai 2023

Panorama de la musique ukrainienne – VI – la Triade d'Or, l'invention de la musique russe (par les Italiens et les Ukrainiens)


obikhod
Page de l'Obikhod.

J'ai repris les anciens épisodes du podcast Ukraine en en retravaillant le son (pour qu'il soit plus audible dans les transports et mieux égalisé). Je n'en avais publié aucune retranscription. Les épisodes pensés en tant que notules sont déjà là pour les premiers, mais vu que j'ai largement enrichi le contenu des épisodes autour des compositeurs (avec notamment des anecdotes à vous retourner le cerveau), je vous en livre la retranscription, quitte à faire doublon. Et en plus, avec des œuvres inédites enregistrées avec mes petites mains.

Vous pouvez retrouver tous les épisodes de la baladodiffusion par ici :

Le flux RSS (lien à copier dans votre application de podcast)
https://anchor.fm/s/c6ebb4c0/podcast/rss

ou sur :
Spotify (pour voir mes jolies vignettes)
Google
Deezer
Amazon
¶ etc.




Musique ukrainienne – 6 – Triade d’Or : les Ukrainiens ont inventé la musique russe (Berezovsky)

Qu'est-ce qu'un compositeur ukrainien ?

Comme mentionné dans les épisodes précédents, la distinction rigoureuse entre langage musical ukrainien et langage musical russe paraît, à grand échelle, une chimère. Il existe bien sûr des nuances significatives, notamment dans le folklore (toutes les régions russes n'ont pas de folklore polyphonique – c’est-à-dire à plusieurs voix –,  tel celui qu'on a observé ensemble dans le deuxième épisode de cette série).
En revanche à l'échelle des compositeurs de musique sacrée ou de concert, il est à peu près impossible (en tout cas avec les éléments dont je dispose, en tant qu'auditeur essentiellement) de proposer une distinction purement musicale (et fiable) entre la sphère ukrainienne et la sphère russe.

Pour plusieurs raisons (et c'est ce qui est intéressant) :
les frontières de l'Ukraine fluctuent énormément entre son époque polono-lituanienne d'une part (le double Royaume de Pologne et Lituanie, si puissant qu'il a pu influer activement sur la succession des tsars), c'est une époque où l'Ukraine s'étend plus à l'Ouest et au Nord qu'aujourd'hui, et d'autre part l'époque soviétique, où elle s'élargit largement vers l'Est ; pas toujours évident de décider qui est ukrainien et qui est russe (ou autre chose) ;
les grands compositeurs ukrainiens, que ce soit à l'époque des tsars ou des soviets, exercent à Saint-Pétersbourg ou Moscou, où ils ont même, pour certains, étudié, si bien que leur style est en réalité celui qui prévaut dans les capitales russes.

J'ai donc fait le choix d'une définition généreuse de l'ukraïnité : tout compositeur qui peut par un biais ou l'autre être considéré comme ukrainien (ancêtres, naissance, langue, lieu de vie…) sur une portion de territoire qui correspond plus ou moins à l'Ukraine d'une époque quelconque, peut être inclus.

Cela nous permet, au passage, d'interroger cette notion dans le cadre de la musique. On comprend d'autant mieux le qualificatif de peuples frères devant le nombre de grands compositeurs russes qui sont d'une façon ou d'une autre ukrainiens, et vice-versa – même si depuis 2014, la politique et les conflits ont accentué le sentiment d'appartenance à des entités distinctes. La guerre dont nous sommes les infortunés témoins et acteurs va sans doute figer cette opposition assez solennellement, et pour assez longtemps.

Aussi, la mission que je donne sera de présenter des figures importantes de la culture locale, afin de vous inciter à découvrir ce corpus assez passionnant… je ne chercherai pas à trancher qui est ukrainien et qui ne l'est pas, puisque la notion de compositeur ukrainien, faute de différence stylistique palpable, demeure une notion essentiellement politique.
Ils étudient en Italie ou en Russie, utilisent des modes ou des thèmes russes et ukrainiens : exactement comme les Russes en somme.

La Triade d'or

Aux origines de la musique russe autonome – c'est-à-dire non écrite par des compositeurs italiens de passage ou installés –, on trouve trois noms, de trois compositeurs… tous nés, voire formés, dans l'Ukraine d'alors !  Ils sont habituellement désignés sous le nom collectif de « Triade d’or ».

Berezovsky, Bortnyansky, Vedel restent aujourd'hui encore des sortes d'archétypes ou de super-héros : ces ancêtres glorieux président à la naissance de la musique proprement russe… Pour l'Histoire, ils sont les premiers « russes » (façon de parler) à avoir composé de la musique symphonique. Mais ils sont surtout au répertoire pour leur contribution à l'Obikhod – les compositions qui forment la liturgie musicale orthodoxe russe.

Berezovsky

Maksym Berezovsky (1745?-1777) est né à Hlukhiv – dans l’Oblast de Sumy, à l’extrême Nord du pays actuel, à peu près équidistant de Kharkiv et Kyiv. Vous connaissez peut-être la ville sous son nom russe de Glukhov. C'était alors la capitale d'un État-tampon cosaque d'ethnie ukrainienne, issu de leur révolte contre le royaume polo-lituanien qui les dominait jusqu’au milieu du XVIIe siècle. Cet État est celui des fameux cosaques Zaporogues (dont on reparlera à propos des compositeurs romantiques nationaux). Donc bel et bien un État ukrainien (même si pas le même que celui de Kyiv). L'église Saint-Nicolas (1693) de Hlukhiv est d'ailleurs restée emblématique du baroque ukrainien.

Berezovsky est recruté comme chanteur dans des opéras seria à Saint-Petersbourg, où il devient membre de la Chapelle italienne du Palais impérial. Il y étudie sur place auprès de Galuppi (compositeur important pour le piano, avec des sonates post-scarlattiennes, et pour l’opéra de l’époque classique, on dispose par exemple d’une Clémence de Titus au disque). Après avoir été formé par Galuppi, Berezovsky est envoyé en Italie où il étudie, auprès de son condisciple Mysliveček (la future grande figure tchèque de l’opéra seria), avec le maître bolonais Giovanni Battista Martini (rien à voir avec le compositeur français de « Plaisir d’amour »).

Berezovsky est resté à la postérité comme le premier compositeur de symphonies, d'opéras, de sonates pour violon & piano en Russie, et considéré comme l'un des grands ancêtres de la musique russe. (Il est évidemment probable que, comme lorsqu'on cite L'Orfeo de Monteverdi comme le premier opéra, ce ne soit pas tout à fait complètement vrai, je n'ai pas un accès assez vaste aux fonds musicaux ukrainiens du temps pour en être sûr en tout cas, et je me méfie de ce genre de légendes un peu simples.)

La première symphonie jamais retrouvée d'un compositeur russe est ainsi l'œuvre d'un… compositeur ukrainien !
Quand on vous dit que c'est l'Ukraine qui encercle et envahit la Russie, vous ne voulez pas le croire…

Sa contribution à l'Obikhod (les compositions de l'ordinaire liturgique orthodoxe, leur psautier en quelque sorte) est considérable, et reste un classique du répertoire, au même titre que pour nous Monteverdi pour l'opéra et Haydn pour le quatuor ou la symphonie. Il reste toujours programmé dans ce cadre. Pour l'entendre, je vous recommande le très beau disque de Yurchenko (chez les labels Claudio ou CDK).

Je termine cet épisode par quelques extraits de sa musique. Comme je n’ai pas les droits, je les enregistre moi-même (ce sont des premières lectures sur un piano mal réglé, n’espérez pas une révélation). Mais vous aurez ainsi une idée de l’aspect de cette musique, dont il existe quelques disques et quelques vidéos YouTube.

Je commence par les deux premiers mouvements (rapide et lent) d’une Sonate pour violon et piano (à ma connaissance jamais enregistrée) dans une transcription pour piano seul.
Vous retrouverez dans le mouvement rapide toute la grammaire classique mozartienne dans la Sonate, avec ses basses d’Alberti (les formules d’accompagnement typiques), son thème principal pris à la dominante puis à la tonique (c’est-à-dire qu’il change de hauteur lorsqu’il est répété), ses incursions furtives dans le mode mineur… De même pour le mouvement lent, agité par beaucoup de diminutions (notes plus brèves sur un canevas préexistant, comme des variations) qui animent le discours, typique de ce que l’on trouve régulièrement dans les symphonies ou les sonates de Haydn et Mozart.

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Puis c’est une hymne pour la Communion (Psaume 116, verset 13). Côté musique sacrée, il existe beaucoup de types d’écriture différents chez les mêmes compositeurs. J’ai choisi de réserver le pur style orthodoxe pour Vedel, que nous verrons d’ici deux épisodes, et où le choix en partitions aisément accessibles est beaucoup plus réduit. Ici, je vous ai au contaire sélectionné une mise en musique où l’influence du langage classique européen est patente. L’œuvre doit être interprétée a cappella, et avec les voix très résonnantes des émissions slaves orientales (et les doublures des basses octavistes, capables de chanter à l’octave inférieure des basses standard, technique caractéristique de la liturgie orthodoxe), on entendrait beaucoup moins cette filitation européenne et beaucoup plus l’atmosphère religieuse orientale.
Lorsque vous entendrez la ligne de basse s’exprimer seule, c’est le moment où est lancé l’Alléluia.

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Voilà, c’est fini pour cette fois.
À très bientôt pour le deuxième épisode de la Triade d’Or !




Musique ukrainienne – 7 – Triade d’Or : les Ukrainiens, meilleurs compositeurs italiens de leur temps (Bortniansky)

Dmytro Bortniansky (1751-1825) est à peine le cadet de Berezovsky, mais a vécu près de cinquante ans de plus, jusqu’aux années 20 du XIXe siècle. Comme Berezovsky, est né à Hlukhiv lui aussi. Il étudie aussi auprès de Galuppi à Saint-Pétersbourg, qui l'emmène lui-même en Italie ; il remporte de grands succès à Modène et Venise en composant des opéras seria.
[L’opera seria, c’est tout simplement l’opéra à sujet sérieux de l’époque : on chante des airs a da capo, avec des reprises et beaucoup d’ornementations, pour mettre en valeur la voix. Les sujets sont toujours tirés de la mythologie et de l’histoire gréco-romaines, parfois des romans de chevalerie. Ce genre occupe la totalité du XVIIIe siècle italien, et de toutes les cours d’Europe excepté la France.]

Bortniansky réussit donc dans le genre le plus prestigieux de l’époque, et de surcroît dans le pays qui l’a créé, et qui voit passer les meilleurs compositeurs d’Europe pour s’essayer à l’imiter !  Notre compositeur repart à Saint-Pétersbourg, où il écrit en deux ans, de 1786 à 1787,  quatre opéras sur des livrets français !  Toutes ces œuvres françaises sont dues au même librettiste, Lafermière, sur des thèmes variés typiques de l'opéra comique : Le Faucon, La Fête du seigneur, Don Carlos, Le fils-rival ou La moderne Stratonice.

Cependant sa notoriété, comme pour Berezovsky, s'est transmise jusqu'à nous par ses grands concerts choraux sacrés, dont beaucoup sont restés dans la tradition de l'Obikhod (le recueil liturgique sonore du culte orthodoxe russe), et qui marquent la naissance d'une tradition 'classique' de chant sacré en Russie. Il a notamment laissé un grand nombre de Concertos pour Chœur ou d’Hymnes Chérubiques, toujours très prisés.

Voyez par exemple les disques de Poliansky pour explorer ce fonds.

Comme dans l’épisode précédent, ne disposant pas des droits pour diffuser des disques, je déchiffre pour vous deux partitions de Bortniansky, le mieux diffusé des trois maîtres de la Triade.

Je commence par un concerto pour clavecin en un seul mouvement (ou dont seul le premier nous est parvenu ?), inédit. Que je jouerai dans un arrangement pour piano seul.  Vous y retrouverez les formules mozartiennes bien connues (beaucoup de parentés avec les concertos pour piano, le Vingtième notamment), les atmosphères poétiques du concerto de Dittersdorf (qui a fait les beaux jour des compilations de « classiques favoris »), les arpèges résonants du clavecin, les unissons d’orchestre, les notes piquées, les déformations thématiques en mineur, les traits virtuoses et formules inversées de la cadence. Régulier mais très séduisant dans ses consonances et ses petites formules, c’est un coup de cœur pour moi. (J’ai écarté des Sonates que je trouvais assez formelles et plates.)

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Et je poursuis par Kol’ Slaven, un vrai choral assez célèbre de Bortniansky. Là aussi, la densité de timbre des voix de la Chapelle Impériale et du chant orthodoxe actuel occulteraient en partie la grammaire classique de l’enchaînement des accords, qui paraissent alors à la fois plus complexes et moins marqués par le style spécifique du XVIIIe siècle. Très belle et douce prière quoi qu’il en soit. (Navré pour la pédale qui grince, pas agréable sur les chorals. Je réenregistrerai éventuellement certains extraits si la série a un peu de succès.)

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À très vite pour le dernier membre de cette Triade d’Or, dont le destin est lié de près aux délires assez insensés d’un tsar fou.




Musique ukrainienne – 8 – Triade d’Or : le bannissement de la musique profane (Vedel)

Un peu moins célèbre que les deux autres hors d'Ukraine et de Russie, Artemy Vedel (1767-1800) naît à Kyiv, y étudie, puis poursuit à Saint-Pétersbourg et Moscou, lui aussi avec un maître italien (Giuseppe Sarti).

Il laisse à son tour beaucoup de musique sacrée considérée comme importante, jusqu'à ce qu'en 1797 le tsar Paul Ier, décrit comme notoirement fada, interdise toute musique hors de la seule liturgie. Ses partitions, par exemple celles écrites sur les Psaumes (et qui osent parfois une recherche de contrastes dramatiques, d'effets proprement musicaux…) sont alors occultées pour longtemps.



Petit intermède.

Pour vous aider à supporter la gravité de cette interdiction, et assurer un salutaire soutien psychologique à vos âmes déjà ébranlées, je vais tâcher quelques instants de remettre en perspective cette interdiction avec autres événements du règne de Paul Ier, dont ce doit être le décret le plus raisonnable.

Pour situer, il est fils de Catherine II et de son mari Pierre III… ou de son amant Saltykov, vous ne saurez jamais. On raconte un nombre invraisemblable d’anecdotes sur lui. J’en tire quelques-unes d’un ouvrage (les Fous couronnés) d’Augustin Cabanès, médecin et littérateur de la toute fin du XIXe siècle. Le nombre d’ouvrages d’anecdotes qu’il a publiés sur divers sujets, ainsi que son attachement à la théorie des humeurs, sa fascination pour la physiognomonie et la dégénérescence, rendent suspectes ces petites histoires, qui ne sont pas toutes sourcées. Je vous les transmets cependant, pour le plaisir de vous laisser penser que l’interdiction de la musique par Paul Ier n’était peut-être pas, et de loin, sa décision la plus fantaisiste ! 

(Je paraphrase le livre pour les besoins du podcast, ce ne sont pas nécessairement les mots de Cabanès qu'il aurait été plus cohérent de reproduire dans le cadre de la notule ; il faut dire aussi que je vous ai sélectionné les meilleurs épisodes. L'ouvrage se trouve sur Gallica, pour les curieux, et ne concerne pas seulement Paul Ier.)

Chaque matin, le tsar observait la direction du vent. Affolé par la Révolution et la peur d’être assassiné, il avait créé une amende pour les femmes habillées en bleu-blanc-rouge, qui lui rappelaient trop la sédition à la française. Il accusait régulièrement ses hôtes, même les plus nobles d’Europe, d’avoir voulu l’empoisonner, lorsqu’un plat n’était pas à son goût. Il avait fait bâtir un palais-forteresse, où chacun devait inscrire ses allées et venues. Palais qui était posé au sein d’une ville fermée où chaque soir, on faisait le décompte des résidents pour vérifier l’absence d’étrangers. Il fut assassiné dans ce palais deux mois plus tard.

Pour s’assurer du respect absolu de ses sujets, il avait interdit la valse (qui suppose qu’on lui tourne ponctuellement le dos, affront insupportable) et exigeait que la le genou et la lèvre soient très sonores lors du baise-main fait au tsar. Quoique parfois désordonné dans ses élans (lorsqu’il s’éprend d’Anna Lopoukhine, il impose sa couleur préférée à la Cour et fait inscrire son prénom sur la bannière de ses gardes), Paul est avant tout un homme d’ordre. Il était un tyran de la mode : la police arrêtaient les hommes qui portaient un chapeau rond, un bonnet, un pantalon long, un gilet (car il fallait une veste allemande), de grosses cravates, des brodequins ou des souliers à rubans, etc. Si un sujet plus fortuné sortait avec son équipage mais enfreignait un de ses règlements, l’équipage était saisi, et les chevaux partaient pour tirer les canons impériaux, les domestiques étaient enrôlés dans l’armée, et le propriétaire pouvait avoir affaire au fouet.

On raconte qu’il avait demandé à ses soldats de ranger leur membre caché du même côté pour que cela ne déforme pas la symétrie de leurs uniformes moulants. Il fit défiler pendant huit jours un bataillon, dont il mit tous les officiers aux arrêts, pour ne pas l’avoir salué à la manière qu’il voulait. Un jour qu’il faisait battre une sentinelle qui s’était endormie, et que l’impératrice tâcha de l’en dissuader, il la fit mettre aux arrêts.

Si je me suis autorisé cet excursus, c’est qu’en plus d’être méconnu et très amusant, ce portrait (sans doute largement exagéré pour les besoins financiers de l’auteur et du libraire) trace des lignes de force particulièrement similaires à celles qu’on peut constater en Russie pendant toute notre histoire de la musique ukrainienne, et jusqu’à nos jours : le pouvoir absolu qui mène immanquablement aux abus, l’absence de considération pour la vie humaine lorsqu’on règne sur un peuple aussi nombreux et aussi contrôlé, et aussi, en filigrane, la cruauté – vraiment terrifiante lorsqu’on lit les ouvrages spécialisés – de l’armée russe, depuis toujours. L’anecdote de l’incorporation des domestiques (lorsqu’on sait ce qui les attendait ensuite, d’autant plus !) m’a absolument glacé. Et ce n’est, hélas, pas du tout la plus improbable de toutes celles que j’ai racontées.



Je reprends sur la Triade d’Or.

Berezovsky, Bortniansky, Vedel… Ces trois figures sont un exemple éclatant de l'entrelacement de ces deux cultures, ce qu’on pourrait appeler, chez les amateurs de sciences, une intrication slavique : indubitablement ukrainienne, indiscutablement russe, la zone sécante des deux aires est particulièrement large, et il serait vain de vouloir leur attribuer une appartenance exclusive. (Vous le verrez… ce n'est pas fini.)

Ces compositeurs sont nés dans deux États ukrainiens : celui de Kyiv, et la principauté militaire des Zaporogues. Ils y ont été formés. Ils sont indubitablement ukrainiens. Et une fois leur talent établi, ils furent reçus à la Chapelle Impériale et formés par des maîtres italiens, pour s’ajuster au goût de la cour russe. Ils ont donc écrit de la musique spécifiquement pour le tsar, et ont par la suite servi pour de modèle aux compositeurs russes pour des siècles – c’est donc indiscutablement de la musique russe, écrite pour le pouvoir russe, des phares de tout l’art russe.
Les deux simultanément.

Entendons-nous bien : il s’agit d’entités politiques différentes. L’État des Zaporogues s’est révolté contre les polono-lituaniens au milieu du XVIIe siècle, et a servi d’État-tampon, avant son absorption arbitraire par la Russie au début du règne de Catherine II. (Les mélomanes connaissent bien Ivan Mazepa, le Zaporogue qui tente, en vain, de conserver l’indépendance de la dernière portion de cette région : Liszt, Balfe, Tchaïkovski l’ont mis en musique. Et bien sûr, le poème de Byron qui décrit son histoire, puis celui d'Hugo dans Les Orientales, qui se concentre sur sa fin, ont répandu cette histoire dans l'imaginaire collectif d'Europe occidentale, même si elle semble moins présente aujourd'hui. )

’TWAS after dread Pultowa’s day,
⁠When fortune left the royal Swede,
Around a slaughter’d army lay,
⁠No more to combat and to bleed.
The power and glory of the war,
⁠Faithless as their vain votaries, men,
Had pass’d to the triumphant Czar,
⁠And Moscow’s walls were safe again,
Until a day more dark and drear,
And a more memorable year,⁠
Should give to slaughter and to shame
A mightier host and haughtier name;
A greater wreck, a deeper fall,
A shock to one—a thunderbolt to all.

Qui peut savoir, hormis les démons et les anges,
Ce qu’il souffre à te suivre, et quels éclairs étranges
À ses yeux reluiront,
Comme il sera brûlé d’ardentes étincelles,
Hélas ! et dans la nuit combien de froides ailes
Viendront battre son front ?

Mais, bien qu’il s’agisse de peuples différents, les moyens financiers, l’influence politique et culturelle de Saint-Pétersbourg, puis Moscou, sont telles que les meilleurs artistes partent s’y former et y exercer. Si bien que les meilleurs compositeurs ukrainiens sont pour la plupart devenus, dans les faits, des compositeurs de style russe.

La politique commence déjà à expliquer la difficulté de séparer les styles à l’audition seule, puisque les grands compositeurs ukrainiens étaient tous aspirés vers le modèle (et les lieux de résidence) russes. Il ne peut pas y avoir de style spécifiquement ukrainien dans ces conditions, bien que les compositeurs ukrainiens soient en réalité très nombreux.
Et vous le verrez, de façon encore plus criante par la suite, l’histoire de la musique ukrainienne, que j’abordais sans idée particulière, recoupe avec une remarquable fidélité l’histoire de l’impérialisme russe. Cela a déjà été documenté par beaucoup d’observateurs informés, mais ce qui se déroule sous nos yeux n’est pas tant un basculement inattendu qu’une répétition, quasiment dans les même termes, de l’histoire du territoire russe et de ses zones d’influence depuis XVIe siècle.



En attendant, comme pour les épisodes précédents, je vous propose de déchiffrer pour vous, en cette fin d’épisode, deux pièces d’Artemy Vedel.

La première, caractéristique des petites audaces de Vedel, évoque le chant znamenny (tradition orthodoxe qui fait la part belle aux notes répétées et aux mélismes), tout en ménageant des surprises rythmiques et des effets dramatiques : basses et ténors qui attaquent avec emphase les mêmes notes en décalé, accords d’hommes et de femmes qui se répondent comme dans une ouverture ou une tempête d’opéra, pupitres qui chantent seuls à découvert… Je crois que, même au piano (et mal joué), on entend assez nettement cette veine et ces surprises (en tout cas ces ruptures de ton).
Navré pour les crouik crouik de pédale assez désagréables dans les accords répétés, j'ai fait avec les moyens du bord.

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La seconde est au contraire une longue pièce typique de l’Obikhod : psalmodie d’accords répétés à l’infini, avec des pédales (note fixe à la basse), des intervalles courts (c’est-à-dire des notes qui se suivent, et en petit nombre), des harmonies (enchaînement d’accords) très simples, des formules sans cesse réutilisées. Par de belles voix, effet hypnotique garanti, qui met très bien en valeur le texte !

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Dans le prochain épisode, nous irons du côté des romantiques cette fois-ci revendiqués uniquement par l'Ukraine (bien que leurs œuvres aient été jouées et appréciées en Russie), et qui ont, par le truchement de l'opéra, de la mélodie, des reprises de thèmes musicaux folkloriques dans leur musique de chambre, ou encore par l'usage de la langue ukrainienne, proclamé leur spécificité nationale au XIXe siècle.

Comme vous le constaterez, ce sera une courte période.

mercredi 12 avril 2023

Intermède


J'ai peu publié ici ces dernières semaines, mais cela n'implique pas qu'il n'y ait pas de quoi lire dans les sphères de CSS !

En préparation, la suite de la série ukrainienne, les classifications vocales des barytons, une nomenclature des opéras de Verdi, une notule sur « les choses que j'aime / que je n'aime pas dans le classique », des opéras inédits commentés fournis avec l'audio…

Mais comme tout cela prend du temps, a fortiori en les dupliquant au format podcast (avec des exigences plus grandes des auditeurs, je prends maintenant le temps de remanier l'audio, d'adjoindre des virgules, etc.), je vous indique de quoi vous occuper si vous êtes en mal de lecture.



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Petite liste en temps réel des derniers albums écoutés – les plus récemment écoutés sont en bas, je ne peux pas changer ce paramètre.
(Je précise aussi que les pistes choisies pour représenter ces albums sont prises au hasard, ce ne sont pas nécessairement les meilleures.)




Culture quotidienne

1) J'ai repris la grande série « 1 jour, 1 opéra », vraiment chronophage à adapter sur le site tel qu'il est, mais que vous pouvez retrouver en intégralité sur ce fil social. C'est un voyage qui permet très brièvement de découvrir un répertoire insoupçonné dans les villes du monde, mais aussi des théâtres, les traditions musicales locales, et souvent un peu de littérature et de géopolitique au passage…

2) Je raconte l'essentiel de mes écoutes et de mes déchiffrages sur ce fichier, là aussi malcommode à transformer en notule puisqu'il est modifié au fil de chaque journée.

3) Je continue de commenter beaucoup des concerts auxquels je vais… vous pouvez tous les retrouver ici (il suffit de cliquer sur la vignette de texte pour afficher tout le commentaire).



Vie musicale

4) Depuis que Qobuz ne fait plus de présentation efficace des nouveautés, les mélomanes de la Toile se sont retrouvés un peu orphelins. Aussi, je produis un fil qui recense celles que je repère ou écoute. Je vous recommande aussi celui de Frédérique Reibell, qui explore en général les meilleures sorties indépendamment du prestige du label. Pour les très grosses sorties, il reste Qobuz, et pour une vue vaste d'un très grand nombre de labels, le catalogue bimensuel de Naxos USA (distributeur de beaucoup de merveilles, dont CPO, DUX, BIS, Alpha…).

5) Même sans être inscrit sur Twitter, il est possible d'en lire le fil, alimenté au quotidien de découvertes (extra-musicales aussi : lectures, ornitho, meilleures randonnées d'Île-de-France…).
(Il est aussi possible de me lire sur Facebook, mais j'y suis beaucoup moins bavard, le format est assez rigide et l'algorithme d'un arbitraire assez irritant.)

6) De même, je ne puis trop vous recommander la lecture de l'omniscient forum Classik, que ce soit pour lire les bons plans de concerts, les impressions des mélomanes après écoute sur le vif ou au disque, ou simplement puiser à travers les archives comme dans une encyclopédie de conseils d'écoute…

7) Enfin, si vous n'aimez pas lire, vous pouvez aussi aller au concert, et c'est pourquoi je maintiens cette très large sélection de concerts dans l'agenda (francilien) idoine.



Le fonds de CSS

8) Je ne vous fais pas l'injure de vous rappeler qu'il demeure beaucoup de podcasts que vous n'avez pas encore écoutés.  Le répertoire du quatuor à cordes, le rôle du chef d'orchestre, l'histoire de la musique ukrainienne, les questions que vous vous êtes toujours posées sur l'opéra, les styles de l'opéra italien ?  Tout est dans la boîte.
Vous pouvez copier le lien RSS dans l'application de votre choix  https://anchor.fm/s/c6ebb4c0/podcast/rss, ou écouter ça directement sur Spotify, Google, Deezer, Amazon

9) Quelques-unes des notules du fonds de CSS sont accessibles par l'index (très partiel), ou par les chapitres de la colonne de droite – mais pour remonter dans le temps, il faut ensuite sélectionner les mois plus bas dans la colonne de droite, ce n'est pas très commode.





C'est pourquoi, même pendant mes périodes de moindre activité en ces lieux – il faut bien écouter les disques, aller en bibliothèque lire les incunables, jouer un peu les partitions, sans compter la nécessité de se promener un peu, la place laissée à mon day job passionnant et l'entretien ponctuel mais charmant de deux ou trois maîtresses (avec les quelques enfants naturels afférents) –, je vous laisse avec la possibilité de lire chaque jour du neuf en ma délectable compagnie, quitte à déborder un peu la structure du site Carnets sur sol.

À très bientôt, fidèles lecteurs.

mercredi 25 janvier 2023

[podcast opéra] – Épisode 7 : Comment l’opéra italien a-t-il dominé le monde ? – a) La naissance d’un modèle


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Le bon goût, lui, a depuis longtemps mis fin à son règne.

Je poursuis mon aventure autour du format audio.

Je me suis surtout lancé dans une transcription en cours de la série musique ukrainienne, avec la contrainte, pour des raisons de droits d'auteurs (droits voisins plus exactement), d'enregistrer moi-même les extraits sonores. C'est beaucoup de travail, mais pour ceux qui consultent le format écrit de Carnets sur sol et n'hésitent pas à en suivre les recommandations sonores ou écouter les extraits, il n'y a pas encore beaucoup de nouveautés (j'en suis à Hulak-Artemovskiy et à la brève génération qui a pu exercer un art national ukrainien). Bien sûr, des précisions nouvelles ont été apportées, que je n'avais pas lorsque j'ai débuté cette série, et je vous invite à y jeter une oreille, mais dès que j'aborderai des compositeurs ou des sujets inédits, je le signalerai ici et en posterai les retranscriptions pour les fidèles de l'écrit.

Pour la suite de la baladodiffusion autour de la vulgarisation de certaines questions relatives à l'opéra en général (sobrement intitulée « L'opéra ? »), je me suis lancé dans une évocation des grandes tendances de l'opéra, à travers l'histoire de chaque nation lyrique. Je commence évidemment par les Italiens qui nous ont apporté toute cette corruption depuis le début.

Vous pouvez l'entendre par ici :

Le flux RSS (lien à copier dans votre application de podcast)
https://anchor.fm/s/c6ebb4c0/podcast/rss

ou sur :
Google
Spotify
Deezer
Amazon
¶ etc.

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Épisode 7 : Comment l’opéra italien a-t-il dominé le monde ? – a) La naissance d’un modèle

L’opéra italien occupe en général – avec Faust, Carmen et Wagner – l’essentiel de l’imaginaire grand public autour de l’opéra. Et de fait, il domine la scène européenne et mondiale en quantité et en prestige pendant l’essentiel de l’histoire de l’opéra.

Plutôt que de vous proposer simplement une histoire de l’opéra italien, je vous propose de nous demander ensemble comment ce genre a pu rester aussi étroitement associé à une nation, une langue. Ce sont des raisons multiples : historiques, linguistiques, politiques, pratiques… qui peuvent expliquer cette prédominance.

Au sein même de l’Italie, l’opéra a été vécu comme le genre prédominant – ce qui est vrai dans les autres nations musicales, mais pas à ce point – on pourrait d’ailleurs presque parler d’histoire de la musique italienne, tant le vocal prévaut sur tous les autres genres dans la péninsule.


1. Naissance de l’opéra

L’opéra est né à la toute fin du XVIe siècle en Italie. Il est le fruit de réflexions sur le théâtre musical (qui n’était jamais intégralement chanté) et d’une admiration pour le modèle grec tel que perçu par les érudits du temps. La parole doit être exaltée par la musique. On écrivait essentiellement pour la voix avec des formes polyphoniques – c’est-à-dire des musiques avec plusieurs mélodies chantées à la fois, ce qui rend le texte difficilement compréhensible.

Des groupes de poètes et de musiciens, réunis autour de mécènes florentins, donne sa chance à la monodie (mélodie unique, simplement accompagnée), et tout le monde constate que cela rend l’expression plus vive, plus individuelle. Essayez d’obtenir une émotion précise de la part d’un chœur, c’est toujours moins touchant qu’un chanteur seul sur le même texte, parce qu’il va exprimer sa propre singularité, sans qu’elle soit « équilibrée » par l’ensemble des différences de tous les chanteurs.

Pour le détail de cette aventure qui a bouleversé toute la hiérarchie de l’art européen, je vous renvoie au troisième épisode de la série, qui le traite en détail.

Ces artistes donnent ainsi naissance aux premiers opéras : des drames entièrement mis en musique, où l’émotion du texte est exaltée par la force expressive de la musique !  On y adore donc, en bonne logique, les lamentations.  La Dafne de Peri & Corsi (1597), perdue, L’Euridice de Peri (1600) et presque simultanément de Caccini (1600-1602), et quelques années plus tard l’Orfeo de Monteverdi (1607, je crois avoir dit par erreur 1604 dans l’épisode consacré au sujet !).

Les premiers opéras sont ainsi florentins, et nord-italiens. Ils sont en bonne logique écrits en italien, pensés en lien avec la poésie italienne (l’autre genre vocal profane dominant était alors le madrigal, composition à plusieurs voix sur des poèmes italiens). Ils se répandent dans toute l’Italie. Il s’agit, dans la première moitié du XVIIe siècle, d’un art local.

Après Monteverdi à Crémone, Mantoue et Venise, viennent d’autres grands représentants, comme Landi à Padoue et Rome, Rossi à Florence et Rome, Cavalli à Venise, Legrenzi à Bergame et Venise… Chaque grande famille, chaque grande cité a ses musiciens de prédilection. Le style austère de la déclamation soutenue de musique s’enjolive progressivement d’airs plus ornés.


2. Premières imitations

Lorsque Cambert & Perrin, puis LULLY & Quinault ont adapté le modèle italien en France, ils se sont fondés sur cette image de la déclamation soutenue par la musique. On sent dans les œuvres de LULLY que le modèle est déjà propre à être orné d’ariettes et de jolies choses plus décoratives, mais il reste avant tout fondé sur la prééminence du texte ; depuis lors, les Français, têtus de leur gloire, n’en démordent pas, et alors que les Italiens exploraient d’autres chemins, en sont toujours restés là.

Les Français se sont ainsi toujours accrochés à une image de l'opéra liée aux objectifs de sa création, résistant farouchement aux Italiens… dont ils avaient importé le concept, mis au point par un Italien (LULLI), et magnifié par maint italien à Paris (Piccinni, Sacchini, Salieri, Rossini, Donizetti, Verdi…).

Cependant, tandis que les Français adaptent à leur manière l’opéra italien tel que pensé dans la première moitié du XVIIe siècle, les Italiens s’engagent progressivement, à partir des années 1670 (avec Legrenzi, notamment), vers un autre modèle, qui devient dominant dès les années 1690 : l’opéra seria. Une machine maléfique qui va conquérir le monde.

samedi 16 juillet 2022

Falstaff, le génie méta-




Je voulais écrire un mot sur les géniales trouvailles motiviques de Falstaff (les bassons qui répètent « dalle due alle tre » dans l'esprit de Ford rendu fou par la jalousie), ou les parodies insensées (son propre chœur de louange à Dieu dans Nabucco !), mais en réalité j'ai déjà écrit la notule il y a près de cinq ans…

Je me contente donc, au lieu de refaire la même chose en moins bien, d'y renvoyer.

« Écouter Falstaff sans la glotte – quand Verdi écrit des leitmotive pour rire »

Et je réalise en ce moment même une petite écoute comparée de l'ensemble de l'œuvre, plusieurs versions que je réécoute ou que je n'avais pas encore essayées, dont une nouveauté toute fraîchement sortie hier. Dans la fameuse liste commentée et publique des écoutes. 

mercredi 1 juin 2022

Actualités


Voilà deux semaines que rien de neuf n'a été posté ici, ce qui est déjà rare en soi, et mes contraintes me laissent entrevoir qu'il sera difficile d'achever une des notules en cours – avant une semaine supplémentaire au bas mot.

Au lieu de remplir des Alerte enlèvement, comme je sais que vous auriez été tentés de le faire, je ne puis que vous inviter, en échange, à lire les quelques documents que je continue de mettre à jour dans l'intervalle :

agenda des concerts (jusqu'en juillet 2023 !), incluant les ajouts récents de la première moitié du Mois Molière de Versailles ;

bref commentaires d'écoutes sur les nouveautés discographiques et les autres disques parcourus au fil de la semaine ;

comptes-rendus de concert, sur Twitter essentiellement (lisible sans aucune application ni abonnement, il suffit de cliquer sur les messages et de dérouler) ;

… et bien sûr, à partir du 10 juin, les notices du programme de salle du Festival Un Temps pour Elles, auxquelles j'ai eu le plaisir de contribuer. (Quantité d'inédits de première farine, dans des lieux hors du commun et inaccessibles d'ordinaire en transports en commun comme les châteaux de La Roche-Guyon ou Villarceaux. Réservez la navette et profitez de l'expérience exceptionnelle, comme je le fais moi-même depuis deux ans…)

Je suis confus de ne vous laisser pas plus que ces quelques miettes, mais que voulez-vous, la vie reprend, ainsi que les vastes conquêtes promenades, et mes activités contingentes et quotidiennes réclament aussi leur dû quelquefois. Néanmoins les projets de notule ne manquent pas, sur le passé et l'avenir de l'opéra, sur les grandes thématiques de Bible ou d'Ukraine, sur les anniversaires du tournant du siècle, sur les noms confus des orchestres des grandes capitales ou encore sur les utilisations des airs patriotiques français dans la musique mondiale… Elles enflent progressivement et écloront bientôt, je le souhaite, sur vos écrans ébaubis.

dimanche 3 avril 2022

Les activités souterraines (et publiques) de Carnets sur sol


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Extrait du journal d'écoutes public – de la semaine dernière.

Tandis que je poursuis ma documentation des anniversaires 2022 (la suite bientôt, j'espère) et de la musique ukrainienne (quand je ne m'égaie pas sur les chemins à la recherche des églises de la campagne francilienne et adjacente), je ne voudrais pas vous laisser désœuvrés.

C'est pourquoi je signale à nouveau deux outils qui sont mis quasiment quotidiennement à jour, et que vous pouvez sauvegarder facilement dans vos favoris sur ordinateur ou téléphone.

L'agenda des concerts, ma sélection minutieuse de concerts que même Cadences ou l'Offi ne voient pas (des merveilles dans de petites salles et des concerts au chapeau…). Il est particulièrement à jour, puisque j'y ai inclus mon relevé de ce qui me paraissait le plus marquant dans la saison 2023 de l'Opéra de Paris (date par date et alternance de chanteur par alternance de chanteur !), du Théâtre des Champs-Élysées (énormément de titres d'opéra français très stimulants, dont Grisélidis de Massenet et Le Rossignol de Stravinski !), la première moitié de la saison de la Philharmonie (je n'ai pas fini à cette heure) et même la pré-saison non encore officiel de l'Opéra Royal de Versailles (dont quelques pépites dès longtemps attendues…). 2023 commence à se remplir ! 
[Ne fondez tout de même pas trop d'espoirs sur les titres programmés cet hiver nucléaire, vous l'avez constaté d'expérience ces deux dernières années.]

¶ Le nouveau format de commentaire en direct de mes écoutes discographiques est vraiment pratique pour moi (instané, sans me prendre trop de temps ni engorger CSS), je le poursuis en espérant qu'il trouve aussi son chemin vers les lecteurs. Chaque jour, j'indique la pochette, les références et un petit commentaire (parfois quelques jours plus tard, il ne faut pas hésiter à aller vérifier plus bas) pour les écoutes que je fais. Cela me permet de documenter les nouveautés en temps réel – et de vous laissez quelques suggestions d'écoutes pour les autres œuvres.
Beaucoup de très belles nouveautés ces deux dernières semaines : musique sacrée de Dreyer, un incroyable récit figuratif d'Edelmann (en français), les tempêtueux quatuors classiques d'Eberl, intégrale des mélodies de Franck, Siberia de Giordano (plus sophistiqué que le Giordano connu), la fameuse Sonate debussyste d'Ireland (couplée avec une Sonate en si de Liszt très marquante), la suite très persuasive des parutions orchestrales de Vladigerov, un opéra italien passionnant du chef Marinuzzi, musique d'église d'Ian King, concertos pour violon d'Eleanor Alberga… et bien d'autres choses qui ne sont pas des nouveautés, dont une cinquantaine de disques consacrés à mon cycle Ukraine !

J'envisage de reporter aussi certaines séries publiées au jour le jour sur Twitter, comme cette sélection commentée de disques Naxos marquants – j'en ai depuis relevé une autre dizaine d'indispensables, il y a une véritable notule à proposer là-dessus.

Et, bien sûr, s'annonce la poursuite en parallèle sur Twitter et sur Carnets sur sol de la série autour du patrimoine musical ukrainien. Celle sur Twitter est un peu plus avancée, en particulier autour des compositeurs :
→ Éléments généraux.
→ Présentation des nombreux compositeurs.
→ Suggestions d'écoutes.
 
Voilà de quoi vous occuper en attendant, sinon les jours heureux, des jours meilleurs.

lundi 24 janvier 2022

Le nouvel nouvel agenda de Carnets sur sol




Toujours dans l'esprit de rendre l'agenda le plus souple, accessible et réactif possible, je tente une nouvelle adaptation : plutôt que de mettre à jour le fichier régulièrement (dans les faits, même une fois par semaine, c'est assez contraignant de transporter les données dans le fichier, de le remettre à charger…), je tente le format Google Docs.

Le principe est toujours le même, format texte qui va beaucoup plus vite. Je délocalise mon agenda personnel sur un autre logiciel en sélectionnant seulement mes dates, et ce nouveau changement permet de vous faire voir les ajustements et nouveautés en temps réel, dès que je les ajoute. Les plus geeks-purulents-de-concert d'entre vous danseront de joie !

L'adresse est évidemment beaucoup plus complexe, mais c'est le prix à payer. Je la change dans le haut de page qui apparaît sur tous les articles de CSS, vous y aurez ainsi un accès direct.

→ [agenda de Carnets sur sol]

Je suis cette année, découragement des annulations aidant et évolution de mes pratiques commandant – de plus en plus de petits concerts et de moins en moins de soirées à Bastille ou même la Philharmonie –, assez en retard sur mes relevés, il manque beaucoup de choses que je laisse délibérément filer. Je n'ai pas noté la série des Noces de Figaro à Garnier, par exemple. Cela viendra plus tard si mon agenda se fait trop vide.

Toujours preneur de retours évidemment. J'espère que le fichier restera utile !

mercredi 15 décembre 2021

Le grand tour 2021 des nouveautés – épisode 8 – Suédois à noms français, Tchèques & Lettons à noms allemands, Wallons à noms arabes, Polonais à noms polonais


lattès

Un mot

Cette huitième livraison sera aussi, selon toute vraisemblance la dernière de l'année.

J'ai trop tardé, occupé à documenter les anniversaires (gros travail à venir, pour l'immense génération 1872 !), à publier les nouveautés et les écoutes. Conclusion : non seulement je les documente en décalé, mais chaque semaine, je dois repousser la publication impossible de l'ensemble des écoutes… La mise en forme prend trop de temps, il faudra que j'agisse sur ce point.

Aussi, pour l'instant, à part les quelques non-nouveautés que j'ai relevées en début de notule, je me contente dans cette livraison de mentionner les parutions récentes.

Tout cela se trouve aisément en flux (type Deezer, gratuit sur PC ; ou sur YouTube) et en général en disque. Il faut simplement pousser la porte.

(Pardon, mes présentations de titres ne sont pas toutes normalisées, il faut déjà pas mal d'heures pour mettre au propre, classer et mettre un minimum en forme toutes ces notes d'écoutes. Il s'agit vraiment de données brutes, qui prennent déjà quelques heures à vérifier, réorganiser et remettre en forme.)



Cycles

J'ai moins écouté de nouveautés, à force de revoir toujours passer les mêmes œuvres, les mêmes genres musicaux… Non pas qu'il n'y ait pas (beaucoup !) de nouveautés dignes d'intérêt, comme vous verrez, mais considérant l'ampleur de ma consommation, aller fouiller dans le fonds préexistant ménage davantage de satisfactions.

Plusieurs découvertes marquantes hors des publications toutes fraîches, donc : les œuvres sacrées de (Jean) Mouton, le luth de Robert Ballard, le Stabat Mater de Domenico Scarlatti (l'une des rares survivances de son œuvre hors clavier), l'orgue de Lasceux, les œuvres vocales de Cartellieri et Schürmann, le Quatuor Scientifique de Rejcha (j'étais passé à côté au disque, le concert m'a dessillé), les symphonies de Goła̧bek, les motets du wallon Jean-Noël Hamal (écoute en boucle de Miles fortis, une bonne quizaine de fois en deux semaines), les quatuors de Kienzl (quel sens simultané de la mélodie et de la structure !)…

J'ai aussi mené des cycles méthodiques de découverte : les concertos et opéras de Dupuy le Suédois, les poèmes symphoniques et les quatuors de NovákKarg-Elert (ce n'est pas le plus célèbre de son catalogue qui est le plus enthousiasmant !), tout ce qu'on trouve de Biarent, Lipatti (ses compositions), l'orgue intégral de Leighton, Eben (Job, bon sang !)…

Je me dis que je devrais plutôt faire tout de bon une notule par cycle, ou reprendre le principe du disque de la semaine, pour ne pas ensevelir mes lecteurs… et avoir du temps à consacrer à d'autres sujets.

lattès


La légende

Les vignettes sont au maximum tirées des nouveautés. Beaucoup de merveilles réécoutées ou déjà parues n'ont ainsi pas été immédiatement mises en avant dans la notule : référez-vous aux disques avec deux ou trois cœurs pour remonter la trace.
(Un effort a été fait pour classer par genre et époque, en principe vous devriez pouvoir trouver votre compte dans vos genres de prédilection.)

J'indique par (nouveauté) ou (réédition) les enregistrements parus ces dernières semaines (voire, si j'ai un peu de retard, ces derniers mois).

♥ : réussi !
♥♥ : jalon considérable.
♥♥♥ : écoute capitale.
¤ : pas convaincu du tout.

(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la profusion de l'offre.)

Le tout est classé par genre, puis par ordre chronologique très approximatif (tantôt la génération des compositeurs, tantôt la composition des œuvres, quelquefois les groupes nationaux…) au sein de chaque catégorie, pour ménager une sorte de progression tout de même.




lattès



A. Opéra

Beaucoup de titres, et quelques révolutions dans l'interprétation de l'opéra italien.

nouveautés
Rossi – Ézéchias (YT)
→ Cantate, rare évocation directe du règne d'Ézéchias, auquel on vient de consacrer une notule. Et une cantate plutôt bien écrite. (Pas sûr de recommander la version, qui sonne un peu comme la Foire au chapon.)

Rameau – Platée – Beekman, Auvity, Mauillon ; Les Arts Florissants, Christie (HM 2021)
→ Belle version qui privilégié souvent le ton élégiaque sur la couleur – pas nécessairement mon Rameau, et pas très bien capté (on entend vraiment la sècheresse du théâtre, le changement d'emplacement des comédies), ce n'est pas une révélation par rapport à l'histoire récente de l'interprétation de l'œuvre.
→ En revanche la distribution époustoufle : Auvity, Beekman et Mauillon, stupéfiants de projection naturelle en salle, et monstres d'abattage !
→ Parution en somme bienvenue, considérant que la plupart des versions marquantes ont été vidéodiffusées (et pas toujours en DVD).

♥♥ Rameau – Acanthe & Céphise – Devieilhe, Wanroij, Dubois, Witczak ; Les Ambassadeurs & La Grande Écurie, Kossenko
→ Incroyable ouverture, d'une profusion assez folle, réellement un inédit et un inouï. L'intrigue est par ailleurs plus sympathique que la plupart des galanteries du genre, avec quelques moments un peu plus typés tragédie en musique, et le chœur final est magnifique. Le reste demeure dans les étiages habituel des joliesses ramistes. (Orchestre magnifique.)

Beck – L'Île déserte – (CPO 2021)
→ Diction difficile à suivre, style instrumental peu français (dans la conception et surtout l'exécution) ; musique de Beck comme souvent assez peu marquante : essai méritoire de redonner vie à cette figure de la vie musicale bordelaise (que je n'ai jamais beaucoup admiré jusqu'ici), mais pas un disque bouleversant.

♥♥♥ Mozart – Mitridate – Spyres, Fuchs, Dreisig, Bénos, Devieilhe, Dubois ; Les Musiciens du Louvre, Minkowski (Erato 2021)
→ Cet enregistrement ébouriffe complètement !   Distribution exceptionnelle – en particulier Bénos, mais les autres ne sont pas en reste ! – et surtout orchestre totalement haletant, le résultat ressemble plus aux Danaïdes qu'à un seria de jeunesse de Mozart !
→ Bissé.

Mayr – L'amor conjugale – Santon, Pérez, Agudelo, Rimondi, Gourdy, Fournaison – Opera Fuoco, David Stern (Aparté 2021)
→ La portée du projet m'a échappé : un opéra bouffe du rang, sans grandes saillances, interprété par d'excellents chanteurs un peu hors de leur zone de confort (Santon, très grande musicienne, mais pour du joli dans ce genre, la voix est vraiment trop large, grise et vibrée ; Gourdy et Fournaison, chanteurs que j'adore en salle, mais peu flattés par les micros), et présentés sur une pochette Mondrian (mais pourquoi donc ?).
→ Au demeurant, Opera Fuoco est toujours épatant, vivant, coloré… (Mais pourquoi jouer ceci plutôt qu'autre chose ?)
→ Il y a eu des représentations de lancement, auxquelles je n'ai pu me rendre, peut-être des reprises à venir, à essayer pour tester sur pièce, dans une véritable configuration dramatique ?

♥♥♥ Bellini – Il Pirata – Rebeka, Camarena, Vassallo ; Opéra de Catane, Carminati (Prima Classics)
→ Disque électrisant, capté avec les équilibres parfaits d'un studio (ça existe, une prise de studio pour Prima Classics ?), dirigé avec beaucoup de vivacité et de franchise (Carminati est manifestement marqué par les expérimentations des chefs « musicologiques »), et magnifiquement chanté par une distribution constituée des meilleurs titulaires actuels de rôles belcantistes, grandes voix singulières et bien faites, artistes rompus au style et particulièrement expressifs.
→ Dans ces conditions, on peut réévaluer l'œuvre, qui n'est pas seulement un réservoir à airs languides sur arpèges d'accords parfaits aux cordes, mais contient aussi de superbes ensembles et de véritables élans dramatiques dont la vigueur évoque le final du II de Norma (par exemple « Parti alfine, il tempo vola »).

Moniuszko – Le Manoir hanté – Poznan (Operavision 2021)
→ L'œuvre, pourtant emblématique, ne m'a jamais convaincu, ni dramatiquement (que c'est lourdaud, ce passage obligé par tous les invariants des opéras comiques d'Auber…), ni musicalement (vraiment plat à mon sens). Halka mérite plus de considération, malgré le livret pesantissime (très triste et difficile à endurer aujourd'hui), et surtout ses très belles cantates, chroniquées cette année dans le cadre des nouveautés.

Franck – Hulda – Philharmonique de Fribourg, Bollon (Naxos 2021)
→ Enfin une intégrale de l'œuvre !  Je l'attendais depuis longtemps, bien que la lecture (rapide) de la partition ne m'ait pas révélé de merveilles cachées (que c'est consonant pour du Franck !).
→ Intégrale hélas servie par des chanteuses aux voix opaques et trémulantes – et à l'accent impossible. Le ténor et le baryton sont tout à fait bons.
→ Toujours l'énergie, le relief et la transparence exemplaires de Fabrice Bollon avec Fribourg, qu'on avait tant admiré pour ses Magnard.
→ L'œuvre n'est pas du grand Franck : orchestre opaque, mélodies peu marquantes, bien moindre audace harmonique qu'à son ordinaire, comme s'il se coulait de façon malaisée à la fois dans la simplicité de l'opéra et le modèle monumental de l'opéra postwagnérien.
→ Son sens dramatique est par ailleurs remarquablement inhibé (alors que le livret est plutôt exubérant, à la façon de La Tour de Nesle de Dumas !) : lors de l'assassinat terrible qui marque le point culminant de l'œuvre, la musique ne signale rien, même pas un silence. Au disque, on ne s'aperçoit de l'événement que parce que les personnages le disent. La musique ne s'est pas agitée d'un pouce.
→ Bientôt donné dans de bien meilleures conditions par Bru Zane. Mais l'œuvre est longue et pas nécessairement convaincante : je suis curieux du résultat.

♥♥ Smareglia – Il Vassallo di Szigeth – Cerutti (Bongiovanni 2021)
→ Très proche de l'esprit de Verdi, et très bien écrit. (Avec un décalage temporel très conséquent : né en 1854 !). L'interprétation n'est pas parfaite, comme toujours chez Bongiovanni, mais on les remercie de documenter ces pans si mal servis de la musique vocale italienne (leur grand cycle Perosi !).

Guiraud, Saint-Saëns & Dukas – Frédégonde – Kim, Sohn, Romanovsky, Opéra de Dortmund (vidéo officielle 2021)
→ Ouvrage collectif achevé par Saint-Saëns à la mort de Guiraud, conformément aux dernières volontés de celui-ci, et en partie orchestré par le jeune Dukas, une histoire terrible de reine mérovingienne.
→ En lisant / jouant la partition il y a quelques années, j'avais été saisi par l'intérêt de la chose… mais l'orchestration en semble assez opaque, et chanté dans un français aussi incompréhensible et des voix aussi opaques, on passe vraiment à côté. J'attends impatiemment la venue à Tours dans une distribution francophone !

Puccini-Matuz – acte II de Turandot, pour 2 flûtes, violon, violoncelle, piano – Gergely Matuz & Friends (YT 2021)
→ Ce n'est pas un disque, mais une nouvelle parution tout de même, très attendue, le nouvel enregistrement d'un acte intégral d'opéra par Gergely Matuz (qui a déjà publié le I de Tristan, les II & III du Crépuscule !).
→ Moins de transcriptions des lignes vocales que pour Tristan ou le Crépuscule. Le piano aussi, produit un effet moins chambriste que la version 2 flûtes + quatuor + contrebasse. Pour finir la matière musicale, riche mais très tournée vers le pittoresque simili--oriental, est moins intéressant en tant que telle.
→ Donc une belle transcription jouée de façon enthousiaste, mais pas prioritaire par rapport à ses autres réalisations !

♥♥♥ Hersant – Les Éclairs – Lanièce, E. Benoit, Bouchard-Lesieur, Rougier, Heyboer ; Aedes, Philharmonique de Radio-France, Matiakh (Operavision 2021)
→ Une création mondiale et diable de chef-d'œuvre. J'en dis plus par là.

Monteverdi – Il Ritorno d'Ulisse in patria – Zanasi, Richardot ; Gardiner (SDG 2018)

♥♥ LULLY – Alceste, actes I & II – Malgoire (Auvidis, réédition Naïve)
→ La focalisation de la voix de Sophie Marin-Degor est miraculeuse !

♥♥♥ LULLY – Alceste, actes I & II – Rousset (Aparté)
→ Un des meilleurs disques de tragédie en musique, œuvre comme exécution.

♥♥♥ LULLY – Isis, acte IV – Rousset (Aparté)

Campra – Tancrède – Schneebeli (Alpha)
→ Déçu par l'interprétation à la réécoute, vraiment sage et même un peu terne. (Malgoire c'était bien mieux, malgré le vieillissement du style !)

Marais – Alcione (Prologue, acte I) Minkowski (Erato)
Les voix, c'est un peu le musée des horreurs… Ce Minko-là, contrairement par exemple à son Phaëton, a pas mal vieilli – tandis que l'Alcione de Savall est au contrairement un accomplissement stupéfiant.

Georg Caspar Schürmann – Die getreue Alceste
– Zumsande, Karnīte, Müller, Harari, Ludwig, Drosdziok, Grobe, Heinemeyer, Barockwerk Hamburg, Hochman (CPO)
→ Du seria écrit comme de la cantate sacrée à l'Allemande, avec quelques chœurs à la française. Agréable.

Grétry - Richard Coeur de Lion, acte I - Doneux
→ Il faut écouter le disque de Versailles pour bien se rendre compte de la qualité (épatante) de l'œuvre, ici c'est un peu malaisé.

Mozart – Il re pastore – Harnoncourt
→ Pas passionnant ça.

Mozart – Lucio Silla – Harnoncourt
→ Comme à chaque fois : belles intuitions mélodiques, mais que c'est ennuyeux tout de même, sur la longueur. Et Harnoncourt, aux phrasés courts, manque un peu de couleurs et de « reprise » dramatique. On attend toujours une version émérite comme le Mitridate de Minkowski (ou même de Rousset).
→ Même vocalement, je trouve que ces voix assez opaques, un peu geignardes, ne font qu'accentuer l'impatience de l'auditeur que je suis.
→ (Ce reste néanmoins probablement, vu l'état sinistré de la discographie, le meilleur disque qu'on puisse trouver pour cet opéra…)

♥♥ Mozart – Der Schauspieldirektor – Harnoncourt

♥♥ Mozart – Thamos – Harnoncourt

¤ Beethoven – Fidelio, « Mir ist so wunderbar », « Das Gold » – Klemperer
→ Réécouté pour donner tort à un ami qui en disait le plus grand bien. Effectivement, le soleil s'est couché avant qu'on atteigne le second accord. (Et ce n'est même pas de la lenteur intense ou détaillée…)

♥♥♥ Beethoven – Fidelio – Altmeyer, Jerusalem, Nimsgern, Adam ; GdHsLeipzig, Masur (Sony)
→ Quel orchestre rond et savoureux à la fois !  Quelle distribution de feu !  (Jerusalem plane sur le rôle, Adam rayonne comme toujours dans les rôles de basse, et les seconds rôles sont fabuleux.)

♥♥♥ Beethoven – Fidelio, « Mir ist so wunderbar » –  Marzelline (Lucia Popp), Leonore (Gundula Janowitz), Rocco (Manfred Jungwirth) & Jaquino (Adolf Dallapozza). Leonard Bernstein conducting the Chor und Orchester  der Wiener Staatsoper, 1978 (DVD DGG 1978)

Beethoven – Fidelio, final du I – Marie McLaughlin, Gabriela Benačková, Neill Archer, Josef Protschka, Monte Pederson, Robert Lloyd ; ROH, von Dohnányi (DVD Arthaus 1991)
→ Il existe deux Fidelio de Dohnányi dans le commerce ! Le CD avec Ziesak-Schnaut-Protschka-Welker-Rydl (qui fait vraiment envie), et le DVD de la même année, avec McLaughlin-Benačková-Protschka-Pederson-Lloyd.
→ Le CD est depuis longtemps difficile à trouver, hélas (du moins en flux) : je n'ai pas pu essayer – alors que Ziesak, comment rêver mieux ici ?
→ Le DVD est très bien, même si Dohnányi n'y est pas dans ses soirs les plus colorés / mordants. Lloyd est un peu impavide, mais Benačková tient très bien sa partie, et Pederson est absolument terrifiant – l'insolence vocale mais aussi la posture en scène, jeune, arrogant, cruel.

E.T.A. Hoffmann – Dirna  – German ChbAc Neuss, Goritzki (CPO)
→ Mélodrame orchestral à plusieurs personnages, bien fait, sans se distinguer particulièrement.

♥ E.T.A HOFFMANN Liebe und Eifersucht – Seller, Simson, Specht, Martin, Wincent, Ludwigsburg Castle Festival Orchestra, Hofstetter
→ Singspiel joué avec beaucoup de vie par Hofstetter. Bonne œuvre.

♥♥ DUPUY – Ungdom Og Galskab / Flute Concerto n°1 – Collegium Musicum de Copenhague, Schønwandt (Dacapo 1997)
→ Sorte de singspiel suédois du romantisme encore classicisant, dans une veine volontiers emportée et avec de très beaux ensembles, sorte d'équivalent nordique aux opéras avec dialogues de Méhul.
→ Trissé.

♥♥ Foroni – Elisabetta, regina di Svezia – Göteborg (Sterling)
→ Pour la notule.
→ Bissé.

OFFENBACH, J.: Grande-Duchesse de Gerolstein – Ligot (Valentini-Terrani, Censo, Allemanno, Orchestra Internazionale d'Italia, Villaume) – Trio de la conspiration (Dynamic)

HUMPERDINCK, E.: Hänsel und Gretel (Sung in Italian) (Jurinac, Schwarzkopf, Streich, Panerai, Palombini, Ronchini, Karajan)
→ Chouette version qui sonne bien en italien. Panerai y est tellement charismatique !  (Évidemment, Scharzkopf sonne toujours aussi bouchée et Jurinac très homogène et fondue.

Stockhausen – Michaels Reise – MusikFabrik, Rundel (Arte à Cologne)
→ (Je préfère l'acte I de ce Donnerstag de Licht, mais c'est quand même bien beau.)




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B. Récital d'opéra

Des récitaux originals, mais aucun qui ne m'ait pleinement convaincu par son propos ou sa réalisation.

nouveautés
Monteverdi, landi, Belli, Telemann, Haendel – « Orpheus Uncut » – Vox Nidrosiensis, Orkester Nord, Wåhlberg (Aparté 2021)
→ Objet étrange, fait de bouts d'œuvres sans être un récital individuel. La qualité du son de l'ensemble se retrouve, l'inventivité de Wåhlberg également, mais j'avoue ne pas avoir bien compris le projet (je n'ai pas accès à la notice).
→ Je crois à la vérité que j'ai surtout été gêné par l'accent en italien (l'accent bokmål de Stensvold lui procure une couleur très singulière et touchante en allemand, mais en italien, la distance est vraiment trop grande).

Lulier, Bononcini, Caldara…
« Maria & Maddalena » – Francesca Aspromonte, I Barocchisti, Diego Fasolis (PentaTone 2021)
→ Répertoire un peu tardif pour la voix d'Aspromonte, qui peut être si expressive dans le XVIIe, mais paraît tout de suite poussée et blanchie, aux voyelles beaucoup moins différenciées, lorsqu'il faut donner dans un répertoire plus « vocal ». Dommage, elle ferait fureur dans un récital Cavalli-Rossi-Legrenzi à base de grands récits (quelle Euridice de Rossi ce fut !)…

Anna Netrebko
dans Wagner (Tannhäuser, Lohengrin, Tristan), Verdi (Don Carlo, Aida), Tchaïkovski (Pikovaya Dama), Puccini (Butterfly), Cilea (Lecouvreur), R. Strauss (Ariadne)… – « Amata dalle tenebre » – Scala, Chailly (DGG 2021)
→ Récital sans aucune cohérence thématique, juste des airs que Netrebko a peu chantés et qu'elle avait manifestement envie d'essayer. Ce n'est pas un problèpme en soi et le résultat est fort probant, mais l'interprétation n'est peut-être pas assez marquante pour donner envie de réécouter.
→  La voix reste toujours aussi grande (et peu articulée), intéressant surtimbrage grave en russe, plus étrange viscosité en allemand…
→ Se distingue tout de même l'Isolde d'un moelleux, d'une ductilité, d'une facilité assez extraordinaires. (Comme on a l'habitude de ne pas y avoir des mots très détaillés, on ressent surtout les avantages ici !)

♥♥ Arne Tyrén (basse) : Dupuy (opéra suédois), Bartolo Nozze en suédois, Rocco Fidelio, Magnifico Cenerentola en suédois, Fille du Régiment duo patriotique en suédois (Bluebell)
→ Voix magnifique et versions traduites éloquentes.




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C. Ballet & musiques de scène


nouveautés
AUBER, D.-F.: Overtures, Vol. 1 - Le maçon / Leicester / Le séjour militaire / La neige (Czech Chamber Philharmonic Orchestra, Pardubice, D. Salvi)
AUBER, D.-F.: Overtures, Vol. 2 - Le concert à la cour / Fiorella / Julie / Violin Concerto (Čepická, Czech Chamber Philharmonic, Pardubice, Salvi)
AUBER, D.-F.: Overtures, Vol. 3 - La Barcarolle / Les Chaperons Blancs / Lestocq / La Muette de Portici / Rêve d'Amour (Moravian Philharmonic, Salvi)
♥♥ AUBER, D.-F.: Overtures, Vol. 4 - Le duc d'Olonne / Fra Diavolo / Le Philtre / Actéon / Divertissement de Versailles (Moravian Philharmonic, Salvi)
♥♥ AUBER, D.-F.: Overtures, Vol. 5 - Zanetta / Zerline (Janáček Philharmonic, Salvi)
→ Je ne suis d'ordinaire pas très enthousiaste devant les regroupements d'ouvertures : isolées de leur contexte dramatique, assez semblables quand on constitue des disques autour d'un même compositeur, et surtout en général pas le meilleur de l'œuvre intégrale. Pour Auber, il en va un peu autrement : ses ouvertures sont très bonnes, et si la forme en est assez régulière, la typicité mélodique peut véritablement varier assez fortement de l'une à l'autre.
→ Elles sont ici interprétées avec une bonne rigueur stylistique, sans empâtement, et cela permet aussi de découvrir quelques pépites, comme ce Divertissement de Versailles où l'on entend la Passacaille d'Armide de LULLY, l'orage liminaire d'Iphigénie en Tauride ou encore « La Victoire est à nous » de La Caravane du Caire de Grétry !  De beaux ballets (tirés d'opéras) dans le volume 5 : de belles pièces (légères, certes), et de belles découvertes !

♥♥ Lord Berners – A Wedding Bouquet, Luna Park – RTÉ, Kenneth Alwyn (Marco Polo 1996 réédité Naxos 2021)
→ Réjouissante fantaisie vocale, où s'expriment les consonances loufoques de Berners. Réédition très bienvenue.

♥  Benda – Medea – Bosch

♥♥ Benda – Medea – Prague ChbO, Christian Benda (Naxos)
→ Cf. notule.




D. Cantates profanes




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E. Sacré


nouveautés
Tůma – Requiem & Mirerere – Czesh Ensemble Baroque O (Supraphon 2021)
→ Pas du tout dans le goût du Brixi (adoré dans la précédente livraison) : on est bien plus tard, au milieu du XVIIIe siècle, dans un univers qui évoque bien pus Pergolèse. Et l'interprétation n'a pas non plus l'acuité des meilleurs ensembles tchèques.
→ Bon disque, mais clairement pas mon univers, trop proche du seria.

♥♥♥ Jean-Noël HAMAL – « Motets » – Scherzi Musicali, Achten (Musiques en Wallonie 2021)
→ Pour moi clairement plutôt du genre cantate.
→ Musique wallonne du milieu du XVIIIe siècle (1709-1778), très marquée par les univers italien et allemand, pas tout à fait oratorio façon seria ,pas tout à fait cantate luthérienne, avec de jolies tournures.
→ Côté dramatique post-gluckiste quelquefois, très réussi dans l'ensemble sous ses diverses influences.
→ Le sommet du disque : l'air héroïque de ténor « Miles fortis » qui clôt la cantate Astra Cœli, d'une agilité et d'une vaillance parfaitement mozartiennes (augmentées d'une grâce mélodique et harmonique très grétryste), et qui pénètre dans l'oreille comme un véritable tube, ponctué par ses éclats de cor et ses violons autour de notes-pivots…
→ Splendide interprétation des Scherzi Musicali, qui ravive de la plus belle façon ces pages oubliées. Mañalich remarquable dans les parties très exposées de ténor, à la fois doux, vaillant et solide.
→ Écouté 7 fois en quatre jours (pas très séduit en première écoute, puis de plus en plus enthousiaste). Et largement une douzaine de fois dans ces deux semaines depuis parution. Comme quoi, il faut vraiment donner leur chance aux compositeurs moins connus, et ne pas se contenter d'une écoute distraite pour décréter leur inutilité.

Henri HARDOUIN : Four-Part A Cappella Masses, Vol. 2 (St. Martin's Chamber Choir, Krueger) (Toccata Classics 2021)
→ Nettement moins bien chanté que le premier volet, je ne sais pourquoi (ça sonne presque amateur cette fois-ci, alors que c'était très bien dans le volume 1 de 2013, que j'ai écouté conjointement).
→ Messes a cappella rares de la seconde moitié du XVIIIe siècles, très dépouillées et marquant déjà le désir du retour au plain-chant qui explose dans les années 1820-1830.
→ Belle musique dépouillée, vraiment conçues pour la prière.

Verdi – RequiemNorman, Baltsa, Carreras, Nesterenko ; BayRSO, Muti (BR Klassik)
→ Voix évidemment impressionnantes (le grain de Baltsa, le fondu de Norman…), mais interprétation orchestrale un peu blanche (le son de la Radio Bavaroise…) accentuée par la mollesse d'articulation de Muti, typique de sa période d'avant les années 90 bien avancées…
→ Il demeure cependant une raison puissante d'écouter cet enregistrement le Libera me de Norman, dans sa meilleure voix enveloppante, d'une intensité saisissante, d'une urgence à peine soutenable.
→ Bissé le Libera me.

Stanford – « Stanford & Howells Remebered », Magnificat à double chœur en si bémol, Op. 164 – The Cambridge Singers, John Rutter (Collegium 2020)
→ Voix un peu grêles d'enfants et jeunes gens, pour une œuvre dont les volutes enthousiastes, en contraste avec des sections recueillies, évoquent furieusement Singet dem Herrn ein neues Lied, le motet le plus allant et pyrotechnique de Bach.
→ Curieux d'entendre cela dans de meilleures conditions sonores !

♥♥♥ MOUTON, J.: Missa Dictes moy toutes voz pensées (Tallis Scholars, Phillips)
→ Fabuleux disque, très organique, des Tallis Scholars (Gimell 2012), très loin de leurs approches autrefois plus désincarnées – basses rugissantes, contre-ténors caressants, entrées nettes, texte bien mis en valeur.
→ Cf. notule.

♥♥ Claude Goudimel – Psaumes, Messe – Ensemble vocal de Lausanne, Corboz (Erato)
→ Grand compositeur de Psaumes dans leur traduction française, à l'intention des Réformés. Dans une langue musicale simple, plutôt homorythmique, très dépouillée et poétique.
→ Au disque, une version un peu fruste chez Naxos. La lecture de Corboz en revanche, pour chœur de chambre assez fourni, a très bien résisté au temps et permet de saisir les beautés de verbe et d'harmonie de la chose. (Couplé avec sa messe, très intéressante également.)
→ Cf. notule.

Monteverdi – Il Ritorno d'Ulisse in patria – Zanasi, Richardot ; Gardiner (SDG 2018)

BENEVOLI, O.: In angusita pestilentiae (Cappella Musicale di Santa Maria in Campitelli di Roma, Betta)
→ Disque consacré à la Messe « In angusita pestilentiæ » (messe des tourments de la peste !), intéressant dans son propos, mais un peu laborieusement exécutée (voix pas toujours belles, captation pas très claire, rythmes très rectilignes comme si l'on jouait de la musique du XVe…).

Johann Ernst BACH II : Passionsoratorium – Schlik, Prégardien, Varcoe ; Das Kleine Concert, Hermann Max (Capriccio)

♥♥♥ Jean GILLES – Requiem – Mellon, Crook, Lamy, Kooij, La Chapelle Royale Choir, Herreweghe (HM)

♥♥ Campa – Requiem – Malgoire

Georg Caspar Schürmann – Cantates – Bremen Weser-Renaissance, Cordes (CPO)
→ Dans le goût de Bach, assez réussi.

Bach – Cantate BWV 68, dont le « choral » air Ach, bleib bei uns, Herr Jesu Christ – Schlick, Limoges, Coin
→ Dans l'esprit de l'Erfühllet de la BWV, cette fois avec violoncelle piccolo. Très belle volutes.
→ Le reste de la cantate me passionne moins

♥♥ (Domenico) Scarlatti – Stabat Mater – Immortal Bach Ensemble; Baunkilde, Lars; Ducker, Michael; Meyer, Leif; Schuldt-Jensen, Morten (Naxos 2007)
→ Écrite à 10 voix réelles, une merveille aussi éloignée que possible de l'épure de ses œuvres pour clavier. Une des rares survivances de son legs sacré (largement détruit lors du tremblement de terre de Lisbonne).
→ À un par partie !

Haendel – Theodora HWV 68 – Gabrieli Consort, Gabrieli Players, Paul McCreesh (Archiv)
→ Très bien côté exécution, mais l'oeuvre toujours aussi molle et peu prenante.

HARDOUIN, H.: Four-Part A Cappella Masses, Vol. 1 (St. Martin's Chamber Choir, Krueger) (Toccata Classics 2021)
→ Nettement mieux chanté que le second volet paru tout récemment, je ne sais pourquoi.
→ Messes a cappella rares de la seconde moitié du XVIIIe siècles, très dépouillées et marquant déjà le désir du retour au plain-chant qui explose dans les années 1820-1830.
→ Belle musique dépouillée, vraiment conçues pour la prière.

♥♥ Hugard, Messe ; Lasceux, pièces pour orgue ; Hardouin, Domine salvum – Desenclos Accentus, Equilbey (Naïve 1998)
→ Univers du dépouillement archaïque

CARTELLIERI, A.C.: La Celebre Natività del Redentore (Spering) (Capriccio)

♥♥ Cartellieri – Gioas, re di Giuda – Detmolder ChbO, Gernot Schmalfuss (MDG 1997)
→ Cf. notule.

Perne – Messe des solennels mineurs (Kyrie), extrait de « Polyphonies Oubliées : Faux-bourdons XVIe-XIXe » – Ensemble Gilles Binchois, Maîtrise de Toulouse, Vellard (Aparté 2014)

♥♥ Perne – trois pistes réparties sur deux disques, le Kyrie de la Messe des solennels mineurs chez Aparté (programme passionnant de l'ensemble Gilles Binchois consacré à ce renouveau XIXe du plain-chant, à faux-bourdon), et Sanctus & Agnus Dei (messe non précisée) en complément du disque Boëly de Ménissier dans la collection « Tempéraments » de Radio-France. On y entend pour l'un la simplicité archaïsante, pour l'autre la maîtrise contrapuntique de cette écriture. Rien de particulièrement saillant en soi, mais la démarche me paraît tout à fait fascinante, un écho à l'épopée de Félix Danjou – le disque de Ménissier est d'ailleurs le seul à ma connaissance où l'on puisse aussi entendre sa musique !

♥♥ Liszt – Requiem  – Ferencsik (Hungaroton)
→ Cf. notule.

Liszt - Requiem R488 – Gruppo Polifonico "Claudio Monteverdi"
→ Voix qui flageolent…

♥♥ Stanford – Requiem & extraits de The Veiled Prophet of Khorassan – RTÉ, Leaper & Colman Pearce (Marco Polo 1997)
→ Terne jusqu'à l'Offertoire, qui éclate en fugues très parentes du Deutsches Requiem de Brahms. Sanctus diaphane qui prend son expansion de façon très réussi !

♥♥♥ Howells, Pizzetti, Puccini – les Requiem – Camerata Vocale Freiburg, Toll (Ars Musici 2010)
→ A cappella, aux inspirations grégoriennes, à la prévalence prosodique et aux nombreux enrichissements harmoniques imprévus, le Requiem de Pizzetti est un petit bijou (absolument pas italianisant) ; encore surpassé dans ce genre par celui de Howells, d'une sobre profusion absolument délectable.
→ Celui de Puccini ne contient que les cinq minutes d'Introitus, moins marquant.
→ Timbres et incarnation splendides.

Howells – Requiem – Vasari Singers, Jeremy Backhouse (Signum)
→ Interprétation assez lisse.

EBEN, P.: Choral Music (In Heaven) (Jitro Czech Girls Choir, Skopal) (Navona Records 2019)
→ Jolies psalmodies.




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F. Autres chœurs

nouveautés
♥♥ Franck – Chœurs « De l'autel au salon » – Chœur de Chambre de Namur, Lenaerts (Musiques en Wallonie 2021)
→ De réelles pépites dans cette anthologie, avec des chœurs qui vont du décoratif charmant à l'ambitieux chromatique. Le tout accompagné sur piano et harmonium – d'époque !
→ Hélas, ce chœur émérite est capté étrangement, donnant presque l'impression d'entendre les timbres un peu dépareillés et écrasés d'un ensemble amateur – alors que je sais de source sûre, les ayant entendus très souvent, que c'est un des excellents chœurs de l'aire francophone. Ce n'est toutefois pas au point de gâcher l'écoute et la découverte, loin s'en faut !

Pizzetti – 3 composizioni corali + 2 composizioni corali – Chœur de la Radio Nationale Danoise, Stefan Parkman (Chandos 1991)
→ Chœur un peu baveux, prise de son aussi. Œuvres atypiques intéressantes, mais pas du tout la même intensité que le Requiem (a cappella, aux inspirations grégoriennes, à la prévalence prosodique et aux nombreux enrichissements harmoniques imprévus).





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G. Symphonies


nouveautés
♥♥ Pavel Vranický / Paul Wranitzky –  Orchestral Works, Vol. 3 : Ouvertures, Symphonies Op.25 en ré « La Chasse » et Op.33 en ut  – Cz Chb PO Pardubice, Marek Stilec (Naxos 2021)
→ Volume beaucoup plus accompli que les précédents, des œuvres plus marquantes (l'énergie de la Symphonie en ré !) et une interprétation beaucoup plus concernée et frémissante que les assez placides parutions précédentes. Rend bien mieux compte de la qualité d'écriture de P. Vranický, même si le plus singulier de son œuvre reste à remettre au théâtre avec son Oberon.

♥♥♥ Mendelssohn – Symphonies 1 & 3 – SwChbO, Dausgaard (BIS)
→ Pas nécessairement de surprise, après être passé récemment entre les mains de beaucoup de propositions extrêmes (comme Heras-Casado ou Fey), mais on retrouve le fouetté et le moelleux simultanés qui faisaient tout le sel de l'intégrale (assez idéale) de Dausgaard chez Beethoven, avec le même orchestre. Grand sens du discours, des couleurs, véritable mordant, mais aussi plénitude permise par l'orchestre traditionnel (qui joue comme un ensemble spécialiste). Le meilleur de tous les mondes à la fois.

Bruckner – Symphonie n°2 – Philharmonique de Berlin, Paavo Järvi (Berliner Philharmoniker 2021)
→ Comme on pouvait s'y attendre : très fluide, superbes transitions remarquablement amenées dans un univers où ce peut paraître assez contre-intuitif, mais un certain manque de contrastes à mon goût pour soutenir pleinement l'attention (et rendre justice à l'écriture de Bruckner).

♥♥ Tchaïkovski – Symphonie n°1, Capriccio italien, Valse d'Onéguine – Tonhalle Zürich, Paavo Järvi (Alpha 2021)
→ Très pudique, retenu et dépouillé, beaucoup de charme (et absolument pas russe), paradoxalement. (Le solo de hautbois du II, au lieu de décoller par son lyrisme, semble rester à sa place comme on murmurerait un poème.
→ L'agogique est vraiment carrée pour de la musique russe (alors que Järvi est d'ordinaire l'empereur des transitions extensibles), les timbres restent très tenus aussi, mais la conception tient très bien ce parti pris inattendu.
→ Le final renoue avec les qualités motoriques entendues dans la n°2 et dans Roméo. Idem pour celui du Capriccio italien.
→ La Valse d'Onéguine est jouée avec une insolence inusitée, comme un véritable morceau de concert. (Ce sens dramatique fait rêver à ce que pourrait produire Järvi en dirigeant un opéra de Tchaïkovski ou Rimski…)
→ Bissé.

Tchaïkovski – Symphonie n°3, Polonaise d'Onéguine, Marche du Couronnement  – Tonhalle Zürich, Paavo Järvi (Alpha 2021)
→ Là aussi, un peu carré mais bel éclat (avec un orchestre droit et peu coloré), très réussi dans son genre même si moins grisant que les meilleurs volumes.
→ Bissé.

♥♥♥ Saint-Saëns – Intégrale des Symphonies – O National de France, Macelaru (Warner 2021)
→ Après avoir trouvé que Măcelaru rendait ces œuvres complètement fascinantes, je me demandais si le coffret paru ce jour tiendrait la rampe en face des souvenirs de concert.
→ OUI. Totalement. Limpidité, poésie, tension, on a vraiment le meilleur de tous les mondes à la fois, beaux timbres et clarté, charpente et élan…
→ Voilà qui remet ces symphonies à leur niveau réel, pas toujours avisément orchestrées pour mettre en valeur un matériau qui est en réalité de haute volée – et Măcelaru rééquilibre précisément les aspects par lesquels les autres, même les meilleurs comme Martinon, restaient modérément enthousiasmants.

♥♥ Walton, Vaughan Williams – Symphonie n°1 pour piano à quatre mains (arr. H. Murrill)  +  Crown Imperial (arr. H. Murrill)  // Suite pour piano à 4 mains – Lynn Arnold (2021)
→ Fabuleuse expérience de vivre la radiographie des rythmes et harmonies riches et complexes de l'une des plus belles symphonies du XXe siècle !

Florence PRICE : Symphony No. 3 / The Mississippi River / Ethiopia's Shadow in America (ORF Vienna Radio Symphony, Jeter)
Beaucoup de thèmes folkloriques, mais j'ai davantage été frappé par l'aspect rhapsodique de la pensée que par la structure, cette fois. Moins luxueux et moins architecturé, j'ai l'impression, que la version Nézet-Séguin.

Walter Werzowa-Beethoven – Beethoven X : The AI Project – Cameron Carpenter, Bonn Beethoven O, Kaftan (Modern Recordings 2021)
→ Construction par une intelligence artificielle d'un scherzo et d'un rondeau final pour une symphonie imaginaire de Beethoven.
→ Amusant sur le principe, peu convaincant dans les faits : on retrouve des caractéristiques (le pom-pom-pom-pom de la Cinquième, comme il y en a beaucoup, rejaillit nécessairement dans l'algorithme), l'orchestration est plutôt bien imitée… mais il manque toutes les idées, les ruptures, le sens de la mélodie ou de l'événement, qui émanent ordinairement du compositeur. Ici, une jolie pièce décorative et finalement prévisible… qui ne cadre pas vraiment avec ce que l'on attend de Beethoven.
→ Je n'ai pas compris l'inclusion d'un orgue concertant dans le rondeau final, ni le pourquoi de la seconde (« edited ») version, le livret n'étant pas disponible sur les sites de flux que j'ai consultés. Mais on s'éloigne d'autant plus de Beethoven, clairement.
→ Bissé.




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H. Poèmes symphoniques & Ouvertures


nouveautés
MacMillan – Larghetto pour orchestre – Pittsburgh SO, Honeck (Reference Recordings 2021)
→ Très doux, jolies tensions harmoniques simples. Manque un peu de reprise rythmique.
→ Couplé avec une Quatrième de Brahms que je n'ai pas eu le temps d'écouter. (Mais Pittsburgh-Honeck, ce doit être vraiment excellent.)




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I. Lied orchestral


nouveautés
Messiaen – La Transfiguration, Poèmes pour mi, Chronochromie – Daviet, BayRSO, Nagano (BR Klassik)
→ Pas très enthousiaste sur la grisaille (proverbiale à mon sens) de l'orchestre. Et la Transfiguration, c'est assez peu passionnant. Pas les meilleurs Poèmes ni Chronochromie non plus, même si très léché dans la direction.





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I. Concertos


nouveautés
Aubert, Leclair, Quentin, Exaudet, Corrette - Concertos pour violon - Ensemble Diderot, Pramsohler (Audax 2021)
→ Le son de l'Ensemble Diderot reste toujours aussi étroit et pincé, vraiment du violon soliste sur boyau accompagné par un tout petit ensemble aux timbres un peu stridents, mais c'est là un beau tour d'horizon du concerto français – où j'ai hélas avant tout remarqué Leclair (et le coucou Corrette, qui fait comme toujours son nid dans les mélodies des autres…).

Hoffmeister, Stamitz & Mozart - Concertos pour alto - Mate Szucs, Anima Musicæ ChbO
→ Inclut une transcription du concerto pour clarinette. Interprétation tradi pas très exaltante. Le concerto de Hoffmeister se tient, celui de Stamitz ne m'a pas paru très dense.

PRATTÉ – Œuvres pour harpe concertante : Grand Concert / Theme and Variations on a Swedish Folk Tune / Souvenir de Norvège – Constantin-Reznik, Norrköping Symphony, D. Musca (BIS 2021)
→ Très intéressant legs (avec de la véritable musique incluse) à la harpe.
→ Trissé.





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J. Musique de chambre

nouveautés
♥♥ Caix d'Hervelois – « Dans les pas de Marin Marais » – La Rêveuse
→ Superbe parcours qui révèle un compositeur de premier intérêt, varié et expressif – la viole de gambe sans l'aspect méditatif et sombre qui caractérise Marais et surtout Sainte-Colombe. Une expression plus ouverte et avenante, que j'ai été surpris de voir développée avec un matériau d'aussi bonne qualité !

GYROWETZ, A.: String Quartets, Op. 42
, Nos. 1-3 (Quartetto Oceano) (OMF 2021)
→ Ceux, composés à peine plus tôt, parus chez CPO m'avaient bien davantage convaincu, dans une veine à-peine-postérieur-à-Mozart.

Pleyel – Quatuors 10,11,12 – Pleyel Quartett Köln (CPO 2021)
→ Quatuors d'un classicisme tardif, toujours de très bonne facture et très bien servis !  L'intégrale se poursuit au même niveau d'excellence.

Draeseke – Quatuor n°3
, Scène pour violon & piano, Suite pour 2 violons - Constanze SQ (CPO 2021)
→ Belles œuvres, sans saillances majeures, mais bien écrites. Petite déception par rapport au volume précédent, qui m'avait hautement réjoui.
→ Bissé.

Henri Bertini – Nonette, Grand Trio – Linos Ensemble (CPO 2021)
→ Belle musique romantique pour ensemble, toujours impeccablement réalisée par le Linos Ensemble.

♥♥♥ LYATOSHINSKY, SILVESTROV, POLEVA – « Ukrainian Piano Quintets » – Pivnenko, Yaropud, Suprun, Pogoretskyi, Starodub (Naxos 2021)
→ Trois petites merveilles – en particulier Poleva, à la fois d'une fièvre postromantique et tout à fait tendu harmoniquement comme il se doit se son temps. Liatochinsky se révèle contre toute attente le plus sage des trois.

KLEBANOV, D.L.: String Quartets Nos. 4 and 5 / Piano Trio No. 2 (ARC Ensemble)
→ Début du Quatuor n°4 fondé sur le le Carol of the Bells, dans un traitement très minimaliste et tintinnabulant (forcément), qui débouche sur un esprit beaucoup plus swingué, très intéressant, persuasif et séduisant. Le reste m'a moins impressionné.
→ Bissé.




K. Bois solos




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L. Cordes à main


nouveautés
♥♥ Salzedo, Tchaïkovski, Hasselmans – « La Harpe de Noël » – Xavier de Maistre
→ En réalité de belles paraphrases et variations, virtuoses et assez denses musicalement, autour de thèmes célèbres. Pas un disque de bluettes sirupeuses, de véritables qualités musicales indubitablement. Beaucoup de compositions et d'arrangements de Salzedo.




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M. Violon

(solo ou accompagné)

nouveautés
PADEREWSKI, I.J. / STOJOWSKI, S.: Violin Sonatas (Pławner, Sałajczyk) (CPO 2021)
→ Beau romantisme passionné et très, très bien joué et capté.
→ Bissé.

Maija EINFELDE – Sonate pour violon solo , Sonates violon-piano 1,2,3 – Magdalēna Geka, Iveta Cālīte (Skani 2021)
→ Monographie consacrée à la compositrice lettonne du XXe siècle. J'y entends d'abord de la musique « de violoniste », virtuose et pas exagérément personnelle, trouvé-je. Mais le final de la Sonate pour violon solo impressionne par sa calme virtuosité et par le creusé de son ton.
Geka formidable évidemment, mais ce n'est pas le répertoire qui met le plus en valeur sa sensibilité.




N. Violoncelle




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(Pas nécessairement intuitif de prime abord : le disque Lasceux-Jullien chez le fameux label P4Y-JQZ.
On a bien le droit de mettre les pochettes qu'on veut et de nommer son label chacun à son goût…)





O. Orgue & clavecin


nouveautés
Orgues de Sicile (collection « Orgues du monde », vol. 1) – Arnaud De Pasquale (HM 2021)
→ Orgues dont le tempérament est très typé, mais dont il faut vraiment voir le clavier unique, étroit et branlant, pour apprécier toute la saveur. Aussi, par rapport au disque, qui ne met pas beaucoup en avant cet aspect (je ne sais quelle en est la raison technique), la vidéo promotionnelle qui montre le cliquetis de la traction mécanique du Speradeo de 1666 de l'église San Pantaleone à Alcara Li Fusi est assez incroyable.

♥♥♥ Guillaume Lasceux – Simphonie concertante pour orgue solo –  St. Lambertuskerk Helmond, Jan van de Laar (P4Y JQZ 2020)
+ Jullien : suite n°5 du livre I, Couperin fantaisie en ré, Böhm Vater unser, Jongen Improvisation-Caprice, Franck pièce héroïque
→ Le disque contenant le plus de Gilles Jullien, et une version extraordinairement saillante de la Pièce Héroïque de Franck.
→ Quel orgue fantastiquement savoureux !

♥♥ Bruckner – Psaume + Symphonie n°2 (Arr. E. Horn for Organ) – Hansjörg Albrecht (Oehms 2021)
→ Le Psaume se prête très bien à la transcription, magnifique, et la Deuxième symphonie est le premier Bruckner joué par H. Albrecht où je ne trouve pas les possibilités d'un clavier sans attaques dynamiques différenciées, sans plans finement réglables, frustrantes. Magnifiques couleurs et atmosphères, cela fonctionne à merveille dans cette symphonie, celle au ton le plus insolent et l'une des structure les plus simples du corpus, j'ai l'impression (je l'aime beaucoup).

Saint-Saëns – Complete Music for Organ – Michele Savino (Brilliant Classics 2021)
→ À écouter d'un bloc, un peu difficile vu la pudeur du corpus. (On connaît mieux les grandes Fantaisies, plus ambitieuses…)

♥♥ Oscar Jockel, Bruckner – Bruckner-Fenster II, Symphonie n°1 (Arr. pour orgue, Erwin Horn), 3 Pièces pour orchestre, Marche en ré mineur – Hansjörg Albrecht (Oehms 2021)
→ Moins intéressant que la symphonie n°2, le résultat paraît plus statique, mais le planant et dense Bruckner-Fenster m'a tout à fait réjoui !

♥♥ Petr Eben – Anthologie d'orgue : 4 Danses bibliques, Variations sur Le bon roi Venceslas, des extraits de Musique dominicale, Faust et Job – Janette Fishell (Pro Organo 2020)
→ Œuvres formidables, mais pour Job, allez impérativement voir du côté de David Titterington avec Howard Lee en récitant (chez Multisonic).

♥♥ Petr EBEN – Momenti d'organo, Festium omnium sacrorum, De nomine Ceciliæ, In conceptione immacaculatæ BMV, Arie Ruth, 4 Danses bibliques –Michiko Takanashi, Ludger Lohmann (Pan Classics 2021)
→ Les pièces vocales sacrées sont un peu figées dans leur prosodie minutieuse, en revanche les Momenti d'organo sont des merveilles de tonalité stable mais très enrichie, qui n'est pas sans parentés avec l'univers de Messiaen (en moins radicalement autre, bien sûr).

♥♥ Hugard, Messe ; Lasceux, pièces pour orgue ; Hardouin, Domine salvum – Desenclos Accentus, Equilbey (Naïve 1998)
→ Univers du dépouillement archaïque.




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P. Piano·s


nouveautés
Fanny Mendelssohn-Hensel – Piano Sonatas – Gaia Sokoli (Piano Classics 2021)
→ Jolies sonates équilibrées, qui ne cherchent pas les grands contrastes dramatiques, et très bien exécutées.

Dora Pejačević
6 Phantasiestücke, Blumenleben, Walzer-Capricen, 2 Esquisses pour piano, 2 Nocturnes, Sonate – Ekaterina Litvintseva (Piano Classics 2021)
→ Piano postromantique assez standard, pas du tout du niveau de son incroyable musique de chambre, même si la Sonate finit par culminer en un beau lyrisme.
→ Interprétation et captation tout à fait valeureuses.

♥♥ Walton, Vaughan Williams – Symphonie n°1 pour piano à quatre mains (arr. H. Murrill)  +  Crown Imperial (arr. H. Murrill)  // Suite pour piano à 4 mains – Lynn Arnold, Charles Matthews (Albion Records 2021)
→ Fabuleuse expérience de vivre la radiographie des rythmes et harmonies riches et complexes de l'une des plus belles symphonies du XXe siècle !

Mariotte Sonate en fa#m, (Didier) Rotella Étude en blanc n°2, Ravel Prélude 1913, Jacquet de La Guerre Suite en ré mineur – Andrew Zhou (Solstice 2021)
→ Première occasion d'entendre le Mariotte, crois-je, au disque !  Pas du tout aussi singulier que les Impressions urbaines ou même les Kakémonos, loin aussi du richardstraussisme de sa Salomé…mais tout de même un beau postromantisme enrichi.
→ La pièce de Rotella en hommage à Ravel est très réussie. En revanche, l'exécution de la suite pour clavecin d'ÉCJdLG souffre vraiment de toutes les difficultés liées au piano (agréments très lourds, staccato peu gracieux, tempérament égal particulièrement plat), sans que l'interprète parvienne à résoudre tous ces problèmes.
→ Prise de son difficile, dans un petit espace et acide, surtout pour le Jacquet de La Guerre et le final du Mariotte.





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Q. Airs de cour, lieder & mélodies…


nouveautés
♥♥ Bousset, Leclair, Fedeli, Naudé l'Aîné, Pinel, Lambert, anonymes… – « Vous avez dit Brunettes ? » – Les Kapsber'girls (Alpha 2021)
→ Programme fascinant consacré à ces pièces tendres et pastorales appelées Brunettes, et dont plusieurs recueils ont paru au début du XVIIIe sièce chez Christophe Ballard.
→ Refusant la prononciation restituée et favorisant au maximum le naturel des textes, l'ensemble propose une lecture extrêmement persuasive de ces pièces. La voix de la soprane (Alice Duport-Percier), douce, se marie merveilleusement à l'émission beaucoup plus tranchante de la mezzo (Axelle Verner), alliance inhabituelle (d'ordinaire inversée) qui permet une intelligibilité maximale de la musique et du texte – de surcroît, les solos révèlent des voix intrinsèquement sublimes.
→ Seule frustration, la prise de son très sèche d'Alpha, trop proche des chanteuses, qui relègue et écrase l'accompagnement, toutc en atténuant le fondu de leurs voix qui fait merveille en concert (j'étais à celui de lancement Salle Colonne, l'équilibre était bien meilleur même sans être au premier rang).

Beethoven – Irish Songs – Maria Keohane, Ricercar Consort, Philippe Pierlot (Mirare 2021)
→ Accompagnées à la harpe plutôt qu’au piano, avec violon sur boyaux, interprétation atypique de ces beaux chants traditionnels arrangés par Beethoven.

♥♥ Schubert – Die schöne Müllerin – Andrè Schuen, Daniel Heide (DGG 2021)
→ Très belle version. Des efforts pour être expressifs à tous les moments-clefs ; qualité d'articulation de la part des deux artistes. J'aime beaucoup la façon dont ils caractérisent précisément chaque moment de chaque lied.
→ Mais tout de même deux réserves pour ma part.
a) la transposition pour baryton rend la partie de piano un peu épaisse et poisseuse, on perd un peu en charme, malgré le grand soin des nuances ;
b) la substance de la voix du baryton. Dès que c'est fort, la l'instrument est poussé, et la couverture est exagérée (de francs [eu] pour des [è]...). En revanche toutes les nuances douces sont absolument merveilleuses, pour ainsi dire inégalée.
→ Ce n'est pas la lecture que je trouve la plus personnelle ou qui me touche le plus, il y a potentiellement de petites réserves techniques sur la voix, mais sur le plan artistique, l'interêt de l'interprétation, une grande version !

♥♥ Thorsteinson, Schumann – Lieder (en islandais + Op.39) – Andri Björn Róbertsson, Ástríður Alda Sigurðardóttir (Fuga Libera 2021)
→ Remarquable interprétation de Schumann, une voix aux belles moirures graves. Les lieder islandais souffrent de la comparaison avec Schumann (plus jolis que dramatiques, un peu lisses), possiblement aussi de ma maîtrise linguistique bien moindre.

Edouard Lassen – Lieder, mélodies – Reinoud van Mechelen, Anthony Romaniuk (Musiques en Wallonie 2021)
→ Un grand succès de son temps. Très doux, très simple, très réussi. Et le fondu de la voix de Mechelen se déploie idéalement dans ce contexte romantique.

♥♥♥ Biarent, Salvador-Daniel, Fourdrain, Berlioz, Gounod, Bizet, Saint-Saëns, Chausson – mélodies orientales « La chanson du vent » – Clotilde van Dieren, Katsura Mizumoto (Cyprès 2021)
→ Plusieurs véritables raretés dont les 8 Mélodies de Biarent, Alger le soir de Félix Fourdrain ou l'entêtante Chanson mauresque de Tunis de Francisco Salvador-Daniel !  Belle sélection de pièces très persuasives.
→ Interprétation par un mezzo capiteux mais à la diction précise, la voix sonne très « opéra » mais se coule remarquablement dans les exigences de l'exercice.

♥♥ Debussy, Rihm, Strauss, Schönberg – Ariettes oubliées (+ mélodies de jeunesse), 3 Hölderlin, Mädchenblumen, Op.2 – Sheva Tehoval, Daniel Heide (Cavi 2021)
→ Superbe voix, légèrement pincée, à l'aigu facile, aux graces clairs et naturels, le tout dans un français impeccable.

♥♥ Schumann, Barber – Schöne Wiege meiner Leiden, I Hear an Army – John Chest, Hans Adolfsen (VocalCompetition YT, 2016)

♥♥ FARWELL, A.: Songs, Choral and Piano Works (« America's Neglected Composer) (W. Sharp, Arciuli, Dakota String Quartet)
→ Compositeur nord-américain qui a mis à l'honneur la musique traditionnelle amérindienne en en insérant des thèmes arrangés dans sa musique. D'après la notice, il souffre  aujourd'hui des thématiques débattues autour de l'appropriation culturelle pour être remis à l'honneur. Il est vrai que sa musique est de grand intérêt, conçues avec un très beau métier et une belle inspiration personnelle ; vu son peu de notoriété initial, la plus grande difficulté réside sans doute d'abord là.




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Je crois que vous avez là encore de quoi vous laisser surprendre… en attendant d'éventuelles présentation de cycles hors nouveautés, avec des exploration encore plus enthousiasmantes !  (En ce moment même, Alfvén 2 par Svetlanov et la Radio Suédoise, quelle Épiphanie !)

À très bientôt pour de nouvelles aventures autour des anniversaires, d'éditoriaux, de suggestions de découvertes ou de petites découvertes « pédagogiques »… ce n'est pas sûr encore !

(Ne mourez pas s'il vous plaît.)

dimanche 20 juin 2021

Un jour, un opéra – Saison 2, épisode 2 : Le Vieil Été de LAJTAI, opérette tchèque au Théâtre de Comédie Musicale de Saint-Pétersbourg


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🔵 Ce 24 mai, on donne au Théâtre de Comédie Musicale de Saint-Pétersbourg, dont le bâtiment est connu sous le nom « Théâtre du Palais du Ballet » (!),  une adaptation russe de l'opérette la plus célèbre de LAJTAI Lajos, A régi nyár (« Le vieil été ») – subtilement renommée pour l'occasion Été d'amour.

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Exerçant de 1923 à 1958, Lajtai se fait d'abord connaître avec ce titre, écrit pour la scène hongroise, et incluant du folklore local. L'œuvre est typique de son temps : rengaines de caractère, très courtes (1 à 2 minutes !), marquées par le jazz, le café-concert – et ici la valse viennoise.

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L'œuvre est si populaire en Hongrie qu'elle existe sous trois formes vidéo : en film (peu après la création), en téléfilm et en captation filmée. Certaines de ses chansons ont aussi été empruntées pour égayer des films.

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Juif, Lajtai quitte le pays avec sa femme et exerce dans les années 30 à Paris, où il collabore avec Christiné (il écrit anonymement au moins une chanson de La Poule) et compose ses propres opérettes dans le style français, puis dans les années 40 en Suède (opérettes en suédois…) – où il conserve son nom francisé, Louis Lajtai.



¶ L'intrigue ? En pleine représentation d'un grand théâtre européen, la prima donna s'évanouit : elle a aperçu dans le public celui qui l'a abandonnée 18 ans plus tôt.

Elle projette alors sa vengeance, mais leur fils (de 18 ans) s'éprend de la fille que son père absent a adoptée, ce qui va tout compliquer…

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¶ La compagnie du Théâtre de Comédie Musicale de Saint-Pétersbourg naît en 1927, de la fusion des troupes de « comédie musicale » des villes de Kharkov et de Leningrad. Il s'installe dans la Rue Italienne en 1938, sur cette place emblématique dessinée par Carlo Rossi, l'architecte italien des grands ensembles pétersbourgeois  – cette place accueille la Philharmonie de Saint-Pétersbourg, le Palais Mihailovsky et le Théâtre du même nom…
Vous avez vu les intérieurs.

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Extérieur beaucoup plus banal, à l'italienne – et servant de parking. Sans vouloir porter de jugement sur l'urbanisme italien ni l'élégance russe bien sûr, c'est quand même un peu moisi.


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À ne pas confondre avec le théâtre de Comédie Akimov bien plus récent et considérablement moins luxueux ! – sur la Perspective Nevski.


mardi 1 juin 2021

#ConcertSurSol #47 : Man of La Mancha de Leigh, dans sa traduction de Brel

#ConcertSurSol #47 : Man of La Mancha de Mitch Leigh, dans sa traduction de Brel.

Plus séduit que ce que je craignais (pas renversé par « L'inaccessible étoile », ni par les versions discographiques), avec quelques réserves :

Suite de la notule.

samedi 27 mars 2021

Autour de Pelléas & Mélisande – XXIII – Pelléas coupé, Pelléas caché : ET LE LIT ??


1) Pelléas, un objet musical cohérent ?

    Pendant des décennies, pour le mélomane, le cas de Pelléas paraissait assez clair : œuvre du XXe siècle, dont le compositeur a évidemment livré une version définitive – à partir de cette époque, les partitions laissent assez peu de part à l'interprétation compositrice (il ne s'agit plus d'inventer des figures d'accompagnement, ni même d'enjoliver les lignes vocales). Dans une œuvre aussi aboutie que Pelléas, on se figure bien que Debussy a laissé peu d'éléments au hasard.
    Tout au plus connaissait-on l'histoire admirables de ces interludes, joués même en concert (alors qu'ils paraissent bien uniformes ainsi présentés…), composés durant les répétitions pour des raisons très contingentes de changements de décor… Fin de l'histoire.

    Pourtant, ces dernières années, on a pu remarquer, de plus en plus fréquemment, des altérations de détails plus ou moins frappants lors de représentations de Pelléas. Que s'est-il passé ?  En réalité, les musiciens connaissent la chose de première main depuis très longtemps, puisque même dans le matériel d'exécution… c'est un assez grand désordre. Je vous propose donc un rapide tour du propriétaire, pour que ces surprises et divergences ne troublent plus vos nuits.

[[]]
Fin de l'acte III dans son édition habituelle, avec coupures.
Chloé Briot (Yniold), Jean-François Lapointe (Golaud),
Orchestre National des Pays de la Loire, Daniel Kawka
(
Nantes 2014, captation France Musique).



2) L'élan de la composition

   En 1890, Catulle Mendès, qui cherchait un compositeur pour son livret Rodrigue et Chimène de 1878, dans le but de le donner à l'Opéra, le propose à Debussy, en qui il pressent un futur grand. Le compositeur accepte (il n'a essayé que des esquises jusqu'ici, dont Diane au bois), notamment pour la rémunération et la célébrité que cet accomplissement lui procurerait instantanément, mais ne cesse de souligner dans ses lettres ses souffrances : le livret, trop conventionnel, le fait travailler à rebours de son inspiration peu sensible aux figures obligées issus du grand opéra à la française ; par ailleurs, le wagnérisme affiché du librettiste semble l'irriter. Plus tard, après son abandon, il prétendra l'avoir brûlé par erreur – ce qui, nous le savons désormais que en avons retrouvé les partitions, est faux.
    Le Prélude et le duo liminaire constituent pourtant un accomplissement majeur, une atmosphère post-tristanienne totalement renouvelée par une transparence qui sera bientôt, grâce à lui, la marque de l'école française. La suite semble s'essouffler progressivement, il est vrai. Les grandes déclamations conventionnelles de sentiments élevés ou stéréotypés semblent le laisser totalement de marbre – c'est d'ailleurs exactement ce qu'il confesse à Paul Dukas lorsqu'il lui en joue des extraits.

    En 1893, c'est la révélation. Il voit Pelléas lors de ses premières représentations théâtrales, et en sort enchanté. Il demande l'autorisation à Maeterlinck, qui lui donne pleins pouvoirs sur son texte (pacte à l'origine de leur célèbre brouille, culminant dans la provocation en duel et la mort de Messaline…), et achève son œuvre dès 1895, sous la forme d'une partition piano-chant. (Rodrigue est subséquemment abandonné.)

    Il réalise alors sans cesse des retouches, mais ne débute l'orchestration qu'à partir de 1898, lorsque la commande de l'Opéra-Comique est confirmée.

    À partir de ce moment, nous disposons d'un matériel assez mouvant.



3) Ce qui n'a pas été écrit / ce qui a été ajouté

    Certaines scènes n'ont jamais été mises en musique :

Scènes d'emblée coupées
(numérotation des scènes de Maeterlinck)
I,1
L'espèce de Prologue avec les servantes (de qui essuient-elles le sang ? du père de Golaud ?  ou bien de la tragédie qui va se dérouler sous nos yeux ?) ;

II,4
les remarques d'Arkel sur la mort de Marcellus ;

III,1
les jeux d'Yniold dans la tour en présence de Mélisande et Pelléas (d'où est tirée et extrapolée la chanson de la Tour, de la main de Debussy) ;

V,1
les dialogues des servantes sur le drame qui vient de se produire (V,1).

    Le texte en est donc coupé, mais pas la musique.

    En 1901, Debussy a achevé une partition « définitive » pour piano et chant, qui a longtemps été utilisée pour préparer les chanteurs, mais elle diffère en plusieurs points de la version orchestrale que nous connaissons (révision de 1905) – ce qui réclamait une certaine acrobatie pour se conformer ensuite à la partition d'orchestre lors des représentations.
    Certains spectacles ont d'ailleurs été conçus en utilisant cette réduction piano comme une réelle œuvre autonome – par exemple le DVD réalisé à Compiègne, des représentations accompagnées par Alexandre Tharaud ou encore celles du New York City Opera avec Patricia Petibon.

    Arrive le moment de la création, en 1902. Au cours des répétitions, André Messager – qui avait co-commandé l'œuvre avec Albert Carré (directeur de l'Opéra-Comique), et devait diriger l'œuvre – demande des mesures supplémentaires aux interludes des actes :
I
→ scènes 1-2, entre la forêt et le château, 33 mesures supplémentaires ;
→ scènes 2-3 entre une salle du château et les jardins, 18 mesures supplémentaires ;
II
→ scènes 1-2 entre la fontaine dans la forêt et la chambre de Golaud, 37 mesures supplémentaires  ;
→ scènes 2-3 entre la chambre de Golaud et la grotte, 15 mesures supplémentaires ;
IV
→ scènes 2-3 entre un appartement du château et la fontaine, 45 mesures supplémentaires.
La scène de l'Opéra-Comique étant peu profonde, la substitution des décors est difficile entre les tableaux (nommés « scènes » dans le livret, mais ce sont en réalité des changements de décor et non seulement de personnages), et le 1er avril (la générale était le 28, la première le 30) Messager réclame précisément le nombre de mesures nécessaire à la bonne exécution des opérations. Cet épisode est largement connu et documenté, s'agissant de la part la plus souvent jouée de l'opéra, même loin des scènes de théâtre.
    Messager précise qu'il a collecté une à une les pages écrites en urgence par Debussy pour allonger les transitions. Tout fut monté pour la première, et le public a toujours connu Pelléas avec ses interludes longs.

    Toutefois, la partition parue en 1902 chez Fromont présente au contraire la version sans interludes allongés – mais intégrant les coupures admises pendant les répétitions. C'est sur elle que se sont fondées les tentatives de représentations de la version « originale » avec orchestre (en réalité un état de la partition jamais entendu par le public), par exemple Gardiner à Lyon ou Minkowski à l'Opéra-Comique pour le centenaire. (Retrancher ces mesures écrites certes dans l'urgence, mais aussi dans une veine très inspirée, paraît toujours un peu décevant.)



4) Ce qui a disparu et mérite peut-être de renaître

    Pour autant, Debussy, qui recevait volontiers chez lui les chanteurs qui reprenaient Pelléas au fil des séries, continuait de corriger sa partition… Des mélodies et rythmes chez les chanteurs, par exemple. Ce n'est qu'en 1905, avec la parution de sa version réorchestrée (chez Durand), que s'achèvent, je crois, la série des variantes – en tout cas des variantes publiées / publiables.

    Est-ce la version complète ?  Non. Car, et c'est là le plus intéressant, à divers stades, Debussy a écarté des groupes de mesures, et surtout du texte qu'il avait déjà mis en musique. Les voici résumés.

Les coupures sur la musique
III,3
(la terrasse au sortir des souterrains)
→ Suppression d'une remarque sur les moutons « Ils pleurent comme des enfants perdus ; on dirait qu'ils sentent déjà le boucher » et d'un climax où Golaud chante « Quelle belle journée !  Quelle admirable journée pour la moisson ! »

III,4
(torture d'Yniold)
→ Le fameux « Et le lit ? Sont-ils près du lit ? », qui est revenu en grâce dans plusieurs représentations et parutions récentes (Rattle par exemple). Je reviens sur son histoire pour conclure cette notule.
→ 13 mesures allongeaient la fin de l'acte, dont une phrase qui complète la dernière parole de Golaud – qui ne s'éloigne pas avec Yniold, mais va au contraire se rapprocher : « Viens, nous allons voir ce qui est arrivé. » (et non « Viens ! »).

IV,4
(monologue de Pelléas avant la grande scène d'amour)
→ Référence au père de Pelléas dont la guérison confronte Pelléas à ses choix : « Mon père est hors de danger, et je n'ai plus de quoi me mentir à même » (avant « Il est tard, elle ne vient pas. Je ferais mieux de m'en aller sans la revoir »).
→ 24 mesures avant la fermeture des portes.
→ Suppression d'une glose de Pelléas autour de « il ne sait pas que nous l'avons vu », quand ils aperçoivent Golaud caché.

    Uniquement des portions courtes, mais à l'exception du « lit », ces extraits n'ont jamais été enregistrés – officiellement du moins. Il semble néanmoins que ces dernières années soient apparues certaines de ces variantes (notamment « viens, nous allons voir ce qui est arrivé ») dans des versions en DVD. Je n'ai pas encore réuni toutes les références ni tout vérifié.

    Il me semble aussi avoir lu incidemment que la scène d'Yniold avec les moutons n'avait pas été donnée à la création, mais je n'ai pas le temps de vérifier ce point avant publication, et il n'est pas crucial : il s'agit d'une scène entière, bien connue et aisée à rétablir sans rien altérer.

    En attendant, tout cela permet de bénéficier de petits suppléments, de surprises, de fragments qui peuvent éclairer les éléments restés vaporeux dans les intentions des personnages – Debussy a eu tendance à gommer les aspects généalogiques trop précis, en particulier. Et, je l'espère, permettra de vous rassurer quant à l'origine de ces variantes : il y a effectivement eu quelques années où certaines articulations ont connu un peu de jeu sous la plume de Debussy.
    On ne peut qu'être étonné, devant la célébrité de l'œuvre, sa fréquence sur les scènes et le profil plutôt intellectualisant de ses amateurs, que des versions alternatives, fût-ce sur des détails, n'aient pas servi d'argument commercial.

pelleas supplement pelleas supplement
Deux versions différentes de cette phrase du monologue de Pelléas supprimée à l'acte IV.

    Je vous quitte, estimés lecteurs, avec ces quelques éléments autour du Lit.

Et le lit ??

    Alors que Golaud interroge vainement Yniold, juché sur ses épaules en espion innocent, sur ce que font Mélisande et Pelléas dans la Tour (« Que font-ils ? », « Sont-ils près l'un de l'autre ? »), il finit par lâcher le fond de sa pensée, alors que l'orchestre se tait soudain : « Et le lit ?  Sont-ils près du lit ? ». Pourtant, nous ne le connaissons que dans de rares versions de ces dix-quinze dernières années.

    Nous disposons d'une lettre de Debussy qui l'explique : les coupures de la fin de l'acte III sont dues à une censure. En effet, le jour de la générale costumes, le « directeur des Beaux-Arts » (je retraduis d'après le texte anglais proposé par Robert Orledge… est-ce un ministre ?  un agent du ministère ?  un censeur ?  je n'ai pas eu le temps ni l'intérêt, à vrai dire, de vérifier), M. Roujon, avise le caractère trivial de cette scène de voyeurisme, et demande à Carré la suppression du tableau entier. Debussy refuse absolument, et propose en échange les coupures (très ciblées, finalement) que nous venons de parcourir ensemble. Il ne s'agit que de celles de l'acte III, les autres semblent réellement issues de choix artistiques de Debussy, de repentirs dirions-nous s'il était peintre…
    Il avance même qu'il aurait dû modifier le passage litigieux lui-même, et que seule la « ridicule dispute » (je retraduis la lettre de l'anglais, n'ayant pu la retrouver en français, je ne garantis pas l'exactitude de l'expression ici non plus) qui l'opposa à Maeterlinck l'avait empêché de lui demander des altérations. Ceci me paraît d'une tartufferie confondante, dans la mesure où Debussy a précisément fait ce qu'il voulait de la prose de Maeterlinck, non seulement en coupant (ce qui est inévitable en adaptation une pièce parlée à l'opéra, et ce à quoi avait consenti le poète), mais aussi en récrivant un assez grand nombre d'expressions !  Une bonne partie des citations désormais célèbres de Pelléas ont été remaniées, voire écrites par Debussy… La lettre finit d'ailleurs par des flatteries assez obséquieuses envers le critique qui semble avoir bien accueilli la première.

    Changement de dernière minute et commandé par la menace imminente d'une suppression pure et simple d'une scène complète d'une douzaine de minutes. Mais qu'en est-il musicalement ?  Hé bien, et apparemment pas mal de mélomanes et même d'exégètes partagent mon sentiment, cette interruption pleine de crudité, presque dans le silence – qui traduit très efficacement l'obsession de Golaud – freine en réalité la progression implacable de cette dernière section, de plus en plus trépidante dans sa version coupée, jusqu'à l'explosion de fureur orchestrale finale. Au contraire, en rétablissant les questions autour du Lit, c'est une pause qui est ménagée, certes saisissante, avant la brève reprise, terrifiante, de la cavalcade. Très réussi aussi, mais la musique nous a soudain relâchés et la conclusion se révèle alors un peu courte.
    À cela s'ajoute que, systématiquement, le public rit généreusement à l'aspect vaudevillesque de la situation. [Je suis toujours fasciné par ces spectateurs capables de rire spontanément au moindre trait d'humour au sein de la tragédie la plus noire, alors que je suis moi-même écrasé par la pesanteur des enjeux et peut-être encore plus dévasté par l'ironie mordante de certains traits. Je ne sais quel mécanisme me manque.]  Ces rires, dans une œuvre mise en musique, tendent à interrompre d'autant plus la continuité et briser l'atmosphère : du point de vue très terre-à-terre du confort d'écoute, le supprimer représente également un gain. 

Je ne suis pas nécessairement convaincu non plus, sur le papier, par la nécessité des autres ajouts – sauf l'allongement des parties instrumentales, comme en cette fin d'acte III, précisément, qui rééquilibre peut-être la rupture du Lit !  Il est cependant très probable que mon habitude de Pelléas me rende toute nouveauté vaguement décevante, triviale ou sacrilège ; aussi je suis très curieux de les entendre, dès qu'il sera possible, avant de me prononcer.

[[]]
Fin de l'acte III avec rétablissement du Lit.
  Elias Mädler (Yniold), Gerald Finley (Golaud),
London Symphony Orchestra, Simon Rattle
(CD LSO Live
2017).



5) Une édition critique… vers l'avenir

    Les entendre avant de se prononcer, ce devrait être chose faite bientôt, puisque les éditions Durand-Salabert-Eschig ont lancé, en grande pompe l'an dernier, une édition critique de Pelléas, incluant une nouvelle réduction piano, correspondant réellement à la partition d'orchestre cette fois, et contenant ces passages coupés (avec la possibilité de continuer à les omettre si le chef le souhaite).
    J'aurais envie de les féliciter, mais Durand est quand même la maison qui est restée pendant tout ce temps assise sur son tas d'or à toucher des droits d'auteur automatiques avec ces éditions bancales de Pelléas (contenant de surcroît des fautes…), dont elle avait, grâce au droit de la propriété intellectuelle français, une parfaite exclusivité. D'une part grâce au principe de l'œuvre collective, protégée jusqu'à la mort du dernier collaborateur (Maeterlinck est mort en 1949, très longtemps après Debussy) ; d'autre part grâce aux années de guerre, très longues lorsque les œuvres ont été composées avant la première guerre mondiale (quelque chose comme 14 ans), qui s'ajoutent aux 70 ans de protection post mortem.
    Alors les voir produire cette édition rigoureuse que tout le monde attendait maintenant, alors que l'œuvre sera, d'ici 2025 au maximum – probablement avant – dans le domaine public (donc utilisable sans rien reverser à l'éditeur historique)… Je ris doucement, et je leur souhaite cordialement de se faire tailler des croupières par la concurrence qui rééditera l'ancienne édition ou en fera de nouvelles tout aussi documentées. (Oui, je n'ai pas pardonné, quand j'étais étudiant, la pratique de vendre les cycles de Ravel uniquement en mélodies détachées, pour obtenir les 5 pages à 25€ – à l'époque où, avec 25€, on pouvait acheter une Mercedes…)

    Pour autant, il s'agit d'une nouvelle merveilleuse pour tous les amateurs de Pelléas, qui irradiera à travers les représentations et enregistrements que nous découvrirons dans les années à venir !

    J'espère que cette notule aura contribuer à réduire vos alarmes devant la multiplicités des bizarreries pelléassiennes, toutes prêtes à déferler sur vos salles et disquaires préférés, et qui n'auraient pas tardé à envahir votre disponibilité auditive et mentale.

    Puissent, estimés lecteurs, ces quelques explications parvenir à éclairer, autant qu'il est possible, les jours sombres que notre engeance maudite traverse.

dimanche 28 février 2021

La diction du chanteur d'opéra


http://operacritiques.free.fr/css/images/prononciation_sutherland.png
Dame Joan Sutherland.
Nous verrons pourquoi.


À nouveau, tandis que je construis patiemment la suite de la série biblicomusicale ou que je grimpe Vercors et Cévennes à la recherche de chapelles romanes emblématiques et d'aqueducs cachés…

… une petite mise à jour des lecteurs audio d'une ancienne notule (avril 2009 !) consacrée à la qualité de prononciation à l'Opéra, sur lesquelles s'écharpent quelquefois les mélomanes.

J'y proposais quatre angles d'approche (articulation, accentuation, aperture, accent) pour trier un peu les critères – et leur impact sur l'interprétation. Avec les extraits adéquats – dont quelques petites merveilles un peu rares.

vendredi 19 février 2021

La Vertu et le Vibrato


http://operacritiques.free.fr/css/images/ramey_vibrato.png
Samuel Edward Ramey.
Nous verrons pourquoi.


Suite à la perfidie d'Adobe et à l'intérêt persistant (merci !) de mes lecteurs, me voici à reprendre une à une mes notules encore utiles pour y inclure de nouveaux lecteurs audio – oui, je voudrais automatiser ce travail, mais c'est moins simple qu'il n'y paraît.

Et comme les recherches pour nourrir CSS, ainsi que la vie elle-même, réclament quotidiennement leur dû sur le temps de rédaction disponible, je me contente aujourd'hui de vous renvoyer vers la notule sur le vibrato (de 2009 !), que j'ai légèrement amendée (en particulier sur ses périodes d'usage dans le domaine vocal).

La voici désormais avec des extraits flambants neufs, pour essayer de comprendre quels paramètres peuvent varier lorsqu'on entend une voix vibrer, et essayer de les sérier. Il n'y est pas seulement question d'aspect esthétique, mais aussi… moral. Car le vibrato induit des représentations assez fortes – il n'est que de voir ce qu'il produit sur les néophytes, stupéfaction, fascination… et plus souvent encore épouvante !

samedi 6 février 2021

Découvrir la Bible par la musique – n°1 – Caïn ou le meurtre d'Abel, XVIe-XVIIIe s.


Nouvelle année, nouveau projet.

Bien que les séries «  une décennie, un disque » (1580-1830 jusqu'ici, et on inclura jusqu'à la décennie 2020 !), « les plus beaux débuts de symphonie » (déjà fait Gilse 2, Sibelius 5, Nielsen 1…) et « au secours, je n'ai pas d'aigus » ne soient pas tout à fait achevées… je conserve l'envie de débuter ce nouveau défi au (très) long cours.

L'idée de départ : proposer une découverte de la Bible à travers ses mises en musique. Le but ultime (possiblement inaccessible) serait de couvrir l'ensemble des épisodes ou poèmes bibliques jamais mis en musique. Il ne serait évidemment pas envisageable d'inclure l'ensemble des œuvres écrites pour un épisode donné, mais plutôt de proposer un parcours varié stylistiquement qui permette d'approcher ce corpus par le biais musical – et éventuellement de s'interroger sur ce que cela altère du rapport à l'original.

Quelques avantages :
incarner certains textes ou poèmes un peu arides en les ancrant dans la musique (ce qui devrait satisfaire le lobby chrétien) ;
♦ observer différentes approches possibles de cette matière-première (pour les musiqueux).

Sur ce second point, beaucoup peut être appris :

D'une part le nécessaire équilibre entre
♦ le langage musical du temps,
♦  les formes liturgiques décidées par les autorités religieuses,
♦  la nature même de l'épisode narré.
Sur certains épisodes qui ont traversé les périodes (« Tristis est anima mea » !), il y aurait tant à dire sur l'évolution des usages formels…

D'autre part le positionnement plus ou moins distant du culte religieux :
niveau 1 → utilisé pour toutes les célébrations (l'Ordinaire des catholiques),
niveau 2 → pour certaines fêtes ou moments spécifiques de l'année liturgique (le Propre),
niveau 3 → en complément de la messe proprement dite (comme les cantates),
niveau 4 → en forme de concert sacré mais distinct du culte (les oratorios),
niveau 5 → sous forme œuvres destinées à édifier le public mais représentées dans les théâtres (oratorios hors églises ou opéras un peu révérencieux),
niveau 6 → de libres adaptations (typiquement à l'opéra, lorsque Adam, Joseph ou Moïse deviennent des héros un peu plus complexes)
niveau 7 → ou même de relectures critiques (détournements d'Abraham ou de Caïn au XXe siècle…).

À cette fin, j'ai commencé un tableau qui devrait, à terme, viser l'exhaustivité – non pas, encore une fois, des mises en musique, mais des épisodes bibliques. Il s'avère déjà que, même pour les tubes de la Genèse, certains épisodes sont très peu représentés – l'ivresse de Noé, pourtant abondamment iconographiée, est particulièrement peu répandue dans les adaptations musicales, y compris au XXe siècle où les questions de bienséance se posent avec une moindre acuité.

Mais en plus du tableau, de petits épisodes détachés avec un peu de glose ne peuvent pas faire de mal. (Comme ils seront dans le désordre, ils pourront ensuite être recensés dans le tableau ou une notule adéquate.) Nous verrons combien je réussis à produire, et si cela revêt quelque pertinence.




Abel & Caïn

Étrangement, le premier homicide connaît peu de versions populaires… mais c'est aussi l'un des épisodes qui a été traité avec le plus de diversité dans les approches. Commençons par cette copieuse entrée en matière.

Texte énigmatique, qui montre Dieu se détourner sans cause explicite du laboureur pour favoriser le berger, faisant naître la première rivalité fraternelle au taux de létalité de 1.


La source


1.     Or Adam connut Eve sa femme, laquelle conçut, et enfanta Caïn; et elle dit : J'ai acquis un homme de par l'Eternel.
2.     Elle enfanta encore Abel son frère; et Abel fut berger, et Caïn laboureur.
3.     Or il arriva, au bout de quelque temps, que Caïn offrit à l'Eternel une oblation des fruits de la terre ;
4.     Et qu'Abel aussi offrit des premiers-nés de son troupeau, et de leur graisse ; et l'Eternel eut égard à Abel, et à son oblation.
5.     Mais il n'eut point d'égard à Caïn, ni à son oblation ; et Caïn fut fort irrité, et son visage fut abattu.
6.     Et l'Eternel dit à Caïn : Pourquoi es-tu irrité ? et pourquoi ton visage est-il abattu ?
7.     Si tu fais bien, ne sera-t-il pas reçu ? mais si tu ne fais pas bien, le péché est à la porte ; or ses désirs se [rapportent] à toi, et tu as Seigneurie sur lui.
8.     Or Caïn parla avec Abel son frère, et comme ils étaient aux champs, Caïn s'éleva contre Abel son frère, et le tua.
9.     Et l'Eternel dit à Caïn : Où est Abel ton frère ? Et il lui répondit : Je ne sais, suis-je le gardien de mon frère, moi ?
10.     Et Dieu dit : Qu'as-tu fait ? La voix du sang de ton frère crie de la terre à moi.
11.     Maintenant donc tu [seras] maudit, [même] de la part de la terre, qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère.
12.     Quand tu laboureras la terre, elle ne te rendra plus son fruit, et tu seras vagabond et fugitif sur la terre.
13.     Et Caïn dit à l'Eternel : Ma peine est plus grande que je ne puis porter.
14.     Voici, tu m'as chassé aujourd'hui de cette terre-ci, et je serai caché de devant ta face, et serai vagabond et fugitif sur la terre, et il arrivera que quiconque me trouvera, me tuera.
15.     Et l'Eternel lui dit : C'est pourquoi quiconque tuera Caïn sera puni sept fois davantage. Ainsi l'Eternel mit une marque sur Caïn, afin que quiconque le trouverait, ne le tuât point.
16.     Alors Caïn sortit de devant la face de l'Eternel, et habita au pays de Nod, vers l'Orient d'Héden.
17.     Puis Caïn connut sa femme, qui conçut et enfanta Hénoc ; et il bâtit une ville, et appela la ville Hénoc, du nom de son fils.

Genèse 4:1-17, traduction de Martin (1744).


Les adaptations musicales

1567
Roland DE LASSUSUbi est Abel
Réutilisation littérale des versets 9 et 10 sous forme d'une polyphonie à cinq parties. C'est-à-dire le dialogue avec Dieu, sommet du potentiel dramatique de l'épisode, autour de la fameuse réplique « Suis-je le gardien de mon frère ? ».
¶ Seule petite divergence : le verbe, « ait » dans ma vulgate sixto-clémentine de de 1592, « dixit » chez Lassus, probablement une question de version de la vulgate. Le verbe est en outre placé à la fin, peut-être une intervention de la tradition pour placer dès le début de la pièce musicale les mots importants.
¶ En effet, cet texte était utilisé depuis l'ère grégorienne comme répons – chanté pendant un office à la suite d'une lecture de la Bible, avec des effets de reprise en écho (vis-à-vis du verset du soliste).
¶ En l'occurrence, celui-ci est prévu pour le dimanche de la Septuagésime – c'est-à-dire le neuvième dimanche avant Pâques, période entre le temps liturgique de Noël et celui de Carême, caractérisé chez les catholiques par l'usage du violet. Vatican II a supprimé cette période (devenu le temps ordinaire qui suit l'Épiphanie), il est donc plus délicat de l'appréhender en personne aujourd'hui, mais c'était une réalité tangible au moment de la composition.
¶ Œuvre appartenant donc au Niveau 2 : interprété pendant la célébration de certains jours spécifiques.
¶ Très belle œuvre pleine de fluidité et d'éloquence, comme toujours chez Lassus.

[[]]
Un seul enregistrement à ma connaissance (Singer Pur, Ars Musici 2009). Existe aussi une transcription pour consort de viole chez Delphian (par The Rose Consort of Viols).

Ubi est Abel : un répons musical au temps de la Réforme
Bien qu'à ma connaissance, la version de Lassus (prévue pour le culte catholique), soit la seule qui ait été gravée sur disque, nous sommes en possession d'au moins 4 autres mises en musique, toutes de la part de de compositeurs luthériens : en 1543 Balthazar Resinarius (un proche de Luther), en 1547 Nickolaus Kropstein (un pasteur, proche de Luther également), en 1550 Lorenz Lemlin, en 1556 Hollander…

Il faut dire qu'au cœur de la Réforme, la figure de Caïn a été un emblème très utilisé dans la propagande.
§ Sur le plan de l'exégèse, d'abord, Luther, dans ses Commentaires sur la Genèse, développe l'idée que la question posée « Où est Abel ? » n'est pas réellement de Dieu (Caïn aurait su qu'il était inutile de mentir) mais d'Adam inspiré par Dieu. Il est possible, selon les commentateurs, que Luther ait pensé, en écrivant cela, à un parallèle avec les procès expéditifs contre les protestants, tandis que Dieu, lui, laisse toujours une voie ouverte pour se défendre et se repentir.
§ Plus concrètement (et suivant une interprétation inverse), dans les chansons politiques qui circulaient, on trouve souvent Abel comme représentant le protestant de bonne volonté victime des moqueries des sophistes catholiques ou de la persécution – assimilant les catholiques oppresseurs à Caïn.


Dans le culte luthérien, Ubi est Cain était utilisé à des moments distincts du culte catholique, aussi bien à l'extérieur des célébrations proprement dites qu'au cœur même du culte ordinaire.


milieu XVIIe
Giacomo CARISSIMIOfferebat Cain (milieu XVIIe)
¶ Extraits (coupés, simplifiés et réagencés avec quelques « connecteurs logiques » simples) du texte de la Genèse (débutant au troisième verset, les offrandes du cultivateur Caïn). Narrateur en ténor solo ou par deux sopranos – ces narrateurs à deux voix sont une caractéristique du milieu du XVIIe, et se retrouvent à l'autre bout de l'Europe chez  Pfleger à la cour du Schlewig, par exemple –, incluant les répliques Dieu (basse profonde avec contre-notes graves assez spectaculaires.
¶ Mélange de récits sobres et de virevoltantes volutes vocales (les deux sopranos), avec un soupçon de stile concitato (figuralismes de violences façon Combattimento de Monteverdi) pour épouser la colère de Caïn («  iratusque est Cain vehementer »), une version extrêmement condensée de l'épisode, en ce qu'elle ne fait que six minutes, mais qui reprend l'essentiel du texte biblique, y compris les instructions de Dieu pour épargner Caïn. Très beau et prégnant en tout cas, un des meilleurs Carissimi.
¶ Niveau 4 ?  (une sorte de catéchisme ?)

[[]]
L'enregistrement des Paladins est remarquable. L'autre existant, de l'ensemble Seicentonovecento, reste problématique (justesse des solistes).


1671
Bernardo PASQUINICaino e Abele (oratorio)
¶ La seconde moitié du XVIIe siècle voit se développer le genre de l'oratorio. En 1671 à Rome, Pasquini (une grande figure d'alors) conçoit, pour la chapelle du Palazzo Borghese, ce Caïn & Abel. Dans les États pontificaux, l'oratorio était un genre très couru pendant la période de Carême où les événements musicaux et théâtraux étaient interdits. Pour évêques et aristocrates, commander une scène sacrée de ce genre permettait de contourner l'interdit. Ils étaient exécutés aussi bien dans les églises que dans les palais.
¶ L'oratorio de Pasquini demeure très proche de la prosodie, essentiellement sous forme de récitatifs un peu mélodiques, ménageant en sus quelques ensembles polyphoniques (chœur à 5) qui réunissent les différents chanteurs : narrateur, Adam, Abel, Caïn, Ève, Satan, Dieu. En une heure, le livret se contente de développer sous forme de dialogues (plus quelques récits, pas tout à fait des traductions littérales, mais souvent proches de l'original) le contenu des versets de la Genèse.
¶ Caïn y est présenté comme un libre penseur, ne reconnaissant que sa propre volonté, et comme tel ressentant les conseils de vertu d'Abel comme de la malveillance et de l'hypocrisie, le tout culminant dans un duo en stichomythie où l'on assiste directement à la mort d'Abel (qui n'est pas aussi précisément évoquée dans la Bible).
¶ Parmi les bizarreries, l'intervention de Satan (tout à fait absente des sources) pour motiver Caïn, et plus encore l'évocation de toute une mythologie païenne : le narrateur parle de l'Averne et de Pluton, Satan du Cocyte, et Eve elle-même met Dieu (la paix) en balance avec Pluton (la guerre) !  Sacré mélange, témoin de la pensée d'alors – on le retrouve dans la peinture, où l'excuse donnée à la représentation abondante de scènes mythologiques tient dans l'équivalence mystique donnée pour chaque élément avec les Écritures.
¶ La conclusion est elle aussi d'un fort parti pris, advenant après les reproches de Dieu et la déréliction de Caïn : le chœur final insiste sur la dimension du destin (le Ciel décide de notre mort), s'achevant sur la miséricorde de Dieu… tempérée par la justice – « chacun meurt comme il a vécu ».
¶ Niveau 5. (Et même par certains aspects fantaisistes Niveau 6.)
¶ Trois extraits : stichomythie et mort d'Abel, questions de Dieu, chœur polyphonique qui célèbre la crainte de Dieu par les cœurs coupables.

[[]] [[]] [[]]
Enregistrement intégral par De Marchi chez Pan Classics, avec un soprano d'allure très enfantine pour Caïn, assez déroutant. Continuo un peu raide et parcimonieux, mais l'ensemble fonctionne tout à fait bien. Le monologue du désespoir de Caïn peut aussi s'entendre, avec lirone, par Headley chez Nimbus Alliance.


1707
Alessandro S
CARLATTIIl primo omicidio, overo Cain (« Le premier meurtre, ou Caïn », oratorio)
¶ Oratorio créé à Venise en 1707 (à l'occasion de son séjour parrainé par les Grimaldi), le Scarlatti correspond déjà aux formats de l'opéra seria avec ses alternances très identifiables d'airs et de récitatifs. Néanmoins on y rencontre quelques récitatifs plus travaillés (comme la plainte liminaire d'Adam sur ses fils condamnés à la dure vie hors d'Éden) et même quelques récitatifs accompagnés par l'orchestre, comme dans l'extrait ici retenu (les questions de Dieu en recitativo secco sont suivies de ses imprécations en recitativo accompagnato).
¶ Cette temporalité lente favorise l'expression de sentiments plus tendres et édifiants : les conseils d'Adam, la dévotion des frères…
¶ Mêmes personnages que chez Pasquini, à l'exclusion du narrateur, absent – chez Scarlatti les airs émotifs remplacent la glose du Testo qui complétait l'action des personnages, chez Pasquini. Autre détail amusant et troublant, Satan est ici nommé Lucifero – ce qui constitue un mélange assez déroutant ; en effet Lucifer est issu d'interprétations des livres d'Ésaïe, Ézéchiel ou encore Hénoch (ce dernier uniquement retenu dans le corpus de la Bible éthiopienne), et donc absolument anachronique pour désigner le démon hébraïque nommé Satan… qui n'apparaît déjà pas du tout dans l'épisode d'Abel et Caïn !  Exemple aussi bien du caractère syncrétique des références (chez Pasquini, nous avions carrément Pluton !) que de la superposition quasiment parfaite de Lucifer avec les autres figures démoniaques hébraïques plus anciennes.
¶ Contrairement à Pasquini, le dénouement ne s'arrête pas au châtiment de Caïn mais fait revenir Adam pour lui promettre une nouvelle descendance, et de nouveaux espoirs. Ainsi l'épisode ne représente pas nécessairement l'humanité d'aujourd'hui, qui procède plutôt de l'expérience positive retirée de cette catastrophe.
¶ Niveau 5.

[[]] [[]]
La version Alessandrini-Biondi de 1992 n'étant plus disponible, reste la version Jacobs, très léchée.


1732
Antonio C
ALDARALa morte d'Abel figura di quella del nostro Redentore (« La mort d'Abel, symbole de celle de notre Rédempteur », oratorio)
¶ À la fin de sa vie, alors que le Vénitien Caldara exerce comme Vize-Kapellmeister pour la Cour impériale à Vienne, il écrit cet oratorio dont le projet est explicité jusque dans le titre : Abel, c'est ici la figure de l'innocence, et même davantage, celle de l'innocence qui expie les péchés de tiers, le bouc émissaire, l'agneau pascal. L'une des multiples interprétations qui ont eu cours, annoncée d'emblée, et qui se retrouve dans l'unique air qui en a été gravé à ce jour : « Quel buon pastor son io » – « Je suis ce bon berger ».
¶ Le format en est très caractéristique du seria des années 1730, dont les airs s'allongent considérablement, atteignant régulièrement les dix minutes – ce qui accroît encore, d'un point de vue dramaturgique, la suspension de l'action au profit de la voix, de la musique, des méditations et affects proposés dans les airs.
¶ Sa Sinfonia d'ouverture a, avec beaucoup d'autres écrites par Caldara, été regroupée en recueil et réutilisée comme musique instrumentale autonome avec ou sans remaniements, ce qui lui a permis d'être très souvent enregistrée. Vous en trouverez beaucoup de (bonnes) versions, mais cela ne vous avancera beaucoup sur le sujet biblique, l'écriture instrumentale des ouvertures étant assez interchangeable entre les sujets.
¶ Niveau 5.

[[]]
Bartoli et Il Giardino Armonico, 2009.




On est bien sûr loin d'avoir épuisé le sujet, mais vous disposez ainsi de quelques exemples d'approches de la figure de Caïn du XVIe au XVIIIe siècle : du texte littéral de la Genèse traité en polyphonie, à peine dramatisé (XVIe-début XVIIe), à des intrigues dramatiques totalement recréées, ajoutant quantité de détails (et mêmes des personnages mythologiques…) pour en faire un opéra déguisé. Bon moyen de suivre l'évolution de l'intérêt pour les voix et pour le rapport au texte au fil des décennies.

Le plus étonnant demeure cependant, à mon sens, la diversité d'interprétations du mythe que l'on couvre ainsi : énigmatique épisode brut d'origine, Caïn comme rappel en creux de toutes victimes qui n'ont pas eu un procès aussi équitable, Abel comme victime d'un camp ennemi, Caïn comme rappel de notre propre aveuglement et de la rigueur de la justice de Dieu, Abel comme premier présage de la figure du Christ… !

Au XIXe siècle, la figure pourtant hautement contrastée et compatible de Caïn me paraît avoir moins rencontré la faveur des compositeurs – je n'ai d'ailleurs trouvé aucune œuvre enregistrée à ce sujet. C'est pourquoi je reparlerai de ses avatars en abordant directement le XXe siècle, où se débusqueront un certain nombre de compositions aux contours assez étonnants – musique de chambre, suites d'orchestre à plusieurs mains autour de la Genèse, opéra en hébreu, et même un opéra psychanalysant des années 1910, assez critique sur les personnages bibliques (et peut-être même Dieu)…

jeudi 28 janvier 2021

La meilleure notule de Carnets sur sol


Du fait de l'évolution des standards du web, l'utilitaire flash, petit logiciel libre à la pointe de l'art que j'avais soigneusement sélectionné dans les années 2000, n'est plus visible sur les téléphones, et se trouve depuis décembre dernier banni de Chrome, rendant certaines notules avec extraits sonores plus difficiles d'accès. (Il faut avoir la patience de recopier l'adresser, d'aller sur un poste fixe, d'activer Flash… bref, être un héros.)

Aussi, je vais entreprendre, très progressivement, pour des notules qui me paraissent utiles, la mise aux normes du HTML 5 (qui n'existait pas encore…). Un peu rageant d'avoir tout bien fait – de même que pour le logiciel produisant ce site, Dotclear, alors l'alternative élégante face à Wordpress, aujourd'hui abandonné – et de devoir passer du temps à bidouiller la technique au lieu d'écrire des notules.

Quoi qu'il en soit, mon énergie a d'abord porté sur ce que je considère probablement comme la meilleure notule de Carnets sur sol, celle consacrée à expliquer l'étrangeté de la prosodie dans Pelléas et Mélisande de Debussy, courte enquête qui nous mène à travers les univers de Gluck et de Massenet avant d'aboutir, au cœur des partitions, à observer que l'accentuation et les intervalles mélodiques n'ont peu-être pas le rôle si déterminant que l'on croit dans cette impression de flottement insaisissable qui parcourt toute l'œuvre (et la rend si difficile à chanter en dilettante).

Je vous la recommande donc chaleureusement.

Et ce sera probablement tout pour quelques jours encore : préparation de beaucoup de projets de grande envergure, des séries où interviendront Caïn et, suite à un vote public (où il avait supplanté Pelléas), le basson.





David Le Marrec

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