Je profite de l'occasion pour
écouler quelques illustrations de fantaisie que je conservais
par-devers moi.
Elles sont un peu plus solennelles que mon propos, mais elles traduisent
tout de même le petit désespoir que vous verrez affleurer çà et là.
1.
Saisons disponibles
À présent que la programmation des principales salles franciliennes
a paru, l'occasion de poser notre petite méditation annuelle sur
l'aspect général de cette offre, et sur ce qu'elle implique plus
généralement sur la vision du genre musique classique tout
entier.
Pour mémoire, ont paru les saisons de l'Opéra de Paris, de la
Philharmonie, du Théâtre des Champs-Élysées, de Radio-France, de
l'Opéra-Comique, du Châtelet, de Philippe Maillard (incluant une part
non négligeable de la programmation de l'Oratoire du Louvre, de Cortot,
de Gaveau). Ne manquent plus guère que l'Athénée, les Bouffes du Nord
et les auditoriums des musées (Louvre, Orsay, Guimet...).
Hors Paris, la Seine Musicale, l'Opéra de Massy et le Théâtre
d'Herblay ont publié ; l'Opéra Royal de Versailles a quant à lui
diffusé sa pré-programmation. Reste essentiellement, pour les maisons
susceptibles de programmer de l'opéra, Saint-Quentin-en-Yvelines, mais
ce n'est plus guère le cas depuis pas mal d'années désormais. [Et
en effet, à présent que la saison est disponible : à part la Troisième
Symphonie d'Amy Beach par l'ONDIF, dans le théâtre partenaire de
Plaisir, pas de musique « classique » en vue.]
Lorsqu'on a quinze années de vie en Francilie derrière soi, quelles
tendances observe-t-on cette saison ?
Globalement, pour le spectateur curieux ou
les petits marquis blasés
épris de singularité, ainsi que j'aime à me nommer,
l'immensité de l'offre assure sans peine de remplir un agenda de 200
concerts, si vous goûts ne sont pas trop restreints, sans craindre
d'être contraint par le désœuvrement au point de déchoir jusqu'à passer
une soirée cinéma ou,
à Dieu ne plaise, de vous promener en
plein air.
Pour autant, il n'est pas défendu de relever quelques impensés dans
la saison globale de la capitale et de ses alentours.

2.
Communiquez pour une
relation heureuse
On le sait déjà, les salles ne communiquent pas entre elles. Et pis,
pour certaines d'entre elles, ne prennent aucun compte de ce qui a déjà
été programmé dans les autres maisons. On se retrouve ainsi avec un Werther de
Massenet sur instruments d'époque à l'Opéra-Comique, moins d'un an
après celui – sur instruments d'époque – du Théâtre des Champs-Élysées,
avec un Roméo & Juliette de Gounod dans
cette seconde maison, alors que depuis le covid l'Opéra-Comique, puis
l'Opéra Bastille, en ont proposé des productions très bien accueillies…
Autant, pour une série de Don Giovanni, on sait qu'on
pourrait en donner à chaque saison dans des distributions d'anonymes et
faire salle comble, autant pour ces titres, même célèbres et pas
spécialement rares, je ne sais pas si le public ne finira pas par
manquer.
Plus spectaculaire encore, le cas de Siegfried.
Sur instruments d'époque à la Philharmonie il y a un mois, dans
quelques jours à l'Opéra de Versailles dans le cadre du Ring
de l'Opéra de la Sarre, à l'Opéra de Paris pour la suite du cycle de
Bieito, et enfin au Théâtre des Champs-Élysées. 3 concerts et 1 série
scénique en douze mois ! Certes, en l'occurrence, les 3 concerts
tiennent à l'invitation d'orchestres étrangers qui déroulent leur
propre cycle dans leur pays et ne nous attendront pas ; mais le
résultat, à savoir proposer de façon aussi répétée une œuvre aussi
dense (et qui mobilise moins les mélomanes que Tristan ou La
Walkyrie), est révélateur de la pensée particulièrement peu variée
des programmateurs.
Et que dire pour Le Paradis & la Péri de
Schumann ! Donné à quelques jours d'intervalle cette saison sur
instruments d'époque (le lundi Savall à la Philharmonie, le mercredi
Equilbey avec mise en scène à la Seine Musicale), et joué l'année
prochaine par Philippe Jordan et l'un des orchestres de Radio-France, à nouveau
à la Philharmonie.
En outre, ici, il s'agit de la même salle, une
reprise du même titre à la Philharmonie, alors même qu'on n'a, par
exemple, pas donné son unique opéra Genoveva à Paris depuis
une quinzaine d'années – je n'ose pas rêver de varier avec une œuvre de
même style puisée chez Ries (Die Räuberbraut
!), Loewe (Gutenberg avec ses imprimeurs sicaires et ses évêques zombis, Jan Hus et ses
irrésistibles rengaines chorales) ou Bruch (Die
Lorelei), pas même d'un opéra de Schubert –
c'est pourtant vendable, ça, un opéra de Schubert…
Clairement, les institutions pourraient, dans leur propre intérêt,
faire l'effort d'échanger un peu ; ou au grand minimum de vérifier ce
qui s'est joué à proximité dans la même ville…
Si jamais vous vous demandez la raison de ces choix : les salles invitent
d'abord des artistes, qui leur communiquent ce qu'ils joueront
à cette période, au lieu qu'elles soient à l'origine d'une commande
pour un programme – ce qui impliquerait de se « satisfaire » des
artistes qui accepteraient de travailler pour ce programme spécifique. (Star-)Système
que je considère parfaitement absurde, mais qui a l'avantage du confort
logistique... et donne une longueur d'avance sur le remplissage,
puisque les noms célèbres font déplacer plus amplement le public.
(J'avais amorcé, et pour ainsi dire achevé, une notule l'an passé, pour
faire miroiter de façon plus précise les enjeux et les conséquences de
ce phénomène, le pouvoir aux artistes qui, paradoxalement,
nuit à la cause de la musique ; il faudra songer à la finir… Il y aura
matière à bretter avec quelques camarades qui seront probablement un
peu fâchés de cette mise en cause.)

3. Le péril mortel
du musée
Deuxièmement, la répétition. Je l'ai évoqué ci-dessus et j'en parle
régulièrement. Bien sûr, il est important qu'il existe un
fonds de répertoire.
¶ D'abord pour le public novice ou
occasionnel, qui veut pouvoir entendre les œuvres qu'il a aimées
et
préparées au disque.
¶ Pour la culture commune ensuite,
de façon à ce qu'il soit possible de
parler entre nous d'œuvres qui ne soient pas toutes différentes.
¶ Enfin pour les artistes, à
commencer par (les moins dotés d'entre
eux,) les chanteurs, qui peuvent ainsi se préparer à la carrière à
travers les typologies vocales les plus courues, et même commencer à
maîtriser les rôles les plus courants. Ce peut conduire à un degré de
maîtrise souverain, en particulier chez les interprètes qui ont maturé
certains rôles à la scène – prenez par exemple Leo Nucci, qui ne
chantait qu'une poignée de rôles en fin de carrière, mais incarnés avec
une intensité à peu près sans exemple ; ce serait évidemment plus
difficile à réaliser pour des rôles qu'on ne joue que pour cinq dates
dans sa vie, pas toujours dans des maisons où les services de
répétition sont nombreux, potentiellement avec un chef pas efficace ou
des partenaires dilettantes, etc. (Voyez par exemple ici les
terreurs nocturnes du merveilleux Lucas Meachem travaillant une
création de Filidei.) |
Cependant, le fait que l'offre des salles
tourne à peu près
exclusivement autour des titres les plus célèbres et d'un
contingent d'autres titres de complément, un peu plus étendu, mais
délimité et fini, rend tout à fait
impossible, pour le
curieux, de découvrir des pans entiers du répertoire. Pour la musique
de chambre, on peut en général se débrouiller à trouver dans les
petites salles ; il faut être un peu aguerri et motivé, ou consulter le
vertigineux
agenda de Carnets sur
sol, mais on y parvient.
En revanche, pour les genres qui nécessitent des moyens importants,
comme l'opéra ou le symphonique, ou qui sont un peu plus exotiques en
France, comme le lied, ce sont des portions considérables non pas
seulement des compositions, mais des styles existants qui
demeurent inaccessibles.
Or, chaque auditeur a ses styles de prédilection. On peut être
particulièrement sensible à l'opéra russe et aux symphonies
néerlandaises, et ne pas être très touché par l'opéra italien et les
poèmes symphoniques français, par exemple. Ce n'est pas corrélé au
degré d'instruction et de pratique des salles ; c'est une offre
différente, peu connue du grand public puisqu'elle est très mal
diffusée, mais qui élargit le spectre des émotions accessibles. Ce
public, potentiellement peu touché par Bach ou Brahms, est laissé à la
porte, alors que d'autres genres plus accessibles sont totalement
réduits au silence.
Il est par ailleurs assez triste de de constater que le concert
classique est devenu un musée, et qu'il se limite à
la répétition d'œuvres de plus en plus distantes temporellement,
à l'exception de quelques créations qui soulèvent sensiblement moins
l'enthousiasme du public, et qu'on ne reprend de toute façon jamais.
(Vous pourrez me citer quelques exceptions qu'on a jouées deux ou trois
fois, mais enfin, si vous trouvez une œuvre postérieure à Saint-François
d'Assise qu'on ait joué deux fois dans la même ville dans deux
productions scéniques différentes, je vous tire mon chapeau ! J'en
oublie peut-être une, mais pas trois ou quatre !)
À quoi cela sert-il, franchement ? En quoi cela soutient-il la création
artistique ?
Je conviens cependant que ce point n°2 ne concerne qu'une
frange du public qui, déjà, a un peu exploré pour ne pas
exclusivement se jeter pour les tubes qu'il aime (quelques-uns qui ont
forcément déjà suscité son intérêt, pour qu'il compulse en ce mois de
mai la brochure de la Philharmonie) – et j'imagine bien que, sans
effort de communication bien calibré par la salle, personne ne va se
précipiter, surtout en musique instrumentale, sur une symphonie de
Zweers ou de Wirén, juste par envie d'un pays particulier. (Enfin, je
suppose, je n'en sais rien après tout, si on le marketait auprès des
communautés et des centres culturels concernés, un peu comme les
concerts de Seong-Jin Cho qui sont largement remplis par les
Coréens parisiens ou de passage.) Bien sûr, si on faisait l'effort
d'explorations thématiques – une partie de saison consacrée à telle
nation, ou mieux, une série incluant une nation par concert ! –, il y
aurait peut-être possibilité de ne pas laisser la salle vide, mais
c'est un point sur lequel je reviendrai ensuite.
Je suis donc tout à fait conscient que, pour ne pas jouer devant des
salles vides – ce qui peut mettre, à terme, la subvention en danger –, il
faut attirer un seuil critique de public. Et, tous les
programmateurs vous le diront, ce qui permet à coup sûr de remplir, ce
sont les vedettes d'une part, les titres
célèbres d'autre part. Ainsi beaucoup de salles ne se posent
pas trop de questions et empilent les stars (quand elles le
peuvent) – et en tout cas les tubes. L'enjeu est décisif (pas
de sous, pas de joujoux), j'admets qu'il ne pose un problème
significatif qu'aux spectateurs un peu réguliers, et comprends
le réflexe de sécurité (et de facilité) des salles, à défaut de
l'approuver pleinement.
Vous voyez bien que je suis raisonnable. En réalité, pour ma
fantaisie personnelle, je sais où chercher, et j'ai déjà largement
assez de soirées à occuper avec l'offre existante ; ma réticence est
d'une autre nature.

4. L'enjeu moral
de la
dépense publique
Vous ne l'attendiez pas, celui-là.
En réalité, à mon sens, le problème principal, et dont j'ai
peut-être trop peu parlé jusqu'ici, réside dans l'absence de
propos de ces programmations.
Le concert ne peut pas vraiment s'équilibrer financièrement
de lui-même – ou alors, il faudrait un seul interprète, avec
un petit cachet, dans une grande jauge qui ne coûte pas trop cher à
exploiter – en somme des situations très spécifiques, et fort rarement
réunies. Un pianiste au SMIC horaire qui joue les Ballades de
Chopin à guichet fermé dans une Philharmonie opérée par des ouvreurs
bénévoles, ça doit pouvoir s'autofinancer – à peu près tout le reste
des cas possibles, non. La billetterie n'est pas une ressource
négligeable, mais y compris dans les cas les plus favorables, elle ne
suffit pas à générer un bénéfice d'exploitation ; il faut un apport
externe, et le merchandising étant resté particulièrement
marginal dans le classique, il faut donc compter sur le mécénat et/ou
la subvention.
Quel est le rapport entre ces deux prémisses ?
Cela signifie donc que des institutions largement
payées par l'assiette fiscale de l'ensemble des
citoyens et résidents se contentent de rejouer les mêmes
doudous pour bercer un infime fragment des CSP+ à la fin de
leur journée. Dans le cadre de ce type de financement collectif, ne
devrait-on pas viser une mission plus ambitieuse, davantage d'intérêt
public ? Je veux dire : je suis ravi de pouvoir entendre,
régulièrement, une Clemenza di Tito ou un Parsifal
pour égayer mes soirs de semaine, mais est-il vraiment moral de laisser
les livreurs de la métropole albigeoise ou les vignerons du Diois
subventionner mon loisir par leur impôt ?
[Je laisse de côté l'aspect géographique qui m'a toujours révolté — je
me rappelle de l'époque où, de Bordeaux, j'appelais l'Opéra de Paris
qui m'expliquait que les seules places abordables s'achetaient au
guichet, et que je devrais bien faire attention à retirer la
boue de mes souliers en entrant, les trottoirs ne sont sûrement pas
arrivés jusqu'en Guyenne… En cela, il serait sans doute plus
juste que ces subventions ne soient que locales.]
Je ne dis pas qu'il ne faille pas subventionner l'art vivant, et
certainement pas qu'il faille se résigner à ce que le classique ne
cherche pas à attirer de nouveaux auditeurs en renonçant à proposer un
prix d'entrée accessible – rien n'est pire que de voir les tarifs
inaccessibles aux bourses modestes, pour des spectacles en large partie
financés par les impôts de tous, comme c'est le cas à l'Opéra de Paris.
En revanche, il n'est peut-être pas nécessaire de financer la
répétition du même plaisir pour une poignée de l'élite
(culturelle et/ou financière, selon les salles et les programmes) qui
pourrait très bien se cultiver sans ce coup de pouce tarifaire.
Déjà, structurellement, le classique ne peut s'adresser à
tous : musique moins pulsée, qui réclame le silence (sinon on
n'entend pas les instruments non amplifiés, les contrechants, et ne
parlons pas des théorbes !) et une certaine initiation – honnêtement,
les fugues, les variations ou les mouvements à développement, si l'on
n'a pas une petit idée de ce dont il s'agit, il est peu probable qu'on
s'enthousiasme spontanément pour toute une gamme de musiques. Quand on
passe sa journée à bosser, on n'a pas le temps d'étudier le mode
d'emploi si l'on n'a pas déjà eu le privilège d'une formation
artistique dans ses jeunes années. Bien sûr, les contre-exemples
d'œuvres immédiatement accessibles et d'auditeurs spontanément
bouleversés par Gesualdo ou Schönberg existent, mais il ne s'agit
clairement pas d'une musique calibrée pour les masses – elle ne l'a
jamais été, d'ailleurs, puisqu'elle hérite en ligne directe de la musique
de cour…
Là encore, je ne dis pas qu'il faut en déduire que tout art qui ne
s'adresse pas à l'intégralité de la population ne doive pas être
soutenu. (Sans quoi on serait bien avancés…) Cependant,
cela devrait peut-être conduire les tutelles (si elles connaissaient un
peu le sujet et en avaient quelque chose à faire) à formuler
des exigences.
On pourrait simplement imaginer que l'offre musicale mette
en valeur le patrimoine (local si l'on est chauvin, sinon peu
importe, patrimoine de l'humanité en général), donne à
comprendre l'histoire du genre, permette de découvrir des
mondes, plutôt que de se cantonner à la redite infinie des mêmes œuvres
validées par la tradition des classes supérieures et/ou
intellectuelles.
5. État des lieux
lyrique 2026
Où en sont nos principales salles franciliennes ?
a) Gâteau à la crème au beurre
et
porte de garage
Côté Opéra de Paris, je n'en veux pas à Alexander Neef.
Contrairement à Gérard Mortier ou Stéphane Lissner, qui embrouillaient
les journalistes culturels généralistes de grandes déclarations (pas
souvent vérifiées dans leur programmation réelle, en particulier chez
le second) tout en continuant à faire vivre un opéra tout à fait
traditionnel – à l'exception de l'esthétique scénique regietheater
importée par Mortier, mais je ne suis pas complètement certain que
Warlikowski et Marthaler aient tellement laissé de grandes productions
impérissables, en fin de compte –, Neef, lui, a toujours été très
clair sur la nécessité d'en rabattre sur l'artistique
pour assurer un équilibre financier — une fois que
l'infâme Lissner eut quitté le navire avant terme, en laissant les
dettes des grèves et du covid ainsi que les arbitrages difficiles (il
l'a lui-même dit dans un entretien imprimé !) à son
successeur, non sans avoir saboté au passage l'Athénée. (Quelques éléments ici,
ce n'est pas le lieu pour récapituler toutes les raisons pour
lesquelles vous devez honnir Lissner. Je crois que la source était dans
cet article du Monde,
je n'ai pas le temps de vérifier présentement, mais je vois que c'est
aussi résumé dans Les Échos en accès
libre.)
On a donc nos séries doubles ou triples de Rigoletto ou Tosca,
mais contrairement à ceux qui prétendaient produire de l'exigence et de
l'avant-garde (et qui faisaient deux séries de Barbier de Séville
dans la même saison), Neef nous avait prévenus, et a
été très clair sur ses objectifs. Pas de folies.
Et, en cela, je le respecte.
Ensuite, pour le résultat artistique… Tous les
sous sont manifestement passés dans :
→ deux volets du Ring, ce qui est toujours présenté comme un
moment fort de l'histoire d'une maison ; mais enfin, on en a tout le
temps dans tous les théâtres, là aussi au bout d'un moment on finit par
simplement redonner leur fix aux wagnérojunkies,
→ les distributions de Tosca, particulièrement luxueuses
(beaucoup de stars associées, et plutôt bien choisies).
Pourquoi pas, mais qu'est-ce que cela changera à l'histoire de la
connaissance et au bien public ?
Or, cette maison est la seule à disposer des
effectifs, des moyens techniques et financiers pour jouer toute une
gamme d'œuvres – les opéras fin XIXe et XXe à grand effectif –, et son
refus de s'y employer entraîne l'occultation de pans entiers du
répertoire. Les rares tentatives récentes de sortir
des architubes, hors quelques classiques rares à Paris et très
bienvenus comme Peter Grimes (production unanimement saluée à
juste titre), ont de plus mis à l'honneur des œuvres assez ennuyeuses,
qui ont de quoi satisfaire la curiosité du mélomane chevronné, certes,
mais n'attireront aucun spectateur généraliste (et encore moins novice
!) à l'Opéra – je pense en particulier à Œdipe à Colone d'Enescu
et à A Quiet Place de Bernstein. La première est une redite
On aurait voulu tuer l'idée d'innover qu'on n'aurait pas mieux choisi.
Ce que l'Opéra de Paris ne jouera pas, parmi ce
répertoire, ne sera assumé par aucune autre salle francilienne,
et ne pourra l'être que très exceptionnellement par d'autres salles
françaises. Le public se trouve donc totalement privé de styles
entiers. Sans aller chercher très loin, le public français est en
général très réceptif aux opéras russes, et hors Onéguine, Boris
Godounov et quelquefois La Dame de Pique ou La
Khovanchtchina, il n'est que très marginalement joué. À Paris,
depuis que les troupes des théâtres russes ne sont plus les bienvenues
à la Philharmonie, si l'Opéra n'en joue pas, on n'en verra pas. Du
tout.
Le constat est d'autant plus rageant que les taux de
remplissage demeurent très bons à l'Opéra
de Paris quel que soit le programme – hors reprises de productions et,
dans certains cas, opéra contemporain. Ce n'est pas tout à fait autant
que pré-covid, mais le public est tout de même largement revenu.
Par ailleurs, l'exemple de l'Opéra-Comique a montré qu'il était
possible, en privilégiant une programmation cohérente, de fidéliser un
public : la salle est toujours pleine, quel que soit le programme,
parce que le public sait que ce sera bien joué (souvent sur instruments
anciens) et chanté, dans des mises en scène accessibles (parfois
transposées, mais toujours jolies à regarder et sans
symbolique qui réclame la connaissance de tout le corpus de lectures du
metteur en scène pour être interprétées), et que les styles proposés
par la maison sont très identifiables – opéra baroque français, opéra
comique, opéra français romantique, opéra contemporain, et spectacles
pot-pourris (intrigue recréée sur des musiques d'un même compositeur
tirées de sources diverses, comme ce fut déjà fait avec Purcell,
Rameau, Schubert). Le public sait ce qu'il va voir – et, il est vrai,
on est proche et on entend bien. Même pour des inédits, la salle est
remplie. Ce serait pareil à Garnier, on l'a vu pour Peter Grimes de
Britten ou Dante de Dusapin, par exemple. Et même à Bastille,
pour un peu qu'on communique de façon moins standardisée.
b) La Chute de Favart
Précisément, l'Opéra-Comique avait rouvert, sous
le mandat Deschamps et la houlette de Maryvonne de Saint-Pulgent, avec
une subvention doublée, sur la foi du projet de
remettre à l'honneur le répertoire historique de la maison, qui n'était
plus joué nulle part (si l'on excepte les atypiques Faust, Carmen
et Pelléas). La promesse fut tenue – et culmina avec les
remises au théâtre de Zampa d'Hérold et d'Ali-Baba
de Lecocq –, mais les restrictions budgétaires (déjà pré-covid )
semblent avoir affecté grandement l'ambition de la maison, réduisant de
plus en plus le périmètre des recréations patrimoniales, qui faisaient
pourtant le plein et obtenaient un excellent accueil critique du public
et de la profession. (Je crois avoir lu que ladite subvention a fini
par représenter peu ou prou la moitié de ce qu'elle était au moment où…
elle fut doublée.)
En 2024-2025, on n'avait déjà qu'un opéra comique, et c'était une
reprise (Le Domino noir d'Auber). En 2025-2026, c'est fini :
pas de baroque français, pas d'opéra comique.
Pour moitié des tubes de l'opéra romantique, déjà entendus
il y a peu dans les autres salles (Les Contes d'Hoffmann
d'Offenbach, Werther de Massenet), même si Lucie
de Lammermoor, l'adaptation française de Vaëz & Royer
(les librettistes de La Favorite !), a le mérite de chanter
la couleur de la langue et même d'ajouter quelques nouveaux aspects,
comme le méchant estafier Gilbert (Normanno), beaucoup plus développé
et charismatique que dans la version italienne.
Pour les trois autres titres, un tube du XVIIIe s. (Iphigénie
en Tauride de Gluck), un « opéra » par et pour les
enfants, Brundibár de Krása, créé dans le
camp de Theresienstadt (je ne le trouve pas particulièrement
passionnant), et une création de Matthias Pintscher –
dont le four L'espace dernier (sorte de mash up Rimbaud)
avait marqué l'esprit des spectateurs lors de ses représentations à
l'Opéra de Paris –, en tout cas un langage purement atonal, timbral et
flottant, qui n'inspire pas trop confiance pour le cahier des charges
d'un opéra (pour ne rien arranger, je trouve ses compositions plutôt
formelles et ennuyeuses).
Ainsi donc, même ce qui est neuf ne me paraît pas propre à
enthousiasmer les foules, contrairement aux nombreuses créations
lyriques très bien adaptées aux contraintes du genre qui ont défilé sur
cette scène : le naturel de l'élocution et la beauté pure de la musique
pour Les Éclairs de Philippe Hersant, le drame brut pour L'Inondation
de Francesco Filidei (plein même à la reprise !), la finesse de la
prosodie dans une ambiance pelléassienne décadente pour Au Monde de
Philippe Boesmans, les saynètes de vie contemporaine pour Les
Sentinelles de Clara Olivares, la traumatisante expérience au
bout de l'enfer pour Breaking the Waves de Missy Mazzoli.
Le seul échec auquel j'aie assisté pour une création dans cette salle :
La Princesse légère de Violeta Cruz, pas du tout adapté pour
les enfants
Et puis il y a le cas particulier Robert le Cochon et les
kidnappeurs de Marc-Olivier Dupin (dans une salle comble même pour
la reprise), mais je ne suis pas sûr d'être prêt à en reparler.
¶ Robert le cochon et les
kidnappeurs de
Marc-Olivier Dupin à l'Opéra-Comique. Un véritable traumatisme.
Il s'agissait de la reprise d'un spectacle destiné au jeune public, par
l'adroit compositeur du Mystère de l'écureuil bleu, qui
sait manier les références et écrire de la musique à la fois
nourrissante et accessible. Mais cette fois…
D'abord, peu d'action, beaucoup de numéros assez figés,
aux paroles plutôt abstraites… j'ai pensé à l'opéra italien du XIXe
siècle et à ses ensembles où chaque personnage évoque son émotion, son
saisissement… pas forcément la temporalité adaptée pour les moins de
dix ans.
Ensuite, le propos éducatif était… déroutant. La
méchante, c'est la propriétaire de la décharge qui veut simplement
conserver un peu d'ordre alors que Mercibocou le loup et Nouille la
Grenouille cassent et mettent tout en désordre. Robert le Cochon, en
voulant parlementer pour sauver son ami le loup, prisonnier (personne
ne l'a kidnappé, il a surtout été arrêté alors qu'il commettait un
délit…), se fait éjecter. Mais il trouve la solution, la seule
fructueuse, pour être entendu : il apporte une hache. Et là tout le
monde s'enfuit et il peut délivrer son ami. (La violence ne résout
rien, mais quand même, elle rend tout plus facile. Prenez-en de la
graine les enfants.)
Et surtout, des images traumatiques. Nouille la
grenouille est éprise de Mercibocou le loup, mais elle est surtout
passablement nymphomane. Elle s'éprend aussi du chasseur de loup
embauché par la directrice de la décharge, lui fait une cour éhontée,
s'empare d'une « machine d'amour » pour le forcer à l'aimer. Âmes
sensibles comme je le suis, ne lisez pas ce qui va suivre.
Nouille attrape alors le chasseur de loup, qui se débat, elle le tire
par les pieds alors qu'il s'accroche désespérément au plancher en
criant « je ne veux pas ! », et l'emporte dans la fusée où elle le
viole – hors du regard du public, mais dans la fusée au milieu de la
scène, tout de même –, et lui appliquant la « machine d'amour », le
tue. Elle sort alors en pleurant et traîne le cadavre du chasseur sur
toute la scène.
Oui, parfaitement, dans un opéra pour enfant, l'un des principaux
personnages présentés comme sympathiques viole un autre personnage, sur
scène, avant le tuer et de se promener partout avec son cadavre !
Pour mettre à distance un peu cette scène, on nous apprend, une
demi-heure plus tardi (sérieusement ? j'ai eu le temps
de développer deux ou trois névroses dans l'intervalle…), qu'en réalité
ce n'était pas un véritable homme mais une baudruche. Je ne sais pas si
c'est vraiment mieux : on sous-entend ainsi que si vous voulez violer
quelqu'un mais qu'il se révèle par accident n'être pas véritablement un
humain, alors vous n'avez rien à vous reprocher. Quant au procédé même
de catégoriser un personnage en non-humain pour mieux pouvoir le
torturer, je ne suis pas trop sûr non plus de ce que j'en pense
exactement… mais mon ressenti ne valait clairement pas assentiment !
J'ai vraiment peine à comprendre comment personne, dans le processus de
création, librettiste, compositeur, metteur en scène, producteurs,
interprètes, professionnels de la maison, public interne des filages,
public de la première série en 2014, membres de la réunion de
programmation artistique de 2022… n'a demandé à un moment « mais le
viol sur scène suivi de meurtre et d'exhibition du cadavre avant de le
décréter sous-homme, est-ce totalement la meilleure idée pour un opéra
jeune public ? ». Dans un opéra décadent comique du milieu du XXe
siècle, ça aurait pu être amusant, mais dans au premier degré dans un
opéra pour enfants, j'en suis resté traumatisé – et je l'ai raconté par
le menu à tous ceux qui ont eu l'imprudence de me demander ce que
j'avais vu de marquant dernièrement.
(Mon récit oral se trouve vers la fin de cette vidéo.) |
En somme, une saison qui fait très envie sur le plan des
interprétations (instruments anciens en sus pour pas mal de
productions, comme c'est la politique de la salle !), mais qui
abandonne largement le créneau de la redécouverte du répertoire de la
maison et de la création contemporaine accessible. Au moins
renonce-t-on aux
mash ups d'aspect bancal comme les
pot-pourri Purcell, Rameau, Schubert qui ont occupé une large part de
la programmation dès avant le covid. Mais je reste frustré,
l'Opéra-Comique était l'une des rares salles à pouvoir jouer à guichet
fermé des titres très rares (et très convaincants).
c) L'abandon de Louis Jouvet
Le constat est comparable à l'Athénée : Stéphane
Lissner, sans obtenir l'Athénée pour lui-même, a réussi a en faire
dégager le directeur Patrice Martinet, qui faisait
des merveilles, notamment dans son flair pour proposer des l'opéra
contemporain atypique mais fascinant — The Lighthouse de
Peter Maxwell Davies, dans la mise en scène inoubliable d'Alain Patiès,
ou The Importance of Being Earnest de
Gerald Barry, incluant ces inénarrables solos de cassage d'assiettes,
et bien sûr Les Bains macabres de Guillaume
Connesson, le meilleur opéra contemporain que je connaisse.
Sous le chantage à la subvention du Ministère de la Culture de
Franck Riester, qui a clairement failli à l'honneur, Martinet avait dû
vendre le théâtre à Olivier Poubelle et Olivier
Mantei (directeur de l'Opéra-Comique et des Bouffes du Nord,
dont on connaissait déjà le départ pour la Philharmonie et la présente
& future faible disponibilité). Un moindre mal assurément, mais
malgré les promesses de ne rien changer à la ligne du théâtre, force
est de constater que le premier travail du nouveau propriétaire fut de
changer la tenue du personnel, le graphisme des programmes, calqué
d'ailleurs sur celui des Bouffes du Nord (pourquoi ces dépenses
inutiles ?) ; j'ai même eu l'impression, mais j'ai pu me tromper, que
les ouvreurs avaient changé.
Et côté programmation, le théâtre en langue étrangère et l'opéra
contemporain hardi ont disparu au profit de bricolages parfois
fascinants (Au Cœur de l'Océan de Blondy
& Lavandier, la chose la plus bizarre que j'aie jamais vue sur une
scène d'opéra) ou plus légers (Squeak Boum de
Filidei & Rebotier), mais on ne rencontre plus de propositions
aussi audacieuses, plutôt du divertissement multiforme.
Cela ne veut pas dire que la programmation en soit devenue médiocre
– je prévois une notule pour parler de la remise au théâtre très
réussie des Contes de Perrault de Félix Fourdrain, figure
majeure de l'opéra français du début du XXe siècle, totalement oubliée.
Mais, clairement, l'audace de la maison a changé de dimension, et
paraît plus mesurée avec quelques saisons de recul.
[Entre temps, la saison a paru et s'avère plutôt engageant du côté
de la création, avec deux opéras contemporains (dans le même mois) de
compositeurs dont je n'ai pas encore eu le temps d'explorer la musique
– Louati & Fiszbein ! On a
aussi la reprise du Petit Faust d'Hervé dans
la production Bru Zane qui avait circulé il y a quelques années, une
nouvelle version de la chouette Cendrillon de
salon de Viardot, la tournée de d'un opéra de Gasparini,
L'Avare (qui passe notamment par Versailles), ainsi
qu'une opérette culte pas encore remontée No, No, Nanette
par les Frivos, donc il y aura bien davantage de nouveauté
cette année ! J'espère que la déception des saisons post-Martinet se
clôt par cette nouvelle dynamique.]
d) L'Enfer des Champs-Élysées
Les Champs-Élysées conservent leur cap : il y a certes eu un moment
de grâce pré-covid et post-covid avec beaucoup de titres français rares
(Psyché de Thomas, Hulda de Franck, Hérodiade
ou Grisélidis de Massenet…) et des partenariats
nombreux avec le CMBV et Bru Zane. Ce n'est plus guère le cas.
Les tragédies en musique ont par ailleurs totalement disparu de la
programmation – choix de la salle ou manque de finances pour la louer
de la part du CMBV, les œuvres ne seront plus données qu'à Versailles.
La maison prolonge son sillon : quelques titres
célèbres en production scénique. Et en version de concert, beaucoup d'opera
seria (où, pour le coup, les titres se renouvellent, même si
surtout cantonnés au catalogue de Haendel), un peu de belcanto,
une touche d'opéras romantiques français. Il s'agit d'un théâtre au
modèle hybride : de droit privé, mais en réalité financé par la Caisse
des Dépôts et Consignations, c'est-à-dire l'argent public. On peut donc
faire mine de n'avoir rien vu et se dire qu'il tient son rôle de
répéter des titres « glorieux » dans des réalisations
musicales toujours de haut niveau, afin de divertir le public des beaux
quartiers. Je ne sais pas trop ce que ça apporte à la société et au
bien public, mais j'y vais toujours avec plaisir entendre de belles
choses, en particulier en lyrique.
e) Versailles sort de la niche
Grâce à la dotation directe des Eaux Musicales obtenue par Laurent
Brunner, odieux (1,2,3) directeur de Château
de Versailles Spectacles, qui, factuellement, a propulsé la
programmation marginale de l'Opéra Royal vers une toute autre
dimension, on dispose de saisons complètes et ambitieuses dans les
locaux du Château : Opéra Royal, Chapelle Royale, Salon
d'Hercule, Salle des Croisades… Écrin pour les recherches du
CMBV, mais aussi explorations plus personnelles comme l'idoine Ghosts
of Versailles de Corigliano, et des productions malicieuses et
très agréables à regarder de Marshall Pynkoski (Richard
Cœur de Lion, La Caravane du Caire…).
La tendance est cependant, après des années de faste en recréations
ambitieuses, de plus en plus tourné vers une programmation grand public
– de pair avec la réduction de la voilure financière au Centre de
Musique Baroque de Versailles, de ce que j'ai compris. Tarifs moins
attractifs (à la réouverture de l'opéra après restauration, au début
des années 2010, c'était 15€ pour un opéra en version de concert, et
30€ pour une version scénique, sachant qu'il n'y a pas vraiment de
mauvaises places dans ce théâtre de cour…), titres plus grand public
(Mozart, Wagner), programmation de plus en plus régulière d'œuvres
romantiques (La Damnation de Faust, Les Troyens…),
invitation d'artistes au répertoire non spécifique (Lang Lang), ballet
pas du tout baroque (Preljocaj), etc.
Et cette saison-ci, la part aux explorations est devenue plus ténue
que jamais. Il en reste – comme le très attendu Médée
& Jason de Salomon, l'acte II avait été donné au CRR
il y a quelques années, et j'avais été saisi par la force du poème et
la beauté de la prosodie –, mais c'est désormais un appoint aux
productions de prestige plus généralistes ; il ne faut plus espérer de
concert tout-Huygens, par exemple.
On aura tout de même trois LULLY : les tubes Atys,
Armide, et le plus rare (et très attendu) Roland.
f) Autres salles
On n'est pas encore sûr que le Châtelet sorte de
son purgatoire et de sa ligne artistique illisible, avec force
spectacles (parfois intéressants) ajoutés en loucedé au fil de la
saison…
Gaveau fera sans doute des opéras de Verdi en version
de concert avec Plácido Manosbaladores Domingo, et on peut compter sur
le CRR de Paris pour jouer des tragédies en musique,
sur les Conservatoires d'arrondissement pour
remettre à l'honneur de l'opéra français de petit effectif (opéras
bouffes, opérettes, opéras sérieux courts).
Pour le reste, il faudra surveiller les compagnies comme Les
Frivolités Parisiennes, Les Bavards, ou
La Compagnie Mannéivore, qui proposent toute
l'année des raretés du répertoire léger, ou plus ambitieuses, comme La
Compagnie de L'Oiseleur (La Nativité d'Henri
Maréchal est prévue en décembre !) ; toujours à prix doux, quand ce
n'est pas gratuit comme avec Les Bavards ou au chapeau comme
avec La Compagnie de L'Oiseleur !
L'Opéra de Massy, moins subventionné que les
autres, subit des contraintes tarifaires et de remplissage évidemment
plus importantes. Pour autant, il conserve chaque année une place à
l'opéra contemporain, qu'il soit atonal ou tonal, hardi ou confortable
– Gilbert Amy (compagnon boulézisant) il y a deux ans, Régis Campo
(atonalité joueuse) cette année, ou encore le très consonant et assez
génial Barbe-Noire
d'Ambroise Divaret la saison prochaine ! Pour le reste,
du très traditionnel.
Parmi les autres Saint-Quentin-en-Yvelines a
renoncé et Herblay, mais j'ai l'impression que l'un a
renoncé au lyrique depuis longtemps (depuis que l'Atelier Lyrique de
l'Opéra s'est changé en Académie, qui joue désormais dans des lieux
plus prestigieux), et que l'autre a abandonné, au cours des dernières
saisons, ses velléités de me faire déplacer chaque année pour découvrir
de rares inédits – j'y ai vu Vanessa de Barber, Zanetto
de Mascagni, Abu Hassan de Weber…
Je ne puis les citer toutes, mais on obtient ainsi un panorama à peu
près significatif de l'offre lyrique en Île-de-France.

6. État des lieux choral &
instrumental 2026
Cette notule est déjà assez longue. Je peux simplement signaler
qu'il ne faut pas attendre d'explorations de raretés en masse à la Philharmonie
(sorti des programmes à l'amphi) et encore moins au Théâtre
des Champs-Élysées.
La Seine Musicale a
intelligemment confirmé son positionnement de « salle de proximité »,
plutôt orientée grand public, initiation, familles, avec tout de même
quelques orchestres invités (qui coûtent moins cher que ceux de la
Philharmonie ou du TCE, clairement). Radio-France
reste aussi peu
lisible dans ses choix, des tentatives audacieuses isolées (Weinberg
symphonique !) et une identité toujours aussi floue entre les deux
orchestres.
Le salut viendra donc (peut-être) des ensembles amateurs de
(très) haut
niveau de la capitale : Éric van Lauwe, Elektra,
Ondes Plurielles, voire Ut Cinquième ont
régulièrement des programmes originaux ! Il faudra vérifier leurs sites
ou suivre l'agenda de Carnets sur
sol, riche en pépites de ce genre, souvent annoncées assez
tard par les organisateurs !
De même pour les chœurs, Calligrammes en tête !
En formats baroques et chambristes, Philippe Maillard a
largement supprimé les risques (et à peu près banni la musique
française). Jeunes Talents continue d'inviter des
jeunes du CNSM, essentiellement dans de grandes œuvres du répertoire –
mais le lieu, l'ambiance et la qualité d'exécution méritent totalement
le déplacement !
Les lundis, musique de chambre aux Bouffes du Nord,
programmation confiée à La Belle Saison (qui a un beau carnet
d'adresses). Et le mercredi, c'est à la Bibliothèque La Grange
– Fleuret qu'on peut se rendre, pour des programmes parfois
exploratoires en lien avec le fonds des collections !
Cortot a une rentrée vraiment stimulante, très loin
de se limiter aux pianistes chopiniens, mais le contenu de la
programmation est bien sûr totalement dépendant des locations de salle
; il n'y a pas de saison constituée avec une direction artistique – et
ce n'est pas forcément plus mal, en réalité.
Les Conservatoires (CNSM, CRR de Paris et même
arrondissements) pourvoiront aussi leur lot de raretés qui ne seraient
pas osées ailleurs ! Je surveille régulièrement la classe de Stéphanie
Moraly en violon (érudite de la sonate française et interprète de
premier plan) au CRR et les concerts de musique de chambre au CNSM.
De ce côté, il y aura donc de quoi découvrir : musique de chambre de
compositrices, de compositeurs français oubliés, de compositeurs
vivants, de compositeurs emblématiques de leurs nations et jamais joués
en France… Les centres culturels (tchèque, polonais,
ukrainien…) organisent volontiers des événements.
Pour une idée des salles à parcourir (qui incluent des églises !),
vous trouverez la liste des programmateurs que je suis le plus
assidûment,
à la fin de l'agenda.

7. Le programme de Carnets
sur
sol
J'ai déjà esquissé plusieurs fois ce que pourrait être une autre
politique de programmation musicale. En priorité pour les grandes
maisons – les autres font ce qu'elles peuvent pour survivre, je le
comprends (et leur programmation est déjà plus intéressante…).
J'admets que ce serait un changement profond des logiques actuelles en
matière de constitution d'une saison, mais je ne crois pas que ce
serait déraisonnable.
Justement, si on élargissait le public d'opéra avec des propositions
qui excèdent le public glottophile…
J'ai bien compris que le but était plutôt la répétition des titres «
glorieux » pour conforter le public dans ses habitudes, plutôt qu'un
service public de la connaissance. Dans ce cadre, les distributions
sont belles, c'est très bien. Mais est-ce satisfaisant ?
Cela rejoint ce que j'évoquais plus haut : puisqu'il s'agit de dépense
publique (et non de la contribution, par le prix des places
ou par le mécénat, à l'entretien d'un loisir par ceux qui sont
concernés), il me semblerait légitime de viser un but plus
élevé que la simple répétition du même plaisir pour le même
public (de surcroît en moyenne plutôt privilégié). Ce pourrait être la mise
en valeur du patrimoine (français, pourquoi pas, j'imagine
que ça motive plus que ce soit local) pour témoigner de ce
qui existe, ou tout simplement une visée plus pédagogique, qui permette
de donner à comprendre la « musique classique », pas simplement en
bombardant les œuvres qu'il faut connaître, mais en les
mettant en contexte (des concerts partant de la musique de
danse pour arriver à la suite de concert, ce serait parlant et sans
doute assez réjouissant) ou en les présentant de façon cohérente
(chronologique, géographique, par exemple des concerts proposant le
même genre traité à la même époque dans différents coins d'Europe ou du
monde). Avec un programme de salle un peu structurant, il y aurait de
quoi instruire et pas seulement divertir. (On
pourrait même imaginer coupler ça avec la recherche
musicologique, et proposer des concerts qui soient en lien
avec l'état de la recherche, des sortes de démonstrations assorties de
présentations pêchues du type Ma thèse en 180 secondes.)
Pour des salles ou organisateurs privés, c'est beaucoup demander ;
mais lorsqu'on est assis sur un tas d'or une subvention
régulière, on peut attendre cette prise de risque (relative) —
surtout lorsqu'on a obtenu ses crédits en promettant de Révolutionner
le classique, pour finalement produire des concerts de type
ouvert-concerto-symphonie adressés aux CSP+ – certes davantage «
professions intellectuelles » que « professions richissimes », depuis
le déplacement d'Étoile-Monceau vers Villette-Pantin, mais toujours une
portion du public de classique.
La curiosité de la nouvelle salle, les expos sur toutes les musiques,
les ciné-concerts attirent un public assez différent, mais pour le
reste, le cœur de ce qui est fait sur place ne cherche pas à se rendre
accessible aux néophytes ni à instruire les habitués. Et en cela, c'est
à mon sens manquer à sa mission.
Tout cela n'est pas complètement nouveau si vous lisez régulièrement
Carnets sur sol, j'en ai déjà parlé :
Philharmonie : pour une
réforme active de la liturgie à la Cathédrale de la Porte de Pantin
(où je me suis pas mal amusé avec les intertitres) ou encore
Les choix de répertoire
sont-ils les bons – ou comment le classique va disparaître,
parmi d'autres.
8. Les solutions de Carnets sur sol
¶ En musique de chambre, le petit format permet la
prise de risque : on amortit plus facilement les coûts (on peut trouver
des salles peu chères, ou se faire mécéner), et si l'on cherche un peu
hors des grandes salles, on peut rencontrer des propositions très
riches et originales. Témoin les festivals Inventio (1,2,3), Un Temps pour Elles,
ou celui de Pentecôte de La Nouvelle Athènes (à La Malmaison /
Bois-Préau), mais aussi la programmation de salles spécialisées comme
Cortot, de conservatoires ou de petites salles pas exclusivement
dévolues à la musique.
¶ En musique symphonique, la marge de manœuvre
paraît réduite, parce qu'on ne peut pas trop vendre, hors de quelques
œuvres à titre évocateur – mais on peut toujours en faire un argument
de vente, il y en a beaucoup, ou simplement, comme le fait Le
Concert de la Loge Olympique pour les symphonies de Haydn… les
ajouter –, à un public très large une œuvre rare d'un compositeur peu
connu avec simplement le titre « symphonie ».
En réalité, les possibilités sont assez nombreuses :
a) utiliser des œuvres dont les titres
sont attirants (symphonie «
Antarctique » de Vaughan-William, L'Île
des
Morts de Reger, les Vitraux d'église de Respighi,
etc.) ;
b) se servir des couplages : avec Martha
Argerich
en première partie, on peut littéralement proposer tout ce qu'on veut
après (éviter Stockhausen tout de même, ce n'est pas le même public),
n'importe quelle belle symphonie romantique un peu généreuse (la Deuxième de Hamerik, la Troisième de Sinding, la Première de
Weingartner, la Symphonie en fa
d'Albert, la Deuxième de
Dopper, la Troisième
d'Alfvén, la Première de
Langgaard, la Troisième de
Noskowski… ce n'est pas le choix qui manque) ravirait le public ;
c) plus ambitieux et plus intéressant, bâtir une logique
dans la saison : exploration chronologique (possibilité de
suivre l'histoire de la symphonie ou du concerto sur plusieurs
concerts) ou géographique (saison consacrée à un pays ou une région
donnée…). Dans cet esprit, je reste toujours interdit qu'on n'ait pas
profité de l'élan de solidarité plutôt unanime en France avec l'Ukraine
pour proposer des concerts hors d'une poignée de propositions de gala
(vraiment très peu dans les grandes salles). Alors qu'il y a tout de
même quelques propositions fortes à faire : la Troisième Symphonie de
Glière pour le romantisme (ou même son Concerto pour colorature avec
Devieilhe, si on ne veut pas prendre de risque), Mosolov et ses
Fonderies d'acier, presque jamais données en concert, musiques de film
de Tiomkin, en piano Suicide on an Airplane ou les Impressions
de Notre-Dame d'Ornstein et, suivant la façon dont on
délimite ce qui est ukrainien, le Démon (ou les
oratorios sur la vie de Jésus ou sur la Tour de Babel) de Rubinstein,
n'importe quelle œuvre de Prokofiev… Mais j'admets que ça représente
plus travail et d'incertitude que de demander aux Siècles ou au
Philharmonique de Radio-France ce qu'ils jouent en ce moment… |
¶ En opéra, j'ai là aussi développé plusieurs fois
mon opinion sur le sujet – cette notule en recense
quelques idées et livre les liens vers les précédentes entrées qui en
parlent. Peut-être plus encore qu'en musique instrumentale, où tout le
monde n'a pas pas le temps de s'accoutumer aux œuvres, et où la redite
se justifie en partie, la dimension narrative de l'opéra appelle le
renouvellement. Sinon l'on ne s'adresse qu'au public glottophile, qui
va mesurer la performance (au sens le plus français du terme) de tel
chanteur dans tel rôle. Et l'on perd un peu de vue l'essence du genre,
qui était d'exalter l'émotion textuelle au moyen du concours de la
musique…
Pour continuer de remplir sans limiter les représentations d'opéra
co-financées par le contribuable à de la pure redite et à du musée
vocal, il existe un grand nombre de pistes. Je vous en suggère
quelques-unes – Mesdames les tutelles, Messieurs les directeurs, la
consultation est gratuite.
1. Proposer des titres
issus de la culture commune
La tendance qu'on a pu rencontrer à centrer les livrets sur de la
culture très ciblée met plutôt à distance le vaste public, qui doit, en
plus des codes de l'opéra, reconnaître ceux des univers adaptés : on a
ainsi eu Palestrina, Grünewald, Bacon, Rimbaud, Mauriac, Akhmatova… Je
recommande plutôt d'éviter les livrets qui ont pour sujet les vies
d'artiste – c'est ennuyeux en soi, une histoire abstraite de création
artistique, et de surcroît n'intéresse que ceux qui ont déjà une bonne
maîtrise des œuvres de ces personnes… le public cible est assez réduit,
a fortiori lorsque ce sont des poètes ou des peintres
(hors
quelques rares vedettes : pas mal d'opéras sur van Gogh en
particulier).
|
→ Films et séries,
évidemment
l'historique à grand spectacle issu du péplum (Ben-Hur, The
Ten Commandments) ou non (Agora d'Amenábar), la fantasy
(Lord of the Rings, Games of Thrones) ou la
science-fiction (Star Wars, Terminator) paraissent
des candidats naturels pour attirer le grand public, mais on peut aussi
aller du côté jeune public, aussi bien un Bambi ultratonal
que des goûts plus ados comme Hunger Games ou Squid Games,
qui seront dans quelques années les standards des adultes.
Faut-il ensuite imiter le langage (et l'esthétique scénique ?) du film
d'origine, pour ne pas décevoir le public ? Probablement, quitte à
utiliser des thèmes préexistants insérés dans des procédés de
développement plus sophistiqués lorsque nécessaire ; mais je n'ai pas
de réponse absolue là-dessus. Imiter évite surtout d'aboutir dans des
impasses où le langage musical va dans une direction contraire à ce qui
construisait l'émotion des films initiaux – ou alors il faut vraiment
viser le contraste drolatique à l'usage des spectateurs avec beaucoup
de second degré, comme Teletubbies dans le langage de
Lachenmann…
La principale difficulté de ce choix réside dans l'obtention des droits
d'une part, leur montant d'autre part. Et, entre le contrôle étroit des
studios sur leurs meilleures marques, et les exigences financières
exorbitantes, il sera clairement difficile de multiplier les
expériences ; il faut le voir comme un produit de prestige ponctuel
destiné à infléchir l'image de la maison.
|
→ Culture littéraire ou historique
très grand public :
aussi bien du côté des classiques, un Avare, une Notre-Dame-de-Paris,
un Maigret, que de la littérature populaire ou jeunesse (One
Piece rajeunirait assurément l'âge moyen de la salle !).
|
→ Histoire récente et sujets
d'actualité : il existe
déjà des opéras sur Anna Nicole, Kennedy, Marilyn
Monroe, alors pourquoi pas sur George Bush II ou
Jean-Claude-Trichet. Et on pourrait parler de sport, de faits de
société, il aurait clairement de quoi écrire du drama sur les
grands votes clivants à l'Assemblée type avortement / peine de mort /
union civile (qui n'a pas rêvé de voir Christine Boutin pousser un
grand air colorature ?), à condition bien sûr de ne pas faire de
prêchi-prêcha, mais plutôt de rendre la tension de ces moments. (Je
reviendrai sur ce point un peu plus loin.)
Clara Olivares & Chloé Lechat avaient assez bien réussi le pari de
parler des couples d'aujourd'hui, par exemple, dans Les Sentinelles
(commande de l'Opéra-Comique jouée il y a quelques mois). C'est moins
léger que Friends ou How I Met Your Mother (celui-là,
avec sa loufoquerie, serait un assez bon client pour une adaptation
lyrique de quelques épisodes concentrés, sans nécessairement chercher à
couvrir tout l'arc narratif de la série), assurément, et la musique
reste assez peu festive, mais le tout était prenant et écrit, côté
livret, conformément à l'esprit de son temps et non en empruntant des
singeries de grand genre en décalage avec son sujet, comme
c'est trop souvent le cas – coucou Manga Café (Zavaro), un
opéra que j'ai par ailleurs aimé, mais dont les écarts de langue du
livret entre faux-parler jeune et hypercorrection syntaxique
produisaient sans cesse des rencontres assez malheureuses.
|
→ Grands thèmes fédérateurs
avec des livrets
originaux ou non : le Moyen Âge épique, la science-fiction, le
surnaturel de toute sorte – j'ai déjà abondamment plaidé pour
l'écriture de Glotte of the Dead, l'esthétique de l'opéra
serait idéale pour servir la lenteur, la tension, les nappes vocales
d'une horde de zombies. De même, les super-héros (du type The Flash
2014, avec des interludes figurant la vitesse, et des effets musicaux
associés aux différents pouvoirs des méchants) semblent assez
bien se prêter au jeu de l'investissement musical.
On pourrait aussi imaginer, dans le contexte réceptif aux nationalismes
qui est le nôtre, de flatter la tendance en faisant fonds sur la figure
de Vercingétorix, plutôt
avec l'épique opéra de Fourdrain que le plus étrange et vaporeux de
Canteloube (dont le livret m'a de surcroît paru fort mauvais).
Ne croyez pas que je rêve tout haut, cette démarche existe déjà : on a
déjà représenté des opéras très accessibles qui parlent d'histoire
récente (Rasputine, Anne Frank, Die Weiße Rose, JFK, Nixon, Marilyn
Monroe, de l'homosexualité chez les maccarthystes), de grands
classiques (Minotaure, Ovide, Hamlet, Richard III, Frankenstein, Poe,
Melville, Cyrano, Usher, Canterville, Solaris, T. Williams, Beckett…),
de littérature de jeunesse (Chat Botté, Musiciens de Brême,
Blanche-Neige, Gulliver, Lord of the Flies),
de films (Sophie's Choice, Marnie, Dead Man Walking, The Addams
Family), de bandes dessinées (Max et les Maximonstres), de
livres de psychiatrie (The Man Who Mistook his Wife for a Hat),
des suites d'opéras du répertoire (de la trilogie de Figaro, d'Aida, de
Gianni Schicchi… certes c'est rarement réussi), de l'exploration de
phénomènes sociétaux (alpinisme, regards sur l'homosexualité,
Alzheimer, le nucléaire), des opéras érotiques (Opéraporno
dont je n'ai jamais trop mesuré à quel point il tenait ses promesses, Powder
her Face, Das Gehege – où une femme rêve, je n'exagère
rien, de se faire déchirer par un aigle)…
|
2. Proposer des
dispositifs nouveaux. Pourquoi pas un opéra à entrées multiples,
avec vote du public à l'entracte pour l'enchaînement des actions (c'est
de la grosse logistique, mais quel coup de pube !). Et plutôt que de
faire entrer les acteurs dans la salle, on pourrait imaginer une
interaction avec des boîtiers pour voter – on pourrait imaginer un
opéra sur la téléréalité ou les réseaux, où les spectateurs pourraient
faire remplacer un chanteur, ou dire leur opinion en temps réel sur
l'action scénique (est-ce moral ou non, par exemple). Je ne dis pas que
ça changerait quelque chose à l'essence de l'opéra, à l'intérêt ou non
d'une œuvre, mais ça pourrait susciter la curiosité, créer le débat,
proposer une approche différente, plus active, de l'écoute.
Car en classique, il est difficile de tolérer que le public se lève ou
parle, par exemple – si vous faites du bruit pendant une fugue, on
n'entend plus la musique, ce n'est pas comme si vous chantez pendant un
concert d'Iron Maiden, où le son du groupe sera toujours
audible pour tout le monde.
Ce n'est pas forcément la piste la plus féconde, mais ponctuellement,
comme la Philharmonie l'avait fait avec les tapis d'orient au parterre
pour Ishtar de d'Indy et les suites d'Antoine &
Cléopâtre de Schmitt, ou debout au milieu des interprètes comme
pour l'Orfeo de Monteverdi version Berio, ou encore les
fameux Dodo Tharaud où l'on écoute la musique totalement
allongé… J'ai testé les deux premiers, et c'était clairement moins
confortable que le siège traditionnel, mais aussi une façon différente
d'approcher ; clairement le public était un peu différent de
l'accoutumée
|
3. Et le plus important sans doute, être cohérent.
Si l'on joue un opéra inspiré de la culture populaire, il faut
assurément employer un langage qui
reflète les atmosphères de l'œuvre d'origine – chercher à
imposer de la musique atonale sur un film dont l'atmosphère tient en
partie à sa B.O. lyrique, ou défragmenter la déclamation avec de grands
intervalles pour un sujet traitant du quotidien, par exemple,
représente d'avance une impasse.
Combien de fois ne me suis-je pas dit, rien qu'en associant le titre
annoncé au nom du compositeur, que c'était perdu avant même que de
commencer ! (Et on est parfois très agréablement surpris, quand
le compositeur adapte son esthétique au texte choisi !)
C'est quelque chose qui ne se fait plus, mais je pense qu'il
serait de la responsabilité des
directeurs de théâtre d'intervenir. Pas dans le message transmis
par les artistes ni leur manière d'artister,
bien sûr, mais pour des contraintes concrètes – je me rappelle de
Pierre Jourdan qui, à Compiègne, exigeait par contrat que ses chanteurs
ne roulent pas les [r], pour rendre le texte plus direct ! (Et ça
fonctionnait très bien, même si les musicologues et les profs de chant
ont beaucoup contesté ce choix, avec des arguments par ailleurs
valides.)
Typiquement, lorsqu'un metteur en scène conçoit son spectacle de façon
à ce que la moitié de la salle ne puisse pas voir ce qui se passe –
Iphigénie toujours contre le mur côté cour chez Warlikowski, ou cette
scène entière d'Aida de Py où
les chanteurs étaient sur une passerelle trop haute, personne ne les
apercevait depuis le second balcon ! –, il serait tout à fait légitime
que le directeur de théâtre intervienne et impose des aménagements.
On pourrait en faire de même avec les commandes : négocier non
seulement le titre, mais aussi la façon dont ce titre sera approché.
Bref, quelqu'un responsable de la
cohérence du projet. Avec un droit de regard sur le librettiste
peut-être, parce que les compositeurs un peu trop sûrs d'eux-mêmes ou
les potes pas vraiment talentueux (voire les adeptes du prêchi-prêcha
rarement profond), ça en a ruiné des opéras, encore plus que la musique
inadéquate !
Un filtre extérieur qui vérifie l'application d'un cahier des
charges convenu en amont éviterait peut-être un certain nombre de
demi-succès, fréquents dans la création lyrique contemporaine – et
c'est souvent rageant lorsque les compositeurs sont talentueux.
Je m'imagine quelqu'un arrêtant (le merveilleux compositeur pour la
scène) Michael Jarrell devant ses premières esquisses de Bérénice : « et si on choisissait
plutôt un style de texte qui corresponde à la musique que vous êtes en
train d'écrire ? ».
En somme, un pilote dans l'avion
plutôt que d'ouvrir après coup la boîte noire et de se rendre compte
que ça ne pouvait jamais
fonctionner…
|

9. Tableau de frustrations
Je crains d'avoir beaucoup pleurniché dans cette notule, et d'avoir en
vain lancé des pistes qui, faute de quiconque d'intéressé pour les
tenter (le recrutement des directeurs de salle ne se fait pas vraiment
sur des critères de compétence sur la part artistique de la
programmation), ne sont amenées qu'à rester des rêves pour songe-creux
et autres mélomanes blasés – brefs, mes amis
les petits marquis et moi-même.
J'ai ainsi un peu traîné des pieds pour l'écrire, sur plusieurs mois,
ayant l'impression de prolonger une réflexion qui ne mène nulle part,
si je ne suis pas inséré quelque part pour lui donner chair… Or les
grandes structures sont gouvernées par des professionnels de
l'administration (ce qui est tout à fait légitime) et les petites sont
déjà fondées sur un projet artistique fort (auquel je n'ai pas
forcément à redire au demeurant !).
Je ne sais donc pas trop bien à quoi sert tout cela, mais il me semble
néanmoins que ce parcours permet de poser des questions sur la façon
dont, spontanément, nous concevons ce qu'est une saison de concerts ou
d'opéra, ce que nous en attendons, et ce que nous pourrions en retirer.
C'est pourquoi je ne puis qu'inviter les Franciliens à se tenir à
l'affût des offres parallèles (je tâche, avec les copains, d'en
proposer un maximum dans
l'agenda
de CSS, accessible en
haut à gauche de la page d'accueil) qui permettent d'explorer un plus
large champ, lorsque vos goûts ne sont pas servis par l'offre la plus
en vue ou que votre curiosité prend le dessus.
Et puis, pour être tout à fait honnête… autant, pour chaque salle, il y
a de quoi trouver l'offre timorée ; autant, en cumulant toutes les
trouvailles éparses, on remplira son planning de concerts sans trop de
difficulté, même en ayant des goûts assez spécifiques et l'envie de
sortir souvent.
À très vite pour des recommandations plus concrètes ou des
investigations plus positives !