Carnets sur sol

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mercredi 24 novembre 2021

Les plus beaux Requiem


lattès

Une amie, enthousiasmée par le Requiem de Campra, pose la question des plus beaux Requiem. Sujet particulièrement vaste, mais j'ai tâché de lui complaire le plus tôt possible, en jetant à la hâte les titres qui me venaient à l'esprit, les versions pour bien débuter, les œuvres les plus frappantes, le tout regroupé par thèmes (il s'agit d'une mélomane aux goûts spécifiques, LULLY-Messiaen plutôt que Rameau-Bellini).

[[]]
Introitus du Requiem de Campra, version Malgoire.

Je me dis que, faute de disposer des quelques années nécessaires à produire une synthèse raisonnée des plus beaux Requiem, je peux toujours vous proposer, dans le cadre des petites listes informelles des Goblin awards, les conseils que je lui ai rapidement prodigués.



requiem



1. Corpus

Petite liste des Requiem (majoritairement) célèbres auxquels j'ai pensé.
Par ordre chronologique très approximatif de naissance des auteurs / d'écriture / création / publication (dans une vraie belle notule, tout aurait été bien classé…).
Puis les conseils de versions après les flèches.

Févin / Divitis→ Organum
Morales
Victoria
Lassus
Purcell, Funérailles de la reine Mary (pas un Requiem) → Gardiner
Lalande (Séquence seulement)
Jean Gilles → Sow ou Herrewehge I avec Mellon-Crook
Charpentier H.2, H.7, H.10
Campra → Malgoire
Biber
Haendel, The Ways of Zion Do Mourn → Parrott, Mallon, Wachner
Zelenka, pour Fridrich August Ier → Luks
Zelenka, pour Joseph Ier
Lotti
Gossec
Salieri
Michael Haydn
Mozart
→ Currentzis, Mackerras-Gritton, Hickox (Herreweghe, Davis-BBCSO, Harnoncourt-Yakar, Bernstein, Davis-Radio Bavaroise, Christie, Malgoire I…)
Plantade
Cherubini, Requiem n°1 en ut mineur → Grünert, Spering, Niquet
Cherubini, Requiem n°2 en ré mineur → Markevitch
Berlioz → Ozawa
Gouvy
Schumann → Bauer-Hielscher
Liszt, Requiem pour solistes, chœur masculin et orgue
Liszt, Requiem pour orgue
Verdi
→ Fricsay 53, Markevitch 59 (Barenboim I, Hickox, Bosch, Fricsay 60, Jochum 50, Bernstein, Leinsdorf, Markevitch 60, Muti 87, Abbado 2001, Pappano, Otterloo…)
Suppé → Corboz
Brahms, Ein deutsches Requiem (les textes ne sont pas ceux du Requiem)
→ Maazel-Prey, Tennstedt-Allen, Wit-Bauer, Herreweghe, Giulini-Fischer-Dieskau, Solti-Weikl, Kubelik-Brendel, P.Järvi-Tézier, Norrington, Furtwängler…
Dvořák
→ Ančerl-Berlin, Wit, Jansons, Topp, Sawallisch, Košler, Ančerl-Prague…
Fauré version chambre → Svensson (Herreweghe, Romano)
Fauré version orchestre
→ Bolton, Spanjaard (Corboz, Herreweghe, P. Järvi, Frémeaux…)
Saint-Saëns
Borodine
Bomtempo
Stanford
Duruflé
Puccini
Ropartz
Howells → Toll
Pizzetti
Oskar Lindberg
Foulds
Britten (avec poèmes intercalés)
→ Giulini, Pappano, Britten (Ančerl, Orawa, Masur, Hickox…)
Takemitsu (pour cordes)
Schnittke
Ligeti
Penderecki, Un Requiem polonais
Bernd-Alois Zimmermann, Requiem pour un jeune poète (textes composites)
Chesnokov, Requiem n°2 (en russe)
Kilar
Desenclos



lattès



2. Conseils
« Puisque c'est Campra qui t'a d'abord séduite : il existe assez peu de Requiem intégraux dans le baroque français. Les offices funèbres existaient évidemment, mais pour les mises en musique, on rencontre le psaume De profundis clamavi ad te, Domine (« Des profondeurs de l'abîme j'ai appelé vers toi, Seigneur »), qui n'est pas initialement lié à la Résurrection. Je te ferai une liste si tu le veux, mais c'est autre chose que le Requiem, dont j'ai déjà proposé une liste élargie contenant des offices funèbres excédant le texte du Requiem latin.
    On a aussi des traces de mises en musique de la Séquence isolée (c'est-à-dire la partie spécifique à la messe des morts, qui débute par Dies iræ et parcourt des versets célèbres comme « Tuba mirum »,  « Liber scriptus », « Quid sum miser », « Rex tremendæ majestatis », « Recordare », « Ingemisco », « Confutatis maledictis », « Lacrymosa »…), comme chez Lalande. Dans un esprit qui n'est pas du tout paroxystique comme chez les Romantiques.

    Pour le baroque français, outre Campra, c'est Jean Gilles qu'il faut connaître, remarquable pour sa marche liminaire dont les rythmes pointés sont entrecoupés de longs silences ; ou pour l'entrée en canon des solistes dans l'Offertoire, moment ineffable inclus dans mes boucles favorites. Je te recommande la version Sow, ou la première de Herreweghe (celle avec Mellon & Crook).

    Parmi les grands anciens, plus purement polyphoniques et donc probablement moins calibrés pour ton goût, plutôt que Victoria ou Lassus, je te conseille Févin / Divitis (on ne sait lequel des deux l'a composé !), par Organum, très savoureux (Doulce Mémoire est excellent aussi dans un genre complètement opposé, davantage appuyé sur la couleur que sur le trait). Et puis tout de même, Morales, dont le savoir-faire contrapuntique donne le vertige. Je ne sais si ce peut te plaire, mais c'est à connaître.

    Pour les Anglais, deux pièces funèbres, non des Requiem, mais qui en tiennent lieu et sont à connaître absolument :
→ la cérémonie pour Queen Mary (Purcell), pour son recueillement saisissant, aux confins du silence ; 
→ et The Ways of Zion Do Mourn (Haendel), pour ses tuilages vocaux à l'intensité affolante. Trouvable en cantate séparée, ou bien inclus dans les première et troisième versions d'Israel in Egypt (supprimé dans la deuxième), que tu trouveras notamment chez les excellents Parrott (saisissante expression du désarroi), Mallon, Wachner…

    J'aurai moins à te proposer chez les Classiques, où les Requiem n'ont, pour ce que j'en connais, pas la même force. Mozart par Currentzis (ou Mackerras-Gritton, ou Hickox, ou Herreweghe, C.Davis-BBCSO, Harnoncourt-Yakar, Bernstein, C.Davis-Radio Bavaroise, Christie, Malgoire I, Böhm-Siepi… le choix ne manque pas). Pourquoi pas Michael Haydn, qu'il connaissait et dont l'Introitus a inspiré celui que nous connaissons tous désormais. Gossec. Mais tout cela me paraît moins prioritaires – non que Mozart ne le soit, mais tu le connais déjà bien.

    C'est une tout autre histoire chez les jeunes romantiques : bien sûr les deux Cherubini, liés à l'histoire que tu connais, la pierre de Rosette du grégorien, le succès des concerts spirituels, la défiance envers le faste grégorien et pour finir le bannissement des femmes des cérémonies funèbres parisiennes.
    Le premier (ut mineur), pour chœur mixte, qui respecte les inflexions accentuelles du texte latin, est vraiment fabuleux (par Grünert ou Spering, voire Niquet – pour toi qui as tes habitudes musicologiquement conformes, je dirais Spering en priorité).
    Le second (ré mineur), pour hommes seulement, fut écrit par Cherubini pour s'assurer que la musique pour sa propre mort ne serait pas interdite (!), après la catastrophe des funérailles de Bellini. Il en existe peu de versions (3), je te recommande Markevitch.

    On pénètre à présent chez les gros Requiem dramatiques.
→ Comme le signalait Clément, le Requiem de Berlioz doit vraiment être écouté avec ses volumes et sa spatialisation, très spectaculaires et physiques, en salle. Au disque, on entend surtout les gros blocs pas très subtils (et il faut sans cesse jouer avec le potentiomètre). Gouvy, plutôt parent de Berlioz mais pas pour sa Messe des morts beaucoup plus recueillie, mérite le détour, mais n'est pas prioritaire.
Verdi, de la folie pure, tout en exubérance et en génie mélodique (essaie Fricsay pour que ça ne dégouline pas).
Suppé, qu'on est surpris d'entendre aussi mordant, est écrit dans un style similaire, très dramatique, tout en éclats – et écrit lui aussi au cordeau.
Brahms, grands récits de baryton et fugues chorales, épatant, tu devrais aimer cet aspect très verbal / incantatoire. Versions : Maazel-Prey, Tennstedt-Allen, Wit-Bauer, Giulini-DFD (surtout pas les autres Giulini), Solti-Weikl… Particularité : le texte allemand n'est pas une traduction de la messe des morts, mais constituté de fragments de l'Écriture (plusieurs par mouvement !).
Stanford débute doucement, mais à partir de l'Offertoire, les parentés avec les élans de Brahms sont assez frappantes.
→ Bien sûr Dvořák, le mieux psalmodié de sa catégorie, peut-être à la fois le plus saisissant (terrifiant Dies iræ infernal) et le plus poétique (le début de l'Offertoire aux vents seuls, avec ses chœurs à l'unisson imitant le grégorien).

Borodine est à part : il n'y a que le Dies iræ, il n'y a pas de voix… et c'est particulièrement court. Mais très frappant.

    À l'opposé, à partir du milieu du siècle, apparaissent des épures, en particulier françaises. Cécilianistes, néo-grégoriennes, ou post-fauréennes, elles reviennent à la nudité du texte.
Liszt (au titre français de Messe des morts), remarquable et mal connu, dans le même esprit totalement dénué du Via Crucis, le contrepoint en sus. Pour quatre solistes, chœur masculin et orgue, vraiment du texte et de la musique dans leur ultime pureté. Il a aussi écrit un Requiem pour orgue seul, conçu pour être joué en alternance avec le texte parlé de la messe des morts.
Fauré, que tu connais. Particularité : très facile à chanter, d'où sa programmation par tous les ensembles amateurs – il n'y a vraiment aucune difficulté vocale, même pour les solistes on reste dans l'ordre de l'abordable. Tu peux essayer la version de chambre pour renouveler l'écoute, bien que je ne sois pas persuadé qu'elle soit meilleure que la traditionnelle pour orchestre.
Saint-Saëns, écrit dans le dépouillement extrême qui devait, depuis les controverses des années 1830, favoriser la prière.
Duruflé, explicitement fondé sur les modes grégoriens, mais je te préviens que l'ensemble ménage assez peu de contrastes et de drame.
Ropartz, dans le même esprit que les précédents, le raffinement harmonique en prime.
→ Et, à la fin du XXe siècle, Desenclos, très apaisé, comme du Poulenc très décanté.
→ Ailleurs en Europe, on retrouve le même esprit chez Chesnokov (véritable écriture liturgique dans le style de l'Obikhod), et parfois avec plus d'entrelacement des voix : Howells, Pizzetti

Le XXe siècle a aussi ses grandes fresques dramatiques, souvent nationales :
Foulds (en mémoire de la Première guerre mondiale) et Britten (pour la seconde), les deux incluant de la poésie profane au sein du texte liturgique habituel.
→ Le Requiem polonais de Penderecki.

Et bien sûr, plus composites et étranges, les nuages de Ligeti, les textes collés de B.A. Zimmermann…

Avec tout cela, tu devrais pouvoir varier les plaisirs funéraires pendant quelque temps, manière de patienter jusqu'à la nouvelle fin du monde ! Sois sage dans l'intervalle.  »



lattès



3. En bref

On me souffle (pas ma commanditaire, qui n'aurait garde d'être aussi impudente) que la liste est un peu touffue pour être explorée. Et on me demande tout de bon : quels sont tes préférés ?

Quoique secrètement révolté par l'impudeur de la requête, je m'y plie avec grâce.

1. Haendel
2. Dvořák
3. Britten
4. Cherubini 1
5. Gilles
6. Verdi
7. Brahms
8. Campra
9. Howells
10. Desenclos
11. Foulds
12. Cherubini II
13. Liszt
14. Ropartz
15. Chesnokov
  
(Numérotage moulé à la louche et toute subjectivité bue : vous n'en aurez pas pour plus cher que vous ne m'avez versé !)



Belles découvertes à vous !



lattès


mercredi 25 mars 2020

Petite discographie (sélective) du motet baroque français


Absorbé dans un télétravail intense et le maintien du lien humain par-delà la distance, peu eu le temps d'avancer la notule sur laquelle je planchais.

Afin de ne pas vous laisser sombrer dans la plus complète déréliction, je propose donc un petit guide discographique de la musique sacrée française, qui a l'avantage non négligeable de sa majesté joviale et de sa mélancolie dansante.



Si vous n'aimez pas le baroque français, vous pouvez aussi vous reporter à d'autres listes de réjouissances :
→ « Jubilation cosmique » ;
→ « Boucles ! ».



lalande ténèbres

Petits motets (pour 1 à 3 solistes et basse continue) :
du Mont (Pierlot), petite saveur italienne.
LULLY Salve Regina, O sapientia, etc. (Christie)  Petites miniatures mélodiques à une voix, délicieuses.
Lalande, Leçons de Ténèbres (Dumestre). Un genre en soi, à la fois mélismatique et déclamatoire.
Charpentier, Magnificat H.73 (Christie), une chaconne à trois voix tout en tuilages, indispensable !
Couperin, Leçons de Ténèbres. Des tas de versions fabuleuses : Boulay II (avec Laurens), Vernet (Desrochers), Mandrin (Warnier), Gester (Haller), Fentross (Zomer), Charlston (Kirkby), Holland (Zanetti), Christie (Petibon), Lesne, Coudurier (Zanetti), Cummings… Un sommet mélodique et harmonique du temps.
Michel, Leçons de Ténèbres (Correas). Pour voix grave, assez différent.

gilles requiem

Grands motets (avec solistes, chœur et orchestre), en essayant de parler de motets précis :
Bouzignac pour point de départ. Christie doit être l'un des rares disques décents.
LULLY, tout le disque García-Alarcón, remarquablement brillant.
LULLY, Domine salvum fac Regem (Niquet)
Lalande, Jubilate Deo omnis terra (Colléaux). Pour moi le plus beau grand motet de tous, des atmosphères extraordinaires.
Gilles, Requiem. Sommet d'inspiration mélodique, en particulier l'Introitus initial et les entrées décalées de l'Offertoire. (beaucoup de très belles versions, en particulier Sow, et Herreweghe I avec Mellon & Crook…)
Charpentier, Te Deum (Niquet, Minkowski, Mallon, Christie, Gester, Tubéry…). Le grand tubes mais aussi le paradis des tuilages !
Desmarest, Usquequo Domine (Christie), pour ses couleurs très personnelles.
Desmarest, Messe à double chœur, Te Deum de Paris (Niquet), d'une belle richesse contrapuntique.
Campra, Exaudiat te Dominus (Christie), pour son atmosphère martiale initiale, et son Implevit d'une tendresse ineffable.
Mondonville, Dominus regnavit (Christie), pour son élan.
Mondonville, In exitu Israel (Christie), pour ses figuralismes inédits (« Super flumina Babylonis »).
Mondonville, Cœli enarrant (Coin), pour son « In sole posuit tabernacula ejus » d'une suspension miraculeuse.

campra exaudiat

Je trouve personnellement les motets de Rameau bien moins marquants que les autres (et aussi que le reste de la production de Rameau) ; de la même façon, j'ai écarté les Te Deum de LULLY et Lalande, ou le Requiem de Campra, qui restent des standards du genre. Mais effectivement, les grands motets de Brossard (Coin) ou Madin (D. Cuiller), ou bien le double disque des Te Deum de Blamont et Blanchard (D. Cuiller) sont aussi à découvrir, parmi bien d'autres choses !

les chantres de saint-hilaire

Pour la période du tout début du baroque, il y a les deux disques (Henri IV et Louis XIII) des Chantres de Saint-Hilaire, ou encore celui d'Athénaïs (avec six voix féminies) consacré à Nivers.



Beau parcours à vous !

De confiner (être tenu dans ses limites) à confier (apporter sa foi), seule la n nous sépare… Puisse cette musique vous aider à faire le chemin.

Vers Dieu paraît un peu loin considérant les limites hectométriques actuelles, mais jusqu'au bout de votre quartier et de cet interminable châtiment sera déjà pas mal.

samedi 2 novembre 2019

[Sélection lutins] Dix disques de piano – nouvelle édition


Il y a presque sept ans, j'avais proposé une liste restreinte à dix disques de piano, invitant à la découverte à travers de grandes interprétations : Bach par Perahia, Rameau par Tharaud, Bruckner par Shiraga, Debussy par Thiollier, Koechlin par Henck, Hahn par Wild, Tournemire par Delvallée, Decaux par Hamelin, Roslavets par Lazareva, Takemitsu par Crossley, Boulez par Frey). J'y avais adjoint quelques conseils incluant notamment P. Serkin, Ohlsson, Vásáry, Bavouzet pour les interprètes, Pierné, Sibelius, Schmitt, Barber, Wolpe, Messiaen, Ligeti, Lieberson pour les compositeurs…

Je profite du temps qui a passé pour proposer une nouvelle liste où, de la même façon, je tricherai en proposant onze disques – et quelques compléments.

Non pas que je renie l'ancienne : il n'y a guère que pour le Rossignol Éperdu qu'ont paru deux versions que je trouve plus adéquates, Ariagno et Eidi. Ces disques me demeurent indispensables, en particulier Decaux, Takemitsu et Boulez. C'est simplement manière, au fil de nouvelles découvertes et de nouvelles parutions, de proposer un autre paysage. (Je pressens qu'on y perçoit un peu ma dilection pianistique prioritaire pour les Français tournant-de-siècle et les Soviétiques…)

Les disques sont présentés par âge des compositeurs, du plus vieux au plus jeune (mais seul Rzewski est encore vivant).



ligeti biret
[[]] (fugue de la Hammerklavier)
Beethoven – Sonates 27 à 32 – Peter Serkin, sur piano Graf (Musical Concepts, 2007)
Parmi les étranges aphorismes (n°27 de 12 minutes) et les monuments démiurgiquement architecturés de ces dernières sonates, on croule sous les versions les plus robustes et abouties. Mais pour moi, la lecture la plus aboutie (à laquelle j'ai déjà consacré une notule) est celle-ci. Peter Serkin (le fils du Rudolf qui jouait tout staccato et avec une seule nuance) n'est pourtant pas le pianiste le plus fulgurant de sa génération, malgré son répertoire par ailleurs passionnant (j'ai déjà mentionné son album The Ocean that has no West and no East) – ses Beethoven sur piano moderne sont d'ailleurs particulièrement lisses, blancs, mortifères.
Mais en jouant sur ce piano Conrad Graf (les plus beaux de l'époque, qui ont une certaine profondeur, de très belles couleurs, pas du tout les casseroles infâmes de la génération précédente), il touche soudain à l'essentiel – et au sublime.
D'abord, on y gagne beaucoup de lisibilité (on ne peut pas tout écraser sous la pédale, et chaque registre dispose d'un timbre très distinct). Ensuite, les couleurs obtenues sont extraordinaires, d'une diversité qu'on ne peut pas imaginer sur les instruments modernes, tellement chaleureuses et variées, qui sentent à la fois le bois, le salon, la rêverie, la création. Et par-dessus tout, leurs limites donnent le grand frisson de l'authenticité, de l'œuvre qui excède l'instrument. P. Serkin joue le plus fort qu'il peut sur ce pauvre piano limité dont la table d'harmonie semble vaciller dans la fugue de la Hammerklavier, les cordes crient, on croirait entendre la mécanique ployer et le bois craquer, la rage de la création s'est emparée du pianiste qui, sans rogner sur l'exactitude (l'exécution en est réellement parfaite), pousse l'instrument jusqu'au point de rupture.
En plus de la beauté du résultat, de la facilité d'approche grâce à l'étagement naturel des timbres, la démesure de ces œuvres n'a jamais été aussi palpables, jusque dans la chair de l'instrument. Même si l'on n'aime pas le piano ancien, c'est à tout le moins une expérience quasiment spirituelle à vivre aux côtés de Beethoven.


ligeti biret
[[]] (Variations & Fugue sur un thème de J.P.E. Hartmann)
RöntgenSonate en ut# mineur, Variations & Fugue d'après J.P.E. Hartmann, Ballades… (vol.4) –  Mark Anderson (Nimbus, 2019)
Assez mal connu mais de mieux en mieux documenté au disque, Julius Röntgen (1855-1932) a laissé d'assez nombreuses symphonies (25) d'un romantisme assez naïf, presque néo- (la Troisième n'est pas mal, mais beaucoup sont assez dispensables), 7 concertos pour piano (assez brahmsiens et réussis, en particulier le n°3 !), 13 trios avec piano (dont un avec clarinette) très persuasifs (et brahmsiens également !), 3 concertos pour violoncelle dans un esprit proch de Dvořák, et bien évidemment un assez grands fonds pour piano, dont ce volume n°4 réunit à mon sens, les meilleures œuvres, en particulier l'atypique Sonate en ut# mineur de 9 minutes et ces Varations & Fugue sur un thème de l'emblématique compositeur danois J.P.E. Hartmann (avec une citation de l'Agnus Dei en exergue), de 17 minutes, très diverses et élancées, de la tendresse à l'héroïsme. La fermeté du style évoque un second XIXe siècle qui se souvent encore avec vivacité du dernier Beethoven.
Outre la qualité du corpus, donc, cl'exécution remarquablement aboutie de Mark Anderson force l'admiration : limpide et précis, élancé et sobre, fougueux et profond, du très grand piano (et un très beau son).


ligeti biret
[[]] (Prélude dominical)
Ropartz – Un Prélude dominical & Six pièces à danser pour chaque jour de la semaine, Dans l'ombre de la montagne… – Stephanie McCallum (Toccata Classics, 2015)
Une merveille de simplicité et de grâce. Sobriété absolue, mais puissance évocatrice de ces miniatures. Une révélation pour moi.
Déjà présenté sur CSS.


ligeti biret
[[]] n°5 : soir d'été
Koechlin – Paysages et Marines (piano vol.1) – Michael Korstick (Hänssler, 2008)
J'ai déjà cité, dans la précédente série, d'un tout autre genre (plutôt dans l'entrelac et le mystère oriental), Les Heures persanes par Herbert Henck. Dans la grande entreprise de Michael Korstick d'immortaliser le legs pour piano de Koechlin, et qui bénéficie à la fois d'une grande maîtrise technique, d'un beau toucher, d'un sens de la suspension poétique (malgré, semble-t-il, quelques fautes éparses de lecture), j'aime tout particulièrement L'Ancienne Maison de Campagne (vol.3), dont les archaïsmes sont rendus à nus… et ces Paysages et Marines, qui existent par ailleurs dans une version ultérieure développée pour sextuor (violon, alto, violoncelle, flûte, clarinette et piano), sommet de l'écriture harmonique et contemplative, aux couleurs sans cesse changeantes comme depuis un promontoire à la fin du jour.


ligeti biret
[[]] (« Usines »)
Mariotte – Impressions urbaines & Kakémonos – Daniel Blumenthal (Timpani, 2015)
Deux des cycles les plus intéressants de toute la littérature française, à l'égal des grands Dupont ou Koechlin, dans des genres aussi contrastés qu'il est possible. Les Impressions urbaines (1914-1919) font entendre les bruits de la ville (« Usines », « Faubourgs », « Guinguettes », « Décombres », « Gares » ; bien que le son se rapproche des pièces mécanistes de Meisel ou Mossolov, le programme écrit par le compositeur insiste plutôt sur la misère humaine, dans une veine naturaliste) restructurés en musique – très impressionnant et fascinant.
Kakémonos (1924), c'est au contraire l'orient sino-japonais rêvé, abîmé dans une contemplation dépouillée aux harmonies surprenantes et profondes.
Et la souplesse de Blumenthal, grand chef de chant et accompagnateur, laisse aussi percevoir d'autres qualités plus purement instrumentales et musicales. La grand parution discographique de piano français de la dernière décennie. (Possiblement mon disque de piano de l'île déserte.)
Déjà présenté sur CSS.


ligeti biret
[[]] (larghetto de la Sonate n°7)
Feinberg – Sonates 7 à 12 – Christophe Sirodeau & Nikolaos Samaltanos (BIS, 2204)
Scriabine nouveau, Feinberg s'enfonce dans un langage dont la logique romantique repousse les limites des cadres de tonalité et de forme. Très riche et profusif, particulièrement passionnant dans les 3, 7 et 12, des univers entiers à parcourir au milieu des abîmes suggérés par une virtuosité totalement intégrée au langage. La limpidité de Sirodeau (mélodies très timbrées, élan palpable malgré la pédale généreuse) fait merveille.


ligeti biret
[[]] (nocturne n°2)
Mossolov – Intégrale pour piano – Olga Andryushchenko (Grand Piano, 2016)
Parmi les œuvres les plus paradoxalement poétiques du répertoire pour piano, ces 2 Nocturnes à la construction minérale – écrits en strates, lents mais agités par des ramifications intérieures très riches –, les 3 Petites pièces, les Sonates sont servis ici avec une souplesse plastique qui permet à la fois l'expansion temporelle et la beauté des timbres. (Pour situer, on est encore assez au delà de la maîtrise de Henck, qui en a gravé la moitié.)


ligeti biret
[[]] n°2 : le loriot
Messiaen – Catalogue d'oiseaux – Håkon Austbø (Naxos, 1997)
Pour moi le sommet de toute la production de Messiaen, avec L'Ascension pour orgue et les 24 Regards – contrairement à sa mauvaise réputation, on y sent particulièrement bien l'articulation d'un discours musical assez traditionnel, reposant sur des progressions harmoniques, des tensions-détente, coulé dans le moule de modes nouveaux. Sous cette apparente dissonance sourd au contraire une logique très harmonieuse et familière, habillé en sus par l'inventivité fantasque des chants d'oiseaux transcrits.
Muraro est à juste titre cité en référence, très incisif, aux respirations et fluctuations agogiques travaillées, mais la prise de son chez Accord, dure, lasse vite. Austbø, avec une conduite un peu plus molle, permet davantage de se couler dans la longue durée, avec beaucoup d'élégance et de présence.


ligeti biret
[[]] n°13 « L'escalier du diable »
Ligeti – Études (livres I & II) – Idil Biret (Naxos, 2003)
Un des corpus les plus originaux et divertissants du répertoire : au lieu de partir de figures techniques, comme le font en général les Études, Ligeti prend une idée proprement musicale (souvent fondée sur la superposition, le décalage…) et en écrit la réalisation inconfortable à destination du pianiste, comme un jeu. Avec pour résultats de véritables œuvres musicales très abouties, typées et amusantes, loin des purs exercices de virtuosité (certaines ne sont d'ailleurs pas inaccessibles du tout techniquement).
Le choix est difficile au disque : seul Kei Takumi (Sheva Collection), je crois, en a gravé les trois cahiers (il s'agit par ailleurs d'une des meilleures versions disponibles, mais l'attitude reste un peu bûcheronnante, quoique ne manquant pas d'électricité). Par ailleurs l'interprétation ne leur rend pas toujours justice : noyée dans la pédale (Thomas Hell chez Wergo), très lyrique et fondue au détriment du détail des plans (Fredrik Ullen chez BIS, Laurent Aimard chez Sony), détachée quitte à perdre au contraire les qualités mélodiques (Jeremy Denk chez Nonesuch). Idil Biret, qui n'est pas parfaite (un peu prudente par rapport aux plus échevelés), a l'avantage de présenter avec beaucoup de clarté les logiques internes de chaque pièce, de façon presque pédagogique.


ligeti biret
[[]] (variation n°26 « in a militant way »)
Rzewski – 36 Variations sur « El Pueblo unido » – Christopher Hinterhuber (Paladino Music, 2012)
Le classique ultime des Variations du second XXe. Hinterhuber a le grand avantage, en plus de sa netteté, de proposer une lecture qui rend aussi bien justice aux poussées de lyrisme qu'à la logique de l'écriture plus défragmentées de certaines variations, contrairement à d'autres qui exaltent plutôt l'une (Hamelin) ou l'autre (Rzewski lui-même). Je crois les avoir à peu près toutes essayées, celle-ci est vraiment celle dont l'aisance, la variété et l'évidence me frappe le plus. Hinterhuber est par ailleurs un très grand interprète, il n'y en a pas beaucoup, de la musique pour piano du XVIIIe siècle (ses C.P.E. Bach sont à découvrir !).


ligeti biret
[[]] (Sonate n°10 Eurêka, V « Doutes »)
Tichtchenko – Sonate n°10 & Variations Op.1 (vol.2) – Dinara Mazitova (Northern Flowers, 2013)
Témoignage d'un Tichtchenko aux extrêmes de sa vie (1956 pour les Variations, 2008 pour la Onzième Sonate). Les Variations Op.1 et la Sonate n°10 (« Eurêka » : chaque mouvement illustrant une étape de la démarche scientifique, de l'hypothèse jusqu'à la réfutation) marquent par leur style limpide (quoique déjà complexe), une expression directe (et élégante) rare sous cette forme dans le patrimoine soviétique, dont on retrouve cependant les types mécanistes, les mélodies simples qui se cabossent ou qui modulent brutalement sans crier gare.



Mais j'aurais aussi pu mentionner :

Chopin – intégrale pour piano solo – Nikita Magaloff (Philips, 1997)
Évidemment, Chopin reste un massif où sourdent des couleurs incroyables (quelles surprises harmoniques, et encore davantage en regardant les dates !), et avec la souveraineté mélodique qu'on connaît. Cette intégrale a l'avantage de ne regrouper que des interprétations de première classe : Magaloff a à la fois pour lui l'agilité, l'emphase, le sens du coloris, la netteté du trait (la pédale étant utilisée pour des effets d'irisations, jamais pour donner du fondu à des fusées qui restent très pures) et même la poésie. Pour la plupart des œuvres, ce sont des interprétations qu'on peut déjà considérer comme assez ultimes, alors dans une intégrale, l'aubaine !

von Bülow – Ballade Op.11 – Mark Anderson (Nimbus, 2011)
Dans une veine lisztienne, et à nouveau formidablement réalisée par Mark Anderson,  un témoignage inattendu de l'art de ce chef d'orchestre emblamétique, et membre de la confrérie des cocus de Wagner. Passé ce presque quart d'heure, le reste est plus conventionnel, couplage avec l'aimable Carnaval de Milan (suite de danses au parfum de salon : polonaise, valse, polka, 6 quadrilles, mazurka, tarentelle, galop…).

Pierné – Variations en ut mineur – Laurent Wagschal (Timpani, 2010)
Monumentales et hautement virtuoses, elles sont l'œuvre d'un compositeur qui n'a pas écrit pour le piano depuis quinze années, tout en dirigeant les principales nouveautés de son temps : sans être avant-gardiste, la décantation de cette vie musicale riche est audible dans les atmosphères successives de ces 8 variations & final, pour un 25 minutes. connu (dans le même registre, il faut absolument remonter l'assez moderne Saint François d'Assise !), on s'inscrit ici dans l'héritage du piano romantique, mais avec une maîtrise de tous les paramètres d'écriture à un degré qui n'est permis que par le recul temporel. Wagschal y est, comme toujours, d'une aisance complète.

Magnard – Promenades Op.7 – Philippe Guillhon-Herbert (WW1 Music, 2014)
Premier volume de l'incroyable et indispensable documentation de fond du label Hortus à l'occasion du centenaire de la guerre de 14-18, celui-ci, autour de l'exemple célèbre du défi de Magnard (protégeant son manoir au pistolet, et manquant de peu de faire fusiller tout le village). Le disque propose notamment une claire version des Promenades, un délice dans le genre un peu naïf-archaïque qui a cours dans le Versailles de Reynaldo Hahn, dans la Suite dans le style ancien de d'Indy, dans la Nursery d'Inghelbercht, etc., et qui a sans doute encore plus de prix lorsqu'on a accoutumé de se promener dans les lieux pittoresques du Sud-Ouest de l'Île-de-France – Bois de Boulogne, Villebon, Saint-Cloud, Saint-Germain, Trianon et Rambouillet !

Dupont – La Maison dans les dunes – François Kerdoncuff (Timpani, 2003)
Dupont – Les Heures dolentes – Émile Naoumoff (Saphir, 2009)
Deux séries d'évocations à la française, constituant une arche très réussie, puissamment lumineuse pour la première, beaucoup plus tourmentée et contrastée pour la seconde. La netteté incisive de Kerdoncuff et les irisations sombres de Naoumoff sont des truchements assez fabuleux pour aborder ces corpus (assez bien servis au disque – Blumenthal, Girod, Eckardstein…).

Zaderatski, Protopopov, Deshevov, Feinberg, Roslavets, RevutskiSonates, Rails, Préludes, Poèmes, PiècesFikret Amirov, Nikita Mndoyants, Yuri Favorin, Tikhon Khrennikov Jr.  (Melodiya, 2012)
Anthologie qui a le mérite de regrouper un panorama de quelques-unes des meilleures pièces sociétiques, dont une sonate (n°3, « à la mémoire de Léonard de Vinci » !) de Protopopov, une (n°2) de Zaderatski, les Rails de Deshevov, et même le luxe des Préludes de Roslavets de la Sonate n°5 de Feinberg par Favorin (Amirov est clairement plus terne, mais comme il est le seul à jouer ces œuvres !).

Protopopov, Mossolov, Roslavets, Feinberg, Stanchinski, Obukhov, Lourié – « Forgotten Russians » :  Sonate n°2, 2 Nocturnes & 2 Danses, 5 Préludes, Berceuse, Formes en l'air – Vladimir Feltsman (Nimbus Alliance, 2019)
Un programme remarquablement dense et complet sur les grandes œuvres héritières du courant futuriste. En dehors de la Sonate de Protopopov, ce sont des œuvres sinon documentées par des personnalités plus saillantes, ou bien mineures, mais la cohérence du panorama invite à la découverte !

… Et sans doute les strates grisantes des Klavierstücke de Stockhausen et la poésie aphoristique des Játékok de Kurtág, mais j'ai écouté les premiers dans des versions séparées (pas forcément éditées au disque), et essentiellement joué les seconds… je n'ai donc pas de disque à proposer comme cela, sans quoi, oui, ce seraient des corpus à recommander.

Parmi tant d'autres choix possibles. Évidemment.

On peut notamment compléter par cette liste de grands cycles figuratifs de piano français de la première partie du XXe siècle, ou bien par cette sélection subjective des plus belles pièces pour piano solo.



À l'issue de ce petit parcours, je m'aperçois du caractère tout à fait déséquilibré de mes propositions, à rebours des listes que j'aime donner, parcourant diverses esthétiques. Mais je n'en suis pas mécontent : ceci témoigne d'un autre piano que celui qu'on joue et enregistre abondamment, le piano des épanchements romantiques, de la virtuosité formelle, des quelques compositeurs bien en cour. Ici, ce sont d'autres paysages qu'on parcourt, le piano atmosphérique français (qui cherche la couleur, l'évocation visuelle plus que la beauté formelle), le piano futuriste russe et soviétique (avec ses recherches de textures et d'harmonies assez radicales, sans renoncer aux formes anciennes ni à la tonalité).

J'espère que ce sera l'occasion de quelques découvertes (Mariotte, impérativement !), voire de redonner confiance dans quelques corpus mal-aimés (le Catalogue d'oiseaux), d'éclairer différemment des tubes (Beethoven sur Graf)… puissiez-vous y trouver, çà ou là, et sans tout partager bien sûr, votre compte !

dimanche 30 décembre 2018

[Sélection lutins] – Les plus belles œuvres pour piano solo – mise à jour n°2


ann southam au piano
Ann Southam au piano.

Une petite mise à jour de la proposition de liste de 2012, pas mise à jour depuis 2013. Vous retrouverez l'ensemble des œuvres ici.

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Mise à jour du 29 décembre 2018 :  ajout de Dupont, Magnard, Ropartz, Mariotte, Wolpe, Protopopov, Zaderatski, Kabalevski, Messiaen, Southam ; nouvelles pièces de Brahms, Koechlin, Mossolov ; arrangements de Wagner.



Les Français entrants disposent d'un sens extraordinaire des atmosphères.
Dupont est en quelque sorte le grand ancêtre, avec la lumineuse ''Maison dans les dunes'' ou les délires morbides des Heures dolentes.
Magnard, pas le plus profond, propose une promenade parmi quelques-uns des plus beaux lieux de balades franciliens (Saint-Cloud, Saint-Germain, Trianon, Rambouillet…), dans une belle écriture typique de son temps.
● Chez Koechlin, j'ai ajouté le très séduisant Nocturne Op.33, mais aussi des cycles pianistiques moins connus que les Heures Persanes : la paix de L'Ancienne Maison de campagne, et les Paysages et Marines, mieux connus dans leur version de chambre, mais qui mettent ici à nu tous les raffinements de leur écriture rythmique et harmonique.
● Le Prélude Dominical de Ropartz est quant à lui une petite merveille, en réalité une suite et non un prélude, dont les harmonies étranges et d'une lumière intense évoquent fortement Koechlin.
● Enfin les cycles de Mariotte constituent également une réelle surprise par leur hardiesse, en particulier les Impressions urbaines, figuralismes de bruits mécaniques transfigurés par la poésie de son univers pianistique – comment ne pas songer au Berlin de Meisel ?

Chez les Russes, il faut bien sûr souligner tout l'intérêt des écritures disjonctives, des strates empilées avec furie chez Protopopov et Mossolov ; c'est un peu moins le cas pour Zaderatski, un peu plus lyrique sans doute (toutes proportions gardées), et presque aussi passionnant. Kabalevski est d'une autre génération, le retour à un calme romantisme presque néoclassique, et pourtant ses pièces, commen souvent (ses symphonies !) ont quelque chose d'immédiatement prégnant, qui dépasse l'apparente simplicité de ses moyens.

Ann Southam est une comprositrice minimaliste. Ses Rivières occupent plusieurs récueils (des « Livres »), toujours sur le même principe des boucles tournoyantes, et pas toujours inspirées ; mais j'aime particulièrement cette Huitième Rivière du Troisième Livre, à la fois très vraie figurativement (des entrelacs de confluent, des enthousiasmes de gave !) et très persuasive musicalement.

J'ai aussi référencé l'une des pièces les plus marquantes de l'étonnant Wolpe (qui naviguait quelque part entre le cabaret d'avant-garde et les langages décadents des compositeurs d'opéra de son temps…), les Messiaen (tout le monde inclut les Regards, mais je fais partie de la petite minorité qui trouve le même charme suspendu et éclatant aux Catalogues d'oiseaux – qu'il ne faut pas forcément écouter en blocs, mais qui recèlent tant de beautés dans les consonances paradoxales des modes extra-tonals employés par Messiaen !), les arrangements de Wagner en indiquant les arrangeurs (en l'occurrence, ce peut changer pas mal de choses, car il faut faire des choix !).



Pour prolonger, vous pouvez aussi vous reporter à cette présentation (incomplète) de grands cycles du piano français, assez absents des concerts et rares au disque, considération la domination germanique assez absolue sur ce répertoire, hors Debussy et Ravel. Et pourtant, il y a là de quoi parler à une tout autre sensibilité, de même qu'avec les Soviétiques…

Et pour davantage de sélections et suggestions d'écoute, un chapitre entier y est consacré sur CSS. Bons voyages !

lundi 26 décembre 2016

[Sélection lutins] – Boucles !


En ce temps d'épiphanie, l'occasion de dévoiler un peu d'intimité musicale.

Après, avoir, une fois de plus, repris l'essentiel de l'acte II de l'Orfeo de Rossi dans une boucle infinie – Che può far Citerea, Al imperio d'amore, la mort (vidéo de ces extraits) –, voilà le prétexte de partager quelques-unes de ces pièces ou des ces instants que je peux me repasser à très court intervalle et à haute itération.

Le concept est un peu différent des instants ineffables, qui ne supposent pas forcément la répétition ; ces boucles peuvent être, du reste, des fragments, des mouvements ou des œuvres entières. Il s'agit de toutes ces pièces où l'on sent l'impulsion, en la finissant, de la remettre immédiatement.

Chose que je fais rarement, du reste (une grande partie du répertoire s'y prête peu, du fait de la pratique de la variation, du développement…), les œuvres très mélodiques tendant naturellement à s'émousser ; et c'est pourquoi ce petit partage, insolite, peut être amusant.



Muller, jardinière en biscuit. Ronde de putti. Muller, jardinière en biscuit. Ronde de putti.



Ordre (approximatif) par date de naissance.

♦ D. Le Blanc – « Les Mariniers adorent un beau jour – [notules 1,2]
♦ A. Le Roy – « Ô combien est heureuse » – [notules 1,2]
♦ Anonyme fin XVIe – « Allons vieille imperfaite » – [notules 1,2]
♦ Monteverdi – Combattimento, deux premières strophes – [notules 1,2,3]
♦ Anonyme premier XVIIe – Passacaglia della vita – [liste]
♦ E. Gaultier – La Cascade
♦ Kapsberger – « L'onda che limpida » [son]
♦ Kapsberger – « Fanciullo arciero » [son]
♦ Rossi – Orfeo : Che può far Citerea – [notule & son]
♦ Rossi – Orfeo : Al imperio d'amore – [notule & son]
♦ Guédron – Ballet d'Alcine « Noires fureurs » – [notules 1,2,3]
♦ Guédron – « Dessus la rive de la mer »
♦ Moulinié – « Que vous avez peu de raison »
♦ Moulinié – « Quelque merveilleuse chose »
♦ Moulinié – « Vous que le dieu Bacchus a mis »
♦ Lully – Cadmus : Chaconne des Africains « Suivons l'Amour » – [notice]
♦ Lully – Thésée : Combats et prières de l'acte I – [notule, hors-scène]
♦ Lully – Atys : « Atys est trop heureux » – [notice]
♦ Lully – Amadis : Invocation d'Arcabonne « Toi, qui dans ce tombeau » – [notule]
♦ Lully – Amadis : Déploration d'Oriane « Ciel ! ô ciel !  Amadis est mort » – [notule]
♦ Lully – Amadis : Chaconne finale « Célébrons en ce jour » – [notule]
♦ Lully – Roland : Duo & Chaconne – [notice]
♦ Sanz – Canarios – [extrait]
♦ Charpentier – Médée : les 3 duos d'amour (II,IV,V) – [notule]
♦ Murcia – Folías Gallegas – [notule]
♦ Visée – Passacaille de la Suite en la mineur
♦ Lalande – Jubilate Deo omnis Terra : « Populus ejus », « Introite portas »
♦ Lalande – Jubilate Deo omnis Terra : « Laudate nomen ejus »
♦ Campra – Exaudiat te Dominus : « Exaudiat te Dominus » [notice]
♦ Campra – Idoménée : « Venez, Gloire, Fierté » [notule]
♦ Campra – Idoménée : « Espoir des malheureux » [notule]
♦ Jacquet de La Guerre – première Passacaille en la mineur – [notule]
♦ F. Couperin – Offertoire de la Messe pour les Paroisses
♦ F. Couperin – Première Leçon de Ténèbres – [notice]
♦ F. Couperin – Troisième Leçon de Ténèbres – [notice] / [en attendant une discographie exhaustive préparée depuis longtemps]
♦ Jean Gilles – Requiem : « Requiem æternam »
♦ Jean Gilles – Requiem : « Domine Jesu Christe » (dans l'Offertoire)
♦ Destouches – Callirhoé, chaconne nocturne : « Ô Nuit, témoin de mes soupirs secrets » – [notule]
♦ Destouches – Callirhoé, duos du I : « Ma fille, aux Immortels quels vœux venez-vous faire ? » / « Mais, quel objet vient me frapper ? » – [notule sur les états de la partition]
♦ Destouches – Sémiramis : « Flambeaux sacrés » – [notule]
♦ Bach – Motet Singet dem Herrn : « Singet dem Herrn », « Lobet den Herrn in seinen Taten » [de même discographie exhaustive dès longtemps préparée, à publier un jour]
♦ Bach – Air Erfüllet, ihr himmlischen göttlichen Flammen de la cantate BWV 1
♦ Boismortier – Don Quichotte : « Expire sous mes coups, discourtois enchanteur »
♦ Boismortier – Don Quichotte, danses
♦ Mondonville – Cœli enarrant : « In sole posuit »
♦ Gluck – Iphigénie en Tauride : air d'Oreste « Dieux qui me poursuivez »
♦ Gluck – Iphigénie en Tauride : air d'Iphigénie « Non, cet affreux devoir »
♦ Grétry – L'Amant Jaloux : quatuor « Plus d'égards, plus de prudence »
♦ Grétry – Guillaume Tell : « Bonjour ma voisine » – [notule]
♦ Grétry – Guillaume Tell : « Qui jamais eût pensé que cet homme exécrable » – [notule]
♦ Salieri – Tarare : « De quel nouveau malheur » – [notule]
♦ Salieri – Tarare : « J'irai, oui j'oserai » – [notule]
♦ Mozart – Quatuor n°14, final
♦ Mozart – Così fan tutte : trio « La mia Dorabella » – [chroniques de représentations]
♦ Mozart – Così fan tutte : trio « Una bella serenata » – [chroniques de représentations]
♦ Mozart – La Clemenza di Tito : duo « Come ti piace, imponi » – [exploration]
♦ Mozart – La Clemenza di Tito : air « Parto, parto » – [exploration]
♦ Haydn – Quatuor Op.76 n°3, mouvements I & II
♦ Catel – Sémiramis : Duo de désespoir « Sort redoutable » et final – [brève évocation]
♦ Beethoven – Final choral de la Fantaisie chorale
♦ Beethoven – Quatuor n°8, mouvement lent
♦ Czerny – Symphonie n°1, mouvements I, III & IV [général, scherzo]
♦ Mendelssohn – Premier Trio avec piano : I, énoncé du thème
♦ Schubert – Die Schöne Müllerin : « Pause » – [projet lied français]
♦ Schumann – Liederkreis Op.24 : « Es treibt mich hin » [présentation & discographie]
♦ Schumann – Liederkreis Op.24 : « Warte, warte du wilder Schiffmann » [présentation & discographie]
♦ Schumann – Liederkreis Op.24 : « Schöne Wiege meiner Leiden » [présentation & discographie]
♦ Schumann – Liederkreis Op.39 : « Überm Garten » [projet lied français]
♦ Verdi – Il Trovatore : récit de Manrico « Mal reggendo »
♦ Verdi – Simone Boccanegra : avertissement d'Adorno « Ah taci, il vento ai tiranni »
♦ Verdi – Les Vêpres Siciliennes : duo « Quel est ton nom ? » – [Verdi en français]
♦ Verdi – Requiem : Kyrie
♦ Verdi – Requiem : Ingemisco
♦ Verdi – Requiem : début du Lacrimosa
♦ Verdi – Don Carlos : déploration sur le corps de Posa – [éditions]
♦ Wagner – Tristan : postlude du II
♦ Wagner – Rheingold : première tirade de Loge
♦ Wagner – Rheingold : tirade de Froh « Wie liebliche Luft » [notule à venir]
♦ Wagner – Siegfried : tirade « Wie des Blutes Ströme » [ordalie]
♦ Wagner – Die Meistersinger : appel des Maîtres [son]
♦ Wagner – Parsifal : interlude du I
♦ Wagner – Parsifal : annonce du couronnement « Du wuschest mir die Füße »
♦ Reyer – Sigurd : duo du désenvoûtement « Des présents de Gunther » [chapitre Sigurd]
♦ Smetana – Dalibor : Marche de Vladislav [détail du livret, œuvre & enregistrement libre, discographie exhaustive]
♦ Smetana – Dalibor : fin du I [détail du livret, œuvre & enregistrement libre, discographie exhaustive]
♦ Smetana – Dalibor : début du II [détail du livret, œuvre & enregistrement libre, discographie exhaustive]
♦ Brahms – Premier Trio avec piano : énoncé du thème
♦ Brahms – Premier Trio avec piano : trio du scherzo – [scherzo]
♦ Brahms – Variations sur un thème de Haydn : choral initial & variation finale
♦ Brahms – Première Symphonie : énoncé du thème des variations finales
♦ Brahms – Quintette avec piano : thème principal du scherzo – [scherzo]
♦ Saint-Saëns – Chanson à boire du vieux temps
♦ Delibes – Lakmé : Quintette « Miss Rose, Miss Helen, respectez les clôtures »
♦ Tchaïkovski – Eugène Onéguine : dialogues de cotillon et provocation en duel [sources]
♦ Tchaïkovski – Pikovaya Dama : serment à l'orage [brève discographie, mise en scène]
♦ Tchaïkovski – Pikovaya Dama : hymne à la nuit [brève discographie, mise en scène]
♦ Tchaïkovski – Symphonie n°3 : mouvements extrêmes
♦ Tchaïkovski – Symphonie n°6 : mouvement III – [notule, possibilités d'interprétation]
♦ Dvořák – Rusalka : ballet royal – [notules 1,2,3]
♦ Rott – Symphonie en mi : mouvements I et IV [liste de notules]
♦ Debussy – Quatuor, mouvement III, climax
♦ R. Strauss – Elektra : tirade de Chrysothemis « Ich kann nicht sitzen » [discographie]
♦ R. Strauss – Die Frau ohne Schatten : envoi de l'air de l'Empereur « Kann sein, drei Tage »
♦ R. Strauss – Die Frau ohne Schatten : Erdenflug
♦ R. Strauss – Arabella : « Ich weiß nicht wie du bist » (partie centrale du duo du Richtige) [notules & discographie exhaustive]
♦ R. Strauss – Friedenstag : marche des soldats Réformés [notule & son]
♦ Koechlin – Sonate pour violon et piano : final
♦ Koechlin – Quintette pour piano et cordes : final
♦ Mahler – Symphonie n°2 : à partir de l'entrée des chœurs [notule & lieder]
♦ Mahler – Symphonie n°7 : thème principal du dernier mouvement [autre notule]
♦ O. Fried – Die verklärte Nacht [notule & son]
♦ L. Aubert – « La mauvaise prière »
♦ Schreker – Die Gezeichneten : Entrée de Tamare [chapitre entier à remonter]
♦ Schreker – Die Gezeichneten : Prélude du II [chapitre entier à remonter]
♦ Ireland – Sea-Fever [1,2]
♦ Le Flem – Symphonie n°1 : final
♦ Schoeck – Quatuor n°2 : thème principal [notule]
♦ Auric – 4 Chansons de la France malheureuse : « La Rose et le Réséda » [notule]
♦ Walton – Symphonie n°1 [notule]
♦ Damase – l'Opéra dans Colombe [notule]
♦ Damase – Eugène le Mystérieux, marche des Trois Couleurs [notule]
♦ Stockhausen – Mantra [parce que]
♦ Kalniņš – Mostieties, stabules un kokles (psaume) [commentaire]



Muller, jardinière en biscuit. Ronde de putti. Muller, jardinière en biscuit. Ronde de putti.



Légende : Jardinière de Muller en biscuit (XIXe siècle). Ronde de putti.

Bien sûr, pour prolonger le plaisir, je ne puis trop vous inviter à découvrir, outre les autres instants ineffables, d'autres œuvres de vaste valeur, peut-être moins propices à si haute itération, mais à fréquenter résolument. C'est la raison d'être de la section des Putti d'incarnat et autres Sélections lutins, qui s'est progressivement enrichie de sélections de :
♫ symphonies,
♫ quatuors à cordes,
♫ musique sacrée,
♫ opéras contemporains,
♫ trios de toutes formes,
♫ quatuors avec piano,
♫ œuvres pour piano solo,
♫ sonates avec violon,
♫ lieder orchestraux,
♫ jubilation cosmique,
♫ concertos pour clarinette,
♫ chœurs profanes a cappella,
♫ mélodies maritimes,
♫ quintettes pour piano et cordes,
♫ concertos pour piano
♫ …et scherzos !

Listes enrichies au fil des ans et périodiquement mises à jour.

Vos propres propositions sont bien sûr toujours bienvenues, soit pour me faire compléter mes expéditions, soit pour attirer l'attention des autres lecteurs sur des œuvres que je n'ai pas appréciées à leur juste valeur.



Bonnes découvertes répétitives !  N'en abusez pas – pour ça, il y a Philip Glass.

vendredi 28 octobre 2016

[Sélection lutins] — Les plus beaux scherzos


Dans la lignée des autres sélections et distributions de prix que vous pouvez retrouver dans ce chapitre à part, voici à présent le scherzo.


1. Pourquoi s'occuper du scherzo ?

Il n'est jamais qu'une petite enclave formelle qui supplanta salutairement le menuet (assez peu varié d'une œuvre à l'autre, et même d'un compositeur à l'autre) au tournant du XIXe siècle, tout en restant la part la plus conventionnelle et répétitive de l'essentiel des symphonies et d'à peu près toute la musique de chambre, jusque assez tard dans le XXe siècle. J'ai l'impression, peut-être biaisée, que son empreinte ne disparaît vraiment qu'avec l'atonalité et la fin des structures canoniques imposée par la concision (et la nouvelle distribution thématique complètement transversale) du dodécaphonisme.

Hé bien, précisément en raison de sa faiblesse : comme il est par nature répétitif, et plus une pièce de caractère que de développement, il n'a pas la même densité musicale que les autres sections, et peut paraître assez vain. C'est pourquoi je me suis dit qu'il serait plus rapide d'en collecter les meilleurs – et plus utile aussi pour pouvoir faire quelques découvertes intéressantes.

Pour rappel, le scherzo :
► essentiellement proposé par Haydn et imposé par Beethoven, remplace le menuet (en troisième partie, et au cours du XIXe siècle souvent en deuxième partie des œuvres en quatre mouvements), qui était une danse à trois temps, accentuée sur le premier et le troisième temps (avec un effet de levée assez fort, donc), stylisée pour l'exécution musicale ;
► est un mouvement vif (plus que le menuet, qui est modéré) qui peut souvent comporter deux ou quatre temps, et ce assez tôt dans son histoire même si les trois temps restent les plus habituels (mais presque toujours simplement accentué sur le premier) ;
► dispose d'un matériau thématique court (souvent un thème fait de parties symétriques) ;
► est fondé sur la répétition de son thème principal, comme un rondeau, mais aussi de chaque partie (les « couplets » sont appelés trios, comme pour un menuet), ce qui produit une forme AABBA ou AABBAACCA ;
► signifie « plaisanterie », mais se pare de toutes les couleurs du tourment selon les nécessités de composition (à la fin du XIXe siècle, ils sont souvent sophistiqués et retors) ;
► est souvent l'occasion d'effets de miroitement, de dialogues entre les pupitres, de répartitions rythmiques délicates.

Le pluriel peut au choix être scherzi si on le prend comme un emprunt italien occasionnel, ou scherzos si l'on considère le mot tout à fait acquis en français – comme crescendo, un participe présent italien que tout le monde, même les pédants, traite comme un nom français.



putto Pierre I Legros nymphe aux oiseaux
Pierre I Legros, le redoutable Putto scherzando, exhibant dans une sinistre badinerie son oiseau chassé.



2. Lire la liste

Je méprise donc ouvertement le scherzo, et c'est pourquoi je me fais fort de vous guider vers ceux qui, précisément, ne sont pas pénibles.

La liste est organisée par date de naissance des compositeurs (je la trouve plus claire de la liste par date d'achèvement des concertos pour piano – c'est en outre plus simple à compiler).

La règle suivie est la plus objective : ma seule subjectivité. Comme cela, pas de débat sur la norme ou la hiérarchie, pas de conseil sur ce qu'il faut absolumnent écouter mais qui est pénible, ou sur ce qui est formidable mais trop secondaire : si ça m'intéresse, je mets, c'est tout. Tout système rationnel, là-dedans, risque soit d'être pris gravement en défaut, soit de finir par ne plus conseiller de façon pertinente des œuvres qui fonctionnent. Au moins, avec mon goût, ce sera simplement mon goût, en espérant que vous en partagerez certains aspects – vous pouvez vous en faire une idée, il s'expose sans pudeur sur ces pages depuis largement plus d'une décennie. Pour faire simple, quand l'interlope et le mignard se joignent, je suis là.

Il va de soi que la liste est forcément incomplète, même à l'échelle de mes inclinations – il aurait fallu tout réécouter pour sélectionner véritablement, je n'ai cité que ceux qui me sont spontanément venus à l'esprit. Et que tout complément est hautement bienvenu (ou toute réaffirmation/réfutation de ce qui a déjà été proposé). Ce n'est pas comme si les grands scherzos étaient fréquents !
Les meilleurs seraient même sujets à l'écoute-boucle (notule à venir sur le sujet), s'ils ne se répétaient déjà autant.

Les astérisques indiquent simplement mon degré d'enthousiasme : un astérisque pour un scherzo particulièrement marquant, deux pour signaler un bijou qui peut très bien s'écouter à part.



putti trident atelier durameau versailles

« Les putti ne sont pas ce qu'ils nous semblent être,
Le plus simple trident peut tenir lieu de traître. »
Jean de La Fontaine, Le lion et les putti, Livre VI.

Comment le badinage se change en course à l'abîme.
Atelier de Louis-Jacques Durameau.



3. Quelques cas remarquables

On pourra convenir, vu la taille de la liste, qu'il m'est impossible de présenter chacun. Ce sera inutile en outre, bon nombre étant déjà célèbre.

Le terme pour une composition de caractère léger et rapide est utilisé dès le XVIIe siècle, mais je ne crois pas en avoir rencontré beaucoup avant Haydn – où il apparaît très tôt, dès le Quatuor opus 1 n°3 (composé quelque part entre 1757 et 1762), où sa structure est déjà complètement cursive, et plus du tout celle du menuet. Néanmoins, Haydn ne les utilise qu'avec parcimonie : Op.2 n°6, et les six de l'opus 33 – où la plupart (1,2,4,6) reproduisent exactement les appuis du menuet ! De même pour les symphonies : on trouve des mouvements qui s'y apparentent (les presto de la n°22), et trois mouvement notés Allegro scherzando (42, 46, 66), mais ce sont alors des finals, et scherzando y a son vrai sens littéral italien (« en mode de plaisanterie »).

C'est donc Beethoven qui en fait un usage systématique – à l'exception de la Première (et de l'étrange retour de la Huitième), ses symphonies adoptent le scherzo. Et chez lui, comme on peut s'en douter, le scherzo ne plaisante guère : tempêtueux, extrêmement vif et tapageur, il exalte davantage les fureurs romantiques que l'art de la conversation. Mais leur usage est si marquant (la danse circulaire ensauvagée de la 2, le fugato de la 3, l'attente insoutenable de la 5, les explosions de timbale de la 9…), il est vrai, qu'il ringardise à jamais la tradition du menuet, que les romantiques abandonnent totalement.

On le voit immédiatement, le plus gros pourvoyeur est Brahms : non seulement respecte toujours à la lettre la règle de son inclusion (allant jusqu'à l'imposer dans un concerto où il n'est pas traditionnel), mais en fait de grandes pièces, longues et ambitieuses – beaucoup de reprises exactes, c'est vrai, mais de quel matériau !  En général deux trios au cœur du scherzo, donc beaucoup de réitérations du thème principal et de contrastes de caractères.
    On les trouve sous toutes formes au demeurant : certains ne ressemblent pas totalement à un scherzo (dont ils occupent néanmoins la place et la forme) avec leur caractère tendre (Symphonie n°1, Quintette avec clarinette), ou ne sont pas nommés scherzo (les mêmes, le Concerto pour piano n°2), beaucoup sont à quatre temps (Symphonie n°4, Quintette avec piano…).
    Pour ma part, la mélancolie douce dans la Première Symphonie, le trio en valse du (scherzo du) Premier Trio, l'explosion en accords longtemps réfrénée du thème principal Quintette avec piano constituent des sommets musicaux peu fréquents à ce degré d'intensité.

Bien sûr, la liste contient son lot de symphonistes ambitieux (la fièvre de Schumann digne des plus beaux finals, les monuments brucknériens avec leurs thèmes fous qui martèlent la même note, les figuralismes féeriques et hallucinés chez Tchaïkovski), et comme chaque symphoniste romantique en a fait usage, on peut faire son marché – pour ma part, c'est plutôt la grâce post-mendelssohnienne de Hamerik qui me touche.

La musique de chambre française du second XIXe, me semble-t-il, a beaucoup renouvelé le caractère du scherzo, le rendant à sa légèreté première. Saint-Saëns et Fauré, en particulier, ont favorisé une écriture en touches légères, toute de jeux de pupitres et de rythmes esquissés, mais très recherchée thématiquement et harmoniquement. Je n'ai jamais écouté le répertoire en cherchant du scherzo (jusqu'à la date récente, il y a deux semaines, où j'ai commencé à constituer cette notule), mais je sais qu'il y en a d'autres chez tous ceux du temps qui ont écrit des pièces en quatre mouvements…

Quelquefois, c'est le trio qui attire l'attention. Il en va ainsi de la Première Symphonie de Czerny, où un joli scherzo mendelssohnien relativement épigonal enfle soudain en une poussée d'enthousiasme doucement conquérant. Pourtant avec des moyens simples, mais l'effet est considérable sur moi. Il y a aussi le cas du Premier Trio de Brahms (sa valse ineffable), déjà abordé, et la Deuxième Symphonie de Franz Schmidt, où le moment de grâce majeur se trouve, là aussi, au détour d'un moment supposément secondaire.
    Et puis, selon le goût de chacun, on peut bien sûr préférer la section de cor de la Troisième de Beethoven à son fugato, les sonneries mélancoliques de la Quatrième de Mendelssohn à son thème orné, etc.

girardon amphitriteLa liste joue aussi avec les limites… Certains mouvements occupent la place « psychologique » du scherzo romantique (le mouvement de caractère au sein d'une œuvre en quatre sections), et peuvent en être rapprochés, mais n'en respectent ni la structure, ni les appuis ordinaires, ni même la couleur.
    Dans la Symphonie Fantastique de Berlioz, entre la Valse et la Marche au supplice, lequel est le scherzo ?  Formellement, les deux y échappent, mais on voit bien la parenté avec le rôle de mouvement moins charpenté mais fortement coloré.
    Dans la Quatrième Symphonie de Mendelssohn, ce troisième mouvement a bel et bien la forme d'un scherzo avec ses trois temps et son trio récurrent, pourtant son aspect est plutôt celui d'un mouvement lent mélancolique, avec des touches rétro (les petits mordants sur la ligne mélodique…) qui évoquent davantage le menuet, tout en conservant un aspect très mélodique et coulant qui ne l'apparente ni à l'un ni à l'autre… Sa fonction reste celle de ce troisième mouvement central, mais il ne ressemble pas à ce que l'on attendrait. (Cela dit, un des plus mouvements de symphonie les plus pénétrants, de mon point de vue.)
    Pour le Quintette avec piano de Koechlin, c'est encore plus difficile : les deux mouvements centraux sont assez sombres et introvertis (à l'exception de l'éclat, très tourmenté, à la fin du premier des deux), et leur humeur est changeante… Néanmoins, le mouvement vif est identifiable (le tempo, mais aussi les titres : «  L'assaut de l'ennemi » vs. « La Nature consolatrice »), et la méditation du n°3 est trop évidente pour ne pas orienter vers le précédent. Tout le quintette est un sommet absolu de toute façon, aux atmosphères mêlées et indéfinissables, d'une complexité musicale abyssale, mais toujours lisible et immédiatement sensible. Le « scherzo » étant peut-être le plus contrasté et étrange des quatre.
    Enfin, le plus discutable de tous, dans la Deuxième de Franz Schmidt, il n'y a que trois mouvements, et le deuxième se déroule en variations… ce devrait donc plutôt être un mouvement lent, mais le mouvement est intermédiaire (Allegretto) et je trouve que son caractère, plus virevoltant, est davantage celui d'un scherzo, comme une fusion des deux emplois. Et c'est dans une portion apparemment secondaire de ces variations que débouche un nouveau thème, comme un trio, qui crée un élan inattendu dans ce mouvement au ton « simple et délicat » (dit le compositeur).

L'ère du scherzo intéressant semble décliner au début du vingtième siècle, quand les formes s'émancipent. Les compositeurs écrivent des symphonies en trois mouvements, voire en flux continu (Sibelius, Bax…), les moulent dans des contraintes nouvelles (Colour Symphony, Symphony of Psalms, Simple Symphony…). Significativement, Mahler l'utilise pour citer les danses rustiques ou démodées (Ländler de la 1), ou les chansons populaires (scherzo tiré d'un thème écrit pour le Wunderhorn dans la 2), ; Stravinski reprend un titre de Suk (Scherzo fantastique, qui, chez Suk, voulait plutôt dire fantaisie symphonique, un joli poème symphonique multithématique et un peu rhapsodique, sans lien avec la forme du scherzo) ou bien l'inclut pour faire jouer des… princesses de conte. Clairement un matériau d'un autre temps.
    En réalité, si on continue à observer les symphonies anglo-américains et nordiques, on en trouve encore beaucoup, et de beaux. Je trouve néanmoins que, la plupart du temps, ils ne valent que dans leur contexte : beaucoup sont soit un peu confits dans des formes simplistes par rapport à un langage qui a par ailleurs beaucoup évolué (Madetoja, Diamond…), soit plutôt des sortes de pont (Nielsen 4, Sibelius 5a & 6…). Chez les soviétiques aussi, on en trouve mainte rémanence – illustration supplémentaire, s'il en fallait, du paradoxe impossible qui souhaitait faire de la musique populaire tout en bannissant le formalisme, cela en encourageant les harmonies compliquées et en conservant les formes et mouvements du passé (!).
    En somme, le scherzo disparaît de la musique allemande (atonalité et expérimentations), de la musique française (où il semble quelquefois que les compositeur n'écrivent plus que des scherzos, à vrai dire) ; chez les Italiens, il n'y a pas eu de tradition non-germanique assez forte, du côté des symphonies, pour parler de disparition ; et chez les autres, en réalité, la musique suit son cours – raison pour laquelle je récrimine régulièrement, dans ces pages, à propos de l'histoire-bataille déroulée dans les histoires de la musique : ce n'est pas parce qu'on a écrit le Sacre ou Pierrot qu'on a cessé d'écrire des symphonies tonales en quatre mouvements.

    Mes chouchous apparaissent déjà en clair dans la liste, mais je n'ai pas dit un mot de chacun… Pour certains, ils sont très célèbres, comme celui de l'Écossaise de Mendelssohn (ce babillage enivrant de clarinette qui contamine tout l'orchestre) ou son Quatuor Op.80 qui semble avancer à rebours, dans un blocage très beethovenien ; ceux des sonates pour Chopin, gouffres ouverts ou liquidités perpétuelles. Pour d'autres, ils le sont moins, comme le « Rouge » à la fois lumineux et décadent de la Colour Symphony de Bliss ; la fureur valsée (et pillée par Mahler) de la Symphonie en mi de Rott ; ou, bien sûr, le scherzo lucassien de la Natursymphonie de Hausegger.

Illustration supra : Le détournement des objets chez le pré-dadaïste François Girardon.



putto girardon arc vasque
En chasse à présent !
(F. Girardon, Vasque du Triomphe de Galatée.)



4. La liste, la liste !

Vous la vouliez, vous avez fait semblant de lire le reste (ne niez pas, je vous ai vu et, en effet, mettez un adhésif opaque sur votre webcam), la voici. Amusez-vous bien !

1732 – Haydn – Quatuor à cordes Op.33 n°2
1732 – Haydn – Quatuor à cordes Op.33 n°3
1732 – Haydn – Quatuor à cordes Op.33 n°5
1770 – Beethoven – *Symphonie n°2
1770 – Beethoven – **Symphonie n°5
1770 – Beethoven – Symphonie n°9
1770 – Beethoven – Quatuor à cordes n°8
1770 – Beethoven – Sonate pour piano n°30
1791 – Czerny – **Symphonie n°1
1791 – Czerny – Nonette
1797 – Schubert – *Sonate n°21
1803 – Berlioz – Symphonie fantastique (Valse, Marche au supplice)
1803 – Berlioz – Scherzo de la Reine Maab (Roméo & Juliette)
1809 – Mendelssohn – **Symphonie n°3
1809 – Mendelssohn – **Symphonie n°4
1809 – Mendelssohn – *Symphonie n°5
1809 – Mendelssohn – *Quatuor à cordes n° 6
1809 – Mendelssohn – A Midsummer Night's Dream
1810 – N. Burgmüller – Symphonie n°1
1810 – Schumann – *Quatuor à cordes n°3
1810 – Schumann – Symphonie n°1
1810 – Schumann – *Symphonie n°2
1810 – Schumann – *Symphonie n°4
1810 – Chopin – *Sonate pour piano n°2
1810 – Chopin – Sonate pour piano n°3
1810 – Chopin – Scherzo n°1
1810 – Chopin – Scherzo n°2
1810 – Chopin – Scherzo n°3
1819 – Wieck-Schumann – Scherzo Op.10
1819 – Wieck-Schumann – Scherzo Op.14
1824 – Bruckner – *Symphonie n°2
1824 – Bruckner – *Symphonie n°4
1824 – Bruckner – Symphonie n°9
1833 – Brahms – **Symphonie n°1
1833 – Brahms – *Symphonie n°4
1833 – Brahms – *Concerto pour piano n°2
1833 – Brahms – **Trio avec piano n°1
1833 – Brahms – Quatuor avec piano n°2
1833 – Brahms – Quatuor avec piano n°3
1833 – Brahms – **Quintette avec piano
1833 – Brahms – Quintette avec clarinette
1835 – Saint-Saëns – Concerto pour piano n°2
1835 – Saint-Saëns – Quatuor avec piano n°2
1835 – Saint-Saëns – Trio avec piano n°2
1837 – Dubois – Quintette pour hautbois, piano et cordes
1838 – Bizet – Symphonie en ut
1840 – Tchaïkovski – Symphonie n°1
1840 – Tchaïkovski – *Symphonie n°2
1840 – Tchaïkovski – Symphonie n°3
1840 – Tchaïkovski – Symphonie n°4
1840 – Tchaïkovski – *Symphonie n°5 (Valse)
1840 – Tchaïkovski – *Symphonie n°6
1843 – Hamerik – Symphonie n°1
1843 – Hamerik – Symphonie n°2
1845 – Fauré – Quatuor avec piano n°1
1845 – Fauré – Quatuor avec piano n°2
1851 – d'Indy – Symphonie italienne
1856 – Sinding – *Symphonie n°3
1858 – Rott – *Symphonie en mi
1860 – Mahler – Symphonie n°2
1863 – Pierné – *L'an mil (« Fête des fous et de l'âne »)
1867 – Koechlin – *Quintette avec piano
1871 – Stenhammar – Quatuor n°3
1871 – Stenhammar – Quatuor n°4
1872 – Hausegger  – Herbstsymphonie
1874 – Suk – Scherzo fantastique
1874 – Schmidt – **Symphonie n° 2 (deuxième mouvement)
1881 – van Gilse – Symphonie n°1
1882 – Stravinski – *Scherzo fantastique
1882 –  Stravinski – *Jeu des Pommes d'or de L'Oiseau de feu
1891 – Bliss – *A Colour Symphony (« Red »)
1899 – R. Thompson – Symphonie n°2
1906 – Doráti – Symphonie n°1
1906 – Doráti – Symphonie n°2 (mouvement « Dies illa »)
1913 – Britten – Simple Symphony (« Playful pizzicato »)



Crédits :
Toutes les illustrations sont des détails tirés de photographies du Fonds Řaděná pour l'Art Puttien, disponibles sous Licence Creative Commons CC BY 3.0 FR.





Mise à jour du 27 février 2017 :


Quelques ajouts à la précédente liste.

J'avais omis celui, très marquant et célèbre, de la Sonate pour piano n°30 de Beethoven.

Puis une poignée d'exemples, surtout symphoniques, de premier choix, qui manquaient dans la précédente sélection.



[[]]
Hofkapelle Stuttgart, Frieder Bernius (Carus).
¶ L'atmosphère combattive de la Première Symphonie de (Norbert) Burgmüller, une tempête à couper le souffle, dans le goût du scherzo de la Quatrième Symphonie de Schumann.



stenhammar_scherzo.png
Un extrait du trio (à tempo rapide) du scherzo du Troisième Quatuor – vous notez aussi les décalages d'entrées, assez typiques de l'écriture pour quatuor deStenhammar.

¶ Ceux des Quatuors 3 & 4 de Stenhammar, d'une agitation incessante (le Troisième est insoutenable physiquement pour des interprètes, toujours vif, toujours dans l'aigu, le trio cavalcadant encore plus que le scherzo lui-même…). Très intenses, au sein d'œuvres qui sont des jalons majeurs du romantisme finissant, à mon sens – la forme stable s'y gorge de fugatos, d'une belle liberté de contrepoint, d'harmonies étranges qui, sans du tout subvertir le format traditionnel, lui procurent une saveur assez neuve – mais toujours « positive », avant que des langages plus tourmentés n'apparaissent.



[[]]
Philharmonique de la NDR (Hanovre), David Porcelin (CPO).
¶ Les violons prestes (dans le grave) de la Troisième Symphonie de Sinding (bijou par ailleurs), progressivement chargés de contrechants de flûtes, cors ou bassons, toujours avec le même élan motorique (comme imitant un ressac) que pour le premier mouvement. Pas de trio au demeurant, la même thématique se charge progressivement de plus en plus d'éléments, sans être réellement un mouvement à variations (pas de mutations en valeurs rapides) ou à « étages » (comme les effets de marches lointaines, du type « Marche au supplice » ou premier acte de Dalibor), le matériau mute plutôt en même temps qu'il s'enrichit, d'une façon qui annonce plutôt Sibelius.



¶ Le spectaculaire Presto feroce de la Troisième Symphonie de Röntgen (notule), dont la fureur se mue en poudroiement doré dans le trio.



[[]]
Chœur Nicolas de Grigny, Orchestre National de Lorraine, Jacques Mercier (Timpani).
¶ Le mouvement central de L'an mil de Pierné : « Fête des fous et de l'âne ». Tout crépite comme dans le scherzo de Maab chez pierne_mil_glissando_harmoniques.pngBerlioz, mais avec une science d'orchestration qui n'a pas d'exemple – trompette en ut rythmée par des pistons en sourdine, et ponctuations de violons (octaves suraigus en glisando avec une quinte en harmoniques au milieu !) doublées par des fusées de triples croches sforzando à toute la section de bois !  Et puis les éclats de flûtes doublées par la harpe, les accompagnements très aérés (les pupitres se partagent une ligne d'accompagnement), le chœur qui chromatise et crie, la jolie mélodie entraînante… une fête, assurément.



Plus traditionnel, moins essentiel sans doute, le beau scherzo sombre de la Première Symphonie de Jan van Gilse (notule de présentation), avec ses renforts de timbales légèrement décalés et son trio où la palpitation des cors rappelle très vivement l'écriture brahmsienne.


Vous pouvez désormais les retrouver, inclus dans la notule qui présente le genre scherzo, établit ses limites et propose une liste assez fournie d'exemples de réussites.


mercredi 16 mars 2016

Instants ineffables


1. Concept

Le mélomane échange souvent sur ses œuvres fétiches (quand ce n'est pas, pis encor, sur ses versions fétiches, voire sur ses glottes fétiches), aime à soumettre des listes, éprouver des hiérarchies subjectives (quelquefois avec de désagréables prétentions d'universalité)… Mais, en fin de compte, la conversation autour de ces instants qui rendent une œuvre particulière, qui emportent notre adhésion, n'est pas si fréquent. Pourtant, c'est sans doute là que gisent les informations les plus pertinentes sur la singularité d'une pièce, sur les inclinations d'une oreille.

Ce ne sont pas des sections entières, vraiment des détails qui tiennent en quelques mesures. Tenez, voici un exemple décortiqué de la Clémence de Titus, en cinq mesures.

Dans la plus pure subjectivité, je lance donc quelques exemples en espérant vous inciter à essayer quelques bijoux négligés, ou vous faire redécouvrir quelques fragments restés tapis dans les grands tubes universels. Ce ne sont pas forcément ceux que j'aime le plus, simplement ceux qui me sont parvenus lorsque j'ai voulu faire cet essai,en tâchant de varier périodes et effectifs – mais uniquement des moments d'exception.


2. Suggestion : une liste parmi d'autres

¶ Le début du quatuor de l'Offertoire du Requiem de Jean Gilles : après un long récit de basse, taille, haute-contre et dessus entrent progressivement en reprenant le premier thème de l'Offertoire. La couleur harmonique de l'instant, l'élan du motif qui se dédouble dans cet écho multiple ont un effet incantatoire saisissant :



¶ L'alternance hautbois/basson sur ce balancement de nuages dans « As Steal the Morn » (L'Allegro, il Penseroso ed il Moderato de Haendel & Milton) :



¶ Cette petite virgule au début de la partie rapide du premier mouvement de la Deuxième Symphonie de Beethoven :



¶ La petite gamme clarinette-hautbois au milieu des variations finales de la Troisième Symphonie de Beethoven :



¶ Ce motif secondaire dans l'exposition du premier mouvement du Nonette de Czerny : doublure clarinette-alto, puis reprise variée du piano avec contrechant de cor anglais.



¶ L'entrée du violon dans le Premier Trio avec piano de Mendelssohn (valable aussi pour le Premier de Brahms) :




¶ Le petit écho des cors (plus tard renforcés par les trombones) dans le final de la Troisième Symphonie de Schumann :



¶ « Jésus marchant sous la Croix » (station II du Via Crucis de Liszt), sur des carrures parfaitement régulières dont l'harmonie mouvante fait pourtant sentir l'irrégularité branlante, le pas du condamné dépenaillé – ici accentuée par l'interprétation complètement pénétrée de Reinbert De Leeuw :



¶ L'explosion du thème attendu du scherzo du Quintette avec piano de Brahms :



¶ Le thème B olympien du premier mouvement du Premier Trio avec piano de Dubois :



¶ L'illumination finale de Die verklärte Nacht (« La Nuit transfigurée ») d'Oskar Fried sur le poème de Dehmel :


(Intégralité et présentation dans cette notule.)

¶ et un peu de contemporain pour finir, avec un comparse de Bernstein parfaitement vivant mais qui a rejoint le côté obscur :


Cet envol soudain, bloqué sur ces notes répétées dans l'aigu, en accord avec le texte (les ponts qu'on traverse sans s'être vu les traverser), a quelque chose de suspendu, comme si le Temps entrait en apnée.
Stephen Schwarz, extrait de « Thank Goodness », au début de l'acte II de Wicked (Cassandra Kassenbaum).


3. Debriefing, feedback et autres vocables interdits

Je m'aperçois que me viennent moins naturellement des noms baroques – si l'on parle bien d'instants, pas d'airs entiers : s'il fallait citer les instants ineffables dans LULLY, ce reviendrait à faire la liste des récitatifs, des airs, des ensembles et des danses !  De même pour les langages plus tardifs du XXe siècle, ou c'est plus l'atmosphère générale que des instants particuliers, des motifs précis, qui suscite l'adhésion – sauf dans les cas de citations, généralement par contraste lumineux (témoin la Suite pour flûte et orchestre de Widmann, qui cite la Badinerie de Bach pour attirer les applaudissements à la fin !).

Il existe quantité d'autres choses à citer, mais elle me paraissent peut-être plus délibérées, audibles par tous : certains des extraits cités tiennent plutôt du détail charmant qui fait la différence (Czerny, Schumann) que de l'acte de rhétorique qui soutient l'ensemble de la pièce. Sans quoi on pourrait citer tous les leitmotive de tel ou tel opéra, par exemple.
Richard Strauss en est un excellent exemple : il regorge d'envolées irrésistibles (et tôt interrompues), mais ce sont finalement des procédés conçus pour être spectaculaires, pas des détails que tel chérira et que tel autre ne remarquera même pas. Ainsi l'Erdenflug à la fin du premier tableau de La Femme sans ombre, la fanfare de Friedenstag, la fin de « Mein Elemer » dans Arabella, « Denn du bist stark » dans Elektra, et bien sûr la fin de la tirade de Chrysothemis à la fin de leur premier duo :

.

On note aussi (et surtout !) l'écrasante majorité d'exemples tirés de la musique germanique. Ce n'est pourtant pas le résultat d'un tropisme personnel (j'écoute tout autant les français, par exemple), mais plutôt, à mon avis, une conséquence structurelle : la musique germanique est plus mélodique, plus organisée, et les motifs y ont donc une prégnance et une importance sans commune mesure. Au contraire, les français écrivent plutôt des pièces où l'exaltation peut être de même intensité, sans attente ou tension-détente. On n'attend pas un moment particulier dans La Mer, alors que tout paraît arc-bouté vers la fin dans les symphonies de Mahler.

Parce que, au bout du compte, je crois que l'un des facteurs majeurs de ces moments privilégiés est l'harmonie. Un petit changement de couleur dans les accords (comme ici, dans Arabella) semble ouvrir sur un monde nouveau, et crée, par contraste, cette impression ineffable. C'est l'un des principaux vecteurs d'émotion au cinéma, et sa force est telle qu'il n'y a pas besoin d'user de grands raffinement pour la voir opérer : c'est ce qui se passe dans la chanson lorsqu'on monte le refrain d'un ton pour relancer et intensifier le discours – totalement rudimentaire, peut-être même méprisable techniquement, mais imparablement efficace.


4. Et chez l'horrible Richard Wagner ?

Lorsque la conversation avait d'abord surgi, on m'avait demandé ma sélection dans le Ring. Alors, tant que je suis dans le quartier… Purement personnel, juste les mots concernés (pas les sections entières).

¶ « Ein stolzer Saal, ein starkes Schloß » (Rheingold, dans le monologue de Loge, juste avant le thème du Walhall).
¶ « er freite ein Weib, das ungefragt Schächer ihm schenkten zur Frau » (Walküre I, dans « Der Männer Sippe »).
¶ « Gäste kamen und Gäste gingen, die stärksten zogen am Stahl... keinen Zoll entwich er dem Stamm » (idem).
¶ « Du zeugtest ein edles Geschlecht ; kein Zager kann je ihm entschlagen » (duo final).
¶ « der frech sich wagte, dem freislichen Felsen zu nahn ! » (juste avant les Adieux).
¶ L'Interlude pour l'arrivée de Siegfried sur la montagne (Siegfried, acte III). Mais ça, c'est trop long.
¶ Postlude du duo Siegfried / Brünnhilde (Crépuscule, acte I). Pareil.

Dans les versions françaises, mes choix seraient bien entendu différents, très liés à la saveur des textes de Wilder ou Ernst. Comment se passer de « Folle jactance !  Infructueuse audace ! » en II,2 de Die Walküre ?

… mais cela n'a en réalité pas vraiment de sens : dans ce type d'œuvre, un instant prend surtout son prix dans le contexte, voire dans la durée et l'écho, même s'il n'y a pas de motif saillant à ce moment-là. Mais le fait d'en préparer un, d'être entouré d'autres choses, participe grandement à la réussite de l'instant proprement dit.


5. Avant de nous quitter


Bien sûr, je ne puis trop vous enjoindre à partager vos propres exa-/exultations. De mon côté, pour prouver l'excellence proverbiale de mon bon goût, voici deux exemples souverainement raffinés que je n'hésiterais pas à porter en étendard.


La clausule très archaïsante de l'Appel des Maîtres à l'acte I des Meistersinger de Wagner.


Révélation dans cette notule et présentation de toute l'œuvre dans celle-là


Bons plaisirs musicaux !  Vos autres ne nous regardant nullement.

mercredi 29 octobre 2014

[Sélection lutins] — Les plus beaux concertos pour piano


… une nouvelle remise des putti d'incarnat, sur le terrain abondant mais inhospitalier des concertos pour piano.

Principe

Le concerto est, de façon parfaitement explicite (au même titre que l'opéra seria), le lieu de la virtuosité, avant d'être celui de la musique. Mais autant le concerto pour violon peut s'échapper de la contrainte par des mélodies rêveuses et des atmosphères orchestrales prégnantes, autant celui pour piano, à cause même de la nature de l'instrument (harmonique) et de l'expression de sa virtuosité (en général du remplissage par gammes et arpèges), laisse moins de place à l'évocation… le piano s'impose dans le discours, et ne peut pas être un prétexte de second plan — cela arrive rarement en tout cas, et l'on voit bien pourquoi.

En conséquence, le concerto pour piano est un univers pas toujours très exaltant musicalement, sauf à aimer le piano comme d'autres aiment la glotte — et c'est pourquoi, depuis quelque temps déjà, j'ai soigneusement relevé le nom de ceux qui me paraissaient dignes d'être découverts ou réécoutés. Les voici pour vous.


Détail tiré de L'Audition du concerto, tableau allégorique de Lagrenée l'Aîné.
Huile sur toile, 1766. Collection particulière.


Suite de la notule.

mardi 5 août 2014

[Sélection lutins] Les plus beaux quintettes pour piano et cordes


Comme pour les précédentes distributions de putti d'incarnat (symphonies, quatuors à cordes, musique sacrée, opéras contemporains, trio de toutes sortes, quatuors avec piano et cordes, piano solo, sonates pour violon, lieder orchestraux décadents, concertos pour clarinette, chœurs profanes a cappella, mélodies maritimes), une petite sélection, qui ne reflète que mes goûts (et où manquent donc quelques classiques que je ressens comme moins essentiels) mais qui vous donnera peut-être envie d'essayer des choses inattendues.

Cette liste ne contient pas les quintettes pour piano et vents (en général moins intéressants), les quintettes à cordes (pas très nombreux, mais remarquables pour certains) ni les quintettes avec clarinette (qui concentrent beaucoup de bijoux négligés… pour une autre fois !).

Il est évidemment impossible de présenter chaque œuvre, mais on répond volontiers aux questions en commentaires.


Voici la liste, organisée par date de naissance des compositeurs :

Suite de la notule.

mercredi 26 mars 2014

[Sélection lutins] Les plus belles mélodies maritimes


Dans notre série de remise des Putti d'incarnat, je voudrais présenter les lieder, songs & mélodies en lien avec grandes étendues liquides et salées. Non pas que ce soit particulièrement un thème de prédilection personnel, mais il se trouve que les grandes étendues (physiques et harmoniques), les possibilités de contraste ou de figuralisme, les airs populaires des marins innervent avec bonheur un bon petit nombre de ces compositions.


Détail tiré de Hoé ! Hisse hoé ! de Lagrenée l'Aîné.
Huile sur toile, 1766. Collection particulière.


Suite de la notule.

mardi 5 novembre 2013

[Sélection lutins] Les plus beaux chœurs profanes a cappella


Toujours sur le même modèle que les autres remises des putti d'incarnat : sélection tout à fait subjective, mais qui peut servir à signaler des œuvres assez peu diffusées, et largement dignes d'être fréquentées.

Dans le domaine des chœurs profanes a cappella, les hiérarchies évidentes dans d'autres genres (quelques figures sont bel et bien incontournables dans la symphonie ou le quatuor) s'effacent largement, aussi j'espère qu'il y aura quelques découvertes à faire dans la liste.

Mes excuses par avance pour le nombre élevé d'incontournables (et la liste n'est pas complète, loin s'en faut) : c'est l'un des genres les plus propices à l'excellence qui soient, et les romantiques germaniques et suédois, ainsi que les nordiques du XXe siècle, ont livré une quantité assez effarante de bijoux.

J'y ai conservé quelques titres déjà mentionnés en musique sacrée, mais dont le propos me semble plus esthétique que liturgique.

Deux catégories :
¶ Œuvres originales ;
¶ Transcriptions.

Le classement s'opère par ordre chronologique approximatif (date de naissance des compositeurs).

J'ai volontairement abandonné le madrigal (et d'une manière plus générale le répertoire antérieur à 1800) pour ne pas surcharger une short-list déjà assez étendue (alors qu'incomplète).


Suite de la notule.

mercredi 3 juillet 2013

[Sélection lutins] – Les plus beaux concertos pour clarinette


Toujours sur le même modèle que les autres remises des putti d'incarnat : il s'agit de signaler des oeuvres, souvent assez peu diffusées, qui me paraissent apporter un supplément aux corpus habituellement joués. Pour donner un peu la mesure de mes inclinations, je laisse les oeuvres célèbres qui me plaisent dans la liste.


Ce n'est donc surtout pas une hiérarchie, et l'absence de tel ou tel standard (pas vraiment le cas, en l'occurrence !) ne prête pas vraiment à conséquence, ce sont plutôt les noms qui donneront des idées de découverte qui seront précieux.

Suite de la notule.

mardi 12 mars 2013

[Sélection lutins] Les plus beaux cycles de lieder orchestraux du premier XXe siècle


Orchestrés a priori ou a posteriori, une proposition de cycles particulièrement réussis à mon gré. Pour des raisons évidentes de quantité, je n'ai pas retenu les oeuvres isolées. De même, si j'ai inclus les symphonies mettant en musique des poèmes pour voix solo, je n'ai pas conservé les monodrames (comme Schönberg ou Poulenc), qui par définition ne mettent pas en musique de la poésie.

Malgré les réserves que j'ai émises sur les lieder orchestraux en tant que genre poétique, il faut bien admettre que la forme accueille de nombreux chefs-d'oeuvre.

Encore une fois, aucune prétention à l'exhaustivité, simplement une sélection d'oeuvres à écouter, sur le simple critère des goûts du taulier (oui, c'est marqué dans la description : interlope).
Une forme de bouche à oreille, tout à fait informel.

Néanmoins, je crois avoir cité, en fin de compte, non seulement ceux que j'aimais (illustres ou obscurs), mais aussi la plupart de ceux qui sont célèbres. J'ai donc inclus en italique et entre crochets les quelques oeuvres célèbres que je ne recommande pas forcément en premier lieu (voire que je n'aime guère, comme Das Klagende Lied ou le Marteau sans Maître), de façon à disposer d'un panorama un peu plus complet.

Il est intéressant de constater qu'à peu près tous ceux cités ici ressortissent à une esthétique assez proche de l'esprit "décadent", et pas seulement en raison de mes goûts propres : on trouve très peu de lieder orchestraux célèbres dans les périodes précédentes, en dehors des Nuits d'Eté de Berlioz et des Wesendonck-Lieder de Wagner (et ce dernier cycle ne me convainc pas pleinement). Ceux du premier XXe ont pour la plupart cette petite teinte fin-de-siècle, que je les aie "sélectionnés" ou non.

[[ 1880 - Gustav MAHLER - Das Klagende Lied (Mahler d'après Bechstein et Grimm, débuté en 1878) ]]
1886 - Gustav MAHLER - Lieder eines fahrenden Gesellen (Mahler)
1889 - Hugo WOLF - Harfenspieler I,II,III (Goethe)
[[ 1892 - Ernest CHAUSSON - Le Poème de l'amour et de la mer (Bouchor) ]]
[[ 1899 - Edward ELGAR - Sea Pictures (Noel, Mrs Elgar, Barrett Browning, Garnett, Gordon) ]]
1899 - Guy ROPARTZ - Quatre Poèmes de l'Intermezzo de Heine
1901 - Gustav MAHLER - Des Knaben Wunderhorn (Arnim & Brentano, débuté en 1892)
1901 - Oskar FRIED - Die verklärte Nacht (Dehmel)
1903 - Maurice RAVEL - Shéhézarade (Tristan Klingsor)
1904 - Gustav MAHLER - Rückert-Lieder
1904 - Gustav MAHLER - Kindertotenlieder (Rückert)
[[ 1905 - Arnold SCHÖNBERG - Sechs Lieder Op.8 (Hart, volkslieder, Förster traduisant Pétrarque) ]]
1906 - Ernest BLOCH - Poèmes d'automne (Rodès, orchestration 1917)
1908 - Alban BERG - Sieben Frühe-Lieder (orchestration 1928)
1909 - Gustav MAHLER - Das Lied von der Erde (Bethge)
[[ 1911 - Arnold SCHÖNBERG - Gurrelieder (Robert Franz Arnold traduisant Jens Peter Jacobsen, débuté en 1900) ]]
1912 - Alban BERG - Altenberg-Lieder
1914 - Guy ROPARTZ - Quatre Odelettes (Régnier)
1922 - Franz SCHREKER - Fünf Gesänge für eine tiefe Stimme (Ronsperger, débuté en 1909)
1927 - Franz SCHREKER - Vom ewigen Leben (Whitman)
[[ 1929 - Alban BERG - Der Wein (Stefan George traduisant Baudelaire) ]]
1936 - Olivier MESSIAEN - Poèmes pour mi (Messiaen, orchestration 1937)
1938 - Ture RANGSTRÖM - Häxorna (Karlfeldt)
1944 - Henri DUTILLEUX - La Geôle (Cassou)
[[ 1946 - Pierre BOULEZ - Le Visage Nuptial (Char) ]]
1948 - Richard STRAUSS - Vier letzte Lieder (Hesse, Eichendorff)
1948 - Pierre BOULEZ - Le Soleil des eaux (Char)
1952 - Manfred GURLITT - Vier dramatische Gesänge (Hardt, 2 Goethe, Hauptmann)
1954 - Henri DUTILLEUX - Deux sonnets de Jean Cassou
[[ 1954 - Pierre BOULEZ - Le Marteau sans Maître (Char) ]]
1957 - Pierre BOULEZ - Pli selon Pli (Mallarmé)

Je trouve que la présentation par ordre chronologique est assez stimulante, tant elle révèle l'entrelacement de styles différents - et combien ceux qui nous paraissent modernes et originaux le sont parfois vingt ans après les autres... ou inversement, combien certains novateurs le sont à des dates très précoces, davantage que celles auxquelles l'on place généralement leur aire / ère d'influence.

Il existe bien sûr d'autres cycles intéressants, comme certains recueils de mélodies orchestres de Koechlin, mais j'avoue ne pas leur avoir trouvé le même intérêt qu'aux titres (remarquables, vraiment) de cette liste.

Si vous devez en essayer quelques-uns pour commencer, je me permets de vous recommander tout particulièrement les chatoyances de Vom ewigen Leben de Schreker (version Ruzicka, les autres ne rendant pas forcément justice à l'oeuvre), les Vier dramatische Gesänge de Gurlitt et les Quatre Odelettes de Ropartz.

A ceux-là, j'aurais envie d'ajouter certains formats étranges, pour ensemble, ou semi-oratorios, qui auront difficilement l'occasion d'apparaître dans une liste :

Suite de la notule.

vendredi 15 février 2013

[Sélection lutins] Les plus belles sonates avec violon


Sonates pour violon & piano ou violon & basse continue - à l'exclusion des sonates pour violon seul ou violon et basse continue, dont l'objet et les contraintes sont tout à fait distincts des oeuvres mentionnées dans cette liste.

Vu l'immensité du corpus, ce n'est pas tant le meilleur de ce qui existe qu'une sélection d'oeuvres particulièrement marquantes, parmi celles que j'ai pu écouter jusqu'à présent. Autant on peut avoir l'impression d'appréhender un peu le plus intéressant de la production pour d'autres genres de chambre, autant les sonates pour violon, en plus d'être pléthoriques, recèlent beaucoup de surprises. La variété des possibles y semble de surcroît infiniment extensible, sans le côté rassurant « par accords » qu'on trouve dans les trios, quatuors ou quintettes, qu'ils soient à cordes ou avec piano.

Au passage, il est remarquable que les compositeurs aient manifesté bien davantage de créativité pour la formation violon & piano que pour violoncelle & piano - très nombreuses oeuvres aussi, mais dont le style et les procédés sont en général considérablement plus prévisibles.

Voici donc la liste :

Suite de la notule.

samedi 26 janvier 2013

[Sélection lutins] Dix disques de piano


Question posée : dix disques représentant des sommets de l'interprétation pianistique, ou en tout cas des aboutissements notables. Comme la réponse peut être un peu plus originale que les rayons de la FNAC, j'ai eu la fantaisie d'y répondre.

Tentative de sélection de dix disques majeurs pour moi, à la fois des oeuvres majeures et des exécutions particulièrement marquantes.

Bach - Suites Anglaises - Murray Perahia (CBS)
=> Lecture à la fois méditative et sensible aux inégalités et à la danse, une gravure légendaire à juste titre.

Rameau - Suite en sol et Suites en la - Alexandre Tharaud (HM)
=> Tharaud réinvente le toucher du clavecin sur un piano : de vrais trilles progressifs et organiques, une inégalité subtile, de la danse et de l'espièglerie partout. Absolument fascinant - ce qu'il fait est en principe techniquement impossible sur un piano.
La Suite d'hommage à Rameau (par Mantovani pour l'allemande, Connesson pour la courante, Pécou pour la sarabande, Campo pour les Trois Mains, Maratka pour la Triomphante et Escaich pour la gavotte) intercalée entre les mouvements de la seconde suite en la, et donnée seulement en concert, était également fascinante.

Bruckner - Adagio en ut dièse mineur - Fumiko Shiraga (BIS)
=> La réduction du mouvement lent de la Septième Symphonie, par Bruckner lui-même. Shiraga obtient des colorations incroyables, recréant l'orchestre de façon crédible au piano - là aussi, c'est en théorie inaccessible.

Debussy - Intégrale - François-Joël Thiollier (Naxos)
=> Parmi l'immensité de versions remarquables de Debussy, Thiollier se dégage à la fois comme l'une des plus inspirées et des plus singulières. Beaucoup de pédale, mais avec un grand niveau de détail et de phrasé dans ce brouillard assumé.

Koechlin - Les Heures Persanes - Herbert Henck (Wergo)
=> A oeuvre poétique, lecture poétique. La prise de son assure en outre une très grande profondeur des graves, remarquablement enveloppante.

Tournemire - Préludes-Poèmes - Georges Delvallée (Accord)
=> Parmi les oeuvres les plus virtuoses jamais écrites pour piano, mais avec un pouvoir d'évocation exceptionnel. Delvallée, plus célèbre comme organiste, émerveille par sa maîtrise olympienne, avec un son très dense.

Decaux - Clairs de lune - Marc-André Hamelin (Hyperion)
=> Ascétiques (avant la dernière pièce), explorant l'atonalité dès 1900, ces Clairs de lune mystérieux constituent un des corpus les plus fascinants pour l'instrument. Hamelin y ajoute son éloquence propre.

Suite de la notule.

mercredi 12 décembre 2012

[Sélection lutins] Les plus belles oeuvres pour piano solo


De même que précédemment pour d'autres formations, une sélection d'oeuvres recommandées, pour inviter à la découverte. Impossible matériellement de parler de tout cela à la fois, mais les questions sont bienvenues, évidemment.

Cette sélection :

  • est, comme les autres, purement subjective, rien de plus qu'une suggestion, et certainement pas une représentation fidèle de la place de chacun dans l'histoire de la musique ou dans le panorama de l'aboutissement musical ;
  • exclut les oeuvres pour piano à quatre mains ou deux pianos, qui méritent une sélection autonome ;
  • inclut des oeuvres pour clavecin qui disposent d'une tradition d'exécution au piano.


En gras, les corpus qui me sont particulièrement chers, oeuvres isolées ou production entière. Présentation pseudo chronologique (par paquets totalement approximatifs).

Voici la liste :

Suite de la notule.

mercredi 28 novembre 2012

[Sélection lutins] Les plus beaux quatuors pour piano et cordes


La forme rassemble manifestement moins d'adeptes que les trios ou les quintettes, et elle est en effet plus délicate à maîtriser : alors que le trio est une forme assez élancée (violon mélodique et violoncelle pour asseoir la basse ou pour dialoguée), et que le quintette permet de faire dialoguer ou de compléter le quatuor à cordes avec un piano, le quatuor avec piano est une forme très dense, qui peut paraître un peu lourde du point de vue de l'équilibre sonore, avec un milieu harmonique très rempli.

Pourtant, on y trouve des merveilles, peut-être encore davantage que pour les quintettes. Quelques propositions.

Suite de la notule.

samedi 8 septembre 2012

[Sélection lutins] Les plus beaux trios


Trios à cordes, trios avec piano (et cordes ou vents).

Je n'ai pas retenu le trio à vent, dont l'économie et le répertoire sont très différents, souvent représenté avec talent chez des compositeurs moins célèbres qu'il faut un peu aller dénicher - vous pouvez aller regarder du côté de Ferenc Farkas et Sándor Veress, par exemple, chez les post-ravéliens aussi, mais je n'ai pas vérifié leur disponibilité au disque.

J'ai en revanche inclus les trios à cordes, ayant à ce jour rencontré assez peu d'oeuvres marquantes pour cet effectif. Les seules pièces très intenses, je les dois à ma rencontre avec Herzogenberg, un représentant passionnant de la musique postromantique allemande - certains de ses quatuors, avec ou sans piano, peuvent se comparer au meilleur de ce qui a été composé pour ces formations.

De même que pour les symphonies, les quatuors à cordes, la musique sacrée vocale, les opéras contemporains, voici une proposition de sélection.

Suite de la notule.

lundi 23 juillet 2012

[Sélection lutins] Une brassée de bons opéras contemporains, classés par courants


1. Le besoin

Comme manifesté encore récemment, mais depuis longtemps, l'opéra contemporain rencontre un certain nombre de difficultés structurelles : musicales (techniques de composition inappropriées à la voix), culturelles (défiance face à la grande forme), économiques (peu de remplissage, donc peu de créations possibles, et par conséquent peu d'entraînement pour les compositeurs), librettistiques (recrutement aléatoire des librettistes, souvent des potes pas très préparés).

Alors qu'il existe tout de même un certain nombre de pièces instrumentales (ou vocales !) très réussies dans le répertoire récent, l'opéra semble avoir totalement dévissé. Après avoir longuement disserté sur les causes de cette traversée du désert, il était temps de regarder sous l'angle opposé : que faut-il écouter en théâtre lyrique contemporain ?

Voici donc une tentative de liste et de parcours expliqué pour pouvoir faire son choix. Avec inévitablement sa (ma) part de subjectivité, mais, je l'espère, avec suffisamment d'explicitation pour en faire son miel.

Suite de la notule.

lundi 12 décembre 2011

[Sélection lutins] Anthologie de musique sacrée


Sur le modèle des précédents Goblin Awards (symphonies, quatuors, opéras rares...), une petite sélection de Carnets sur sol : une suggestion de parcours, purement subjective, à travers les innombrables oeuvres sacrées disponibles (pour la plupart) au disque.

Suite de la notule.

lundi 17 octobre 2011

[Sélection lutins] Les plus beaux quatuors à cordes


1. Principe

Sur le modèle des symphonies, une liste d'oeuvres que les farfadets de céans ont trouvé particulièrement intéressantes. Avec des astérisques pour les oeuvres les plus remarquées, soit au sein du corpus du compositeur, soit vis-à-vis de l'ensemble du répertoire.

Liste subjective bien sûr, dont l'intérêt ne porte pas tant sur la mention des "grands noms" (difficile de décider où ils s'arrêtent, mais ils avaient quelque peu monopolisé l'attention lors des réactions sur la publication autour des symphonies) que sur les suggestions de découverte. Suggestions qui suivent en l'occurrence uniquement mon goût personnel, mais qui peuvent mener, je crois, sur des veines assez richement pourvues.

Comme pour les symphonies, on remarquera aussi que ce n'est pas là - de mon point de vue - que s'est le mieux réalisée la créativité du second vingtième siècle, bien plus féconde dans les formes libres pour ensemble.

--

2. Présents et absents

Suite de la notule.

mercredi 10 août 2011

[Sélection lutins] Les plus belles symphonies


De façon tout à fait subjective bien sûr, une sélection de symphonies que je trouve particulièrement enthousiasmantes. Bien sûr, ce n'est une garantie de rien du tout, mais si cela peut attirer l'attention sur des pièces spécifiquement intéressantes et consciencieusement peu données... Les plus célèbres peuvent servir d'étalon pour les lecteurs les plus récents.

La double astérique indique les oeuvres qui m'enthousiasment sans réserve, l'astérique simple indique les symphonies qui (me) sont particulièrement notables chez un compositeur.

Une présentation globale de ces titres est en cours dans les ateliers de CSS. Certains figurent déjà dans ces pages, et vous pouvez les retrouver par la boîte de recherche à droite (ou en saisissant « Carnets sur sol Untel » dans un moteur de recherche généraliste).

Liste :

Suite de la notule.

mercredi 19 janvier 2011

Quelles raretés manquent sur scène ?


On souhaite souvent, sur Carnets sur sol, que des raretés soient jouées. Mais de quoi parlez-vous, à la fin ?

Voici une petite liste de souhaits, limitée au domaine de l'opéra (sinon, c'était la mort du petit cheval) ; loin d'être exhaustive évidemment, mais elle peut donner une idée de certains pans totalement négligés du répertoire, alors même qu'on ne joue que quelques titres dans une période ou un style.

Les lutins locaux sont évidemment tout disposés à préciser la raison de leurs choix aux habitués comme aux visiteurs de passage.

LEGENDE :
| * : disponible au disque
| ** : il existe des enregistrements, hors commerce, auxquels j'ai eu accès
| *** : je n'ai aucun enregistrement, mais j'ai lu ou joué la partition
| **** : totalement indisponible, bandes sonores comme partitions (j'ai en revanche pu lire le livret dans certains cas)

Evidemment, il est toujours possible que la disponibilité d'enregistrements nous ait échappé... On peut opportunément nous le préciser en commentaire ou par courriel.

Suite de la notule.

mercredi 29 décembre 2010

Histoire de l'opéra allemand : essai (raté) de schéma


Contrairement aux développements de genres et styles parallèles dans l'histoire de l'opéra français ou aux ruptures dans l'histoire de l'opéra italien, l'opéra allemand suit en réalité un chemin assez linéaire, qui ne se complexifie qu'à l'orée du XXe siècle.

Toutefois, à cette date, les courants et les langages deviennent si riches, si complexes, s'entrecroisant et se contredisant jusque chez un même compositeur, et quelquefois menant deux courants idéologiquement antagonistes à des résultats sonores similaires... qu'il est assez difficile de proposer cela sous forme synthétique. On serait incomplet, ou bien allusif et obscur, ou au contraire trop détaillé.

En l'occurrence, le résultat sera trop touffu pour les lecteurs plus néophytes.

Bref, le résultat de cette tentative n'est pas satisfaisant, mais on le livre tout de même, à titre de repère (un tiens valant mieux...)

--

1. Exception hambourgeoise : un seria local

L'opéra allemand n'existe pas au XVIIe siècle en tant que genre. Il existe peut-être des partitions expérimentales enfouies, mais je n'en ai jamais vu, et elles resteraient de toute façon marginales.
On cite une Dafne de Schütz (1627), dont seul le livret subsiste, mais rien qui puisse permettre de documenter un genre en tout cas.

Il faut attendre le XVIIIe siècle pour voir apparaître des exceptions locales. On jouait alors l'opéra italien partout en Europe, sauf en France, et plus précisément cet opéra seria. Ce genre opératique était né en Italie de la fascination croissante pour la voix comme instrument, au détriment du projet original d'exalter un poème dramatique par la musique. On y trouvait des airs clos (dits "à da capo", c'est-à-dire de forme ABA') très virtuoses, entre lesquels l'action avançait rapidement par des "récitatifs secs" (une écriture rapide et peu mélodique, calquée sur la prosodie italienne et uniquement accompagnée par la basse continue).

Il a cependant existé, pendant des périodes plus ou moins restreintes, des exceptions locales en Europe (cour de Suède par exemple), et spécialement dans certaines villes d'Allemagne. On y écrivait aussi du seria, avec les mêmes recettes... mais en langue allemande.

Quelques compositeurs célèbres se produisirent à Hambourg : Haendel (son premier opéra, Almira, Königin von Kastilien, était en allemand sur un livret adapté de l'italien) et Telemann, mais aussi Reinhard Keiser, qui produisit près de 70 opéras, et quasiment tous pour Hambourg. On trouve aussi mention de Philipp Heinrich Erlebach, Georg Caspar Schürmann ou Johann Christian Schieferdecker, dont certaines oeuvres sont disponibles au disque, mais qui n'ont pas, aujourd'hui encore, de grande renommée.
L'Orpheus de Telemann, comble du syncrétisme, mêle même des airs en italien et des choeurs en français, selon le caractère recherché, à une trame allemande.

L'opéra hambourgeois est un opéra virtuose, bien écrit, qui adopte certaines tournures harmoniques spécifiquement germaniques, et dont les récitatifs sont par la force des choses assez différents des italiens... mais il ne s'agit que d'une adaptation limitée géographiquement d'un genre qui vient de l'étranger. On est très loin d'un opéra proprement national.

2. Le Singspiel, première forme originale

Au milieu du XVIIIe siècle, apparaît une forme nouvelle, une version comique de l'opéra, qui s'apparente à l'opéra comique français : des "numéros" musicaux (airs, ensembles, parfois pièces d'orchestre...) clos sont entrecoupés de dialogues parlés, le tout étant en langue allemande.

La forme trouve probablement son origine avec les miracles du XVIIe siècle, mais on considère que ses "inventeurs" sont Hiller & Weisse, qui collaboraient ensemble vers le milieu XVIIIe siècle.

C'est le genre dans lequel sont écrits les opéras allemands de Mozart : Bastien und Bastienne, Die Entführung aus dem Serail, Die Zauberflöte. Peu d'oeuvres d'autres compositeurs de l'époque sont disponibles au disque : Holzbauer par exemple, qui est extrêmement intéressant ; ou (Paul) Wranitzky dont l'Oberon, König der Elfen (1789) est un bijou déjà très romantique, bien plus moderne que la Flûte Enchantée (1791) par exemple.

Ainsi, la naissance d'un opéra réellement attaché à la langue allemande se fait sous la forme comique et hybride du parlé et du chanté. Ce qui n'aura pas une conséquence durable sur son évolution.

3. Développement sérieux du Singspiel

Suite de la notule.

mercredi 22 décembre 2010

Histoire de l'opéra italien : essai de schéma

Sur le même principe que pour l'opéra français, on tente de brosser à grands traits l'histoire de l'opéra italien.

On pourrait d'ailleurs parler d'histoire de la musique italienne, tant le vocal prévaut sur les autres genres dans la péninsule.

Suite de la notule.

lundi 20 décembre 2010

Histoire de l'opéra français : essai de schéma


On parle beaucoup du sujet sur CSS, mais finalement, on n'a pas encore dressé de point de vue surplombant pour reclasser tous ces gens dans leur époque et leur style.

Voici donc une très rapide nomenclature, proposée sur un site voisin, avec un ton un peu informel.

Suite de la notule.

David Le Marrec

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6 => Nasal ou engorgé ?
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