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mercredi 20 mars 2019

Rimski-Korsakov – La Pskovitaine / La Jeune Fille de Pskov / Ivan le Terrible – Sokhiev, Bolchoï 2019


Comme il est question d'une œuvre rare, autant mettre le commentaire du concert en évidence – pardon, contrairement à l'usage, je n'ai pas le temps d'inclure des extraits sonores et des bouts de partition, il faudrait vraiment un temps de travail supplémentaire non négligeable pour écrire une véritable notule sur le sujet, en me replongeant dans le détail… Voyez-le comme une incitation à aller écouter, ou même simplement un témoignage sur certaines propriétés des opéras russes (usage du folklore, des chœurs et des cors…).

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#ConcertSurSol #109

La Pskovitaine de Rimski-Korsakov par le Bolchoï (troupe, orchestre, chœur), direction Sokhiev.
Le concert portait le titre de la création, Ivan Le Terrible, pour des raisons de remplissage, je suppose – je n'ai pas lu qu'il ait été question de proposer une version musicologique d'origine, mais peut-être était-ce également le cas.

Une œuvre dans la veine des grands opéras historiques où la musique est moins sophistiquée que dans les orientalismes mystérieux et les contes comme Sadko, Le Coq d'or… Par exemple La Fiancée du Tsar, déjà avec Ivan. Ici, un aspect légendaire de la vie d'Ivan Le Terrible – avec comme réel sujet principal les massacres qu'il commet régulièrement dans les grandes villes de Russie (cet homme avait de très graves désordres mentaux, il n'était pas terrible dans le sens de grand et redoutable, mais plutôt de quelqu'un qui tue n'importe qui sous n'importe quel prétexte, ses propres amis, les notables, des villes entières…). L'intrigue, tirée d'un drame contemporain de la composition, le présente sous un jour plus positif (et assez fantaisiste) de père de la nation presque sage, sévère mais juste.

J'avais méjugé l'œuvre au disque : les quelques versions disponibles, même les plus récentes, placent les voix très en avant et l'orchestre en retrait, si bien que l'on n'entend bien les détails… Or, malgré son aspect un peu simple de drame romantique sans fantaisie excessive, de prime abord, j'étais passé à côté de la matière de l'accompagnement des récitatifs, très variée, toujours des contrechants (très beaux ; dans les scènes d'amour, on reprend le premier thème des amants au hautbois tandis qu'ils en énoncent un autre), des effets d'orchestrationles cors, en particulier, travaillent à temps plein pour doubler les cordes ou même tenir seul des notes qui apportent de l'atmosphère ou de la tension ! 
On y entend des procédés d'accompagnement (palpitations vives des flûtes et hautbois comme dans les jeux des princesses aux pommes, au début de l'Oiseau de feu), des touches instrumentales (flûte alto sur la chanson satirique chantée par Ivan), des alliages qui font dresser l'oreille.

À ce titre, l'interlude du toscin, entre les deux tableaux de l'acte I, est complètement dément, étendant progressivement la sonnerie à tout l'orchestre (avec la même texture que les scènes du couronnement et de l'horloge dans Boris Godunov, dont cet opéra de 1872 s'inspire vraisemblablement). L'effet de résonance est obtenu par l'écho de deux accords, l'un médium avec pizzicatos de violoncelle, cors et tam-tam chinois, le second avec un pizz plus grave, clarinette basse et timbale.

Le plus hallucinant se trouve probablement dans les scènes de foule assez délirantes : tel le grand accord chargé du chœur, qui s'étage progressivement par entrées successives à la fin de l'œuvre, ou la surenchère effrayée du peuple à la fin de l'acte I, et même les nombreux chœurs folkloriques, dont les thèmes (tirés de chansons traditionnelles célèbres, comme chez Tchaïkovski et Moussorgski) irriguent ensuite toute l'œuvre.

On note la présence de quelques motifs récurrents (parternité d'Ivan, par exemple), mais cela réclamerait réécoute attentive ou ouverture de partition pour préciser leur nombre, leur ampleur et leur usage.

Le drame aussi se tient bien, étonnamment : alors que le dénouement est assez frustrant (se passe ce qu'on avait deviné, et assez platement), toute l'attente qui précède l'arrivée d'Ivan est très réussie : la moitié de l'opéra, trois tableaux sur six, se déroule hors de sa présence, à commenter ses destructions et à redouter son arrivée. Pskov en paix, Pskov effrayée, Pskov combattive, Pskov abattue… Chaque fois l'occasion de changements de climats assez aboutis.
Même l'entrée tardive d'Ivan au second tableau de l'acte II, pourtant chichement spectaculaire en musique et en mots, atteint pleinement son objectif glaçant : ce quasi-silence, cette courtoisie du tsar qui demande l'autorisation de prendre une chaise dans une ville conquise, tout épouvante en comparant l'explicite avec la réputation, laissant pressentir tout en la niant l'ampleur du malheur qui frappera les habitants.

Un opéra très réussi, dont on pourrait faire bien des choses en scène.

Les musiciens du Bolchoï m'ont paru plus typés qu'en 2017, en particulier les bois (hautbois un peu acide, plus clair, et superbe), mais quoi qu'il en soit, le niveau est toujours aussi exceptionnel, magnifié par Sokhiev tout en rondeur et en densité.
Ce sont évidemment les chanteurs qui marquent le plus de différence avec les habitudes occidentales, remplissant la Philharmonie défavorable, comme rien, et avec des techniques vocales qui sont très, très loin de l'orthodoxie italienne et des écoles affiliées. Particulièrement admiré Denis Makarov (le père de la jeune fille éponyme), dont le timbre est peut-être un peu gris, mais dont la projection et la diction se diffusent, encore plus que l'abyssal Stanislas Trofimov (moins sonore dans ce rôle qui sollicite davantage l'aigu que dans l'archevêque de la Pucelle d'Orléans), planant toujours au-dessus de l'orchestre et à proximité du public. Moins convaincu par Dinara Alieva, qui fait une belle carrière hors de Russie (Cio-Cio San la saison prochaine à Bastille !), mais qui est vraiment, vraiment émise très en arrière, compromettant totalement la diction – je suis admiratif qu'elle puisse tenir une tessiture de soprano avec une émission aussi basse (on aurait dit qu'elle chantait un rôle une quarte plus bas que la réalité !), mais je n'aime pas beaucoup cette posture qui la rend mécaniquement monochrome (et floue verbalement à faire passer Netrebko pour Gérard Souzay).
Plus que tout, c'est le chœur qui me cueille encore une fois : le niveau individuel est hallucinant (tous potentiellement de très grands solistes) et la rondeur du résultat, inconnue des chœurs d'opéra ailleurs dans le monde (toujours un peu bruts) semble atteindre le meilleur des deux mondes, entre la puissance épique de leur volume et un moelleux, une discipline des nuances qui évoquent plutôt les meilleurs chœurs d'oratorio.

Très grande expérience. Ils reviennent pour Mazeppa la saison prochaine, avec une de leurs très grandes basses dramatiques, Azizov (un impact très impressionnant là aussi, et une véhémence remarquable – je ne puis plus écouter d'autre Prince Igor…).

Suite de la notule.

David Le Marrec

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