Carnets sur sol

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lundi 24 octobre 2016

Le Quatuor le plus long


Ce n'est pas un grand secret, la symphonie la plus longue est la Troisième de Mahler (même si, en cherchant bien, on doit toujours pouvoir trouver davantage, mais tous les grands massifs symphoniques un minimum diffusés sont légèrement moins longs) : des symphonies de 80 minutes se trouvent assez facilement, mais de 100 minutes comme celle-là, non.

Pour l'opéra, semblablement, il y a bien sûr la Tétralogie de Wagner (14h environ), terrassée par les 24h de Licht de Stockhausen, dans les deux cas des œuvres en réalité composées de plusieurs œuvres.
Pour une pièce d'un seul tenant, le record doit être à chercher du côté du grand opéra à la française sans coupures, je suppose (Don Carlos en version originale est vraiment très long, du côté des 4h, mais Parsifal aussi…).

Mais pour le quatuor à cordes (traditionnel, j'y reviens ensuite)… qui l'eût cru ?  En essayant les quatuors de jeunesse de Dvořák que je n'avais jamais testés – fort de l'expérience des symphonies, dont la qualité est fortement liée à la date de composition… je tombe tout à fait par hasard sur le Troisième Quatuor, qui peut durer pas loin de 70 minutes !

À titre d'indication, le Treizième de Beethoven, dans sa version avec la Grande Fugue, fait 45 minutes, et de même pour le Quinzième de Schubert avec toutes ses reprises !

Dans un langage traditionnel mais inspiré (même si les précédents et suivants me paraissent meilleurs), dense structurellement et mélodiquement, il ne paraît pas du tout long, mais dure objectivement beaucoup plus que les quatuors les plus ambitieux – les 40 minutes de Magnard sont déjà souvent considérées comme exagérées par les commentateurs, et ce type de durée apparaît en principe chez des compositeurs plus tardifs et au langage formel et harmonique plus hardi que Dvořák, qui baigne dans plus d'une heure de consonances…

le quatuor le plus long

Vous pouvez l'écouter intégralement, gratuitement et légalement en ligne ; pour une fois, je trouve que l'intégrale DGG est vraiment un très bon choix, plus incarné que la (bonne !) intégrale des Vlach-Prague chez Naxos. Je réviserai peut-être mon sentiment, n'ayant écouté que les 9 à 14 chez Naxos, mais l'écart d'engagement, de verve (et de couleurs dans la captation) me paraît suffisamment significatif pour conseiller d'emblée le Quatuor de Prague chez Deutsche Grammophon, qui livre de surcroît les plus belles interprétations que j'aie entendues pour les derniers quatuors.

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Je vous ai caché qu'il existait en réalité plus long, mais dans un mode plus expérimental, qui n'a plus de rapport avec la forme en trois ou quatre mouvements (et où, donc, tous les coups sont permis). Morton Feldman a en effet écrit deux quatuors à cordes… le premier dure 80 minutes (record battu, donc), et le second… le second… 370 minutes. Si, si, ça tient tout juste sur cinq disques très tassés. Pendant l'exécution, les gens lisent, s'allongent, sortent fumer ou prendre le soleil et causer un peu… et je me demande comment les musiciens font logistiquement pour garantir leurs remplissages et purgations commandés par Nature. Une chose est sûre, si une corde casse, ils ne reprennent pas au début du mouvement !

Mais il existe encore plus long : les quatuors de Philip Glass… la première mesure en tout cas, qui dure pour l'éternité.

mercredi 12 octobre 2016

Les plus beaux quatuors – les nouveautés commentées


Du nouveau dans notre petite liste de conseils en matière de quatuor. Cette fois-ci, pour qu'elle soit davantage utile, un petit bilan sur chaque corpus ajouté ou enrichi.

Avantage considérable dans ce répertoire : tous se trouvent en disque (et, l'exploration méthodique du répertoire étant chose récente, à peu près tous disponibles). L'originalité est déjà rare dans les concerts de quatuor, alors des corpus entiers, cela n'arrive à peu près jamais – sauf manifestation exceptionnelle, comme lorsque la Biennale de Quatuor de Paris propose une exploration minutieuse Chostakovitch-Vainberg !  Mais il faut de grands moyens et beaucoup de volonté.
        On ne rencontrera jamais, en dehors de ces circonstances très particulières, de concerts consacrés à un seul compositeur ; comme partie d'intégrale Beethoven éventuellement, et peut-être occasionnellement un tout-Mozart, mais le concert de quatuor est particulièrement codifié, on se doit de mélanger trois compositeurs d'esthétiques différentes. Et, pour arriver à remplir les jauges, en général des choses pas trop interlopes – le concert de quatuor étant déjà, en lui-même (à tort, d'ailleurs), la chose des initiés.


montgeroult cimetière
Le quatuor, occulté et inaccessible comme un ossuaire montgeroldien. Alors qu'il suffit d'en pousser la porte mal scellée.


Sont ainsi ajoutés ou complétés dans la liste constituée depuis octobre 2011 (dernière mise à jour en janvier 2015) :

Luigi Boccherini, considéré comme le créateur du quatuor avec Haydn, et chez qui l'on trouve quelques très jolies choses à condition de se donner le temps de chercher dans un corpus foisonnant.

Luigi Cherubini, qui ne se limitait nullement à l'aimable compositeur d'opéras-comiques moyens ou aux grandes fresques sacrées très impressionnantes de ses deux Requiem. Les quatuors centraux, en particulier, sont d'un enthousiasme et d'un panache très aboutis pour cette époque, lorgnant déjà vers le caractère des Mendelssohn.

Allors que ce sont surtout ses pièces pianistiques (très directes, d'un beau caractère mais pas toujours profondes) qui ont conservé leur réputation, les symphonies et les quatuors de Norbert Burgmüller témoignent d'un tempérament exceptionnel – n'eût-il pas été fauché si tôt, on tenait peut-être l'une des grandes figures du siècle.

♦ J'ai déjà dit à de nombreuses reprises mon admiration effrénée pour certaines œuvres du legs à Carl Czerny (la Première Symphonie il y a déjà longtemps pour un des premiers Carnet d'écoute, le Nonette plus récemment dans les Instants ineffables). Il figurait déjà dans la liste pour ses quatuors en ré mineur et mi mineur, à mon sens du niveau des derniers Schubert (ceux de Bruch peuvent y ressembler, mais ceux de Czerny ont, de surcroît, une qualité de facture assez équivalente) ; et voilà que je découvre il y a peu (un Carnet d'écoute en a parlé) que Capriccio a publié non seulement ceux-là dans une nouvelle interprétation, mais y a adjoint deux autres quatuors jamais captés !  Un brin moins superlatifs, mais deux disques de quatuors de Czerny, quelle orgie !

♦ Dans la veine assez archaïsante (au sens d'attardé) du romantisme danois, les quatuors de Christian Frederik Emil Horneman sont parmi les rares à mériter réellement le détour (même ceux de Langgaard, encore plus tard peuvent paraître ternes – alors Gade !). Le final tout de bon mozartien du deuxième quatuor est complètement hors de l'action artistique européenne de son temps (tard dans le XIXe…), mais on y trouve ce charme franc, dépourvu de tout souci de recherche, du compositeur qui fait de la musique pour elle-même, sans aucune velléité de laisser son empreinte dans le système musical. Un peu l'attitude d'Asger Hamerik.
Le reste de son catalogue n'est pas dépourvu d'attraits non plus.

♦ Gros coup de cœur pour les quatuors d'Eugen d'Albert, décidément plein de surprises – surtout célèbre pour ses opéras, et essentiellement Tiefland, sa Symphonie en fa est une merveille du postromantisme élancé, ses concertos pour piano laissent la part belle à un orchestre éloquent et poétique, et ses quatuors, donc, ménagent, comme les meilleurs moments des symphonies de Franz Schmidt, un équilibre spectaculaire entre ambition structurelle germanique et simplicité d'accès avec des thèmes très simples et directs.
Il en existe au moins deux versions, Sarastro SQ et Reinhold SQ, je recommande la seconde, beaucoup plus ardente (même si le dernier mouvement du 1 y est moins primesautier) ; néanmoins les deux sont très belles et n'occultent en rien les qualités de ces pages.

♦ Complété mon écoute des quatuors de Joseph Suk, très différents selon les interprétations (folklorisme du Quatuor Suk, concentration germanique du Quatuor Minguet – contre toute attente, je suis beaucoup plus convaincu par la seconde approche), mais en tout cas d'une densité et d'une finition digne des meilleurs représentants de la discipline en cette fin du XIXe siècle. Le Deuxième, moins évident, explore une veine un peu plus retorse qu'on n'associe pas d'ordinaire à Suk – quasiment autant décadent que postromantique. Voilà un compositeur, assez bien servi au disque, particulièrement mal au concert, qui ménage sans cesse des surprises si on se limite à l'image du gentil post-Smetana qui semble primer dans les consciences, et ne reflète qu'une part limitée de son legs – Zrani !

♦ Le quatuor en la mineur de Fritz Kreisler constitue une agréable surprise : son romantisme simple, dépourvu des vanités de la virtuosité, séduit avec beaucoup de douceur.

Volkmar Andreae, fameux comme chef brucknérien (rapide, extrême, cassant, ardent, exaltant la cursivité et la discontinuité, à l'opposé de ce qu'est devenue depuis la tradition brucknérienne mystico-hédoniste, assez contemplative et enveloppante), révèle des qualités très différentes comme compositeur : d'une simplicité presque néoclassique (en tout cas d'un romantisme très apaisé et consonant), son deuxième quatuor nourrit une forme de plénitude modeste, assez délectable. Le reste de sa musique de chambre (deux disques complémentaires ont paru chez Guild, mais Chandos a aussi commis au moins un disque) déroule les mêmes qualités, même si ce second quatuor en est le plus bel accomplissement.

♦ Autre figure faussement connue, Ottorino Respighi : ses trois cycles orchestraux tape-à-l'œil, son Tramonto, son opéra La Fiamma tracent un portrait commun, ou facile, qui ne rendent pas justice à tous les aspects du compositeur. Son intérêt pour les musiques des siècles précédents et sa perméabilité aux esthétiques plus décadentes ont nourri des œuvres beaucoup plus inattendues – Metamorphoseon modi XII ne ressemble à rien d'autre et constitue, je crois, une réussite assez saisissante.
Sans être forcément très atypiques, ses quatuors (en particulier celui en ré mineur, le moins intéressant étant le plus célèbre, le Quartetto dorico) disposent d'une intensité certaine et explorent de belles couleurs sombres et intenses, pas dénuées de personnalité (sans ressembler au Respighi habituel).

♦ Les quatuors de Kurt Atterberg, sans révéler la face la plus spectaculaire du compositeur (qu'il faut chercher dans les deux premières Symphonies, ou dans son poème symphonique Le Fleuve, sorte de miroir augmenté de l'Alpensinfonie, concis et discursif au lieu d'étalé et contemplatif), se distinguent, dans le répertoire, par leur calme intensité.

♦ Chez Darius Milhaud, si le Premier Quatuor évoque la qualité de celui de Ravel, les suivants versent davantage dans le contrepoint un peu cursif et filandreux, de ce Milhaud qui peut écrire à l'infini des choses variées, sans qu'on perçoive bien le message ou la direction. Mais j'étais passé à côté du Deuxième, qui sans valoir le premier, explore plutôt les mêmes franges.

George Gershwin a commis une délicieuse Berceuse pour quatuor, un type de miniature peu courant pour cette forme où les compositeurs ont en général à cœur de prouver leur métier et leur solidité d'écriture (témoin les quatuors de Donizetti, très accomplis, jamais pauvres comme peuvent l'être certaines portions de ses opéras). Aucune influence jazz ici, mais une brève gourmandise complètement accessible tout de même.

♦ Les très courts quatuors d'Alan Rawsthorne (dix à quinze minutes, pour une esthétique encore romantisante !) explorent une langue à la fois consonante et un peu tourmentée qui évoque assez l'atmosphère de ceux de Schoeck – en particulier le Premier. Le « Quatrième », resté inédit, s'approche davantage d'un Quinzième de Chostakovitch vif. Moins enthousiaste des deux autres (et des Variations), que je n'ai pas inclus (mais qui méritent l'écoute).
Belle découverte, qui se trouve en plus par l'excellent Maggini Quartet – mais la version des Flesch chez ASV, eux spécialistes des décadents plus que des anglais, est très bonne aussi.

Le corpus de Lars-Erik Larsson figurait déjà parmi les chouchous de CSS, mais je précise au passage que les Intima minatyrer , la part la plus délectable du corpus, sont en réalité une sélection du compositeur, tirées de l'ensemble plus vaste des Senhöstblad (« Feuilles de fin d'automne ») inspirées des poèmes d'Ola Hansson. Ce dépouillement serein, un brin aphoristique aussi, se pare de remarquables vertus contemplatives.

♦ L'ensemble des quatuors de Grażyna Bacewicz (prononcé Grajéna Batsévitch) documente une évolution stylistique passionnante de 1938 à 1965 : car, si elle évolue (assez logiquement) d'un style tonal sombre (dans l'esprit des opéras de Schmidt, Pfitzner ou Hindemith) vers une atonalité de fait, et de plus en plus libre, la qualité des œuvres ne semble pas du tout corrélée à l'esthétique. D'ordinaire, on se prend à regretter les expérimentations radicales qui ont peu cassé la puissance des ressorts de l'ancienne manière ; ou on trouve au contraire superflue la documentation d'œuvre écrites avant que le compositeur n'ait trouvé le style qui fait sa gloire… Ici, au contraire, les réussites semblent assez également réparties. J'aime en particulier la veine plus traditionnelle du 1 et les explorations du 4, mais chacun se dirige dans une direction légèrement différente des autres.
Après de longues années d'obscurité, deux intégrales ont paru quasiment simultanément (chez Naxos et chez Chandos). Une fois n'est pas coutume, je suis davantage séduit par celle de Chandos (les timbres de l'intégrale Naxos étant un peu gris, comme dans les prises de son de leurs débuts), mais les quatuors exaltés ne sont pas exactement les mêmes dans les deux séries, qui méritent donc de toute façon le coup d'oreille.
Bacewicz a aussi écrit un quatuor pour quatre violoncelles et, plus original, un autre pour quatre violons (assez réussi !).

♦ Dans le même domaine de l'atonalité douce, le quatuor de Bo Linde mérite le détour : très expressif, et sans recourir à aucun expédient auquel on associe souvent le quatuor contemporain. Simplement de la musique bien faite, qui regarde sans doute un peu vers le passé (je vois que j'avais parlé de « Schoeck souriant » à son sujet)

♦ J'avais déjà confié mon exultation à la parution des quatuors de Georg Katzer, chouchou de longue date. Je vous renvoie donc à la notule correspondante.

♦ Au fil de ma découverte (récente, en août dernier) de la musique de chambre (hors piano, déjà écouté) de Charles Wuorinen, rencontre avec les quatuors, forcément. Ils ne sont pas aussi intuitifs que le généreux Sextuor à cordes ou que le genre de Zemlinsky sériel du Second Quintette avec piano, mais ils en partagent les qualités de directionnalité et de lisibilité. Intéressant pour varier les plaisirs. [Alors que le second XXe siècle, prodigue en quatuors, s'est à mon sens heurté mécaniquement aux dominantes de langages dont l'intérêt perceptible, pour le public, est davantage l'originalité du coloris que le discours musical à proprement parler – Boulez en étant l'archétype.]

♦ Le troisième quatuor de Daniel Börtz m'avait assez fortement séduit en l'écoutant, mais c'était il y a déjà dix-huit mois, il faudrait en toute honnêteté que je le remette pour en dire quelque chose d'un minimum pertinent. Néanmoins je l'avais mis de côté pour une liste de recommandations – assez pauvre en second vingtième pour les raisons évoquées à l'instant dans le paragraphe Wuorinen, je me permets donc de souligner son inclusion et d'inviter à la découvrir… et vais m'empresser de suivre mon propre conseil après la fin de mon intégrale Saint-Saëns.


montgeroult parc
L'âme de l'auditeur de quatuor, après avoir suivi les conseils de CSS.


Aussi découvert, dans cette période qui nous sépare de la dernière mise à jour (oui, vous les avez assurément comptés !), de beaux quatuors d'Elgar, Delius, ou bien les Deux pièces de Copland. Mais pas marquants au point de les inclure dans ce qui devait être une sélection serrée, et est devenu une sorte d'archive des quatuors à écouter et réécouter…

Pour bien faire, il faudrait commenter tous les autres corpus mentionnés, mais on voit bien la difficulté que cela poserait en temps et en format – ce serait quasiment plus un dictionnaire qu'une notule qu'il faudrait… et tant qu'à faire, avec plus de factuel et moins de subjectivité. Les dates de composition, la tonalité, les mouvements, le langage, la structure musicale interne, éventuellement la postérité… Mais pour cela, il existe déjà les volumes de Fournier – que je n'ai pas suffisamment lus pour mesurer s'ils incluent largement les titres que je suggère (ce ne serait pas une faute, une large part a paru durant notre récent âge d'or discographique, avec profusion de petits labels explorateurs, il aurait donc fallu dégoter toutes ces partitions, là aussi difficilement accessibles avant l'ère numérique absolue).

Dans l'attente, retrouvez ici la guirlande complète des conseils en quatuor.

David Le Marrec

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