Carnets sur sol

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lundi 26 janvier 2009

Le disque du jour - XXVI - Elisabeth Jacquet de la Guerre, Pièces de clavecin - Carole Cerasi

Ce corpus est décidément le favori des lutins pour l'instrument. Une main gauche chantante ; des ornements [1] très abondants, mais toujours aux points les plus expressifs de la ligne, jamais gratuits ; des progressions harmoniques raffinées. On se situe quelque part entre les micromodulations de Lully et l'abstration un peu sévère de Louis Couperin.

Il existe quatre suites dans le Premier Livre de Pièces de clavessin paru en 1687, tôt dans la carrière de Jacquet de la Guerre. Son célèbre opéra Céphale & Procris ne voit le jour qu'en 1694, et l'essentiel de sa production date du début du XVIIIe siècle. De ces quatre suites, les trois premières, seules présentes sur ce disque, sont dans des tonalités mineures, qui commencent à être mieux en cour à cette époque - l'oeuvre de Louis Couperin en atteste aussi. Les possibilités expressives et musicales, l'ambiguïté des altérations apportées par le mode mineur sont des richesses dont ne se prive certes pas la compositrice, et ces pièces n'ont rien de la monotonie un peu proprette de bien des compositions instrumentales en mineur du temps.
Chaconne « L’Inconstante » de la première suite exceptée, aucune pièce ne porte de titre. Nous ne sommes pas dans le pittoresque façon François Couperin ou Rameau, mais bien dans de la musique sérieuse, organisée de façon assez canonique : Prélude - Allemande - Courante I & II [sic] - Sarabande - Gigue - 1 ou 2 Danses (Gigue II, Cannaris, Gavotte, Chaconne) - Menuet. Comme chez Louis Couperin, une fois encore.

Carole Cerasi interprète sur un clavecin superbe (un Ruckers [2] de 1636, riche et limpide) avec une belle mesure de ton et une noblesse hors du commun. L'inégalité est réduite à un petit trébuchement pas du tout bondissant, les tempi sont retenus, les agréments absolument intégrés à la ligne mélodique, et d'une grande diversité d'exécution (plus ou moins détachés, plus ou moins vifs...). Ce sérieux apparent est cependant au service d'un ton méditatif, intime et très chaleureux.

Une référence.

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Extraits commentés :

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Notes

[1] au sens large actuel

[2] Ce n'est pas sot du tout, car à la mort de la compositrice on avait précisément trouvé, entre autres claviers, un double flamand.

Suite de la notule.

dimanche 11 janvier 2009

Le disque du jour - XXV - Récital Bo Skovhus / James Conlon : le maître-étalon

Avec l'orchestre de l'ENO (English National Opera, où l'on joue le répertoire en anglais), qui prouve une fois de plus ses grandes qualités, en particulier ses cordes si rondes et une belle tranparence.

  • KORNGOLD, Die tote Stadt : air de Fritz (Mein Sehnen, mein Wähnen)
  • THOMAS, Hamlet : invocation au père (Spectre infernal), air à boire (O vin, dissipe la tristesse), monologue de l'essence (J'ai pu frapper le misérable), monologue du dernier acte (Comme une pâle fleur)
  • GOUNOD, Faust : air de Valentin (Avant de quitter ces lieux)
  • MASSENET, Werther : air de la traduction (Pourquoi me réveiller)
  • VERDI, Don Carlos : scène de la prison (C'est moi, Carlos)
  • BRITTEN, Billy Budd : air de la renonciation (And farewell, to ye, old Rights o' Man !)
  • WAGNER, Tannhäuser : chant du concours (Blick' ich umher in diesem edlen Kreise) et chant à l'Etoile du Soir (O du, mein holder Abendstern)
  • TCHAÏKOVSKY, Eugène Onéguine : arioso du refus, arioso du temps passé
  • TCHAÏKOVSKY, La Dame de Pique : air de Yeletsky


Un récital qui mérite d'être érigé en modèle.

  1. Eclectisme. Beaucoup de pans du répertoire sont parcourus, en quatre langues, avec une grande variété d'atmosphères. Il est vrai que le répertoire de baryton le permet plus que pour aucune autre catégorie masculine. Le tout n'est pas chiche, sur 71 minutes, le disque est plutôt bien rempli.
  2. Goût. Le choix très minutieux permet un équilibre entre bravoure, airs moins connus, versions alternatives (version originale de Don Carlos, Werther pour baryton).
  3. Agencement. La progression entre les tonalités et les atmosphères est admirablement conçue ; on glisse d'un univers à l'autre quasiment insensiblement. Grâce aussi à la délicatesse de l'accompagnement de Conlon, dont c'est peut-être le plus beau disque... Le programme est idéalement disposé, de l'élégiaque à l'élégiaque (dont c'est, de façon assez peu conventionnelle, la principale couleur du récital), avec un centre plus vaillant (mais toujours méditatif).
  4. Qualité linguistique. Les langues sont superbement maîtrisées ; même pour le francophone, l'accent est imperceptible. Il y a bien une petite raideur verbale ici ou là, mais moins que chez la plupart des chanteurs francophones. Pas d'accent, la couleur des voyelles est très bonne, l'accentuation au sein des phrases (le plus important...) absolument irréprochable. [On ne se prononce pas sur le russe, nous ne sommes pas assez bon juges ; tout est très nettement prononcé (de façon trop antérieure en fait), peut-être un peu lourdement mouillé et un peu insistant sur certaines finales, mais manifestement très soigneusement accentué.]
    • L'anglais roule dans la bouche (les 'r' lyriques anglais sont d'une gourmandise !), l'allemand se tend languissamment sur ses accents de phrase... Un naturel impressionnant. Surtout qu'il n'est rien de tout cela, mais danois, dont les tics de langage sont ici imperceptibles, excepté dans la rondeur de certaines articulations, mais uniquement (et agréablement) musicales.
  5. Style. Mais le plus ahurissant réside dans la pertinence stylistique absolue de chaque piste, avec une maturité pour chaque domaine qui laisse mal voir qu'il s'agit de séances d'enregistrement communes.
    • Dans Korngold, la voix s'étend sans vibrato, presque sans vie, sur les rêveries du Pierrot. Dans Thomas, volontiers vaillante, mais toujours pleine de clarté, elle parcourt avec fermeté la longue tessiture, avec une belle souplesse. Dans Massenet, la noirceur mélancolique l'emporte, avec une émission plus percutante, plus concentrée. (Si bien que l'arrangement maladroit pour baryton finit par se tenir.) Dans Britten, elle parcourt rondement, doucement les articulations d'un anglais devenu très net. Pour Wagner, la langue nue du concours de chant se met à claquer superbement, chaque mot est croqué, mis en relation avec le sens - véritablement éloquent, au point de changer cette platitude en petite merveille. Enfin, dans Tchaïkovsky, le lyrisme se fait plus généreux, le legato plus prégnant. L'exactitude du ton et de la parole est à chaque fois au rendez-vous.


Et côté accompagnement, ni absence, ni maladresse, ni prosaïsme ; rien de que de la douceur, mais sans la mollesse proverbiale de Conlon.

On couvre d'autant plus volontiers ce chanteur de louanges que sa carrière nous avait toujours laissé interrogatif ; le timbre est un peu mince, la voix légère vibre comme mal assurée : rien de chatoyant ni de percutant. Peut-être bien, et il est vrai que quoique très en forme ici, ce n'est pas la voix la plus séduisante du marché, loin s'en faut, même chez les chanteurs provinciaux... mais il a tout le reste pour lui, ce disque en témoigne. Dans un programme d'élégies dépourvues de toute uniformité plaintive.

Rien de la parade vocale qui est habituellement le lot des récitals, où le chanteur doit prouver dans des airs rebattus déjà niais et de surcroît privés de sens par leur isolement ses capacités techniques. Ici, le disque peut s'écouter souvent et longtemps.

Rarement on aura entendu programme si bien composé, si précisément maîtrisé et si pleinement habité.

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Ecouter

Suite de la notule.

David Le Marrec

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