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mercredi 16 février 2011

Vastes voyages à travers les songs britanniques, au départ d'Orsay - Keenlyside / Martineau


1. Contrées

Le programme très original proposé par Simon Keenlyside et Malcom Martineau était judicieusement annoncé comme un écho à l'exposition consacrée aux préraphaélites, la musique assez conservatrice du premier XXe siècle britannique étant mise en résonance avec les tournures naïves de son univers pictural.


Ned Rorem, seul survivant de cette liste de compositeurs vieux jeu.


Le risque était de proposer un récital un peu lisse, fondé sur les gentilles mélodies postvictoriennes dans lesquelles ont brillé avec modestie les compositeurs du Royaume.

Il n'en a rien été, pour plusieurs raisons :

  • Le spectre esthétique était assez vaste, avec très peu d'oeuvres simplement sucrées - les plus gentilles fleuraient bon leur Debussy et leur Ravel, dans le pire des cas leur Poulenc - on était loin de l'indigence.
  • La progression du récital (accessible / expérimental / entracte / drôle / lyrique) était idéalement conçue.
  • Etait fourni un livret au format A4, un simple recueil de feuilles agraphées, mais très commode à lire (grosses polices pour la semi-pénombre), avec en bilingue chaque texte dans une assez bonne cohérente traduction française, ce qui assurait beaucoup de facilité, de précision et de plaisir pour suivre le concert (ce qu'a fait une bonne partie du public).


Enfin, la dominante thématique était discrètement celle du voyage, avec un certain nombre de beaux textes !

Seul regret : le second cycle Butterworth n'était pas proposé en traduction dans le livret, ce qui était un peu frustrant pour l'une des plus belles parties du concert.

Bref, un concert intelligent qui n'avait que peu de préraphaélite, mais qui était passionnant... et très séduisant.

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2. Compositeurs
Simplicité à la française

On débutait d'emblée par une pièce exaltante de John Ireland (1879-1962), "Sea Fever", tirée des Salt Water Ballads de John Masefield (exact contemporain d'Ireland). Un texte vigoureux qui exalte la vie romanesque de marin, et une musique fondée sur des accords aux belles harmonies (on songe à Sainte de Ravel), avec quelque chose de débonnaire, mais d'une simplicité apparente seulement - musicalement, le propos est assez riche.

Les pièces suivantes se situaient sensiblement dans le même esprit. Les deux mélodies de Peter Warlock (1894-1930), "My Own Country" (Belloc, The Four Men, 1911) et "Sleep" (Fletcher, début XVIIe) se déroulent dans une sorte d'errance gaie, où la musique semble dériver doucement, mais sans jamais chercher la surprise frontale. Une succession de petites finesses aux couleurs assez pastorales et lumineuses. On y retrouve certaines harmonies du Webern des Sieben Frühe-Lieder par exemple.

Un peu plus naïf, la seule pièce à réellement se rapprocher du contexte pictural, Percy Grainger (1882-1961) propose dans son plaisant "Sprig of Thyme" une musique assez proche des précédents, mais plus consonante, plus "pleine", avec un peu moins de relief aussi.

Enfin Herbert Howells (1862-1983), avec un peu moins de séduction que les précédents, accentuait le tropisme dépouillé, avec une clarté supplémentaire. Son "Little Boy Lost" (William Blake, Songs of Innocence ans Experience, 1789) se fonde surtout sur un écho entre ses deux strophes, assez plaisant pour un texte aussi rude.

Expérimentations

Le concert prenait un tour très surprenant vu le thème annoncé, avec une succession de pièces étonnantes.

D'abord la plus radicale du concert, "Betelgeuse", autre face de la fascination astronomique de Gustav Holst (1874-1934), tiré de The Unknown Goddess (Humbert Wolfe, 1925). La musique, totalement suspendue, obstinée, errante, percute les oreilles sans ménagement, s'obtine dans une mocheté assumée. Elle surprend le public et à défaut d'exalter réellement le texte, elle procure une variété agréable dans le programme du concert.

Le cycle de Benjamin Britten (1913-1976) sur les Songs and Proverbs de William Blake (1757-1827) constitue de mon point de vue le seul réel point faible du concert. Ces aphorismes militants, assez violents / visionnaires envers l'Eglise pour leur époque, mais peu inspirés (en dépit de quelques audaces ironiques amusantes [1]), sont parés d'une musique où l'incertitude mélodique de Britten ne trouve pas réellement d'appuis ni de couleurs évocatrices comme il le fait dans ses meilleures oeuvres. Une sorte de parangon du Britten gris et ennuyeux.

ENTRACTE

La seconde partie redébute en douceur (excellent principe de commencer par un morceau accessible qui captive d'emblée l'auditeur) par une adaptation de Henry Purcell par Benjamin Britten : "Sweeter than Roses". Une très belle mélodie, qui ne paraît pas du tout nue ou ridicule en comparaison du programme qui l'entourait.

Le grotesque sans sublime

Ned Rorem (né en 1923) présente la double caractéristique d'être à la fois le seul compositeur vivant et le seul compositeur américain du programme. Son inclusion n'est cependant pas sujette à reproches, tant il met avec esprit en musique les poèmes de Theodore Roethke (1908-1963), qui traitent le sordide (la pourriture du "Root Cellar" ou l'alcoolisme parental dans "My Papa's Waltz") avec une gouaille presque joviale - le lecteur est tiraillé entre l'effroi de ce qui est représenté et le sourire pour leur formulation.
Les deux poèmes de Walt Whitman ("Oh You Whom I Often and Silently Come", "Youth, Day, Old Age and Night"), évidemment moins subversifs (on trouve même des extraits de "Leaves of Grass" du recueil Grea are the Myths), sont traités avec la même force de personnalité - réellement un compositeur de mélodies marquant.

Pastoralisme britannique

Enfin venait le tube du concert, les Six Songs from a Shropshire lad de George Butterworth (1885-1916). Les vignettes plaisantes de Housman (1859-1936) , malgré leurs quelques traits d'esprit, prennent surtout leur intérêt par le traitement sobrement lyrique de Butterworth. Cette musique communique une forme d'émerveillement simple, un type d'émotion qu'on peut retrouver en observant la nature.
Et il est admirablement exécuté par Keenlyside qui, ici comme ailleurs, se coule avec aisance dans les différents textes.

Du même compositeur, un second cycle, toujours sur des poèmes de Housman, venait clore le concert : Bredon Hill and other songs ("Bredon Hill", "Oh Fair enough are sky and plain", "When the lad for longing sighs", "On the idle hill of summer", "With rue my heart is laden"). Mêmes qualités que précédemment.

A noter pour ceux qui aiment Butterworth : Summer Music, pour basson et orchestre, contient à mon sens la quintessence de sa capacité à exprimer cette sorte de joie rêveuse. Souverainement agréable, pourrait-on dire.

BIS

Pour récompenser leur auditoire, deux bis accordés sans façons et tirés des Histoires naturelles de Maurice Ravel : "Le Paon" (avec un piano un peu lié et prudent chez Martineau) et "Le Grillon". Le français est très bon, l'expresion juste, et la voix devient immédiatement plus franche et plus belle. Ici, les allègements sont très bien "connectés" au souffle et au timbre, les couleurs miroitent, le sens jaillit avec variété et sous-entendus. Le public rit sans discrétion, et les lutins se recueillent avec délices dans ce cadeau.

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3. Les interprètes

Notes

[1] Think in the morning. / Act in the noon. / Eat in the evening / Sleep in the night.

Suite de la notule.

David Le Marrec

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