Carnets sur sol

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dimanche 20 février 2011

Galeotto fu ’l libro e chi lo scrisse - [Francesca da Rimini de Riccardo ZANDONAI ; Oren / Vassileva / Alagna]


Les lutins se sont donc malicieusement glissés à la représentation du 16 février de ce qui est le débat culturel parisien du moment. Pas pour le débat, agréable mais pas passionnant au point de justifier l'achat d'une place (pour ou contre les mises en scènes traditionnelles, pour ou contre Giancarlo Del Monaco, pour ou contre Alagna...), mais tout simplement pour la musique.
Par ailleurs, c'était la première fois qu'ils avaient l'occasion d'entendre Alagna près de chez eux (avec la téléportation en traîneau, Qeqertarsuaq ou Qaanaaq sont à quelques minutes de Bastille), dans un répertoire qui mérite en lui-même le déplacement. Ce petit exotisme ajoutait donc au plaisir pour se persuader tout à fait de s'y rendre.

Les papiers et débats ont été souvent assez riches, plus qu'à l'accoutumée, si bien que cette notule qui arrive un peu plus tard sera sans doute assez peu essentielle. Mais, l'oeuvre suscitant l'intérêt des farfadets facétieux, on en parle en dépit de toutes ces considérations raisonnables.

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1. Le livret

L'Opéra de Paris et son metteur en scène ont très habilement fait leur promotion sur le double héritage de Dante Alighieri et de Gabriele D'Annunzio, sans parler des brévissimes citations de romans de chevalerie.


Scène d'ensemble du premier acte. Photographie de Mirco Magliocca - je n'ai pas inclus de photographie du troisième acte, plus parlant et sans doute plus réussi, parce que rien en ligne ne correspond à ce que l'on voit réellement sur scène.


Pour le Dante, c'était assez exagéré, puisqu'une simple lecture du synopsis permet de constater qu'il manquerait un acte V...

Je n'ai jamais pris la peine de vérifier sur pièce si sont réellement fondées les affirmations selon lesquelles la littéralité du texte du livret de Tito Ricordi serait en grande partie due à la pièce de D'Annunzio, n'ayant jamais eu de tendresse particulière pour l'écrivain de départ. Et, à présent que je veux rédiger cette notule, je n'ai pas l'oeuvre sous la main pour en dire plus long - le lecteur aimable attendra donc mon prochain passage en bibliothèque pour le fin mot de l'affaire.

Quoi qu'il en soit, la faute à l'insuffisante exploitation de Dante ou à la trop abondante référence à D'Annunzio, le résultat final est moche. Certes, la recherche de vocabulaire de Ricordi est plaisante, mais que nous importe, pour dire de telles platitudes qui ne font rien avancer, ni la psychologie, ni l'action.

Les deux premiers actes ne sont que de l'exposition, de la préparation. On peut certes considérer que l'ellipse entre les actes I et II est plutôt jolie (Paolo a déjà laissé entendre son amour à Francesca), mais l'acte II ne sert alors absolument à rien. Tout au plus voit-on le rigorisme moral, qui confine à la brusquerie misanthrope, de Giovanni Malatesta. Même Malatestino n'y est pas présenté, puisqu'il y est seulement blessé.
Les deux derniers actes sont bien plus beaux, mais de la même façon, la conquête est assez mal conduite, on ne passe pas de façon très spectaculaire de la lecture à la tentation. Et la fin est un peu sèche : ils se font tuer, mais comme on ne s'est pas véritablement attaché à ces silhouettes, on attend un peu la suite, manière de justifier d'avoir fait un opéra sur ce sujet.

Le personnage de Francesca n'a pas particulièrement d'épaisseur en dehors de son attachement à sa soeur, qui est un sentiment très étranger à la teneur du drame qui se noue ; Paolo, quant à lui, n'a pas de profil décidé. Est-il un séducteur un peu manipulateur, qui utilise les rêveries chevaleresques des jeunes épouses pour leur faire tourner la tête, ou un ingénu pris au dépourvu, courant un danger de mort pour avoir badiné sans en mesurer les conséquences ? C'est ce qu'un metteur en scène simplement habile aurait pu nous donner - et que nous n'avons pas eu en l'occurrence.

Il est évident qu'on se trouve très loin de l'adaptation magistrale de Modeste Tchaïkovsky pour Rachmaninov, qui de surcroît exploite la part la plus intéressante la légende, celle de sa rétribution dans la mort.

Bref, un livret long, maladroit et plat, qui ôte toute sa spécificité et toute sa profondeur au sujet, et qui est assez inopérant sur le plan dramatique. Le seul moment un peu fort réside dans le premier tableau de l'acte IV, mais c'est au prix d'une outrance qui contraste avec la fadeur des affects partout ailleurs (le prisonnier qui hurle en coulisses un sacré nombre de fois...).

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2. La musique

Si l'oeuvre plaît, c'est donc grâce à sa musique. Et quelle musique.

L'expression verbale en est assez limitée, et le sens prosodique n'est clairement pas la préoccupation majeure de Zandonai - on pourrait avoir l'impression d'entendre une oeuvre traduite. En revanche, l'orchestre qui l'accompagne se révèle d'une puissance d'atmosphère assez considérable. Ses alanguissements diaphanes comme ses élans lyriques (toujours mesurés), ses contorsions harmoniques demeurent toujours également éloignés de la facilité et de l'abstraction.
Quelque chose de profondément équilibré et de toujours beau en sort : rien qu'en écoutant l'orchestre, ce soir, il y avait de quoi être heureux.

Cette Francesca (1914) constitue de surcroît une curiosité assez étonnante : l'époque tout entière défile dans sa musique. Si les premières mesures en sont évidemment straussiennes, on entend des couleurs très françaises dans tout le premier acte, on peut songer au Ravel des mélodies Shéhérazade au d'Indy de Fervaal (1895) et L'Etranger (1903), avec un goût pour la clarté des émotions qu'on retrouvera plus tard chez le Poulenc religieux.
L'acte II est moins inspiré musicalement, mais dans l'acte III, le plus séduisant, on entend furtivement des harmonies qui évoquent l'Andante malinconico de la Deuxième Symphonie de Nielsen (1902), et évidemment des aspects commun avec la face la plus puccinienne de Schreker, celle de l'issue pleine d'élan du duo Carlotta / Salvago à la fin de l'acte II (1918). Et à l'acte IV, cette musique pudique et rêveuse qui évoque le Clair de lune de la Suite Bergamasque de Debussy (1905)...
Mais on y trouve aussi, bien sûr, des parentés straussiennes, dès l'acte I (échos de l'introduction d'Ainsi parlait Zarathustra [1896], couleurs pastorales tout droit sorties du Concerto pour hautbois [1945])

Toute l'Europe se presse donc dans cette partition, qui n'a peut-être pas de couleur spécifique, mais qui n'a pas non plus l'aspect du patchwork, grâce à son langage très continu, toujours en mutation. De la très belle ouvrage, qui justifiait à elle seule la soirée.

Entendons-nous bien, ce n'est pas non plus l'oeuvre capitale de ces années-là, mais clairement, dans le domaine italien, l'une des réalisations les plus passionnantes et audacieuses, pourvue d'une substance musicalement assez considérable, qu'il faudrait mettre aux côtés, par exemple, d'I Medici de Leoncavallo (versant français), de la Cassandra de Gnecchi (versant straussien), et des deux premiers actes de Turandot.

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3. La mise en scène

La mise en scène a suscité baucoup de commentaires, assez négatifs et convergents.

Il faut préciser tout de suite que Giancarlo Del Monaco est à l'origine de la pire mise en scène que j'aie pu voir - si j'excepte quelques sabotages délibérés comme le Roi Roger de Warlikowski ou la Chauve-Souris de Neuenfels, qui tendaient à masquer complètement l'oeuvre au profit d'un univers personnel ou d'un pied-de-nez au public, avec une apparence de surcroît très moche. Il s'agissait d'un Simon Boccanegra au Met, capté en vidéo (Levine / Te Kanawa / Domingo / Chernov / Lloyd), et sans aucune direction d'acteurs, avec des décors frontaux très mal conçus, de rares effets (malvenus), et des décors qui prêtaient à rire (la maisonnette fleurie du doge, véritable pavillon-témoin). Oui, il y a eu pire avant 1970, c'est vrai - mais précisément, à présent qu'on dispose de chanteurs rompus aux nécessités du théâtre, quel gâchis...
Je n'attendais donc pas beaucoup de sa part.

Au total, la mise en scène était assez mauvaise, mais elle demeurait tout à fait supportable.

Décors réussis

Son principal atout résidait dans les décors. Oui, il étaient kitsch, avec le jardin débordant de fleurs à l'acte I et la chambre en écarlate marqueté aux actes III et IVb.

Néanmoins, la référence aux peintres pompiers était évidente, et très éloquentes. Ces fleurs aux couleurs agressives qui semblaient sortir du tableau parmi les silhouettes épurées, lasses et réalistes des personnages, c'était tout à fait cela ! Et plus encore, au lever du rideau de l'acte III, la chambre, avec sa foule d'accessoires, la violence de son rouge sombre qui contrastait avec la pâleur maladives des silhouettes de femmes languissant sur les coussins d'Orient... c'était tout de bon du Gérôme !

En cela, même si ce n'était pas forcément de bon goût, vu les références invoquées, la puissance d'évocation de l'univers pictural créait, en tout cas en ce qui me concerne, un rapport assez poétique avec ce qui se passait sur scène, du moins pour les actes I, III et IVb.

Direction d'acteurs

La présence du metteur en scène semblait bien plus douteuse en ce qui concerne la gestion des déplacements et de l'attitude scénique. Rien qui n'excède ce que fait un chanteur standard sans être dirigé. Les quelques gestes forts (la coupe, le livre...) sont prévus par le livret et pas très adroitement réalisés.

Rythme

Autre problème, le choix amplement commenté d'interrompre chaque tableau (cinq levers de rideau au total), et surtout de ménager deux entractes après les deux premiers actes d'exposition où il ne se passe quasiment rien d'important pour le coeur du drame. Entractes courts de vingt minutes qui font une pause alors que le spectateurs attend toujours que cela commence.

Avec cette constitution bancale : 35' / (20') / 25' / (20') / 90'. Cela dit, on pouvait ainsi suivre le coeur du drame sans découragement, même si les deux derniers changements de décors interrompaient un peu la magie...

Ceux qui ont apprécié la musique comme moi vivent très bien de prendre leur temps pour s'en repaître. A l'opposé, on constate beaucoup de sièges vides au fil des entractes, découragés par l'absence de substance dramatique et mélodique dans ces parties.

Incohérence

A cela, il faut ajouter que la mise en scène créait un surcroît d'illisibilité au livret bancal. Déjà, on l'a dit, l'essentiel se passe entre les actes (Paolo a laissé paraître son amour entre les actes I et II, a fait sa cour, a désespéré, s'est éloigné et revenu, entre les actes II et III, Malatestino s'est entiché de Francesca entre les actes III et IV...) ; mais Del Monaco ajoute à la confusion avec une mise en scène qui se prétend littérale et qui est pourtant totalement absurde.

L'acte II est un petit monument de n'importe-quoi-t-isme : les didascalies indiquent qu'on se situe dans la vaste salle d'une tour ronde du palais des Malatesta, à Rimini. Il y a effectivement, en fin de discalie, la mention d'une fenêtre par laquelle on voit l'Adriatique, mais tout insiste sur la ville qu'elle surplombe.
Que fait Del Monaco ? Il se débrouille pour faire tirer Paolo en direction du public, manière de bien briser l'illusion théâtrale, mais on respecte le livret en tirant depuis une fenêtre à l'étage de la tour.
Plus fort, il ouvre l'arrière de la scène sur une toile qui représente une mer démontée (manifestement assez loin du port), et Giovanni Malatesta y entre par la proue d'un bateau qui s'ouvre (alors qu'il est question d'une bataille à l'intérieur de la ville de Rimini). On a donc l'Adriatique en furie qui donne directement, sans quai, sur la salle d'armes au premier étage d'une tour en plein coeur de la ville de Rimini ! S'il s'agit réellement d'une mise en scène réaliste, on pourrait se croire plutôt au dernier acte de la Ville d'Ys et attendre la sorte de saint Corentin du navire...

Lorsqu'on fait sa promotion sur le respect servile et plat du livret, il est d'autant plus difficile de justifier ce genre de contorsions !

Maladresses

Plus bénignes mais tout aussi révélatrices de la conception à courte vue du spectacle, la représentation est émaillée d'un certain nombre de détails ratés. Par exemple la belle entrée de Paolo triomphant, à l'acte I, invisible pendant de longues minutes depuis les étages, puis dissimulé côté jardin par l'arbre...

Plus cocasse, lorsque Francesca et Paolo s'embrassent seuls au second tableau de l'acte IV, la porte censément entrouverte qui fait un courant d'air n'a jamais été fermée par l'esclave Smaragdi, on pourrait y passer les deux bras !
Mieux encore, Paolo la ferme avant de prononcer les paroles "je vais la fermer"...
Pas très sérieux, avec un minimum d'intervention, cerveau de ténor ou pas, on aurait pu expliquer au chanteur l'ordre des événements, et même en une seule fois.

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4. Les interprètes

Suite de la notule.

mercredi 16 février 2011

Vastes voyages à travers les songs britanniques, au départ d'Orsay - Keenlyside / Martineau


1. Contrées

Le programme très original proposé par Simon Keenlyside et Malcom Martineau était judicieusement annoncé comme un écho à l'exposition consacrée aux préraphaélites, la musique assez conservatrice du premier XXe siècle britannique étant mise en résonance avec les tournures naïves de son univers pictural.


Ned Rorem, seul survivant de cette liste de compositeurs vieux jeu.


Le risque était de proposer un récital un peu lisse, fondé sur les gentilles mélodies postvictoriennes dans lesquelles ont brillé avec modestie les compositeurs du Royaume.

Il n'en a rien été, pour plusieurs raisons :

  • Le spectre esthétique était assez vaste, avec très peu d'oeuvres simplement sucrées - les plus gentilles fleuraient bon leur Debussy et leur Ravel, dans le pire des cas leur Poulenc - on était loin de l'indigence.
  • La progression du récital (accessible / expérimental / entracte / drôle / lyrique) était idéalement conçue.
  • Etait fourni un livret au format A4, un simple recueil de feuilles agraphées, mais très commode à lire (grosses polices pour la semi-pénombre), avec en bilingue chaque texte dans une assez bonne cohérente traduction française, ce qui assurait beaucoup de facilité, de précision et de plaisir pour suivre le concert (ce qu'a fait une bonne partie du public).


Enfin, la dominante thématique était discrètement celle du voyage, avec un certain nombre de beaux textes !

Seul regret : le second cycle Butterworth n'était pas proposé en traduction dans le livret, ce qui était un peu frustrant pour l'une des plus belles parties du concert.

Bref, un concert intelligent qui n'avait que peu de préraphaélite, mais qui était passionnant... et très séduisant.

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2. Compositeurs
Simplicité à la française

On débutait d'emblée par une pièce exaltante de John Ireland (1879-1962), "Sea Fever", tirée des Salt Water Ballads de John Masefield (exact contemporain d'Ireland). Un texte vigoureux qui exalte la vie romanesque de marin, et une musique fondée sur des accords aux belles harmonies (on songe à Sainte de Ravel), avec quelque chose de débonnaire, mais d'une simplicité apparente seulement - musicalement, le propos est assez riche.

Les pièces suivantes se situaient sensiblement dans le même esprit. Les deux mélodies de Peter Warlock (1894-1930), "My Own Country" (Belloc, The Four Men, 1911) et "Sleep" (Fletcher, début XVIIe) se déroulent dans une sorte d'errance gaie, où la musique semble dériver doucement, mais sans jamais chercher la surprise frontale. Une succession de petites finesses aux couleurs assez pastorales et lumineuses. On y retrouve certaines harmonies du Webern des Sieben Frühe-Lieder par exemple.

Un peu plus naïf, la seule pièce à réellement se rapprocher du contexte pictural, Percy Grainger (1882-1961) propose dans son plaisant "Sprig of Thyme" une musique assez proche des précédents, mais plus consonante, plus "pleine", avec un peu moins de relief aussi.

Enfin Herbert Howells (1862-1983), avec un peu moins de séduction que les précédents, accentuait le tropisme dépouillé, avec une clarté supplémentaire. Son "Little Boy Lost" (William Blake, Songs of Innocence ans Experience, 1789) se fonde surtout sur un écho entre ses deux strophes, assez plaisant pour un texte aussi rude.

Expérimentations

Le concert prenait un tour très surprenant vu le thème annoncé, avec une succession de pièces étonnantes.

D'abord la plus radicale du concert, "Betelgeuse", autre face de la fascination astronomique de Gustav Holst (1874-1934), tiré de The Unknown Goddess (Humbert Wolfe, 1925). La musique, totalement suspendue, obstinée, errante, percute les oreilles sans ménagement, s'obtine dans une mocheté assumée. Elle surprend le public et à défaut d'exalter réellement le texte, elle procure une variété agréable dans le programme du concert.

Le cycle de Benjamin Britten (1913-1976) sur les Songs and Proverbs de William Blake (1757-1827) constitue de mon point de vue le seul réel point faible du concert. Ces aphorismes militants, assez violents / visionnaires envers l'Eglise pour leur époque, mais peu inspirés (en dépit de quelques audaces ironiques amusantes [1]), sont parés d'une musique où l'incertitude mélodique de Britten ne trouve pas réellement d'appuis ni de couleurs évocatrices comme il le fait dans ses meilleures oeuvres. Une sorte de parangon du Britten gris et ennuyeux.

ENTRACTE

La seconde partie redébute en douceur (excellent principe de commencer par un morceau accessible qui captive d'emblée l'auditeur) par une adaptation de Henry Purcell par Benjamin Britten : "Sweeter than Roses". Une très belle mélodie, qui ne paraît pas du tout nue ou ridicule en comparaison du programme qui l'entourait.

Le grotesque sans sublime

Ned Rorem (né en 1923) présente la double caractéristique d'être à la fois le seul compositeur vivant et le seul compositeur américain du programme. Son inclusion n'est cependant pas sujette à reproches, tant il met avec esprit en musique les poèmes de Theodore Roethke (1908-1963), qui traitent le sordide (la pourriture du "Root Cellar" ou l'alcoolisme parental dans "My Papa's Waltz") avec une gouaille presque joviale - le lecteur est tiraillé entre l'effroi de ce qui est représenté et le sourire pour leur formulation.
Les deux poèmes de Walt Whitman ("Oh You Whom I Often and Silently Come", "Youth, Day, Old Age and Night"), évidemment moins subversifs (on trouve même des extraits de "Leaves of Grass" du recueil Grea are the Myths), sont traités avec la même force de personnalité - réellement un compositeur de mélodies marquant.

Pastoralisme britannique

Enfin venait le tube du concert, les Six Songs from a Shropshire lad de George Butterworth (1885-1916). Les vignettes plaisantes de Housman (1859-1936) , malgré leurs quelques traits d'esprit, prennent surtout leur intérêt par le traitement sobrement lyrique de Butterworth. Cette musique communique une forme d'émerveillement simple, un type d'émotion qu'on peut retrouver en observant la nature.
Et il est admirablement exécuté par Keenlyside qui, ici comme ailleurs, se coule avec aisance dans les différents textes.

Du même compositeur, un second cycle, toujours sur des poèmes de Housman, venait clore le concert : Bredon Hill and other songs ("Bredon Hill", "Oh Fair enough are sky and plain", "When the lad for longing sighs", "On the idle hill of summer", "With rue my heart is laden"). Mêmes qualités que précédemment.

A noter pour ceux qui aiment Butterworth : Summer Music, pour basson et orchestre, contient à mon sens la quintessence de sa capacité à exprimer cette sorte de joie rêveuse. Souverainement agréable, pourrait-on dire.

BIS

Pour récompenser leur auditoire, deux bis accordés sans façons et tirés des Histoires naturelles de Maurice Ravel : "Le Paon" (avec un piano un peu lié et prudent chez Martineau) et "Le Grillon". Le français est très bon, l'expresion juste, et la voix devient immédiatement plus franche et plus belle. Ici, les allègements sont très bien "connectés" au souffle et au timbre, les couleurs miroitent, le sens jaillit avec variété et sous-entendus. Le public rit sans discrétion, et les lutins se recueillent avec délices dans ce cadeau.

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3. Les interprètes

Notes

[1] Think in the morning. / Act in the noon. / Eat in the evening / Sleep in the night.

Suite de la notule.

lundi 14 février 2011

Airs de cour à l'église des Billettes - Laurens / Yisraël


Rapide compte-rendu du concert en l'église des Billettes (attribuée au culte luthérien depuis Napoléon) avec Guillemette Laurens (bas-dessus) et Miguel Yisraël (luth).

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1. Le lieu

Edifiée de 1754 à 1758, dotée d'une haute nef et de bas-côtés très bas, soutenant trois étages de tribunes en bois, l'église est sans transept. La voûte en berceau (avec de larges embrasures plus baroques) de sa nef débouche très naturellement sur la voûte de l'abside, qui aurait pu être type cul-de-four, avec un tropisme pentagonal assez typique de ce néoclassicisme-là. Les piliers de la nef sont décorés de pilastres ioniques de type romain, qui affirment le classicisme face à une allure néo-romane. L'allure générale est elle-même tout à fait caractéristique, avec sa voûte haute sur une largeur assez étroite. Nombreuses figures géométriques simples pour orner les arcs, à la mode Renaissance. Tribune d'orgue en bois neuf.

Beaucoup de charme et de solennité dans le lieu, qui n'est éclairé que par les ouvertures près des voûtes. Si bien qu'en supprimant les éclairages artificiels, le soir, on se retrouve dans une pénombre assez complète - ce serait le lieu idéal pour des Leçons de ténèbres.


L'acoustique en est particulièrement flatteuse, avec une réverbération très efficace : amplifiant réellement les voix, mais sans jamais brouiller les contours du son.

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2. Le programme

L'annonce du site des concerts Philippe Maillard n'était pas tout à fait honnête : on annonçait non seulement du Moulinié (une seule pièce) mais aussi du Lambert (tout à fait absent).

En réalité, le programme était essentiellement constitué d'airs de Charles Bataille (en espagnol), et de plusieurs airs français d'Antoine de Boesset et de Charles Tessier. Ce à quoi s'ajoutaient trois préludes pour luth de Nicolas Vallet et cet air isolé de Moulinié.

Alors même que le programme papier (5€), seul moyen de disposer de la liste des pièces jouées, s'ajoutait au tarif relativement élevé du concert (20€ pour 1h15 dans une église avec deux interprètes, c'est plutôt le haut de la fourchette), les textes (pourtant libres de droits et peu longs...) n'étaient pas fournis. On disposait en échange d'une passionnante notice (non signée) sur l'évolution esthétique de l'air de cour à la française, mais le manque est considérable pour ce type de musique.

La diction de Guillemette Laurens étant ce qu'elle est, on avait peine, et plus encore dans son bizarre espagnol, à reconstituer tout le texte, malgré la discrétion de l'accompagnement. Une déception d'ordre programmatique (des airs espagnols faibles qui constituent une grande part d'un récital d'airs de cour français) et d'ordre pratique (absence des textes), donc - et qui retranche une part non négligeable au plaisir.

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3. Les compositeurs

Les plus vifs succès ont été remportés par les airs de Boesset, qui étaient en effet inhabituellement beaux - et tous spontanément acclamés par le public (ce qui n'est arrivé pour aucune autre pièce du concert). On ne peut pas soupçonner la posture, vu qu'assez peu de monde semblait avoir acquis le programme, que personne ne le regardait pendant le concert (où les pièces étaient imbriquées), et que la renommée de Boesset n'est pas unanimement positive comme celle de Lambert ni même de Moulinié.
De fait, il s'agissait de superbes ritournelles strophiques, où l'expressivité de Guillemette Laurens et son grain irrégulier faisaient merveille. Clairement, les interprètes avaient à l'avance l'idée qu'ils s'assuraient par elles des succès inévitables auprès de ce public - et j'étais moi-même surpris d'être aussi facile à deviner, et tellement à l'unisson du public !
Un peu comme lorsqu'on joue le final de la Septième de Beethoven : ça ne peut pas manquer, les plus ingénus aussi bien que les plus snobs tapent du pied dès que la musique cesse (voire pendant, mais c'est une autre question...).

Suite de la notule.

mercredi 2 février 2011

Sergueï Prokofiev - Les Fiançailles au Couvent - Sokhiev, Opéra-Comique


Une rareté sur les scènes internationales (et même peu présente au disque, où l'on totalise trois versions).

L'oeuvre en elle-même ne constitue pas un chef-d'oeuvre musical injustement négligé - sa mise en musique, assez continue, pourvue de peu de relief, ne suscite pas réellement l'enthousiasme, ni au disque, ni en salle. En revanche, sa conjonction avec l'excellent livret plein de vie et d'esprit en fait une oeuvre, en fin de compte, délicieuse - et très exactement dans la niche visée par l'Opéra-Comique, celle des opéras légers où le théâtre est premier.

A partir du milieu de l'oeuvre cependant, la musique se fait plus typée, avec le superbe quatuor vocal dans l'appartement de Mendoza, la musique de scène sans scène interrompue et prise à partie des répétitions du mariage, le grand lyrisme de la scène du cloître et la beuverie hypocrite des moines. Toutes ces scènes s'enchaînent, avec un renouvellement musical et dramatique très bienvenu.
Chose amusante, les airs amoureux sont conçus sur les mêmes harmonies et les mêmes effets d'orchestration que dans Guerre et Paix... qui n'était pas encore composé - c'est précisément le suivant dans le catalogue de Prokofiev.

Le livret (du couple Siergueï Prokofiev / Mira Meldelson), à l'exception d'une scène d'exposition un peu lourdement explicite, brille par sa vivacité et surtout par son usage incroyablement inspiré du comique de répétition. Là où le procédé est généralement lourdaud, il devient une sorte de motif récurrent particulièrement prégnant.

La mise en scène de Martin Duncan tire précisément toute la sève de ce livret, en mettant en valeur tout ce qu'il peut avoir de plaisant ou de drôle, grâce à une direction d'acteurs très précise.

Musicalement,

Suite de la notule.

David Le Marrec

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