Carnets sur sol

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vendredi 22 avril 2016

Wagner, c'est trop long / bon


Wagner – Die Meistersinger von Nürnberg – Herheim, Ph. Jordan

Production précédée et suivie d'une réputation non usurpée. J'avais délibérément attendu la dernière pour entendre l'Orchestre de l'Opéra à son meilleur (quitte à risquer la fatigue des chanteurs), et, de fait, même si l'option de Jordan est toujours celle du moelleux, jamais de l'incisif ou de l'antagonique, la tenue d'ensemble et la tension continue étaient très réussies, dans une salle (Opéra Bastille) toujours parfaite pour entendre un orchestre – il faudrait vraiment construire un bon opéra et la changer en salle de concert, ça battrait la Philharmonie ! 

L'œuvre est objectivement trop longue : enfermé de 17h30 à 23h30 pour voir une intrigue de mariage contrarié à peine détaillée, c'est un peu exagéré. Et pourtant, pas la moindre impatience à l'écoute, pas la moindre impression de superflu, en tout cas dans la musique. Malgré sa réputation itigée, l'œuvre est d'une qualité de construction équivalente à Parsifal, et même à avis supérieure à Tristan (qui se distingue des autres Wagner par l'harmonie sophistiquée plus que par la structure). Un des plus grands Wagner, assurément : une abondance de détails en permanence renouvelés, le petit frisson de l'archaïsme contrapuntique en sus.

Stefan Herheim prend un parti pris assez peu original, eu égard à ses habitudes : l'intrigue est vue par Sachs en train d'en écrire le poème en chemise en nuit. Mais visuellement, cela s'incarne de façon très appropriée pour Bastille : le secrétaire géant figure ainsi les stalles et tribunes d'où tous les personnages viennent chanter l'office, la rue tient dans l'intervalle entre deux meubles, etc. Simple, mais beau et lisible. La différence vient surtout de la direction d'acteurs fine et très active : jamais un personnage, même lorsqu'il ne chante pas (et Wagner Dieu sait que Dieu Wagner peut abuser des tunnels de parole), n'est en repos. Dès qu'il est sur le plateau, chacun joue, tout le temps.
Par ailleurs, Herheim creuse l'un des endroits les plus intéressants du livret : la tentation de Sachs, poussé par Eva elle-même, de concourir pour remporter sa main.

¶ Vocalement aussi, c'est une belle fête.
    Un peu déçu par Julia Kleiter, merveilleuse Zdenka, mais qui peine à projeter sa voix pharyngée dans la tessiture très centrale d'Eva – elle pourrait aller contre sa nature dans de petites salles, plus difficilement dans Bastille.
    Gerald Finley (Sachs), pourtant à peine convalescent, parvient à sonner remarquablement, avec un grain (et, chose rarissime à Bastille, des mots) immédiatement perceptible. On n'entend pas que le volume de la voix, on en perçoit les détails (et je n'ai pas eu l'impression qu'il était sonorisé, le son restait très localisé et cohérent) ; dire qu'il a longtemps été considéré comme un format Mozart & lied !  Pas la moindre difficulté dans la tessiture hybride de Sachs, ni dans la projection, ni dans l'espression, très fine (et je n'ai pas perçu son petit accent anglais habituel).
    Très admiratif aussi de Günther Groissböck, qui évoquait ce soir-là le halo caractéristique du timbre de Kurt Moll, pour un des meilleurs Pogner qu'on puisse entendre et espérer. Bo Skovhus (Beckmesser) semble inaltérable, la voix a la même rugosité et la même solidité qu'il y a vingt ans (où il semblait fruste, alors qu'il paraît désormais tout frais pour son âge). Quant à Niina Keitel, elle arrivait au pied levé le jour même et se fondait en Magdalene avec une voix claire et expressive très persuasive ; la mise en scène semblait ne lui poser aucun problème, et pourtant je ne crois pas qu'elle l'ait chantée ailleurs. Impressionnant, une fille sur laquelle on peut compter.
    J'attendais beaucoup de Brandon Jovanovich (Stolzing), qui chante les grands rôles dramatiques en Amérique du Nord et en Allemagne ; le plus beau Florestan qu'on puisse entendre, un très beau José, etc. Je craignais que le moelleux du timbre annonce une voix moyennement projetée, mais il n'en est rien : d'une matière barytonnante, il tire des aigus mixés et souples, tout à fait radieux, et particulièrement bien audibles. Sur des moyens peut-être similaires, la technique comme l'effet sont à l'inverse de Kaufmann (qui est d'ailleurs sensiblement moins sonore, soit dit en passant) : Jovanovich devient plus flexible et détendu en montant, ce qui lui confère un côté aisé, radieux, victorieux, tandis que Kaufmann devient de plus en plus tendu, ce qui crée cette impression de personnage tourmenté, sans cesse au point de rupture sans jamais l'atteindre. Et, mystère de la notoriété, Jovanovich n'a manifestement pas de fan-club (moi excepté, donc).

Avec ça, six heures passent comme rien. Le plus agréable étant qu'on les sent s'écouler, sans que l'émerveillement cesse jamais. Mais prenez une journée de congé tout de même, parce que tenir ça après s'être levé à cinq heures et bossé les huit subséquentes, ce doit faire mal.

Le plus beau quatuor de Ravel – Akilone SQ en concert


Hôtel de Soubise – Schubert 12, Cyprès de Dvořák, Ravel, Boutry – Quatuor Akilone

Ce quatuor, déjà célébré en ces pages pour le meilleur premier mouvement de Ravel de tous les temps, récidive à Soubise : les autres mouvements ne sont peut-être pas aussi éverestiques, mais l'ensemble est parfait, généreux ; d'un tranchant limpide, toujours tendu, jamais forcé ni strident, c'est la fougue et l'élégance à la française.

quatuor akilone

Très beau Quatuor de Boutry qu'elles ont créé : on sent l'héritier de Debussy, Ravel, Bartók, tout en étant de la musique du second vingtième (du XXIe, en fait). Les motifs et harmonies, même sans le recul d'écoutes multiples, sont identifiables, on y entend comme des échos de divers folklores européens, mais réagencés dans un langage complexe et structuré. De la très belle ouvrage (qui vaut largement Greif ou Bacri, par exemple).

Massenet, Pierné, Caplet, Delage, Stravinski, Pillois – Mélodies orientales – Brahim-Djelloul, Garde Républicaine


Programme remarquablement original au Musée d'Orsay : Mélodies Persanes de Saint-Saëns, Haï-Kaï de Delage,  Poésies de la lyrique japonaise de Stravinski, Haï-Kaï (instrumentaux) de Jacques Pillois, plus quelques pièces de Massenet, Pierné et Caplet.

Pour ma part, j'étais avant particulièrement ravi d'entendre les rares et évocatrices Mélodies Persanes (hélas incomplètes, trois sur sept, ce que ne précisait pas le programme avant d'entrer dans la salle…), du meilleur Duparc avec des moyens pré-Duparc…  Et, bien sûr, les Delage, même s'ils sont peut-être plus intriguants et neufs que profondément exaltants, un privilège de les entendre en vrai.

Je m'explique mal en revanche la catégorisation en concert familial : les pièces n'étaient pas présentées, on ne disposait même pas des textes (contrairement à l'habitude du lieu), la musique était quand même difficile (très peu mélodique hors Saint-Saëns, et pas très pulsée non plus), dissonante, peut-être même inquiétante pour de jeunes oreilles. Essentiellement des pièces assez lentes, et la diction d'Amel Brahim-Djelloul, pas dans ses meilleures heures, n'était pas assez nette pour suivre aisément, même pour l'oreille aguerrie.
Pas exactement un concert ludique et festif, qu'on aurait éventuellement pu habiller pour la jeunesse avec des présentations adaptées, de petits récits illustratifs, etc.

Atelier-concert du CNSM : Joseph Kosma


Astucieuse idée de rendre la formation plus polyvalente… Dans une mise en scène de Vincent Vittoz qui essaie de raconter une petite histoire pour chaque chanson, au besoin assortie de quelques dialogues, les élèves-chanteurs se produisaient à tour de rôle dans une ou deux chansons, seuls ou en petits groupes.

Avec des bonheurs divers, évidemment, les niveaux de ces grands élèves (qui doivent approcher, pour la plupart de la fin de leur cursus) étant très divers, et les caractéristiques de leurs techniques propres se fondant plus ou moins aisément dans ces contraintes nouvelles. Mais alors que je m'attendais à des techniques lyriques un peu pâteuses, j'ai au contraire été frappé par l'effort de chacun de domestiquer ses moyens (ce qui n'est sans doute pas aisé lorsqu'on est tout entier tendu vers la carrière lyrique !) pour servir au plus juste cette musique et ces textes.

Particulièrement impressionné par Harmonie Deschamps, qui troque son habituelle émission moelleuse au profit du vrai belting, avec une netteté et une aisance confondantes. Elle a assurément le niveau d'une double carrière, future candidate pour les productions du Châtelet.

Les deux seuls que je n'avais pas encore entendus ont particulièrement retenu mon attention.
Anaïs Bertrand (déjà régulièrement embauchée pour des concerts indépendants du CNSM, dans de grandes salles) est un mezzo déjà très aguerri : plein de douceur mais pas écrasé ni pâteux ; si elle continue à choisir judicieusement son répertoire, elle (contrinuera d') aller loin.
Guilhem Worms est une véritable basse noble, aux appuis profonds : contrairement à beaucoup de ses collègues aux graves bien dotés, sa voix ne repose pas sur son beau naturel, et reste émise bien dans le masque, ce qui lui autorise toutes sortes d'audaces (chant en mode métallique / non métallique, par exemple, selon la nuance voulue). Voix exceptionnelle, maîtrisée en profondeur, et artiste sensible, capable d'adapter (ce qui est particulièrement rare et difficile !) son timbre au style et à l'expression. Même sans considérer la grande pénurie de son type vocal, il ira loin.

Pour finir, une réelle surprise avec Axelle Fanyo, voix ample et généreuse, dont les contours un peu flous annonçaient plutôt un futur dramatique qu'une interprète probe de la chanson. Détrompons-nous : elle parvient à camper, avec une approche technique tout à fait atypique, son personnage de façon très persuasive. Ça ne ressemble à rien de connu, mais c'est beau et ça fonctionne – et Dieu m'est témoin que j'exècre tout ce qui ressemble à la chanson visqueuse façon Te Kanawa.

Georges Bizet – Symphonie en ut – COE, Pappano


Concert à la Cité de la Musique. En première partie, la 25e Symphonie de Mozart et le Concerto pour hautbois de Richard Strauss avec François Leleux : toujours beaucoup d'engagement de la part de l'orchestre et de souci des styles. Émerveillement en découvrant de façon aussi exposée le timbre de François Leleux : moelleux, impalpable, ses aigus ont la douceur des médiums de flûte… sa réputation ne l'a pas précédé fortuitement.

Je tiens la symphonie de Bizet (pas la seule contrairement à ce que laisse croire la numérotation : la symphonie Roma mérite aussi le détour) pour l'un des plus hauts chefs-d'œuvre de la musique symphonique, regorgeant d'événements construits de façon ludique ou dramatique, mais jamais rhapsodique… cette variété extraordinaire de climats s'enchaîne avec un naturel, une évidence, une continuité constantes. Et parvenir à enchaîner ce final en fugato aux mélismes orientalisants du hautbois, dans ce second mouvement, voilà qui est tout sauf enseigné dans les manuels du petit symphoniste !
L'enthousiasme des musiciens et le soin de Pappano (allant jusqu'à varier le tempo ou l'intensité des reprises) font merveille ici dans une interprétation à pâte légère.

Après Lorenza Borrani (ce n'était pas elle ce soir-là, c'était Mats Zetterqvist, je crois), meilleure konzertmeisterin de tous les temps, voici Clara Andrada de la Calle, meilleure flûte solo de tous les temps : comment est-il possible de timbrer aussi rondement (et d'exprimer aussi bien) sur ce petit tube dont les plus grands tirent souvent des sons lourdement empreints de souffle !

Premier bis très original de la Séguédille de Carmen « chantée » par les vents !  Très réussi.

Ludovic BOURCE – The Artist en ciné-concert


Début d'une série d'échos sur les derniers concerts vus, par la lorgnette étroite de quelques détails spécifiques.

Ciné-concert à la Cité de la Musique (que, pour la saison prochaine, l'institution a cessé d'appeler Philharmonie 2, choix judicieux) avec le Brussels Philharmonic, également présent sur la BO,  que je découvrais en salle.

Musique très bien écrite, roborative, farcie d'emprunts explicites (pas seulement à Herrmann : on y entend aussi un décalque du début de l'Oiseau de Feu) et de références aux modes musicales de la période évoquée… Le timbre de l'orchestre n'est pas particulièrement beau (en cela, je suppose que les plus grands solistes intègrent d'autres orchestres), mais leur générosité et leur enthousiasme, dans tous les pupitres (on sent à quel point les cuivres jubilent, pour une fois où ils tiennent le plus clair de la partie thématique !), sont assez grisants. Excellent moment – et salle bien remplie mais pas complètement pleine, étrangement.

David Le Marrec

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