La règle du support
Par DavidLeMarrec, mercredi 19 avril 2006 à :: Langue - Vaste monde et gentils :: #199 :: rss
Lorsqu'on postule que le support influe sur le contenu, ce n'est pas là vaine distinction oiseuse.
En parcourant quelques adresses de carnets, je m'aperçois que Jean Lassalle est regardé avec défiance, voire avec agacement.
Jouons à l'autoréférentialité.
A mon sens, on ne peut qu'être admiratif devant son courage et son dévouement pour ses électeurs, avec une opiniâtreté et un engagement qu'on rêve plus fréquents dans la classe politique, aussi les attaques à son encontre me paraissent déplacées. On peut en revanche à bon droit réserver son indignation aux gouvernants - et aux commentateurs qui, sans réfléchir, les ont acculés à suivre le député.
Parce que si la bravoure et le panache forcent l'admiration, la politique est également faite de contenu. Et là , il ne peut que laisser dubitatif.
- Il n'est pas établi que l'entreprise voulait quitter les lieux, mais comme elle ne l'aurait pas dit si c'était le cas, mettons que la suspicion soit légitime.
- L'issue de la crise favorise, au bluff, une circonscription, qui plus est française elle aussi, plutôt qu'une autre, à l'encontre de tous les projets bâtis.
- L'entreprise risque, devant les interférences dans sa politique de développement, d'aller voir ailleurs à la première occasion, et à coup sûr cette fois.
- Qui finance ce glorieux non-déplacement de 40 km ? Une transaction gouvernementale, donc l'Etat, et probablement pas sur les fonds secrets (qui n'existent même plus, alors...), donc les contribuables. Pour quel résultat ? Favoriser aribitrairement une circonscription au détriment d'une autre, avec pour risque de faire perdre les deux à moyen terme.
Le tout sur la demande d' une personne, pas forcément fondée qui plus est... Versac titre avisément Don Quichotte. On sait à présent ce qui serait arrivé si l'hidalgo avait été cru. (A savoir une belle pagaille, les bons sentiments ne faisant pas les bonnes politiques.)
Pour l'Etat, c'est toute une façon de gouverner : calmer par la distribution. Un problème ? Hop, on crée un Haut Conseil Consultatif. Un coup dur ? Hop, l'Etat finance.
Et, d'un autre côté, l'Etat a imposé les 35 heures en très peu de temps et aux frais des entreprises - qui en avaient variablement les moyens.
C'est étrange. On a vraiment l'impression que l'Etat tient à se présenter comme une Tatie Gâteaux, à infantiliser ses ressortissants, habitués à le voir subvenir à leurs besoins. Du même coup, il agit en punissant sévèrement les garnements désignés par ses gentils neveux, sans trop regarder qui a raison dans la querelle ou même si l'intervention est nécessaire.
On le voit dans le cas du conflit des intermittents. Je ne nie pas que les fins de mois doivent être difficiles à boucler pour certains. Cependant :
- Lorsqu'on entreprend de faire carrière dans les arts, on est attiré par la vie variée et passionnée, ce qui a généralement un pendant, l'instabilité. (ce que l'on appelle, glacé de peur, la précarité)
- On a un peu tendance à distribuer des subventions à tout va (j'ai vu passer des exemples nombreux), notamment en art. Il en va de même pour les étudiants, où l'on peut financer une troisième première année non validée... Comme si tout se valait, comme si l'art était partout. Or, toutes les compagnies de jeunes étudiants en théâtre ne méritent pas forcément d'être soutenues par les deniers de l'Etat qui devrait au contraire valoriser la recherche, l'excellence, ici comme ailleurs, plutôt que de se retirer derrière un joliment consensuel et vaguement électoraliste "on ne juge pas les Artistes".
- On débat sans fin de ce que l'Etat ne finance pas suffisamment les périodes d'inactivité des artistes ; à bien y réfléchir, c'est paradoxal. On pourrait réclamer plus de subventions, quelques emplois officiels ou que sais-je, mais l'indemnisation du non travail, c'est vraiment épatant. Je dis tout cela sans d'avoir d'éléments concrets sur le bien-fondé ou non de la contestation de la nouvelle convention d'indemnisation, mais à titre d'exemple de la représentation protectrice de l'Etat.
Bref, l'Etat n'est pas là pour inciter à la réussite, mais plutôt pour consoler de tous les échecs. C'est une vision, un peu coûteuse, mais c'est une vision. On ne peut pas se contenter d'appliquer les lois, en cas de problème on crée un grand conseil qui va écouter tout le monde et faire des offres ; on ne peut pas non plus se contenter de retirer le CPE, on verse quelques aides pas très utiles mais très coûteuses à la place. Car si le CPE (pas forcément utile par ailleurs) avait bien un avantage, c'est qu'il ne coûtait rien ni à l'entreprise, ni au salarié (à part l'inconfort psychologique sans doute réel), ni à l'Etat.
Je ne reviendrai pas ici sur l'idée d'une planification incitative des études avec redistribution en conséquence des bourses, de façon à réorganiser le marché du travail et à limiter les dépenses tout en incitant les jeunes à former des projets pour sortir de cette passivité encouragée par l'Etat qui a tout de la morale d'esclave.
Liberté Egalité Fraternité
Tout cela pour remarquer que le support individualisé, sur la Toile, loin des médias traditionnels, incite à prendre une position originale, à faire valoir ses vues singulières. Toute une esthétique du contrepied se développe sur la Toile. Loin du consensualisme médiatique, de la reprise des informations, on va au contraire se livrer à la spéculation à partir de ses propres sources, dans un sens qui montrera combien le discours 'officiel' est biaisé, idéologique, tronqué, inexact, faible, mensonger, insuffisant, pudique, politiquement correct.
Si vous feuilletez ce carnet aux catégories Revue de Toile et H.S., vous constaterez - et ce alors que ce n'est pas mon principal sujet - que je ne suis pas le dernier à me prêter à l'exercice.
Ce billet lui-même est l'illustration de ce que j'avance, délicieusement autoréférentiel :
- Je prends le contrepied du discours médiatique vibrant en évoquant des considérations concrètes, loin des idéaux qu'on nous sort du chapeau sans analyser le contenu de l'action.
- Je prends le contrepied du discours de la Toile, lui-même en contrepied avec le premier : je dis que son geste est, en tant que tel, admirable. Il ne prend personne en otage, ne refuse pas de signer des papiers, ne bloque pas des trains, n'organise pas une grève ou une livraison d'acide dans le fleuve local, mais prend tous les risques sur lui, n'ayant plus de prise institutionnelle. La démarche est rare et remarquable.
- Je prends pour finir le contrepied du contrepied du contrepied en plaçant ledit contrepied comme illustration d'une défiance structurelle du média Internet. Comme pour nier la valeur de mon contrepied, ou la relativiser. [Ce qui ne m'empêche pas de penser très sincèrement ce que j'ai écrit, naturellement.]
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