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mardi 6 février 2024

Une décennie, un disque – 1850 (a) : Carl CZERNY, les Quatuors ossia Beethoven avec des mélodies


1850 (b)


czerny quatuor
[[]]
Le premier mouvement du Quatuor en mi mineur par le St. Lawrence String Quartet.


Le Prince des professeurs

    Quoique grand pianiste, Carl Czerny a commencé une carrière de professeur à l'âge de quinze ans, et a tôt renoncé aux concerts qui lui rapportaient beaucoup moins – il expliquait ses refus d'engagements en concert par la nécessité de soutenir et nourrir sa famille. Élève de Salieri, Beethoven et Hummel, professeur de piano de la reine Victoria, Liszt (les Études d'exécution transcendante ont d'ailleurs été dédiées à Czerny !), Kullak (le prof de Moszkowski), Leschetizky (le prof de Schnabel et de la profe de Prokofiev), il se retrouve ainsi l'ancêtre en technique pianistique de gens comme Rachmaninov, Arrau ou Barenboim !  

    Czerny est surtout resté célèbre pour ses œuvres pédagogiques, pour certaines toujours en usage ; elles ne représentent cependant qu'un fragment de son legs et ont beaucoup contribué à occulter sa qualité propre comme compositeur. En effet, parmi le millier d'œuvres qu'il a composées, autant on peut trouver des tombereaux d'enregistrements de L'École de la Vélocité ou de L'Art de la Dextérité, autant son œuvre sérieuse n'est que très fragmentairement représentée au disque, avec de nombreuses pièces qui n'ont même jamais été imprimées !  Pourtant la qualité de son inspiration en fait, à mon sens, un compositeur important de son temps.

    L'essentiel de son corpus ambitieux (qui ne soit ni œuvres pédagogiques, ni pièces accessibles pour élèves, ni pièces brillantes de concert) date des années 1840-1850, lorsqu'il se consacre exclusivement à la composition.



Compositeur : Carl CZERNY (1791-1857)
Œuvre : Quatuor à cordes en mi mineur (185?)
Commentaire 1 :
    Ce quatuor, comme les autres (un Quatuor à cordes en ré mineur est également présent dans ce coffret de trois disques), est écrit dans une langue totalement beethovenienne malgré sa date bien plus tardive – il faut bien voir que non seulement Beethoven était très en avance, non seulement son empreinte a très durablement marqué ses successeurs, mais surtout que Czerny se met massivement à la composition d'œuvres de musique pure dans les deux dernières décennies de sa vie, issues d'un apprentissage qui remonte aux toutes premières années du XIXe siècle.
    Je suis toujours frappé, par Czerny, par le mélange de l'ardeur beethovenienne, des structures de développement ambitieuses (même si les développements y sont plus mesurés et moins fous que chez le maître) et une chaleur, une évidence dans la mélodie qui évoque plutôt Mendelssohn. Vous imaginez si Beethoven avait eu le sens des longues mélodies ?  Eh bien vous vous figurez le talent de Czerny. Ce quatuor n'est pas sans parentés de ton avec le Sixième de Mendelssohn, par exemple ; mais on y retrouve aussi des formules plus ramassées, des pizz structurants, des réemplois de motifs, des ponts travaillés comme des thèmes, qui montrent bien de qui il procède.
    ♣ Par ailleurs, je trouve ici chaque mouvement extraordinaire et doté d'un caractère propre : la grande forme élancée du I, le recueillement bouillonnant du II, les tourbillons farouches du III, la fureur du IV…
    J'aurais aussi bien pu choisir la Première Symphonie, absolument exaltante, de la même époque – mais j'en ai déjà parlé dans ces pages (en 2012 !) en tant que « Disque du jour », et je ne voulais pas trop déséquilibrer les genres représentés : j'avais besoin de musique de chambre.
    Le coffret contient ici un large éventail du legs de Czerny : le Deuxième Trio piano-cordes, le Premier Quatuor piano-cordes, un autre superbe quatuor (en ré mineur), deux pièces fuguées pour quintette à cordes, des lieder, deux ouvertures orchestrales, un motet d'Offertoire, une pièce pédagogique, des Variations brillantes à six mains sur un thème de Bellini (« Deh, con te li prendi », le second duo Norma-Adalgisa), et la Grande Sérénade concertante pour clarinette, cor, violoncelle et piano (avec ses réjouissantes variations d'un quart d'heure sur La Molinara de Paisiello)… Un très bon moyen de disposer d'une vue générale et de haute qualité de son legs – même s'il me manque, parmi ses pièces les plus inspirées, le Nonette et la Première Symphonie.



Interprètes : St. Lawrence String Quartet
Label : Doremi (2011)
Commentaire 2 :
    Il existe deux versions de ce quatuor. Ici, le St. Lawrence String Quartet joue avec beaucoup de vibrato et dans un son qui ne déborde pas de couleurs, mais avec un enthousiasme communicatif, qui rend justice à l'élan mélodique et structurel des deux quatuors joués pour la première fois sur ce disque. On peut sans doute faire plus « informé » ou (encore) plus beau, mais on ne passe pas à côté de la spécificité et des qualités de ces pages. (Je trouve ces quatuors tellement extraordinaires que je considère qu'ils méritent autant de versions que les Beethoven, Schubert et Mendelssohn, et qu'il y a donc de la place pour encore mieux.)
    L'autre version disponible, par le Sheridan Ensemble chez Capriccio, a le mérite d'ajouter deux quatuors inédits (la mineur et ré majeur) à ces deux-là, mais leur son n'est pas très cohérent (sans doute lié au fait que ce soit un ensemble à géométrie variable plutôt qu'un quatuor constitué) et leur approche manque d'abandon, quelque chose ne se produit pas aussi bien du côté de l'urgence qui sourd chez les St. Lawrence, sans que je puisse déterminer quoi – sans doute une articulation moins pensée, ou en tout cas moins efficace. C'est donc un (double) disque à recommander pour explorer le reste du corpus, mais qui n'est pas en recommander en première approche pour ressentir tout le potentiel de ces quatuors.
    Le reste du coffret Doremi est assez généreusement servi par des artistes de premier plan ; on retrouve par exemple chez les pianistes les vedettes (et défricheurs) Anton Kuerti, le duo Tal & Groethuysen, Stéphane Lemelin



Les précédents numéros de la série, que je n'étais pas parvenu à alimenter depuis 2021, se trouvent dans le chapitre dédié (lien également en haut de la colonne de droite).

David Le Marrec

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