Carnets sur sol

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lundi 16 novembre 2009

Korngold - Die Tote Stadt et... Robert Le Diable (évidemment)


La relation entre La Ville Morte et Robert est le type même de lieu commun musicologique souvent répété, rarement démontré. Il est véritable toutefois, et même en dépassant l'explicite du livret.

Il n'y a toutefois pas de quoi en faire un fromage : plus personne n'écoute Robert (déjà, sans même parler d'intégrale des opéras de Meyerbeer, ni même de versions potables, si les principaux étaient disponibles sur le marché, ce serait chouette), et la citation est plus que furtive. Mais c'est amusant, regardons.

Reprenons simplement et démontrons.

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1. Le roman-source

Il convient tout d'abord préciser que le roman de Georges Rodenbach, Bruges-la-Morte, est très éloigné de la niaiserie du livret de Paul Schott, qui hérite certes des meilleures trouvailles, mais en perdant la qualité d'évocation très forte du symbolisme de Rodenbach. Plus que tout, la fin que Schott aménage (le meurtre final était un rêve, et le héros le reçoit comme un avertissement) est très loin de la puissance du final du roman : une fois les deux femmes réunies en une seule, morte, il rentre paisiblement dans son calme veuvage et s'installe dans son fauteuil pour écouter les bruits de la fin de la procession.

Beaucoup de moments sont ainsi furieusement affadis (la dimension religieuse toute-puissante, les raisons du départ de la servante), à tel point qu'on croirait observer une entreprise de démonstration de la vanité de vouloir transcrire la belle prose en drame lyrique de qualité. Jusqu'à la chausse-trappe d'imaginer une fin gentiment consensuelle. Décidément, Korngold n'est pas un décadent qui 'gratte'...

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2. Meyerbeer dans le roman-source

Ce fut une surprise, presque la fin d'une légende ; et le triomphe des malins qui avaient toujours souri quand on parlait du veuf inconsolable.
Hugues, par on ne sait quel fluide qui se dégage d'une foule quand elle s'unifie en une pensée collective, eut l'impression à ce moment d'une faute vis-à-vis de lui-même, d'une noblesse parjurée, d'une première fêlure au vase de son culte conjugal par où sa douleur, bien entretenue jusqu'ici, s'égoutterait toute.
Cependant l'orchestre venait d'entamer l'ouverture de l'œuvre qu'on allait représenter. Il avait lu, sur le programme de son voisin, le titre en gros caractère: Robert le Diable, un de ces opéras de vieille mode dont se compose presque infailliblement le spectacle en province. Les violons déroulaient maintenant les premières mesures.

Hugues se sentit plus troublé encore. Depuis la mort de sa femme, il n'avait entendu aucune musique. Il avait peur du chant des instruments. Même un accordéon dans les rues, avec son petit concert asthmatique et acidulé, lui tirait des larmes. Et aussi les orgues, à Notre-Dame et à Sainte-Walburge, le dimanche, quand ils semblaient draper par-dessus les fidèles des velours noirs et des catafalques de sons.

La musique de l'opéra maintenant lui noyait les méninges ; les archets lui jouaient sur les nerfs. Un picotement lui vint aux yeux. S'il allait pleurer encore? Il songeait à partir quand une pensée étrange lui traversa l'esprit : la femme de tantôt qu'il avait, comme dans un coup de folie et pour je baume de sa ressemblance, suivie jusqu'en cette salle, ne s'y trouvait pas, il en était sûr. Pourtant elle était entrée au théâtre, presque sous ses yeux. Mais si elle ne se trouvait pas dans la salle, peut-être allait-elle apparaître sur la scène ?
Profanation qui, d'avance, lui déchirait toute l'âme. Le visage identique, le visage de l'Épouse elle-même dans l'évidence de la rampe et souligné de maquillages. Si cette femme, suivie ainsi et disparue brusquement sans doute par quelque porte de service, était une actrice et qu'il allait la voir surgir, gesticulant et chantant ? Ah ! sa voix ? serait-ce aussi la même voix, pour continuer la diabolique ressemblance – cette voix de métal grave, comme d'argent avec un peu de bronze, qu'il n'avait plus jamais entendue, jamais ?
Hugues se sentit tout bouleversé, rien que par la possibilité d'un hasard qui pourrait bien aller jusqu'au bout; et plein d'angoisser il attendit, avec une sorte de pressentiment qu'il avait soupçonné juste.
Les actes s'écoulèrent, sans rien lui apprendre. Ii ne la reconnut pas parmi les chanteuses, ni non plus parmi les choristes, fardées et peintes comme des poupées de bois. Inattentif, pour le reste, au spectacle, il était décidément résolu à partir après la scène des Nonnes, dont le décor de cimetière le ramenait à toutes ses pensées mortuaires. Mais tout à coup, au récitatif d'évocation, quand les Dallerines, figurant les Sœurs du cloître réveillées de la mort, processionnent en longue file, quand Helena s'anime sur son tombeau et, rejetant linceul et froc, ressuscite, Hugues éprouva une commotion, comme un homme sorti d'un rêve noir qui entre dans une salle de fête dont la lumière vacille aux balances trébuchantes de ses yeux.
Oui ! c'était elle ! Elle était danseuse. Mais il n'y songea même pas une minute. C'était vraiment la morte descendue de la pierre de son sépulcre, c'était sa morte qui maintenant souriait là-bas, s'avançait, tendait les bras.
Et plus ressemblante ainsi, ressemblante à en pleurer, avec ses yeux dont le bistre accentuait le crépuscule, avec ses cheveux apparents, d'un or unique comme l'autre...
Saisissante apparition, toute fugitive, sur laquelle bientôt le rideau tomba.
Hugues, la tête en feu, bouleversé et rayonnant, s'en retourna au long des quais, comme halluciné encore par la vision persistante qui ouvrait toujours devant lui, même dans la nuit noire, son cadre de lumière... Ainsi le docteur Faust, acharné après le miroir magique où la céleste image de femme se dévoile !

(Chapitre III.)

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3. Meyerbeer dans le livret

Paul Schott poursuit le parallèle entre la voix de la morte et de la vivante (affirmée par Rodenbach dès le début du chapitre IV), mais réutilise Meyerbeer à un autre moment : il fait danser Marietta (Jane Scott du roman) devant des amis saltimbanques une scène de Robert Le Diable improvisée. Il s'agit du grand solo dansé de l'abbesse damnée Hélène, qui a tant fait pour la réputation de l'ouvrage. C'est d'ailleurs une gravure représentant ce moment qui figure au frontispice de Carnets sur sol (on en a inversé l'orientation pour des raisons esthétiques).
Ce moment préfigure l'atteinte à la relique-cheveu : c'est déjà un sacrilège, car cette danse profane d'opéra, qui figure des damnées, est exécutée au son de l'orgue de la grande Procession. Paul Schott en fait au demeurant le moment de première rupture spectaculaire et très réussie théâtralement entre Hugues (devenu Paul) et Jane (devenue Marietta), là où le roman souligne surtout les absences suspectes de Jane comme motif de grief.
Ce sont plutôt les allers et retours d'affects assez répétitifs qui suivront qui seront un peu pesants sous prétexte de psychologie (pas très réussie).


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4. Meyerbeer dans la musique

Nous y voici.

Voici l'extrait complet de la danse de Marietta à l'acte II.


Carol Neblett (Marietta), Rene Kollo (Paul), Anton de Ridder (Victorin), Hermann Prey (Fritz) dans la version d'Erich Leindorf avec l'Orchestre de la Radio Bavaroise (studio RCA).


Suite de la notule.

David Le Marrec

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