Le disque du jour - XLV - Quintettes à cordes de Mendelssohn (Mendelssohn SQ / R. Mann / BIS)
Par DavidLeMarrec, mercredi 28 décembre 2011 à :: Domaine chambriste - Oeuvres - Le disque du jour - Quatuor à cordes - Musique romantique et postromantique :: #1886 :: rss

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1. Dans la semi-obscurité
Alors que les Trios avec piano, Quatuors à cordes (et Octuor !) de Mendelssohn sont (à très juste titre) abondamment joués et fêtés, les Quatuors avec piano et les Quintettes (à deux altos), quoique tout à fait présents au disque, sont rarement donnés en concert, et finalement peu présents dans les évocations des mélomanes.
La raison n'est pas la qualité des oeuvres ; je crois beaucoup plus à la question de la nomenclature : que faire d'un alto supplémentaire dans un concert ? Par ailleurs, le quatuor à cordes a autour de lui tout un imaginaire - et chez les compositeurs toute une tradition - qui fait que les amateurs du genre se tournent plus volontiers vers lui que vers les autres formes chambristes. Et il est vrai que d'un point de vue personnel aussi, j'observe cette tendance à privilégier le quatuor à comme une forme légitime - alors que la puissance de la tradition pousse certains compositeurs à se sous-exprimer dans le genre, tels rien de moins que Schumann, Brahms ou Tchaïkovsky !
Dans ce domaine, outre les sonates à deux (qui sont effectivement moins intéressantes) et les trios de concert avec cor de basset (de la musique galante d'une fadeur extrême, les oeuvres les moins intéressantes de tout Mendelssohn), le remarquable Sextuor (avec piano) est assez rarement donné, même au disque, pour des raisons évidentes d'effectif atypique. Les Quatuors avec piano et les Quintettes à cordes sont mieux lotis, mais généralement à ceux qui sont déjà familiers et amateurs de la musique de chambre de Mendelssohn.
Une version non professionnelle bien réussie de l'adagio e lento du Second Quintette, par le Hubert Quintet.
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2. Aspect des Quintettes à cordes
Au nombre de deux seulement, ils se répartissent aux extrêmes de la carrière du compositeur :
- 1826 pour le Premier Quintette Op.18, en la majeur (17 ans), avec une révision en 1832 - celle qui doit être jouée désormais, mais la mention n'en est même pas faite sur toutes les partitions, et encore moins sur les pochettes des disques, si bien que la version originale n'est peut-être plus même éditée ;
- 1845 pour le Second Quintette Op.87, en si bémol majeur (36 ans) - considérant qu'il meurt en 1847, une véritable oeuvre de maturité.
Dans les deux cas, Mendelssohn conserve le goût du chant, de la ligne mélodique confiée au premier violon, déjà manifesté dans l'Octuor Op.20 (écrit en 1825, mais publié après le Premier Quintette), un héritage de l'ère classique - modèle dominant chez Haydn et ses contemporains.
Le contrepoint est également à l'honneur, avec le fugato conclusif très riche de chaque quintette, ou le badinage fourmillant de détails de l'hallucinant scherzo du Premier.
Chose plus étonnante pour du Mendelssohn, les deux oeuvres manifestent un vrai goût de l'ostinato [1], d'une façon par moment assez beethovenienne - le motif rythmique prenant le pas sur le thème. C'est patent par exemple dans le mouvement lent (nommé intermezzo) du Premier Quintette, avec ses ponctuations répétées sur la même note, et de façon encore plus furieuse dans l'Adagio e lento du Second - à chaque fois un certain cousinage avec le Molto adagio de l'opus 59 n°2 de Beethoven.
Ces trois caractéristiques ne ne retrouvent pas forcément dans les quatuors, en tout cas de façon aussi affirmée. Et ces deux quintettes, malgré leur écart temporel, on bien des parentés d'aspect.
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3. Modernité
Quelques autres traits se trouvent dans ces quintettes et en font des objets singuliers.
Notes
[1] Ostinato : motif répété, qui structure le discours musical.
Premier Quintette :
Le scherzo est un cas particulièrement impressionnant de prise de pouvoir de l'ostinato. Celui-ci se subsitue tellement aux autres logiques musicales qu'il permet des contrastes émotifs impressionnants : toute la couleur harmonique change, et l'on passe du badinage joyeux à la tempête amère (et inversement) sans aucune préparation.
Des ruptures dans ce genre, je ne suis même pas sûr d'en avoir rencontré dans la musique antérieure à 1826. Peut-être dans Andromaque de Grétry en 1780 (transformation du "cri" du hautbois en musette pastorale) - et dans certains lieder de Schubert et Schumann, mais l'aspect strophique versatile de lieder comme Frühlingstraum prépare bien plus facilement ces contrastes...
Second Quintette
Ce quintette de maturité, paradoxalement, présente quelques traits communs avec le passé, ainsi le deuxième mouvement qui évoque la Canzonetta du Premier Quatuor à cordes. On peut même noter la persistance de l'abus de trémolo [1] (très efficace !), déjà présent dans l'Octuor Op.20.
Mais ce qui étonne, c'est avant tout le thème chromatique du fugato final, d'une rugosité comme parente avec la Grande Fugue qui parachève le Treizième Quatuor de Beethoven.
Vraiment deux oeuvres d'une grande richesse, et d'une audace pas très commune pour du Mendelssohn - même si son écriture n'est jamais paresseuse ou convenue.
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4. Interprétation
Pourquoi sélectionner cette version du Mendelssohn Quartet (avec Robert Mann à l'alto supplémentaire) ?
C'est simple. L'ensemble dispose d'un très beau grain, intense et doux à la fois. Et surtout, la prise de son fabuleuse donne l'impression d'être à l'intérieur du ventre du violoncelle, quelque chose d'assez proche des sensations physiques qu'on peut éprouver en concert dans une salle adéquate avec un bon quatuor.
Ce n'est pas forcément la version la plus précise, mais ces atouts la rendent éminemment sympathique.
On peut en écouter librement des extraits ici par exemple.
Joyeuse écoute !
Notes
[1] Trémolo : la note est jouée plusieurs fois à grande vitesse par l'archet, ce qui crée une sorte de "tapis ardent" sous l'instrument soliste.
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