Carnets sur sol

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vendredi 29 avril 2016

Super bonus


Lecteur qui passes par ici, sois justement récompensé de ta fidélité.

Un billet pour le concert de samedi à la Maison de la Radio est offert par CSS :
– Mozart, Concerto pour piano n°27 ;
– Haydn, Symphonie n°82, « L'Ours » ;
– Mendelssohn, Symphonie n°1 ;
Philippe Cassard, Orchestre Philharmonique de Radio-France, Roger Norrington.

Norrington est époustouflant dans Haydn – moins dans le reste du programme.

Contactez-moi pour récupérer le billet (électronique, pas besoin de se déplacer).

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Mise à jour : le billet a trouvé (plusieurs) preneurs.

samedi 23 avril 2016

CNSM – « Notre Falstaff »


Production du CNSM sous la houlette d'Emmanuelle Cordoliani, qui donne régulièrement, avec la direction-accompagnement du piano de Yann Molénat, de ces ateliers très complets qui mêlent le chant à la pratique scénique.

Pour Notre Falstaff, le principe (pas réellement explicité dans le programme) semble une fantaisie assez éloignée du sujet (les élèves ont-ils participé à son écriture ?), une petite communauté villageoise qui défile pour jouer le rôle-titre. J'avoue ne pas avoir très bien saisi l'histoire ni le sens de tout cela, qui débute par de longs moments parlés, costumes d'ambiance sixties, propos contemporains, noms empruntés à Shakespeare (mais distribués à plusieurs personnages, comme en familles), le tout avec des personnalités et relations qu'on a un peu de mal à saisir : trop de personnages qui ont trop peu de temps pour se camper, je suppose.

Musicalement, ce sont des numéros isolés, largement issus des Joyeuses Commères de Windsor d'Otto Nicolai. Ce sont essentiellement des jeunes chanteurs, manifestement en début de cursus : on sent les potentiels vocaux, mais pas encore affinés pour la plupart d'entre eux, à l'exception notable de Sahy Ratianarinaivo, ténor d'une rondeur maîtrisée sur toute la tessiture, même pas de durcissement, de blanchissement, de césure au niveau du passage, vraiment un artiste (pas inexpressif, d'ailleurs) pleinement rompu à son art et prêt à chanter en professionnel (beaucoup de ténors en activité auraient aimé avoir cette technique saine au départ !).

Il me semble que tous sont assez gênés par l'allemand, qu'ils maîtrisent mal et mâchonnent de façon à la fois inexacte et inintelligible. Je dirais bien, suivant ma marotte, qu'ils feraient mieux de commencer par le français, mais si l'on est au CNSM, c'est qu'on se destine potentiellement à la carrière, et l'on ne peut pas faire l'économie de l'allemand. Je suis d'autant plus admiratif, en fait : les grands élèves en sortent avec un très bon niveau linguistique, comme en témoignent les beaux Zemlinsky dont je fais état ci-après… 

mercredi 20 avril 2016

Biz & bicrave – avril-mai 2016


Quelques brassées de places à vendre ; comme elles sont peu chères et soigneusement choisies en début de saison, je me figure qu'elles peuvent intéresser quelques lecteurs concertivores.

Dois-je préciser que je ne fais aucun bénéfice sur ces ventes (bien au contraire, les frais de réservation sont pour ma pomme) : il s'agit d'une avance sur trésorerie en début de saison qui permet de pouvoir ensuite choisir ses concerts (les raretés des petites salles paraissent tardivement), d'où l'abondance de bons plans cédés en cours d'année.


Vous pouvez réserver ces places sur ZePass ou, si elles n'y figurent pas, me contacter en commentaires ou à l'adresse davidlemarrec chez online point fr.



Jeudi 21 avril, Philharmonie:
– Debussy, Prélude à l'après-midi d'un faune
– Chostakovitch, Concerto pour violoncelle n°2
– Sibelius, Symphonie n°5
Sol Gabetta, Philharmonique de Radio-France, Mikko Franck
=> Concert complet. Deux places : 20€ et 22,5€, vendues.

Samedi 23 avril, Maison de la Radio :
– Mozart, Concerto pour piano n°27
– Haydn, Symphonie n°49
– Schumann, Symphonie n°3
Adam Laloum, Orchestre Philharmonique de Radio-France, Sir Roger Norrington
=> Une place à 10€.

Samedi 30 avril, Maison de la Radio :
– Mozart, Concerto pour piano n°22
– Haydn, Symphonie n°82, « L'Ours »
– Mendelssohn, Symphonie n°1
Philippe Cassard, Orchestre Philharmonique de Radio-France, Sir Roger Norrington
=> Une place à 10€. (donnée)

Lundi 2 mai, Opéra Bastille :
Rigoletto de Verdi.
Peretyatko, Fabiano, Kelsey.
=> 3 places. 2 continguës à 15€ préemptées, 1 place isolée à 32€. (vendue)

Mercredi 11 mai, Philharmonie :
Matthias Goerne dans la grande scène du Hollandais, les Adieux de Wotan, la tirade de Marke.
=> Une place à 15€ (au parterre).
(Sous réserve de préemption.)

Jeudi 12 mai, Maison de la Radio :
– Bach, Suite pour orchestre n°3
– Mozart, Concerto pour piano n°26
– Beethoven, Symphonie n°2
Piemontesi, Philharmonique de Radio-France, Koopman
=> 1 place à 10€.

Mercredi 25 mai, Philharmonie :
– Bartók, Concerto pour violon n°2
– Chostakovitch, Symphonie n°6
Leonidas Kavakos, Orchestre de Paris, Paavo Järvi
=> Deux places à 10€ (vendue) et 15€, les deux au second balcon pair de face (mais non contiguës).

Samedi 28 mai, Philharmonie :
– Dvořák, Concerto pour violoncelle
– Berlioz, Symphonie fantastique
Gautier Capuçon, Capitole de Toulouse, Tugan Sokhiev.
=> Une place à 18,75€ (prix public d'origine : 25€).
(Sous réserve de préemption.)

Mercredi 25 mai, Opéra Bastille :
Mardi 31 mai, Opéra Bastille :
Der Rosenkavalier de Richard Strauss.
=> Respectivement 2 et 3 places à 15€ et à 35€ à vendre. Dépend de la date à laquelle je puis m'y rendre, donc confirmation plus tard, mais on peut faire la queue dès à présent.

samedi 16 avril 2016

Le Persée de 1770 : après les représentations


… et avant le disque (publication d'ici un an). Comme promis, voici un petit bilan de la partition après écoute, de la soirée aussi, avec quelques questions sur l'état du chant baroque français aujourd'hui – et même des propositions de solutions. The notula to read, en somme.

Pour ceux qui auraient manqué la première partie, elle se trouve ; j'y ai adjont, pour plus de commodité, cette seconde partie.



4. Après la représentation : état de la partition

Quelques compléments à l'issue du concert du Théâtre des Champs-Élysées.

Les coupures opérées par Joliveau accentuent le schématisme de l'action et des psychologies, dans un livret qui était déjà extrêmement cursif chez Quinault – ce sont encore Phinée (le rival) et Méduse qui ont le plus d'épaisseur, et le raccourcissement (mêlé d'interventions de circonstance et de galanteries pastorales ou virtuoses tout à fait stéréotypées pour 1770) ne font qu'accentuer ces manques. Ce n'est pas de côté-là qu'il faut chercher le grand frisson.

¶ Les LULLYstes ont pu constater avec effroi, pour ne pas dire avec colère, que le « Persée de Lully version 1770 » ne contenait finalement pas grand'chose de LULLY : les récitatifs (certes, c'est le plus important), quelques airs (arioso de Céphée, scène de Méduse) réorchestrés (plus de cordes, et beaucoup de doublures de vents pour épaissir la pâte, cors notamment), et telle ou telle portion (chœurs de l'acte IV-V, là encore renforcés orchestralement par l'ajout de fusées de violon). Mais, globalement, les parties instrumentales (même dans les accompagnements des parties originales, hors récitatifs) sont toutes neuves, et l'essentiel des airs et ensembles sont aussi remis au goût du jour. Il y surnage certes un peu de LULLY (l'acte III, qui contient les hits de Méduse et Mercure, a été assez peu touché contrairement aux autres), mais l'opéra sonne comme un opéra des années 1770 à 1800 (assez neuf pour 1770, même).
Le parallèle le plus honnête serait sans doute avec le Thésée de Gossec, qui en partage bien des recettes musicales (dont le spectaculaire traitement des chœurs de combat hors scène).
On voit bien le problème de vendre un spectacle « Persée de Dauvergne-F.Rebel-Bury avec des bouts de Lully réorchestrés », surtout avec notre réflexe de valoriser la singularité de l'auteur, mais mettre en avant le nom de LULLY était très trompeur, et avait d'autant plus de quoi désarçonner les auditeurs qui n'y auraient pas prêté garde… qu'il s'agit d'une esthétique d'un siècle postérieure !

L'effectif est déjà celui du Rameau tardif (Boréades) ou de la tragédie lyrique « réformée » d'après Gluck : adjonction de 2 clarinettes et de 2 cors à la nomenclature (2 traversos, 2 hautbois, 2 bassons). Le nombre de cordes sur scène est plutôt important (14 violons, 6 altos, 6 violoncelles, 2 contrebasses), mais c'était aussi, en réalité, le type de nombres présents du temps de LULLY (voire supérieurs) – même si on le joue désormais avec des proportions plus réduites (à ma grande satisfaction). Le contraste de ce point de vue relève donc de l'illusion d'optique.

¶ Le continuo est en train de disparaître : le clavecin accompagne bien sûr les récitatifs de la main de LULLY (avec un violoncelle), mais ne double pas tout le temps l'orchestre. Bien sûr, sa présence n'est jamais indiquée explicitement sur les portées, mais c'est bel et bien l'époque où il disparaît progressivement : il peut rester en fond (beaucoup d'ensembles spécialistes adoptent désormais, à l'exemple de Jacobs, le pianoforte à la place, pour raffermir le son d'orchestre), mais n'a plus du tout la même fonction d'assise, considérant les carrures beaucoup plus régulières (batteries de cordes fréquentes, c'est-à-dire le même rythme égal répété en accords). De fait, il devient facultatif, et chez Haydn ou Gossec, il n'est plus véritablement nécessaire – même s'il peut encore figurer, plus ou moins à la fantaisie du compositeur ou des interprètes, pour ce que j'en vois dans les disques (je n'ai pas creusé les contours exacts de l'historicité de cette pratique).

¶ Musicalement, le contraste est plus frappant à l'intérieur des actes (et pas seulement entre les parties originales et les parties récrites) qu'entre eux : le style disparate qu'exposent Dauvergne, F. Rebel et Bury est assez comparable d'un acte à l'autre.
Les danses, dont plus aucune n'est de LULLY, ont un aspect martial et tempêtueux assez étonnant, qui ne laissent quasiment pas de part à la galanterie ; un air de Persée et la grande tirade de Vénus tirent un peu plus sur la pastorale pour l'un, l'air galant pour l'autre (malgré son propos solennel, celui de célébrer les commanditaires !), mais globalement, on se situe plutôt du côté des plus mâles portions du Grétry de Céphale et Procris ou du Gossec du Triomphe de la République. Elles font au demeurant partie des plus réussies que j'aie entendues dans ce style – je crois bien que j'aime davantage ça que les belles danses un peu plus décoratives de LULLY (magnifiques, ne me faites pas dire autre chose).

¶ Au chapitre des étrangetés réussies, les parties autonomes et thématiques des violoncelles en certaines occasions (jusqu'ici, le baroque les réservait à l'assise de la ligne de basse, fût-elle vive et marquante) ; ou bien cet air vocalisant final chanté par Persée comme un héros ramiste… mais accompagné d'un tapis choral qui évoque plutôt les airs de basse des deux Passions de Bach…

¶ En fin de compte, l'aspect général ressemble à du Gossec (oui, vraiment proche de Thésée, mais avec des mélodies plus inspirées et un sens du drame plus exacerbé), où persistent les beaux frottements harmoniques de Rameau (le milieu du XVIIIe siècle étant plus audacieux harmoniquement, en France, que la période qui a suivi). Un très beau mélange, que j'ai trouvé pour ma part tout à fait enthousiasmant : plutôt qu'à un LULLY du rang, on a droit à une partition de premier plan de la « quatrième école » de tragédie en musique, qui combine, de mon point de vue, tous les avantages de la période : drame exacerbé (façon Danaïdes de Salieri), danses très franches et roboratives (façon Triomphe de la République de Gossec), éclats tempêtueux saisissants (façon Sémiramis de Catel), harmonie ramiste (façon Boréades, un langage qui n'est plus de mise dès Gluck), des ariettes virtuoses étourdissantes (là aussi, encore un peu ramistes, façon final de Pygmalion), mais sans les longueurs galantes (ni les fadeurs compassées dans les moments dramatiques) qui font souvent pâlir les opéras de cette période face à LULLY. Évidemment, la prosodie n'est pas du même niveau, mais ce demeure un opéra remarquablement réussi.

J'ai sans doute eu l'air un peu sérieux en décrivant ses écarts par rapport à l'original, mais le résultat, même en révérant LULLY, était particulièrement réjouissant, peut-être davantage même que l'original – car plus concis, moins prévisible aussi, considérant sa nature hétéroclite.



5. Après la représentation : quels moyens aujourd'hui pour jouer la tragédie en musique ?


Bien sûr, avant toute chose, il faut souligner combien l'offre, qui était à peu près nulle (en quantité comme en qualité) il y a 30 ans, est aujourd'hui généreuse, les nouveautés continuant à pleuvoir (même si ses anciens défricheurs émérites comme Herreweghe, Christie, Gardiner, Minkowski… sont partis enregistrer Brahms ou rejouer à l'infini leurs propres standards  – Niquet le fait aussi, mais en supplément et non exclusivement).
Chose particulièrement significative, les exhumations sont généralement adossées à des financements discographiques qui permettent de documenter le répertoire pour ceux qui n'habitent pas à côté de la salle de concert.

En matière d'interprétation aussi, on a beaucoup exploré, et les continuistes capables de réaliser des contrechants riches et adaptés à chaque caractère sont désormais légion. Néanmoins, je remarque quelques réserves récurrentes, qui étaient rares il y a 15 ans.

Bref, il y a tout lieu de se féliciter de la situation ; j'ai souvent écrit ici que nous vivons un âge d'or pour le lied, jamais aussi bien chanté (et notamment sous l'influence des recherches baroqueuses), de façon aussi précise et expressive (la comparaison avec les grands diseurs d'autrefois est même assez cruelle, tant leur rigidité éclate, quelle que soit la beauté de la voix ou la science rhétorique). On pourrait presque être tenté de dire la même chose pour le baroque… et pourtant, par rapport aux deux premières vagues de découvertes dans le répertoire français (de la fin des années 80 au début des années 2000), quelque chose manque.

Mercredi soir, donc, nous disposions d'un des meilleurs ensembles spécialistes et du meilleur du chant francophone pour servir l'œuvre.

¶ Le Concert Spirituel était particulièrement en forme : son empreinte sonore caractéristique, plus ronde que d'ordinaire chez les instruments d'époque, était aussi caractérisée ce soir-là par une homogénéité que je n'avais pas toujours noté en concert (de petits trous ou des inégalités ponctuelles dans le spectre sonore) ; le niveau semble avoir (encore) monté, et en plus de conserver ses qualités, il sonne avec autant d'assurance que dans ses meilleurs studios. La direction d'Hervé Niquet en tire chaleur et engagement constants, c'est formidable, et de ce point de vue, nul doute, instrumentalement ce répertoire n'a jamais été aussi bien servi qu'aujourd'hui.

Mathias Vidal est le plus grand chanteur francophone actuel chez les Messieurs (je suppose que chez les dames, l'honneur reviendrait à Anne-Catherine Gillet), et le confirme encore : le grain de la voix n'a pas la pureté des chanteurs les plus célébrés, mais c'est pour permettre une franchise des mots et une vérité prosodique extraordinaires (à l'inverse des voix parfaites qui s'obtiennent par un reculement des sons et un nivellement des voyelles), une éloquence, une urgence de tous les instants. Non seulement le texte est toujours très exactement articulé, mais il est aussi en permanence appuyé avec justesse, et pour couronner le tout ardemment incarné – trois qualités très rarement réunies, et à peu près jamais à ce degré, chez un même interprète. (Car il est possible d'avoir les bons appuis avec un texte peu clair ou des apertures fausses, ou en de disposer de tout cela sans en faire un usage expressif particulier, comme les grands anciens des années 50…)
Son principal défaut était finalement que la voix sonnait un brin étroite, limitée en volume. Ce n'est plus du tout le cas, et comme si la bride avait lâché, Vidal tourne le potentiomètre à volonté lorsque l'expression le requiert, dominant ses partenaires et l'orchestre. J'attends avec impatience son Parsifal dans la traduction française de Gunsbourg.


Le contraste avec le reste de la distribution est d'autant plus spectaculaire. Elle est loin d'être mauvaise, mais comment se peut-il que le français soit aussi peu intelligible chez des spécialistes francophones de format léger ?  Ce seraient des wagnériens hongrois, je ne dis pas, mais en l'occurrence…

Deux grandes catégories dans cette distribution :

¶ Ceux qui ont les atouts idéaux de leurs rôles mais ne sont manifestement pas sollicités par le chef sur la question de la déclamation.
Hélène Guilmette, favorise davantage la netteté légère de son timbre que l'ampleur, la rondeur et le moelleux (propre aux francophones américains) qu'elle peut manifester autre part, et se coule parfaitement dans le rôle. Mais les phrasés ne sont pas réellement déclamés, simplement joliment chantés, alors qu'elle est une grande mélodiste par ailleurs ; il n'aurait pas fallu lui en demander beaucoup pour qu'elle fasse quelque chose de plus éloquent d'Andromède !
Jean Teitgen (Céphée, le père d'Andromède) a déjà fait frémir de terreur les amateurs du genre, en Zoroastre de Pyrame et surtout en Amisodar de Bellérophon ; pourquoi, dans ce cas, se contente-t-il ici de chanter (de sa voix de basse d'une densité et d'une portée extraordinaires) tout legato, en belles lignes égales, quand il sait si bien mettre les mots en valeur dans d'autres circonstances ?  De vraies basses nobles françaises, il n'y a que Testé (dont l'émission est parente) et, dans un autre genre, Varnier et Courjal, qui soient de cette trempe, aussi bien vocale qu'interprétative… 
Tassis Christoyannis (Phinée, le rival), dont on dit toujours le plus grand bien ici pour son mordant, son intensité, sa voix impeccable et sa diction parfaite, que ce soit dans Salieri, Grétry, David, Verdi ou Gounod, est certes moins habitué au répertoire du XVIIe siècle (or il dispose essentiellement ici de récitatifs de LULLY), mais semble déchiffrer (quelques détails pas très propres) et chante lui aussi de façon très homogène et égale, sans exprimer grand'chose… Vraiment étonnant de sa part, comme s'il avait été laissé à l'abandon dans un style (à peine) différent.
Cyrille Dubois (Mercure) est le seul à être égal à lui-même, avec son étrange voix, étroite et grêle, mais d'un grain très particulier. Sa diction est fort bonne, mais là aussi, assez inférieure à ses propres standards – son Laboureur du Roi Arthus crissait des mots crus, tout à fait saisissant.

Eux semblent victimes d'un absence de soin porté à la diction (Christie le faisait, Rousset le fait, les autres attendent un peu qu'on fasse le travail pour eux), peut-être d'un nombre de répétitions réduit, d'une étude pas assez précise de leur partie…

¶ Les autres sont limités par des caractéristiques plus inhérentes à leur technique.
Chantal Santon-Jeffery, en Vénus, rôle élargi par Joliveau, confirme une évolution préoccupante ; je me rappelle avoir été très séduit lorsque je l'ai découverte (en salle, me semble-t-il), dans du baroque français sacré, où la voix était franche et la diction parfaitement acceptable (ce doit pourtant faire à peine plus de 5 ans). Désormais, est-ce l'interprétation occasionnelle de rôles plus larges (des parties écrasantes dans les Cantates du Prix de Rome, ou même Armida de Hadyn, partie plus vocal), ou, comme je le crains, plutôt le moment de sa vie où la voix change, mais les stridences ont augmenté, et surtout le centre de gravité de la voix a complètement reculé, avec une émission (légèrement dure mais très équilibrée) devenue flottante, quasiment hululante pour ce répertoire. En plus, l'effort articulatoire paraît très (inutilement) important (peut-être parce que la nature de la voix est un peu trop dramatique pour ce répertoire) pour des rôles à l'ambitus aussi réduit et à la tessiture aussi confortable.
Restent deux options : reprendre la technique en main, chercher la netteté et l'antériorité plutôt que de sauver à tout prix le timbre au détriment de tous les autres paramètres ; ou bien se tourner vers un autre répertoire, sa voix évoluant clairement vers davantage de largeur (mais j'ai bien conscience que lorsqu'on est chanteur, on ne choisit pas, et vu qu'elle a ses réseaux déjà constitués, pas sûr que ce puisse changer si facilement). En l'état en tout cas, impossible de sasisir un mot de ce qu'elle dit, ce qui est un peu incompatible avec ce répertoire.
Marie Lenormand (Cassiope), égale à elle-même : comme Michèle Losier (qui est plus phonogénique), son émission typiquement américaine (plus en arrière, beaucoup de fondu) nuit à son impact physique et à sa déclamation (mais dans le peu qui reste du rôle, elle demeure au-dessus de tout reproche, ce n'est pas inintelligible non plus).
Katherine Watson (Mérope), étrange choix pour une jalouse, même si la refonte de Joliveau gomme sa participation néfaste, file un mauvais coton : la voix devient de plus en plus minuscule et de moins en moins timbrée… il ne s'agit presque plus de chant d'opéra, dans la mesure où le timbre est « soufflé » et où la projection est quasiment celle de la voix parlée… J'en ai souvent dit du bien ici, parce que j'ai toujours cru que c'était – la faute des programmes qui ne les mettaient jamais dans l'ordre, j'ai vérifié – Rachel Redmond, que j'aime beaucoup en revanche (minuscule, mais le timbre est net et focalisé) ; ce doit être la première fois que j'entends l'une sans l'autre !  Même si je n'ai donc jamais été très enthousiaste, je trouve que dans un rôle aussi modeste, ne pas faire sortir la voix n'est pas un très bon signe – très facile à dire de mon siège, mais ajouté à l'absence à peu près généralisée de souci déclamatoire (chez elle aussi), cela finit par nuire collectivement à l'œuvre et au genre.
– Enfin Thomas Dolié (Sténone), grand sujet de perplexité : je l'avais beaucoup aimé lors de ses premiers grands engagements, au début des années 2000 (avant sa consécration aux Victoires de la Musique, bizarrement sans grand effet sur sa carrière, qui reste essentiellement confinée à des seconds rôles réguliers), et en particulier dans le lied, où l'assise grave du timbre et la sensibilité au texte produisait de très belles choses pour un aussi jeune chanteur, et pas d'origine germanophone. Son Jupiter dans Sémélé était très respectable également – même s'il s'agissait, comme d'habitude dans ce répertoire, d'un baryton et non d'une réelle basse comme on pourrait l'attendre ici.
Mais depuis un moment, la construction de la voix à partir du grave lui joue des tours : depuis le second balcon, il était littéralement inaudible dès que l'orchestre jouait, toute la voix restait collée dans une émission extrêmement basse (dans le sens du placement, pas de la justesse qui est irréprochable) ; depuis le parterre, et surtout lorsque sa partie s'élargit dans la seconde partie, on entendait beaucoup plus d'harmoniques (les harmoniques, justement, sont toutes redirigées vers le bas de la salle, c'est très étrange, sans doute à cause d'une impédance exagérée), et la conviction était perceptible – l'engagement de l'artiste finissait par donner vie au personnage et lever une partie des préventions. Néanmoins, qu'une articulation aussi lourde et opaque produise aussi peu de son explique sans doute, d'un point de vue pratique, la limitation de ses emplois : il n'est pas suffisament adapté stylistiquement à ce répertoire pour tenir des premiers rôles, et il n'aurait pas le volume suffisant pour tenir des rôles de baryton dans des opéras du XIXe siècle. Encore une fois, la construction de voix trop tôt couvertes, très en arrière, bâties à partir des graves et non des aigus, provoque des résultats bouchés et difficiles à manœuvrer. Ce peut donner l'illusion de l'ampleur dramatique au disque, mais c'est toujours frustrant, en salle, par rapport à une voix nasillarde qui sonnera infiniment plus ample (syndrome Mime, quasiment tous sont plus sonores que les Siegfried de nos jours…).
À titre personnel, quitte à avoir de petits volumes, je choisis des émissions libres et intelligibles, comme Igor Bouin (vraiment minuscule) ou Ronan Debois (pas si mal projeté au demeurant !) ; qu'on ait ce type de caractéristiques pour chanter les Russes ou Wagner, soit, mais dans de la tragédie en musique, il ne paraît pas logique que la voix paraisse aussi (inutilement) étrangère à l'émission parlée.

Il n'y avait donc pas de mauvais chanteurs, mais ils semblent avoir été peu (pas) préparés sur la question de la diction (voire, pour certains, avoir peu lu leur partie), et un certain nombre dispose de caractéristiques qui peuvent trouver leur juste expression ailleurs, pas vraiment adaptées à ce répertoire.

J'ai de l'admiration pour Marie Kalinine : elle incarne exactement le type d'émission que je n'aime pas (fondée d'abord sur un son très couvert et sombré, et pas sur la différenciation des voyelles ou sur la juste résonance efficace), et pourtant elle s'efforce, saison après saison, de se fondre dans les styles avec le plus de probité possible – peu de Santuzza peuvent se vanter de faire des LULLYstes potables, et inversement. Par ailleurs, son carnet en dessins, drôle et attachant, laisse percevoir une conscience très franche de son art et une absence radicale de prétention, ce qui ne fait que la rendre plus sympathique.
Je ne peux pas dire que sa Méduse m'ait séduit (déjà, quel dommage que Bury l'ait confié à une femme, alors que la voix de taille ou basse-taille campait immédiatement le caractère !), mais elle est avant tout desservie par le diapason, ce qui me permet (merci Marie Kalinine !) d'aborder une question que je me pose depuis longtemps et que j'ai pas vraiment eu l'occasion de développer jusqu'ici.

On entendait essentiellement Zachary Wilder (Euryale) dans les ensembles, difficile de mesurer l'étendue de ses talents : issu du Jardin des Voix, j'ai été jusqu'ici très impressionné par ses retransmissions, un beau ténor libre et lumineux (et au français parfait) comme l'école américaine en produit régulièrement depuis Aler et Kunde. En salle, la rondeur du timbre n'était pas équivalente et la projection limitée, mais on sentait bien que, dès que la partie s'élevait un peu dans l'aigu, toutes ses aptitudes revenaient (d'où sa meilleure adéquation dans les retransmissions de Rameau). Dans un Hérold, ça aurait sans doute fait beaucoup plus d'étincelles, la tessiture basse éteignant mécaniquement le timbre. Ce qui rejoint la même remarque que pour Marie Kalinine, donc.

J'ai le sentiment désagréable d'avoir paru assez négatif alors que j'ai finalement tout aimé (peut-être moins la grande tirade de Vénus, déjà pas la plus grande trouvaille de Dauverge, par Chantal Santon, vu que le texte était impossible à suivre et la voix pas adéquate non plus), de l'œuvre aussi bien que du résultat interprétatif – avec la petite frustration d'un manque de déclamation, mais avec des artistes de ce niveau (et quelques-uns qui jouaient vraiment le jeu), ce n'est pas une grande mortification non plus.
Je suppose que c'est le principe même d'entrer dans le détail qui met en valeur les petites réserves : souligner tout ce qu'on a (de belles voix qui chantent juste et avec implication) est tellement évident qu'on entre dans d'autres. Et puis il y a mes marottes (probablement plus fondées que pour Wagner) sur la mise en valeur du texte, que tous les contemporains décrivaient comme primant sur la musique dans les techniques de chant (les français ayant la réputation de hurleurs) ; dans l'absolu, c'est bien chanté tout de même. [Disons qu'à volume sonore tout aussi modeste, on pouvait avoir des couleurs vocales plus libres et séduisantes, un texte énoncé avec plus de naturel.]

Illustration : Mathias Vidal, grand-prêtre de la diction dans un petit couvent, tiré d'un cliché de Jef Rabillon.



6. État des lieux du chant baroque français


Pour le chant baroque dans l'opéra seria, un point a déjà été partiellement réalisé .

Cette soirée donne l'occasion de mentionner quelques évolutions.

Le niveau des orchestres (et en particulier des orchestres baroques, de pair aussi avec la spécialisation des facteurs, je suppose) a considérablement augmenté au fil du XXe siècle, et il est assez difficilement contestable que dans tous les répertoires, on entend aujourd'hui couramment des interprétations immaculées de ce qui était autrefois joué un peu plus à peu près, que ce soit en cohésion des pupitres, en précision des attaques, en célérité, en justesse.

La voix n'a pas les mêmes caractéristiques mécaniques et c'est sans doute pourquoi elle est beaucoup plus tributaire de l'air du temps, des professeurs disponibles, de la langue d'origine des chanteurs.

        Au début de l'ère du renouveau baroque français, de la moitié des années 80 à celle des années 90, le vivier était constitué essentiellement de spécialistes, formés pour cette spécialité par Rachel Yakar (pour la partie technique) et William Christie (de façon plus pratique), de pair avec une galaxie de professeurs qui officiaient pour ceux qui n'étaient pas au CNSMDP (ou à l'Opéra-Studio de Versailles), voire de « rabatteurs » (Jacqueline Bonnardot, quoique pas du tout spécialiste, envoyait certains talents à Christie, m'a-t-il semblé lire).
        Autrement dit, les gosiers qui chantaient cette musique étaient spécifiquement formés à cet effet (d'où la mauvaise réputation de « petites voix » qui a persisté assez couramment au moins jusqu'au début des années 2000), en privilégiant la clarté du timbre, le naturel de l'articulation verbale, l'aisance dans la partie basse de la tessiture, la souplesse des ornements, au détriment d'autres paramètres prioritaires dans l'opéra du « grand répertoire », à commencer par la puissance et les aigus. (Un certain nombre de ces voix très légères et claires peuvent rencontrer des difficultés dans les aigus, qu'elles ont pourtant, mais que leur technique d'émission, centrée sur une zone plus proche de la voix parlée, ne favorise pas.)

        La reconversion n'était pas chose facile : Jean-Paul Fouchécourt s'est limité à quelques rôles de caractère, Paul Agnew n'a guère excédé Mozart et Britten (il aurait pu, d'ailleurs), Agnès Mellon a fait une belle carrière de mélodiste après sa grande période lyrique, et l'on voit mal Monique Zanetti ou Sophie Daneman chanter un répertoire plus large. Ceux qui se sont adaptés l'ont fait soit assez tôt, au fil du développement de leur voix (Gens, Petibon, et aujourd'hui Yoncheva, dont la formation initiale n'était de toute façon pas baroque), soit au prix de changements assez radicaux, comme Gilles Ragon, qui a assez radicalement changé sa technique pour pouvoir chanter les grands ténors romantiques (avec un bonheur débattable).

        On disposait alors de réels spécialistes, pas forcément exportables vers d'autres répertoires (ne disposant pas nécessairement de la même qualité d'agilité que pour l'opéra seria italien), en dehors de Mozart éventuellement ; mais ils étaient rompus à toutes les caractéristiques de goût (agréments essentiellement, c'est-à-dire notes de goût ; les ornements plus amples, de type variations, n'étaient alors guère pratiqués par les pionniers) et de phonation spécifiques à ce répertoire.
        Christie était assisté, jusqu'à une date récente, d'une spécialiste de la déclamation française du Grand Siècle, qui participait à la formation permanente des chanteurs récurremment invités par les Arts Florissants. L'insistance sur l'articulation du vers, sur la mise en valeur de ses appuis et de ses consonances (ce qu'on pourrait appeler la « profondeur » de son pour les syllabes importantes) était une partie incontournable de son travail de chef, l'une des nouveautés et des forces de sa pratique, dont tout les autres ensembles ont tiré profit – une fois émancipés (ou lassés / fâchés), les anciens disciples allaient travailler chez les ensembles concurrents tandis que Christie formait de nouvelles générations, équilibre qui a pendant deux décennies élargi le spectre des productions où la qualité du français, que le chef y prête attention ou pas, était particulièrement exceptionnelle.

        Mais Christie était seul à produire cet effort de formation – depuis, le CMBV fait de belles choses avec ses chantres, mais plutôt orienté vers la formation de solistes ou de comprimari que de grands solistes, considérant les voix assez blanches qui en sortent souvent (mais ce n'est pas une généralité, témoin l'immense Dagmar Šašková, sans doute actuellement la meilleure chanteuse pour le baroque français). Et cet effort, pour des raisons que j'ignore, s'est interrompu : il a cessé, apparemment, de faire travailler spécifiquement la déclamation, et, lui qui était célèbre pour son tropisme vers les voix étroites et aigrelettes, s'est mis à recruter des voix moelleuses articulées plus en arrière, selon la mode d'aujourd'hui – qu'il chouchoute Reinoud van Mechelen était une perspective inconcevable il y a quinze ans !  [Mode qui a son sens au disque mais est, à mon avis, assez absurde du point de vue des résultats en salle – les voix sont moins intelligibles et ont très peu d'impact sonore, qu'elles soient grandes ou petites.]
        Emmanuelle de Negri, elle-même une voix beaucoup plus ronde que les anciennes amours de Christie, est à peu près la seule de sa génération à avoir repris le flambeau du verbe haut. Elle chante d'ailleurs fort peu d'autres répertoires, et sa Mélisande (tout petit rôle de l'Ariane de Dukas) paraissait un peu désemparée par rapport à un univers technique tout à fait différent du sien – précisément parce que toutes ses forces sont tournées vers l'excellence spécifique du répertoire baroque français.

        Aujourd'hui, par conséquent, plus personne n'informe et ne gourmande, au besoin, les chanteurs sur ce point. On trouve donc (comme dans ce Persée) les voix les plus adaptées à ce répertoire laissées sans direction, ce qui donne à voir de rageant gâchis : non pas que ce soit mauvais, mais ces chanteurs ont tous les moyens et savent faire, à condition d'être entraînés et incités à appliquer ces préceptes.
       À cela s'ajoute le fait que, victime de son succès, l'opéra baroque français accueille volontiers des chanteurs de formation traditionnelle. Certains en font leur seconde maison au hasard des réseaux de leurs années d'insertion professionnelle (Thomas Dolié par exemple, qui a étudié au CNIPAL, plutôt un réservoir de voix pour les grands rôles lyriques… et avec Yvonne Minton) et ont donc l'opportunité d'en acquérir les codes, d'autres le font occasionnellement pour ajouter d'autres répertoires conformes à leur voix (porte d'entrée en Europe pour Michèle Losier), d'autres enfin viennent comme invités-vedettes pour fournir un type de voix rare ou un prestige particulier à une production (Nicolas Testé en Roland, dont on sent les origines extra-baroques, mais qui se plie remarquablement à l'exercice).
        Le problème est que, dans bien des cas, la technique de départ n'est pas vraiment compatible avec le baroque : les voix très couvertes, où les voyelles sont très altérées, n'ont pas grand rapport avec le chant réclamé par ces partitions. Stéphane Degout et Florian Sempey s'en tirent très bien (alors que je ne les aime guère ailleurs), mais on peut s'interroger sur la logique d'employer des voix aussi extérieures au cahier des charges de la tragédie en musique.

J'ai déjà longuement ratiociné sur ces questions dans de précédentes notules, ce qui me mène à quelques interrogations nouvelles supplémentaires.



7. Quelques questions à se poser


D'abord, il ne faut pas désespérer : certains chanteurs qui n'ont pas suivi cette voie manifestent les qualités requises, à commencer par Mathias Vidal (CNSM de Paris) !  Par ailleurs, Christophe Rousset, en plus d'être un peu seul à se consacrer aussi méthodiquement à explorer le répertoire enseveli de la tragédie en musique, demande cet effort de mise en valeur des mots à ses chanteurs – il est un peu celui qui a imposé, par exemple, l'accent expressif ascendant sur les « ah ! », d'abord largement moqué et qui est devenu une norme par la suite chez les autres ensembles (en cours de disparition, puisque plus personne ne semble s'intéresser au texte des œuvres jouées). Son insistance, dans les séances de travail, sur l'expressivité, jusqu'à la demande de l'outrance, est centrale, et se ressent à l'écoute – alors même que sa direction musicale pouvait être, il y a dix ans, assez molle. Il suffit d'observer les mêmes chanteurs chez lui et chez les autres : avec lui, ils phrasent ; ailleurs, certains semblent moins s'occuper des mots.

En revanche, voilà un moment que je n'ai pas entendu Niquet, malgré toutes ses qualités de clairvoyance dans le choix des œuvres et de générosité dans leur mise en œuvre, donner des productions où le phrasé est mis en valeur…

D'où me viennent deux questions, contradictoires d'ailleurs :

        ¶ Alors qu'on s'échine à utiliser des instruments originaux, à les préserver ou à les reconstruire, qu'on va jusqu'à reprendre les diapasons exacts des différents lieux où l'on créa les œuvres, n'est-il pas étrange d'embaucher des chanteurs dont la technique est fondée sur les nécessités vocales de l'opéra italien du XIXe siècle ?  Comment est-il possible, pour ces gens qui s'interrogent sur le style exact d'un continuo de 1710 vs. 1720, sur le nombre de battements d'un tremblement pratiqué dans telle chapelle, de ne pas voir la terrible transgression d'engager des mezzos-sopranos verdiens et des barytons wagnériens pour chanter des œuvres où les interprètes utilisaient une technique tellement naturelle qu'on les décrivait comme criant ? 
        J'ai bien conscience qu'on ne peut pas gagner sa vie en chantant simplement dans les quelques productions de baroque français (essentiellement concentrées à Paris, Bruxelles et Versailles d'ailleurs, plus un peu à Toronto et Boston…), et que construire une voix exclusivement calibrée pour le lied (sans en avoir forcément la diction allemande) serait un suicide professionnel… Mais tout de même, n'y a-t-il pas une réflexion à avoir là-dessus ?

        ¶ Car les tessitures du baroque, et spécifiquement celles du baroque français, sont très basses. Les rôles de dessus chez LULLY culminent au sol, ce qui, joué au diapason d'origine (392 Hz), équivaut à peu près à un fa, soit trois tons plus bas que les mezzos-sopranos verdiens, voire plus bas que les grands rôles de contralto !  Or, on ne peut pas faire jouer la jeune première Andromède pépiant sur son rocher par l'équivalent de Maureen Forrester, n'est-ce pas. Et inversement, faire chanter une soprane aussi bas va l'empêcher de projeter ses sons, voire « éteindre » sa voix.
        C'est pourquoi la catégorisation en soprano / mezzo n'a pas grande pertinence dans ce répertoire, et qu'il s'agit avant tout d'une question de couleur – à l'opéra, dessus et bas-dessus ont d'ailleurs strictement la même tessiture avant Rameau !  Couleur qui ne peut jamais, considérant l'effectif raisonnable, l'accompagnement discret, l'aération des timbres des instruments naturels (pas de mur de fondu comme avec les instruments modernes) et la nécessité d'intelligibilité, être trop sombre, ni le grain trop épais.
       La couverture vocale (c'est-à-dire la modification des voyelles pour pouvoir émettre des aigus qui ne soient pas serrés et poussés) n'a de ce fait pas grand sens dans ce répertoire, en tout cas chez les femmes (chez les hommes, on peut couvrir en mixant chez les ténors, et certains aigus des basses demandent sans doute un peu de rondeur et de protection, procurées par la couverture vocale), pas à l'échelle massive où le chant lyrique l'utilise d'ordinaire (souvent trop ou mal, même pour du Verdi).
       Alors, si l'on ne peut pas changer du tout au tout l'enseignement du chant (la tradition adéquate existe-t-elle seulement encore ?  peut-on la retrouver aussi aisément que pour un instrument ?), ne serait-il pas judicieux, quitte à ne pas être authentique, de remonter le diapason d'un ou deux tons, pour permettre aux techniques d'opéra telles qu'elles sont de retrouver leur centre de gravité et leur brillant – étant calibrées pour s'élever avec confort loin de la zone de la parole…

Illustration : costume de Louis-René Boquet pour les représentations de 1770, une Éthiopienne (parfaitement).

Je livre cet état des lieux à votre sagacité, n'ayant pas de réponse sur la marche à suivre – et tout de même assez émerveillé d'entendre ces œuvres et ces ensembles spécialistes qu'on n'aurait jamais rêvé d'entendre, et certainement pas aussi bien, il y a seulement trente ans ! 

mercredi 6 avril 2016

Abandon


Les usual LULLYsts ne répondant pas au téléphone, j'offre une place pour le concert Christie à la Cité de la Musique ce soir. Le premier qui se manifeste gagne.

David Le Marrec

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