Carnets sur sol

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jeudi 16 juillet 2015

Culture héroïque – la musique et la patrie aujourd'hui en France


Ne dédaignant en rien la musique militaire (et surtout pas l'invraisemblable Marche marocaine de Berlioz, acmé des styles coloniaux au point de faire passer Ketèlbey pour un petit joueur), cette semaine était propice à l'exhumation de quelques questions, auxquelles je n'ai pas vraiment de réponse.

1. Bellini sur les Champs-Élysées

D'abord, je m'interroge. Voilà plusieurs fois que j'entends « Suoni la tromba » des Puritani de Bellini utilisé comme marche militaire, et je ne trouve nulle littérature qui explique comment s'est déroulé le transfert. Le thème n'étant pas très original, s'agit-il seulement d'une grosse coïncidence ?

Au défilé de ce mardi :

Et l'original (Ernest Blanc, Giuseppe Modesti, Royal Philharmonic et Vittorio Gui lors de représentations à Glyndebourne) :

J'ai eu beau compulser les ouvrages sur le Risorgimento musical en anglais, français ou italien, je n'ai rien trouvé de probant – c'est une cabalette-duetto héroïque et entraînante, qui a toujours eu beaucoup de succès, mais rien sur son imposition dans le répertoire d'harmonie, de fanfare ou des armées.

Si quelqu'un a des informations précises ou des hypothèses, je suis curieux – même si l'explication est sans doute très simple, un peu comme pour la Marche funèbre de la Deuxième Sonate de Chopin, rendue incontournable (dans d'horribles arrangements) par sa célébrité et son adéquation à certains types de cérémonie.

2. État de la Marseillaise

Année après année, les mêmes éléments continuent de m'étonner. Un nouveau s'y ajoute cette année.

¶ On ne joue plus guère que le premier couplet, dans les grandes occasions quelquefois le sixième (« Amour sacré de la patrie »). Que le jour de la fête nationale, on ne soit même pas capable d'exécuter l'hymne en entier, comment peut-on après reprocher aux citoyens de ne pas en connaître tous les couplets ? Pour le « Concert de Paris » le soir même, on n'a même joué que le premier couplet, en le répétant intégralement ! Certes, il y avait des solistes étrangers, mais était-il si insurmontable de jouer deux couplets différents ? C'était pareil l'an dernier.

J'admets bien volontiers que les autres couplets ont terriblement vieilli, et que leur hargne ne semble plus s'adresser à personne (alors que la « liberté chérie », ça se défend bien au plan allégorique – en tout cas infiniment plus aisément que la « horde d'esclaves » ou les « phalanges mercenaires », sans parler des roitelets de toute espèce…). Mais j'ai un peu l'impression d'une vague mauvaise conscience, un peu comme à l'église de Vatican II où l'on ne lit plus jamais l'Ancien Testament, sans jamais avouer qu'on n'est plus d'accord avec son contenu.

Pourquoi ne pas officialiser les seuls couplets restants, au lieu de rester comme terrifié face à un texte officiel mais impossible à dire, face à un hymne qui reste sacré (et même davantage qu'autrefois, avec les législations de la dernière décennie sur les outrages aux symboles patriotiques) mais qu'on a peur de jouer en entier (il faut dire que la musique, ça ennuie tout le monde, les gens pourraient commencer à bavarder…) ?

¶ Pendant ce temps, le Chant des Partisans est devenu le second hymne national – le Chant du Départ, lui, a presque complètement disparu.

¶ Sur le strict plan musical, le sixième couplet repris a cappella par Berlioz sonne à chaque fois très étrangement dans la version du Chœur de l'Armée Française : il manque la ligne du ténor solo, si bien que sur « Que nos ennemis expirants » on a l'impression (dureté métronomique des phrasés aidant) d'une sorte de modulation brutale – alors que c'est seulement qu'on n'entend soudain que les lignes intérieures de l'accompagnement, et que l'oreille a l'impression de ne pas être dans les valeurs de note attendues. Il n'aurait pas été très difficile de confier la ligne supérieure au pupitre des ténors…

L'original (Leech, Symphonique de Baltimore, Zinman) :

devient (Alagna, Chœur de l'Armée Française, pour une cérémonie franco-brésilienne en 2008) :

Cela dit, personnellement, j'aime bien cette rupture, dérangeante mais très expressive.

¶ Nouveauté cette année, j'ai été impressionné : les musiciens de l'armée française connaissent le rubato ! Pour preuve (Chœur de l'Armée Française, ce 14 juillet 2015) :

Le tempo est un tout petit peu extensible sur les mots importants au début de la section. C'est la premier fois que je les entends faire autre chose que filer droit. Changer de tempo, soit, ça arrive, mais la progressivité et surtout la possibilité de pousser un peu la mesure, c'est une sacrée nouveauté !

--

Et à tous les curieux, je recommande à nouveau la version de Kodály et, surtout, mon hymne patriotique chouchou, conçu pour illustrer une adaptation radiophonique des Mystères de Paris mais, la référence à l'anarchie près, parfaitement opérant pour des cérémonies si nécessaire. Merci au grand Damase !

vendredi 3 juillet 2015

Franz Schubert – Die Winterreise en version chorale a cappella (Chihara vs. Gottwald)


Idée très attirante – comment n'y a-t-on pas pensé avant ? On voit d'ici le résultat, des atmosphères extatiques façon Brahms, mais avec la qualité mélodique et figurative du dernier Schubert.


Pourtant, ce disque paru chez Exton en 2011 (Hiroshi Satoi y dirige les TARO Singers, captés au Tsuda Hall de Tokyo en 2010) ne fonctionne pas bien.

¶ D'abord à cause de la matière elle-même : le Winterreise reste écrit à base de mélodies sur des accompagnements, souvent des accords simples ou des lignes dénudées, avec beaucoup de répétitions thématiques… si bien qu'en matière d'écriture chorale, on risque, si l'on ne fait rien, la monodie accompagnée (« Gute Nacht », « Einsamkeit », « Die Post », « Die Krähe », « Der Leiermann »…) ou même des creux dans le spectre harmonique (« Die Wetterfahne », « Der greise Kopf », « Wasserflut »).


Les deux premiers lieder du Winterreise sur ce disque, assez représentatifs des obstacles rencontrés par le transcripteur.


¶ Le problème de ce disque est que l'arrangement réalisé par Hideki Chihara tombe dans tous ces travers à la fois :

  • il utilise des sections entières pour chanter les mélodies (par exemple le pupitre de ténor, soutenu par les accords des autres), solution trop proche de l'original qui déséquilibre le spectre choral et diminue l'intérêt (c'est la même chose que d'habitude, sauf qu'une vingtaine de chanteurs est forcément moins précisément articulée et expressive qu'un soliste…) ;
  • il n'épargne pas les grosses doublures pour combler les vides (on va ajouter à la note écrite, tenue par un pupitre entier, une note à la tierce jouée par un autre pupitre entier…), ce qui fait que la matière musicale demeure assez pauvre pour un chœur, même si chaque fois chante une note différente ;
  • même les lieder les plus évidents à utiliser en chœur, comme la superbe homophonie de Das Wirthaus, ne sont pas très convaincants – là encore, on a l'impression de vagues ajustements de l'original au lieu d'une réécriture en profondeur pour adapter les effets aux moyens du chœur ;
  • pour couronner le tout, il emploie des « tada » et des « doudoum » (oui, littéralement « tada » et « doudoum » !) pour remplir les parties musicales qui n'ont pas de texte dans l'original ; non seulement c'est un peu paresseux, mais c'est surtout en décalage assez violent avec le ton général des œuvres… « tadadoudoum » pour accompagner « Gute Nacht », comme si c'était une sérénade en scat, sérieusement ?



Deux lieder du ''Liederkreis'' opus 39 de Schumann (successivement « Waldesgespräch » et « Mondnacht ») interprétés par le Chœur de chambre de Stuttgart dirigé par Frieder Bernius, et parus chez Carus. Couplé avec des arrangements de mélodies de Debussy et Ravel, et des œuvres sacrées originales de Fasch et Daniel-Lesur.


¶ Pourtant, il n'était pas impossible de le réussir. L'immense Clytus Gottwald, dont j'ai déjà eu l'occasion de recommander chaleureusement la production (en lui consacrant un chapitre entier dans la sélection de musiques a cappella), a réussi des merveilles en traitant des lieder assez simples – Schumann s'y prête légèrement mieux vu l'indépendance et la mobilité harmonique de l'accompagnement, mais il reste beaucoup d'ajustement à opérer.
Et, de fait, Gottwald y redistribue la parole (en confiant le texte à tous les pupitres, comme dans un vrai chœur), travaille les dispositions de textures pour rendre l'effet initial, et complète souvent la composition d'origine. Dans Waldesgespräch, vous pouvez remarquer qu'il ajoute de petites imitations après certains moments importants de la mélodie, pour remplir un peu le spectre harmonique et contrapuntique. En général, il utilise les sopranos pour tenir la mélodie principale, ce qui lui permet de travailler les frottements harmoniques et les effets de texture dans les parties intermédiaires, de façon beaucoup plus commode – alors que Chihara, c'est très audible dans « Gute Nacht », conserve les ténors pour la mélodie et répartit ensuite l'harmonie de Schubert dans le désordre, ce qui crée un résultat un peu nouveau, mais pas forcément heureux (ce ressemble surtout, en réalité, à une réorganisation dans le désordre).

Il faut dire, à la décharge de Chihara, que les TARO Singers ne sont pas du niveau exceptionnel des chœurs germaniques (les chœurs de chambre de Stuttgart, par exemple), ni techniquement, ni linguistiquement (toutes ces voyelles allemandes à la fois inexactes et dépareillées entre les chanteurs !), qui ont gravé les arrangements de Gottwald. Dans ces conditions, l'arrangement ferait sans doute bien moins sentir ses faiblesses.

On espère donc toujours une bonne adaptation a cappella du Winterreise – il est assez probable que Gottwald ait écrit, voire édité ça (et une kyrielle d'autres gens, je n'en doute pas), même si on n'en dispose pas de version discographique. À moins que la tâche lui ait paru hasardeuse, pour toutes les raisons citées.

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Vous pouvez retrouver une proposition de liste de versions insolites du Winterreise, mais elle date d'une dizaine d'années, beaucoup de versions au caractère nouveau ou d'arrangements étranges ont paru depuis.

On rencontrera également une liste de chœurs a cappella non originaux, arrangés depuis des œuvres célèbres (notamment des lieder, notamment des Gottwald) dans la notule consacrée au sujet.

mercredi 1 juillet 2015

La musique de Méhul est-elle révolutionnaire ? (dans Uthal)


Rythme de publication très alenti ces derniers jours, en raison d'une densité accrue en occupations personnelles et professionnelles, qui empiète honteusement sur le travail des petites mains confectionnant patiemment Carnets sur sol jour après jour.

Devant l'avalanche de messages indignés à propos de cet inacceptable relâchement, précisons que cela devrait durer encore quelques jours… Peu nombreux sont ceux qui ont (à supposer qu'ils n'aient rien de mieux à trouver que zoner sur ce genre de site interlope) totalement épuisé les archives de toute façon.

On peut néanmoins patienter en lisant quelques petites nouveautés à propos d'Uthal de Méhul, la grande série du mois : après les sources et l'état du livret, la question musicale a été traitée ; il ne reste plus qu'à ajouter les nouveaux extraits ainsi qu'un mot sur l'interprétation du disque à venir dans les collections Bru Zane, vers la rentrée 2016.

[Tenez, à propos de l'existence d'un style révolutionnaire en musique, ce qui n'était pas mon propos ici, on peut consulter cette notule de l'année dernière.]

David Le Marrec

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