Carnets sur sol

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mardi 23 décembre 2008

Les néo- et les post-

Beaucoup de confusion existe dans la question de ce qui néo- et de ce qui ne l'est pas. Nous tentons d'y mettre un peu de clarté, comme nous nous efforçons de le faire à intervalle régulier sur CSS.


Saint Stephen Walbrook (de Wren), à Londres. Néo-romain ou néo-Renaissance ?


Carnets sur sol vous propose sa propre nomenclature (en musique, car le reste serait l'objet d'autres notules !).

D'abord, puisque les deux préfixes existent, nous tâchons d'en profiter pour mieux catégoriser les choses, et toujours nous différencions les néo- des post-.

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1. Définitions

C'est assez simple :

=> Les post- poursuivent un langage existant.
Soit ils peuvent le reproduire de façon servile (on peut considérer Scharwenka comme un post-romantique encore tout à fait romantique, qui écrit du Chopin au début du vingtième siècle), soit ils prolongent le langage existant, mais sans rompre avec la tradition (Rachmaninov, encore tout à fait romantique en 1943).

=> Les néo- recréent un langage.
Ou de façon fantasmatique (Stravinsky dans The Rake's Progress, un opéra écrit à la façon du XVIIIe mozartien), ou de façon très éloignée dans le temps (le Concerto pour piano de Sheila Silver est, dans les années 90, d'un goût chopinien teinté d'un peu de Debussy).

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2. Les types de néo-

Ensuite, les types de néo-. Nous en voyons trois formes principales, qui peuvent se mêler.

=> néo-imitation : on cherche à reproduire fidèlement une illusion, en laissant au besoin quelques indices.
Exemples : l'Adagio d'Alboni, composé par le musicologue italien Remo Giazotto en 1949 (et qui est d'ailleurs d'un baroque un peu romantisé, mais involontairement sans doute), Première Symphonie de Prokofiev (imitation plaisante de Haydn, mais l'orchestration, par exemple, n'est pas aussi exacte que Prokofiev aurait pu le faire s'il l'avait souhaité).

=> néo-hommage : on souhaite retirer le meilleur d'une production antérieure (souvent sa simplicité), on écrit quelque chose qui s'inpire librement de qualités anciennes (Le Tombeau de Couperin de Ravel).
Chez certains compositeurs, dont Stravinsky, le néo-hommage devient tout de bon une néo-invention, qui conçoit un langage nouveau à partir de la simplicité fantasmée des classiques, revendiqués comme source d'inspiration - et non d'imitation (Apollon Musagète, par exemple).

=> néo-persiflage : on amasse tout un tas de caractéristiques passées de modes qu'on relève pour en faire une composition amusante.
La catégorie inclut souvent le pastiche (Sonata da caccia d'Adès, l'opéra de l'acte III de Colombe...), car elle dépasse souvent la simple imitation pour singer plutôt un type.
Le néo-persiflage relève de l'humour en musique, que nous avons déjà nomenclaturé récemment.

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3. Vers une chronologie

Pour entrer un peu plus dans le détail (et les complexités, au cas par cas). On peut en profiter pour détailler un peu l'usage des différentes compositions possibles. (Nous soulignons les termes usuels et nous grassons les termes utiles.)

Suite de la notule.

jeudi 18 décembre 2008

L'humour en musique - I - Essai de nomenclature et premiers exemples

L'humour est, par essence, affaire de situations, de mots ou de références. La musique semble donc s'y prêter relativement peu, et il est vrai que ce n'est pas l'endroit où son expression (souvent abstraite) excelle le plus sûrement.

Toutefois, les compositeurs se sont prêtés au jeu, et si l'on dit que c'est rarement avec bonheur, c'est aussi parce qu'on n'a pas toujours cherché.




Il existe, à la disposition des compositeurs, un certain nombre de procédés qui peuvent prêter à sourire. En voici un essai de nomenclature.

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Catégorie a : Les mots

L'humour peut bien sûr être porté par le texte, dans la mise en musique d'une oeuvre littéraire (A1). Auquel cas la musique le seconde tout au plus (A2).


Catégorie A1 : Dans Cadmus & Hermione de Lully, les pointes excercées contre la vieille nourrice coquette, la quasi-stichomythie de la fin de la scène porte bien plus le comique que la musique qui soutient essentiellement le récitatif, sans effets spécifiques.



Catégorie A2 : Dans Eugène le mystérieux de Jean-Michel Damase, les traits humoristiques passent aussi par la répétition de la même structure : décalage des vocabulaires, protestations, rimes attendues... mais aussi, d'un point de vue musical, opposition entre expression calme d'un problème (en contraste avec les mots utilisés), contestation par deux ténors-conseillers (dans cet enregistrement, judicieusement un ténor de caractère et un ténor léger, incarnant à leurs voix seules un vieux précepteur et un jeune élégant), et résolution brutale par un mot tout aussi vulgaire que le premier dans une phrase musicale de courbe descendante, très désinvoltement affirmative - et commentée par un trombone bouché et moqueur, d'une façon à chaque fois différente. Le retour des mêmes moments musicaux typiques crée aussi du comique, même s'il n'existerait pas sans le texte.


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Catégorie b : Images de la vie réelle

A défaut de mots, la musique peut disposer d'un référent précis, illustrer de façon plaisante des éléments du réel (des trombones qui se tordent de rire, des violons qui miaulent...).


Catégorie B : Dans Schneewittchen de Heinz Holliger, d'après Robert Walser, le chant du Prince, qui débute la longue deuxième scène, est frappé de suspicion - comme l'ensemble des personnages du conte par rapport à leur statut traditionnel. Sa déclaration amoureuse s'égare en de nombreux méandres qui imitent de façon trop excessive pour être honnête le chant d'oiseau (qu'on retrouve sous d'autres formes à l'orchestre avec l'arrivée des bois). Il ne s'agit pas d'une coïncidence, le reste de l'oeuvre n'étant pas écrit ainsi - la grand ornementation sur Nachtigall ("rossignol") le confirme aussi. Aux questions de Blanche-Neige, sorte de volatile décérébré, le Prince répond certes Liebe, mais ridiculement ornementé, trop insistant.
Jusqu'à provoquer l'intervention de cuivres cassants qui semblent exprimer l'exaspération muette de Blanche-Neige.
Au passage, vous aurez noté la beauté fabuleuse de cet orchestre : il s'agit d'une oeuvre de premier ordre, l'un des plus beaux opéras de la seconde moitié du vingtième siècle, et dans un livret certes agencé en monologues (pas plus que Götterdämmerung, Pelléas, Salome ou Elektra ...), mais parfaitement digeste.



Catégorie B : Ocean of Time (2003) de Lars Ekström, heavyhardrocker pas nécessairement inspiré, mais qui a écrit par ailleurs de la musique savante sublime, dont cet opéra qui est, lui aussi, parmi les quelques sommets de la seconde moitié du vingtième siècle.
Ici, une section lyrique est interrompue par un trombone qui se contorsionne avant de s'effondrer de rire jusqu'à contaminer le choeur.
Inutile de chercher les références, nous ne disposons de l'enregistrement que parce que nous écoutions (totalement par hasard) la NRK , qui retransmettait ce concert du Berwald Hall de leurs voisins suédois avec un an de différé.


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Catégorie c : Les figures musicales

Il est possible que les figures musicales elles-mêmes, par leur excès, suscitent l'amusement, de façon quasiment abstraite (C1), sans qu'il existe de référence précise. Cela peut se manifester dans les moqueries à l'égard de la musique contemporaine, mais les compositeurs peuvent eux-mêmes jouer de cette étrangeté pour créer des effets étonnants.
Dans certains cas, l'excès est volontairement poussé jusqu'à l'ironie, par un surraffinement, une surcharge, etc. (C2)
Il se peut aussi que la figure amène tout simplement un effet surprenant, une rupture. (C3)


Catégorie C1 : La ballade des Enfants de la Nuit tirée des Diamants de la Couronne d'Auber, que nous avions déjà présentée plus en détail. Les figures massives (et gratuites !) du choeur ont quelque chose de plaisant, surtout opposées à la grâce souriante de la cantilène.



Catégorie C2 : Un des cas les plus évidents de figures musicales humoristiques est bien sûr l'ornementation excessive, gratuite, histrionique et dépourvue de sens. Ici, l'exultation amoureuse se pare de contours assez... excentriques.
Oeuvre d'une spécialiste de l'humour en musique, Isabelle Aboulker (ici interprétée par Patricia Petibon, autre délicieuse azimutée de service).



Catégorie C3 : La ''Polka des Paysans'' de Johann Strauss II impose aux musiciens de l'orchestre (en tout cas à ceux qui ne soufflent pas...) de chanter un thème en plus de le jouer. Ce détail, qui fait tout le sel d'une partition déjà assez roborative, survient de façon non préparée et, par son incongruité, impose le sourire.
On perçoit bien qu'il s'agit de non professionnels du chant, car bien que les Viennois (ici sous la direction de Carlos Kleiber) chantent parfaitement juste - ''noblesse oblige'' - on entend bien que les aigus se resserrent un peu. L'effet pittoresque en est tout à fait délicieux.


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Catégorie d : Les musiciens

Suite de la notule.

David Le Marrec

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