samedi 6 mai 2017
L'instrument du jour – Le triangle
Mal-aimé d'entre les mal-aimés, le triangle est devenu le parangon de l'instrument inutile, dérisoire, ridicule. Contrairement à tous ces arpèges absolument inutiles qui ravissent les amateurs de piano (j'ai testé pour vous, vous jouez n'importe quelle platitude en mode arpégé, tout le monde vous prend pour un virtuose, alors qu'improviser un enchaînement harmonique subtil n'impressionne personne), à ces fusées qu'on attend des violonistes, le triangle n'attire aucune compassion pour le boulot fourni : tout le monde peut faire ça. Presque du mépris.
Ou pis : il a fait toutes ces études pour cogner deux bouts de métal deux fois en quarante minutes, le pauvre. De la pitié pleine et entière. Car tout le monde peut faire ça.
Tout le monde ? Pas si sûr.
♣ Il y a d'abord le matériel.
♣♣ Le triangle (de la
famille du sistre, semble-t-il) apparaît dans l'orchestre symphonique
dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, comme instrument pittoresque emprunté aux fanfares de janissaires ottomans.
C'est pourquoi on le trouve notamment dans les turqueries : Ouverture
de L'Enlèvement au Sérail de
Mozart, marche du ténor au début des réjouissances vocales de la Neuvième Symphonie de Beethoven,
ou bien dans Les Ruines d'Athènes (marche
de janissaires, précisément…).
♣♣ Il ne produit pas de son fixe, et est considéré comme un instrument à hauteur indéterminée, mais en réalité, sur les triangles de haute qualité, il est possible, selon le point de frappe et son intensité, d'adapter sa tonalité à celle de l'orchestre. Vous mesurez que le niveau de maîtrise excède alors l'achat de bouts d'acier ou d'aluminum tordus en supermarché – ne serait-ce que pour la qualité du matériel requis, pouvant s'entendre à travers l'orchestre avec la couleur adéquate.
♣♣ Il ne produit pas de son fixe, et est considéré comme un instrument à hauteur indéterminée, mais en réalité, sur les triangles de haute qualité, il est possible, selon le point de frappe et son intensité, d'adapter sa tonalité à celle de l'orchestre. Vous mesurez que le niveau de maîtrise excède alors l'achat de bouts d'acier ou d'aluminum tordus en supermarché – ne serait-ce que pour la qualité du matériel requis, pouvant s'entendre à travers l'orchestre avec la couleur adéquate.
♣ Autant l'actionner seul ne requiert pas beaucoup d'adresse, autant pour le jouer en orchestre, le niveau musical requis est très loin d'être nul, ne serait-ce que pour opérer son entrée au bon moment – d'autant que le triangle ne joue qu'occasionnellement et soutient en général des accords particulièrement saillants, à la fois importants et exposés.
♣♣ De surcroît,
contrairement à beaucoup d'autres instruments jugés secondaires ou
discrets, il est immédiatement audible
et repéré par tous – et bien
connu comme il l'est, attire immédiatement tous les regards. Cet
entretien souligne bien le problème : ce n'est pas tant la maîtrise
technique de l'instrument que les
qualités solfégiques indispensables qui le rendent impropre à
être utilisé par les novices, comme le souligne ce percussionniste du
Symphonique de l'Utah dans cet entretien. Car il n'existe pas de littérature
pour triangle solo, il faut
nécessairement s'associer à un ensemble (et, bien sûr, toujours maîtriser d'autres percussions pour
être embauché) : pouvoir le faire sonner n'est donc absolument pas
suffisant.
♣♣ J'ajoute un autre paramètre plus subtil qui n'est pas mentionné dans ce court entretien : la propagation du son est différente selon les instruments (le grave est plus lent et plus diffus, ce qui conduit les contrebassistes à légèrement anticiper sur le temps, par exemple), et le côté aigrelet du triangle le rend très précisément localisé dans le temps et dans l'espace, si bien que tout minuscule décalage est immédiatement audible, même pour des mélomanes peu aguerris qui ne remarqueraient pas un faux-pas à la seconde clarinette, voire aux violons.
♣♣ J'ajoute un autre paramètre plus subtil qui n'est pas mentionné dans ce court entretien : la propagation du son est différente selon les instruments (le grave est plus lent et plus diffus, ce qui conduit les contrebassistes à légèrement anticiper sur le temps, par exemple), et le côté aigrelet du triangle le rend très précisément localisé dans le temps et dans l'espace, si bien que tout minuscule décalage est immédiatement audible, même pour des mélomanes peu aguerris qui ne remarqueraient pas un faux-pas à la seconde clarinette, voire aux violons.
♣ Enfin, et cela peut faire sourire, l'endurance n'est pas rien. Car en plus du jeu simple, il existe le « trémolo » / « roulement » qui fait rebondir la tige rapidement contre deux côtés du triangle… Idéalement, le nombre d'impacts doit être calculé comme pour les autres instruments, mais surtout, il faut tenir cette position précise avec une régularité de va-et-vient et d'intensité pendant un temps qui peut être, en certaines circonstances, particulièrement étendu…
♣♣ Ainsi, dans la Symphonie en mi de Hans Rott (dubitatif,
séduit,
enchanté),
le final utilise très largement le battement furieux du triangle, et
notamment sans discontinuer pendant
les dix dernières minutes. Ce n'est pas un rôle si futile, il procure
beaucoup de brillant et de tension à une orchestration
autrement assez brahmsienne, plus ronde et confortable malgré des
enchaînements harmoniques wagnériens et quelques tentations
brucknériennes.
♣♣ La partition indique son usage ad libitum, c'est-à-dire que toutes les versions discographiques ne l'utilisent pas, mais les deux meilleures, Rückwardt-Mainz et P.Järvi-Francfort, l'incluent. On l'entend particulièrement bien chez la première (c'est une dame), et voici le second intégralement, gratuitement et légalement disponible sur Deezer. Les variations finales commencent à partir de 8', et le triangle finit par ne plus s'interrompre.
Inutile de préciser qu'il faut alors une endurance et une sûreté
musculaires particulières, fût-ce sur un objet aussi petit et simple
d'usage. Au moins aussi physique que l'on vous demandait d'actionner à
intervalle identique le cliquet de votre bouilloire pendant une
demi-journée. Et, oui, puisque vous le demandez, c'est un geste
contraint qui contribue à l'art.♣♣ La partition indique son usage ad libitum, c'est-à-dire que toutes les versions discographiques ne l'utilisent pas, mais les deux meilleures, Rückwardt-Mainz et P.Järvi-Francfort, l'incluent. On l'entend particulièrement bien chez la première (c'est une dame), et voici le second intégralement, gratuitement et légalement disponible sur Deezer. Les variations finales commencent à partir de 8', et le triangle finit par ne plus s'interrompre.
J'espère que vous ne rirez plus jamais de cette honorable profession, ainsi que j'ai tenté (infructueusement) de l'accomplir dans cette très sérieuse notule.
(L'air de rien, l'article similaire sur la contrebasse prend beaucoup, beaucoup plus de temps à préparer.)
Manière de compléter, une notule au sérieux de pape dépressif sur la difficulté comparative des instruments – celle qui m'a valu le plus d'insultes, de très loin. Derrière la facétie, la réalité de ce que, comme pour le triangle, la difficulté ne tient pas seulement à la réalisation des sons, mais aussi à la nature du répertoire et aux diverses contraintes associées.
Un peu plus méthodiques (même si on pourrait encore les préciser quasiment à l'infini), les notules autour des familles du luth (à mettre à jour, d'ailleurs, avec de belles images et précisions de première main sur chitarrone et colachon…) et du clavecin.
À bientôt pour de nouvelles aventures !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Pédagogique a suscité :
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