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dimanche 22 janvier 2006

Omphale de Destouches (oeuvre inédite)


Notule rédigée le 22 janvier 2006 mais mise à jour le 21 mai 2011.

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Enregistrement et présentation du 21 mai 2011 :

Si j'exhume ce sujet aujourd'hui, c'est pour proposer un extrait de l'oeuvre en première mondiale, rien de moins :


L'occasion pour moi de revenir sur une présentation plus structurée de l'oeuvre.

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1. Contexte esthétique

Omphale (1701) est écrite dans le style galant à la mode depuis L'Europe Galant de Campra (1697) : la trame dramatique est le prétexte à d'innombrables ballets.

Le livret d'Antoine Houdar de La Motte fait de l'amour d'Hercule pour Omphale l'occasion de divertissements sans grand contenu dramatique (des fêtes pour plaire à la reine). Par ailleurs mollement versifié, si bien que les inégalités de mètres ne semblent plus dues, comme chez Quinault, à la volonté de varier les rythmes et d'éviter les ronronnements, mais à une sorte de contrainte maladroite pour retomber sur ses syllabes.

C'était ce qui plaisait alors au public post-lullyste (et toujours nostalgique), concomitamment avec des pièces beaucoup plus noires à partir de Médée de Charpentier (1693, année également de Didon de Desmarest, très lullyste mais peu optimiste), et surtout de Philomèle de La Coste et Roy (1705), qui étaient plus controversées, et néanmoins assez nombreuses sur les scènes. Voir par exemple les explications ici et .

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2. Oeuvre

Musicalement, la qualité des récitatifs de Destouches reste assez exceptionnelle, à la fois très respectueuse de la prosodie, comme le modèle Lully, et extrêmement élancée, avec beaucoup de "poussée" mélodique vers l'avant.

Les parties vocales et orchestrales (on n'en entend pas de significatives dans cet extrait) sont elles bien plus contrapuntiques, plus encore que dans la Callirhoé (1712) du même compositeur, avec des contrechants très chantants.

Et on repèrera quantité d'italianismes (au sens de l'époque), en particulier dans l'harmonie, très modulante. Typiquement, alors que nous sommes en ré majeur, la disparition de la sensible do dièse (remplacée par un do naturel qui change en un instant la tonalité en sol majeur), puis sa réapparition au sein du même phrasé, créant une instabilité harmonique assez troublante. Ecoutez par exemple les deux vers "Que ceux qui m'ont suivi se préparent aux jeux / Que je dois offrir à la Reine". On trouve exactement la même chose dans Hippodamie (1708) de Campra (versant "noir" des tragédies de l'époque).

Le livret est donc faible, mais la musique de grande qualité le rachète grandement partout où il est possible - mais elle ne peut pas non plus supprimer les inspirations malheureuses comme les répétitions plates du type "J'ai sauvé par la mort d'un monstre furieux / Tout ce que sa fureur était prête à détruire."

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3. Exécution

J'utilise ici une édition fin XIXe dont les réalisations sont assez bien faites. Et comme illustration, l'exemplaire copié par Philidor (André Danican) en 1704... et sans les chiffrages !

Au passage, on remarquera que le rôle d'Alcide - basse-taille, puisque le véritable amoureux, comme dans Roland de Lully, est haute-contre - se trouve écrit réellement haut pour sa tessiture, avec un certain nombre de fa dièse 4, ce qui est plutôt exceptionnel. C'est presque l'écriture d'un rôle de taille (ténor grave / baryton clair), ce qui n'est certainement pas la couleur d'Alcide prévue par le compositeur. D'ailleurs ses lignes mélodiques sont celles d'une basse de l'époque, clairement.

Précision habituelle à apporter : l'enregistrement que je propose est un document, pas un produit fini qui serait exempt de défaut. Je m'accompagne en même temps que je chante, sur un instrument de plus totalement inadéquat : aussi il s'agit plus de donner accès à l'aspect général et à l'esprit de l'oeuvre que d'en fournir une version complètement honnête et aboutie.

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4. Livret

ACTE I

Scène 1 : Iphis seul

IPHIS

[...]

[On entend un bruit de trompettes.]

D'Alcide on va chanter la nouvelle victoire,
Ce bruit de son triomphe est l'éclatant signal.

Tout retentit, tout parle de sa gloire,
Tandis que pour la Reine épris d'un feu fatal,
Je perds le soin de ma mémoire,
Lâche ! L'ai-je suivi pour l'imiter si mal ?

Scène 2 : Iphis, Alcide et sa suite

[Ritournelle avec trompettes. Entrée d'Alcide et de sa suite.]

ALCIDE
Les rebelles soumis gémissent dans les fers ;
Mais c'est assez des maux qu'ils ont soufferts,
Rassemblez-les pour voir briser leur chaîne.
Vous, allez ; que vos soins répondent à mes voeux.
Que ceux qui m'ont suivi se préparent aux jeux
Que je dois offrir à la Reine.

Scène 3 : Iphis, Alcide

ALCIDE
Que servent les honneurs qu'on rend à mes exploits ?
Malheureux ! tout mon coeur s'ouvre au trait qui le blesse,
Mille cruels transports m'agitent à la fois :
O barbare ennemie ! implacable déesse !
Junon, tu t'applaudis du trouble où tu me vois.

IPHIS
Au sein de la victoire
Votre coeur laisse encore échapper des soupirs :
Vous ne sauriez désirer plus de gloire ;
Quel autre bien fait naître vos desirs ?

ALCIDE
Apprends, cher Prince, apprends ma faiblesse secrète :
On vante mon triomphe, et je sens ma défaite.

IPHIS
Quoi, Seigneur ?

ALCIDE
J'ai servi la Reine de ces lieux ;
J'ai puni les mutins qui troublaient son Empire ;
J'ai sauvé par la mort d'un monstre furieux
Tout ce que sa fureur était prête à détruire.
Que servent à mon coeur ces exploits glorieux ?
Il se trouble, il languit, tu l'entends qui soupire ;
L'Amour a bien servi la colère des dieux.

IPHIS
Vous aimez ! Eh ! quelle est la beauté qui vous blesse ?

ALCIDE
La Reine...

IPHIS
O Ciel !

ALCIDE
La Reine a surpris ma tendresse.
Dès le premier moment que je vis ses attraits,
Je sentis que mon coeur les aimerait sans cesse ;
Je tâchai vainement d'en repousser les traits.

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Notule originale du 22 janvier 2006 :

Callirhoé sera bientôt enregistrée par Hervé Niquet, dans une distribution légèrement différente de Beaune : Stéphanie D'Oustrac en Callirhoé et João Fernandes en Corésus.

Mes mystérieuses sources m'annoncent aussi qu'outre Iphigénie en Tauride de Desmarest à Montpellier, Hervé Niquet montera un nouveau Destouches. La place pour les spéculations.

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Voici la liste des possibles, outre Callirhoé (1712, P.-Ch. Roy) :

  • Issé (1697, Antoine Houdar de La Motte). L'oeuvre qui a propulsé Destouches au premier plan, le roi déclarant qu'aucune musique ne lui avait procuré autant de plaisir depuis Lully. Reprises jusqu'en 1797 (!).
  • Amadis de Grèce (1699, Antoine Houdar de La Motte). Reprises jusqu'en 1745.
  • Marthésie, première reine des Amazones (1699, Antoine Houdar de La Motte). Quelques reprises jusqu'en 1726.
  • L'Education d'Hercule (1713, Pierre-Charles Roy).
  • Omphale (Antoine Houdar de La Motte). Reprises jusqu'en 1769. Succès resté mémorable.
  • Télémaque (1714, Simon-Joseph Pellegrin). Reprises jusqu'en 1730.
  • Sémiramis (1718, Pierre-Charles Roy). Son dernier opéra. Pas de reprises. Mais on n'était plus sous Louis XIV...


En éliminant les oeuvres sans reprises (puisqu'on recrée en partie dans le goût de l'époque...), puis Issé (une pastorale héroïque, je crains que ça ne plaise plus guère, le livret est devenu, je confirme, assez indigeste avec le temps), j'avais parié qu'il monterait Télémaque, le sujet était riche, les comparaisons possibles, l'affiche vendeuse.

J’espère que ce ne sera pas Omphale. Le livret de Houdar de La Motte est navrant.
Sinon, la musique est très belle, pas autant que pour Callirhoé – mais il y a tout particulièrement un Prologue de très haute volée, un des plus beaux de tout le répertoire pour ce que j’en connais (on pardonnera moins à H. Niquet, du coup). Il y a aussi les danses bougrement intéressantes, avec une chaconne particulièrement réussie au II.

Mettre en scène Hercule n’est pas à mon sens une bonne idée, surtout traité comme cela. Moi qui aime les basses-tailles assez fouillées, comme Corésus bien sûr, mais Pollux ou même Oronte font très bien l’affaire, je reste sur ma faim. Ca roule des mécaniques, y compris vocalement, avec un amant haute-contre qui nous fait le classique dépit amoureux (Iphis), et puis Omphale, une coquette à la Céphise (avec un aveu particulièrement impudique à Iphis), mais sérieuse et falote à souhait. Je ne sais pas, moi, on aurait pu jouer sur l’inconstance assumée d’Hercule, sur les tentations d’Omphale autour de la gloire ; rien que des thèmes connus et rebattus, mais au moins ç’aurait été mieux que le vide psychologique à peu près intersidéral de ce texte.

Les deux premiers actes sont dévolus à la réjouissance après la victoire d’Hercule, puis à la déclaration fracassante du même pour Omphale. Avec une redite fort maladroite du Prologue (où Junon annonce la malédiction amoureuse d'Alcide). Pour le coup, ça sent vraiment le théâtre conventionnel sans génie, du côté de Houdar de La Motte. On a droit à un nombre un peu assommant de symphonies trompettantes saupoudrées...
Heureusement, dès que les personnages entrent en scène, Destouches organise un contrechant extrêmement soigné à l’orchestre, et c’est alors un pur délice, même si le personnage d’Hercule requiert hélas une ligne un peu fruste.

Bref, la musique a beau en être magnifique, j’espère que ce ne sera pas Omphale qui sera monté, il y a sans doute mieux en magasin.

Constatant la platitude généralisée des oeuvres de Houdar de la Motte, je me dis qu'il faudrait monter ou ce Télémaque, ou, pour me faire plaisir, l'un des deux Roy. De préférence Sémiramis, parce que j'ai un peu soupé d'Hercule. Et comme dans Alceste de Quinault/Lully je ne le trouve pas passionnant non plus, je peux parfaitement m'en passer. Ces personnages trop solides ne nous parlent sans doute plus autant, de toute façon. Hervé Niquet tient des propos étranges sur les Prologues trop datés, qui ne nous disent plus rien, alors j'ose espérer qu'il jugera de la même façon Houdar de La Motte et Hercule.
P.-Ch. Roy power !

Si l'on fait en fonction du succès, après Issé et Callirhoé arrivent Omphale, puis Amadis de Grèce et enfin Télémaque. Aïe aïe.

Suite au prochain épisode (lamentations ou exultation), lorsque le titre élu sera de moi connu.

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Mise à jour, prolongements et réponses, cinq ans plus plus tard, le 21 mai 2011 :

Hervé Niquet avait en réalité prévu l'Iphigénie en Tauride de Desmarest complétée par Campra, remplacée au Festival de Montpellier par un... Don Giovanni (certes excellemment joué, mais tout de même... le choc était moindre).

Et côté Destouches, c'est Le Carnaval et la Folie qui avait été recréé avec l'Académie d'Ambronay. Malheureusement néanmoins, Hervé Niquet qui réussit si bien les oeuvres de cette période ne s'est pas révélé un préparateur aussi efficace que William Christie pour son Europe Galante. Les jeunes artistes y étaient bien plus empêtrés avec la vilaine prononciation restituée qui évoquait plus les grimaces des russes chantant le français ou les accents gras des bouges de campagne que la prosodie Grand Siècle - choix d'autant plus périlleux que ces chanteurs ne sont pas forcément, à ce stade, des spécialistes de la tragédie lyrique ni même du chant en français (beaucoup d'étrangers).

Malgré l'enthousiasme de la direction orchestrale, le ton de la comédie n'a pas réellement pris, et elle comporte également, de mon point de vue, moins de beautés que ce que l'on pouvait espérer (livret d'Houdar de La Motte encore, et musique certes brillamment écrite, mais peu dramatique).

Bref, le chef-d'oeuvre de Destouches reste, jusqu'à preuve du contraire et malgré les extraits disponibles des Éléments : l'invraisemblable Callirhoé.

David Le Marrec

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