lundi 28 juin 2010
Retour sur authenticité
On a déjà mainte fois abordé ces sujets sur CSS, que ce soit dans la rubrique consacrée au baroque français ou dans celle vouée aux papotages théoriques (certaines notules se situent d'ailleurs dans les deux catégories) ; c'est ici l'occasion d'opérer un petit bilan de quelques questionnements importants en forme de pistes de réflexion.
- L'authenticité est un leurre, parce qu'en plus de jouer avec les mêmes instruments dans les mêmes salles et les mêmes conditions d'écoute (donc avec des bavardages !), il faudrait aussi, pour entendre la même chose, qu'on écoute avec la même culture, ce qui est bien évidemment impossible à nous qui avons entendu Stravinsky et Schönberg. Car si l'on écoute la même oeuvre, même dans les mêmes conditions, on ne peut pas entendre la même chose en découvrant Don Giovanni si l'on n'a jamais entendu un frottement de neuvième ou si l'on ne dispose quasiment que des Da Ponte comme représentants de l'ère classique à l'Opéra... Le charme mozartien opère sur nous par ce qu'il a de naïf, mélancolique et un peu désuet, tandis qu'on imagine à peine le saisissement des spectateurs devant ces rythmes en quinconques dans les ensembles et ces modes inusités dans les gammes qui accompagnent l'avertissement du convive de pierre.
- Néanmoins, on ne peut pas dire que tout se vaut. Des choses qui sont établies : des effectifs, les réalisations des abréviations notées sur les partitions et des agréments [1], des phrasés (inégalité des notes égales à la française [2], par exemple), des effets expressifs... En jouant du baroque comme du Bruckner, on risque dénaturer cette musique - et cela peut être beau malgré tout... ou totalement abstrait et ennuyeux.
- C'est pourquoi il est nécessaire de s'interroger. Après cela, tous les interprètes honnêtes reconnaîtront, lorsque leur éditeur ne les surveille pas en vue de promotionner leurs disques, qu'ils font de l'interprétation d'aujourd'hui avec des outils d'hier qui ont surtout pour mérite de stimuler leur imagination.
- Et tout cela est fondamental en particulier pour le baroque, où la place laissée à l'interprète est véritablement celle d'un co-créateur qui écrit lui aussi de la musique ! Puisque la partition note en abrégé des choses à restituer, éventuellement à compléter, voire à improviser.
Il y aurait là, pour une prochaine fois, matière à questionnement sur l'essence d'une musique composée - se trouve-t-elle dans la partition ou dans le produit fini de l'interprétation ?
Notes
[1] Agréments : ce que l'on appelle aujourd'hui l'ornementation. Les Ornements désignaient alors le procédé de la diminution, c'est-à-dire de l'ajout de variations avec des valeurs rythmiques plus brèves, comme on le faisait par exemple pour les da capo des airs d'opéra seria. L'ornement écrit donc pleinement de la musique, tandis que l'agrément est une note de goût, une sorte d'épice.
[2] Inégalité des notes égales, à la française : Dans certains cas, les notes écrites à valeurs égales devaient être interprétées avec souplesse, une sorte de demi-pointé qui rendait le phrasé plus bondissant et inégalisait ce qui était écrit pourtant de la même façon. Une sorte de rubato - liberté dans la mesure - codifié.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Baroque français et tragédie lyrique - Discourir a suscité :
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