Nous arrivons au premier quart de l'année, l'occasion d'un petit point
sur les 25 nouveautés les plus marquantes de la période. Pour mémoire,
ma
première sélection (impossible de tout relever !)
figure là, puis vous trouverez un premier filtrage avec les disques que
j'ai
pu écouter (si jamais vous avez des questions sur
tel ou tel, je peux en parler), et ci-dessus voici donc ma
sélection 2024. Pas d'équilibre entre les
sections, j'ai simplement mis de côté au fil des semaines les disques
auxquels j'aurai vraiment besoin de revenir pour mon plaisir dans les
prochaines années.
(Pour mémoire, les
coups des cœur nouveautés du dernier trimestre 2023
restent disponibles.)
A. Opéra & scénique
¶ Jacquet
de La Guerre – Céphale & Procris
– A Nocte Temporis, Mechelen (Château de Versailles Spectacles).
Une tragédie en musique parmi les plus
réussies de l'ère post-LULLYste, très intense
dramatiquement (avec une fin vraiment sombre), et d'une grande richesse
musicale. Je n'ai pas encore écouté le disque, mais il a été enregistré
au moment des représentations auxquelles j'assistais, très
convaincants, orchestre particulièrement frémissant et coloré, et
solistes impressionnants (Cachet, Mauillon !).
¶ album : Haendel – « Finest arias for base voice,
vol. 1 » – Purves, Arcangelo, J. Cohen (Hyperion 2012)
Quelques disques n'ont paru en flux
que très tardivement, et
apparaissent donc comme nouveautés chez les distributeurs. Je n'ai pas
inclus celles de Château de Versailles Spectacles (dont j'ai déjà
sélectionné plusieurs
belles nouveautés), mais j'ai tout de même cité 5 disques dans ma
liste (dont 3 Hyperion) plus anciens que 2024, car ils n'étaient
jusqu'ici disponibles qu'en support physique et, pour les abonnés des
plates-formes de flux, constituent donc une nouvelle parution. Ou, pour deux d'entre eux, étaient
présents mais trop confidentiellement annoncés, je ne les ai vus
qu'avec retard et trouverais bien triste de ne pas en faire état pour
des raisons aussi médiocrement contingentes.
Voix exceptionnelle (aussi bien dans Haendel que dans Verdi !), dans
des airs particulièrement savoureux, des sommets de Haendel que j'ai
rarement entendus chantés avec autant de virtuosité, de chaleur et
d'éloquence ! Le volume 2, paru en 2018, m'a moins intéressé –
airs comme interprétation.
¶ Mlle
Duval – Les Génies – Il
Caravaggio, Delaforge (Château de Versailles Spectacles)
Dans l'esprit du Destin du Nouveau Siècle de Campra,
ballet allégorique où le compositeur montre tout son savoir-faire, cet
autre opéra-ballet, par l'énigmatique Mademoiselle Duval (dont on sait
fort peu de chose), joue de toutes les possibilités musicales offertes
par un format peu soumis à l'intrigue. Tout y est délicieux, dans un
goût galant qui n'est pas encore tout à fait du Rameau, conserve
l'armature hiératique et héroïque de l'écriture post-LULLYste,
et culmine dans ces coloratures furieuses de Zoroastre accompagné de
chœurs, en plusieurs occasions.
¶
album
:
« In the Shadows » – Spyres, Les Talens Lyriques, Rousset
(Erato-Warner)
Michael Spyres, non content de
parcourir le répertoire le plus élargi de sa génération – en tout cas
pour les rôles de ténor très exposés vocalement –, et de conserver sa
voix en éclatante santé (elle a énormément évolué, mais ne s'est pas du
tout abîmée), propose un nouveau récital ambitieux passionnant :
parcourir en quelques airs (très marquants), plutôt rares (et certains
même très rares, comme ceux d'Agnes von Hohenstaufen ou Hans Heiling),
la distance qui sépare la fin du XVIIIe siècle français jusqu'aux
débuts de Wagner.
Des airs héroïques, aux sujets bibliques, historiques, fantastiques,
des contes aussi… qui montrent l'étendue du répertoire du premier XIXe
siècle (italien, français, allemand), mais aussi les points communs
dans la pensée récitative et déclamatoire.
Les Talens Lyriques merveilleux d'articulation, de couleurs, ravivent
absolument ce répertoire comme ils l'ont fait pour La Vestale ou les
Tragédienne II & III avec Véronique Gens.
¶
Mendelssohn – Athalie – Das Neue Orchester,
Spering (Capriccio 2010)
Musique de scène déjà particulièrement
intéressante en soi, mais servie ici avec la vivacité de geste et de
coloris récurrente chez Spering, tout paraît immédiatement plus
dramatique, et la musique révèle des qualités insoupçonnées, du grand
Mendelssohn qui sommeillait avant qu'on lui rende ses couleurs !
¶
Borgstrøm – Fiskeren / Der Fischer – Opéra d'Oslo, Terje
Boye Hansen (Simax)
Publication d'une représentation qui a
une dizaine d'années, pour l'autre opéra du grand compositeur Hjalmar
Borgstrøm, dont le chef-d'œuvre Thora
på Rimol a souvent été évoqué dans ces pages. Der Fischer, un opéra de 1900
toujours dans un style assez parent du Vaisseau fantôme, perd un peu en
saveur en utilisant l'allemand (surtout qu'il est chanté ici avec un
très fort accent norvégien), mais conserve cette séduction mélodique,
cette nervosité du récitatif, cette fluidité entre scènes (que Wagner
devait lui-même à Meyerbeer) et cette tension qui ne se dément jamais.
Très belle œuvre, très bien chantée.
Attention cependant, Simax, pour une raison inexplicable, n'a pas
inclus le livret de l'opéra dans son coffret ! (Achetez donc en
priorité Thora qui dispose du
livret bokmål traduit – au moins en anglais et en allemand, de mémoire
je crois qu'il y avait aussi français.)
B. Musique sacrée
¶ LULLY
– Te Deum, Exaudiat te Dominus – Les Épopées, Fuget (Château de
Versailles Spectacles)
Quatrième volume du cycle consacré aux
grands motets de LULLY par Stéphane Fuget, commencé par
les motets funèbres, et qui culmine ici dans les motets de louange. Une
série qui permet de réentendre le corpus avec un instrumentarium, un
grain, des couleurs assez nouveaux ! La chaleur du résultat est
impressionnante – d'autant que les jeunes musiciens qu'il engage après
les avoir encadrés au CRR de Paris sont particulièrement aguerris et
investis.
Je ne tiens vraiment pas le Te Deum pour
le sommet de LULLY, mais force est d'admettre le
carctère jubilatoire du résultat dans ce disque !
¶
Desmarest – Te Deum de Lyon – Les Surprises,
Bestion de Camboulas (Alpha)
Première mondiale pour ce second Te Deum de Desmarest, animé, et
surtout bien pensé pour la déclamation et riche en couleurs harmoniques
(les deux points forts du compositeur). On disposait déjà d'un
magnifique Te Deum « de
Paris » enregistré par Le Concert Spirituel (Glossa), d'un caractère
assez différent – et surtout dans des options interprétatives
particulièrement distinctes. Couplé avec une belle version du Te Deum le plus célèbre de
Charpentier.
¶
Beethoven – Missa Solemnis – Le
Concert des Nations, Savall (Alia Vox)
Pour compléter l'intégrale, une Missa Solemnis dans le même goût :
mêmes couleurs très chaleureuses, et quasiment la même tension !
Pour un non spécialiste (et un chef d'orchestre occasionnel),
l'intelligence des choix de phrasé et des équilibres frappe. Délice que
j'ai réécouté à plusieurs reprises – alors même que j'ai dû écouter la
plupart des versions du commerce, où il existe beaucoup, beaucoup de
très belles propositions.
¶
Franck – Les Béatitudes – Chœur
National Hongrois, Philharmonique de Liège, Madaras (Fuga Libera)
Cet enregistrement constitue une petite
révélation, animant les tableaux naguère un peu hiértiques de cet
oratorio édifiant. On y entend une variété de situations et un drame
qui soutiennent l'attention de bout en bout.
¶
Briggs – Motets (album « Hail,
gladenning Light ») – Chœur du Trinity College de Cambridge, Stephen
Layton (Hyperion)
Briggs est un grand organiste,
titulaire à Gloucester, un arrangeur particulièrement inspiré (sa Cinquième Symphonie de Mahler
version orgue est d'une vérité assez stupéfiante), mais aussi un
compositeur de qualité, dans un langage typique des compositeurs
spécialistes des chœurs du Nord de l'Europe : fermement tonal, mais
osant de beaux accords enrichis, des frottements expressifs, des
progressions à la fois naturelles et sophistiquées. Ce disque en
témoigne avec vivacité ! (« Messe pour Notre-Dame », paru en 2010
chez le même label, faisait valoir les mêmes qualités.)
C. Musique chorale
profane
¶
Mendelssohn
– Chœurs masculins – SWR Vocalensemble Stuttgart, Bernius (Carus
2023)
L'incroyable intégrale du Mendelssohn
choral, entreprise sur plusieurs décennies par Carus avec Bernius, est
parachevée ici (il ne doit plus rester beaucoup de choses à graver ?)
par ces deux disques de « lieder » choraux profanes – incluant
notamment une chanson à boire mettant en scène Diogène ! Ensemble
spécialiste du chant a cappella,
particulièrement souple et expressif ici, dirigé par celui qui est
probablement le meilleur spécialiste de Mendelssohn de tous les temps.
D. Musique
symphonique
¶
Antoine
& Max Bohrer – Grande symphonie militaire – Eichhorn, Hülshoff,
Philharmonique de Jena (Iéna), Nicolás Pasquet (Naxos)
Première parution discographique des
frères Bohrer, et elle est particulièrement marquante ! Fils d'un
trompettiste (& contrebassiste !) de la Cour de Mannheim, nés à
Munich dans les années 1780 à deux années d'intervalles, ils sont
violoniste et violoncelliste. Leur langage évoque l'opéra comique du
temps, avec une grammaire qui reste marquée par le classicisme, mais
aussi une versatilité émotive un peu mélancolique, caractéristique du
premier romantisme – on pense à Rossini, Hérold et surtout, me
concernant, à Pierre Rode ! Ce n'est pas absurde, Rodolphe
Kreutzer fut le professeur de violon d'Antoine à Paris.
La symphonie (« militaire » surtout par
sa caisse claire liminaire et son ton décidé) est co-écrite par les
frères (bien que l'interaction des instruments reste très largement de
jouer en homorythmie à la tierce ou à la sixte !), tandis que chacun a
écrit le concerto pour son instrument fourni en couplage (très beaux,
mais moins prégnants à mon sens).
Sur instruments modernes, mais le
Philharmonique d'Iéna a déjà enregistré avec les mêmes Eichhorn et
Pasquet les concertos de Pierre Rode avec beaucoup de présence, le
résultat est très probant ! Quant à Eichhorn, toujours aussi
exceptionnellement sûr, généreux et éloquent, je le trouve vraiment
extraordinaire.
¶
Stanford – Verdun – Ulster Orchestra, Shelley
(Hyperion 2019)
Je n'ai en réalité pas été passionné
également par tout le disque (qui documente cependant un Stanford moins
lisse que la majorité de son corpus), mais particulièrement frappé par Verdun, une orchestration de sa
Sonate pour orgue n°2. La façon dont la Marseillaise est sans cesse
retravaillée et sourd çà et là, sans fanfariser, m'a beaucoup séduit –
un sens épique plein de dignité, qui ne cède rien au clinquant.
¶
Sibelius – Symphonie n°4 –
Symphonique de Göteborg, Rouvali (Alpha)
Absolument saisi par le grain,
l'animation sonore, la tension sourde et continue dans cette symphonie
que j'ai souvent entendue étale et morne. Ici, malgré ses longs
développements lents, l'œuvre déborde de vie et relâche jamais son
emprise. Séduit-saisi.
¶
Adam Pounds – Symphonie n°3 –
Sinfonia of London, John Wilson (Chandos)
John Wilson poursuit son incroyable
série d'explorations, dans des couleurs variées et des prises de son
très flatteuses. (Les volumes Bennett sont à connaître absolument.)
Cette Symphonie n°3 vaut
surtout pour son mouvement lent, une « Élégie » en hommage à Anton
Bruckner, et qui, dans son langage propre de britannique du XXe siècle
(la symphonie date de 2001 mais le style est plutôt celui de la
première moitié du XXe), réussit très bien à retrouver le sens de
l'instant long, de la plénitude et du contraste qui font le prix des
adagios du modèle autrichien.
Le reste des couplages me passionne moins : beau Divertimento de Lennox Berkeley et
Le Tombeau de Couperin de
Ravel.
E. Musique de
chambre
¶
Donizetti
– Quatuors 15,17,18 – Quartetto Delfico (Brilliant Classics
2023)
Donizetti, le maître des ritournelles
plates, le paresseux de l'harmonie, l'ignare de l'orchestration… était
en réalité un compositeur très doté. Ses meilleurs opéras en témoignent
(L'Elisir d'amore pour la
versatilité sonore, Maria Padilla
pour le sens du geste dramatique, mais aussi Il Diluvio universale…), tandis que
ses quatuors attestent d'une réelle technicité de l'écriture, qui ne
sacrifie pas à la mélodie facile et ne néglige ni la progression du
discours, ni le contrepoint.
Ceux présents sur ce disque, parmi les meilleurs, notamment les 17
& 18 (j'aime beaucoup aussi les 4,5,8 et 14)
¶
Melcer-Szczawiński, Różycki,
Stolpe, Górecki – Trios piano-cordes – Apeiron Trio (DUX 2023)
(
notule d'origine)
Lourdement handicapé auprès de la postérité par un patronyme composé
peu exportable, Melcer-Szczawiński (1869-1928) est quelquefois (et
notamment pour ce disque) nommé plus simplement Melcer (à prononcer «
Mèltsèr »). Pourtant, il dispose d'atouts proprement musicaux
exceptionnels.
Formé aux mathématiques et à la musique à Varsovie puis à Vienne, il
devient concertiste, comme pianiste accompagnateur et soliste, tout en
remportant pour ses compositions le premier prix lors de la deuxième
édition du Concours Anton Rubinstein (1895).
Je suis avant tout frappé par la générosité de ses inventions
mélodiques. Ce Trio, que je n'entendais pas pour la première fois,
développe quelque chose dans le goût la phrase slave infinie, comme une
chanson d'opéra inspirée du folklore, mais dont la mélodie s'étendrait
sur un mouvement entier. L'évidence, l'élan, mais aussi la cohérence
thématique sont immédiatement persuasifs, et le rendent accessible à
tous les amateurs de romantisme tardif, même sans connaissance des
normes en matière de structure – sans lesquelles il est plus difficile
d'apprécier d'autres figures comme Brahms, mettons. J'ai vraiment pensé
très fortement au Premier Trio et au Second Quatuor d'Anton Arenski.
Je ne
dois la trouvaille de ce disque du Trio Apeiron qu'à mon exploration
systématique du catalogue de certains éditeurs, comme CPO ou, en
l'occurrence, DUX, parmi les labels les plus stimulants en termes de
découverte de répertoire (de qualité). Nouveauté relative, puisqu'elle
date déjà de janvier 2023, mais ne me blâmez pas si l'on ne met pas en
tête de gondole les merveilles les plus essentielles – d'autant qu'à
part la version chez Arte Préalable en 2020, je n'ai pas vu, à ce jour,
d'autre disque intégral pour ce trio, que j'ai simplement connu par son
Andante dans la collection « Moniuszko Competition » chez le même
éditeur DUX.
Le reste du disque n'est pas beaucoup moins intéressant, incluant une
Rhapsodie en trio de Ludomir
Różycki (autre figure polonaise capitale, davantage tournée vers la
modernité, quelque part entre Melcer et Szymanowski), une très lyrique
Romance en duo (violon-violoncelle)
d'Antoni Stolpe, et
6 Bagatelles
de Mikołaj Górecki (le fils de Henryk) pleines de simplicité.
Un petit tour d'horizon d'œuvres polonaises remarquables, qui
élargissent le répertoire du trio, dans une exécution à la fois
maîtrisée et intense.
¶
Coleridge-Taylor – Quintettes avec
clarinette & avec piano – Nash Ensemble (Hyperion 2007)
Hors pièces éparses, j'ai découvert
Coleridge-Taylor tout récemment, avec ses chœurs
a cappella par le chœur du King's
College,
publiés en fin d'année dernière chez Delphian. Et
ma découverte me ravit de corpus en corpus, à commencer par la musique
de chambre – ses
Danses africaines
pour violon et piano sont très singulières, ni très romantiques, ni
très folklorisantes, dans une invention assez libre et véritablement
ailleurs.
Parmi ces découvertes, le Quintette pour clarinette et cordes est en
bonne place ; il en existe de multiples versions au disque et sa
chaleur, la simplicité de son expression mêlée à une belle construction
formelle m'ont tout à fait ravi. Interprétation par ailleurs très belle
par le Nash Ensemble, désormais sur les sites de flux grâce à la
nouvelle politique d'Hyperion.
¶
Jeanne Leleu – Quatuor
piano-cordes, cycle Michel-Ange, etc. – A. Pascal, Hennino, H. Luzzati,
Oneto-Bensaïd (La Boîte à Pépites)
Compositrice encore moins documentée,
s'il est possible, que les précédentes publications du label (Sohy,
Strohl). Le Quatuor piano-cordes manifeste une véritable immédiateté
des motifs dans un langage qui reste dans un esprit français marqué par
Debussy, élégant, épuré, recherché, mais jamais élusif. Beaucoup de
séduction à tous les étages ici, et des interprètes particulièrement
chaleureux.
(Les mélodies sont intéressantes mais la diction opaque et le timbre
peu varié de Marie-Laure Garnier ne permettent pas d'en prendre toute
la mesure ; il est à espérer que ces œuvres puissent vivre désormais,
dans des interprétations variées répondant à tous les goûts !)
F. Mélodies
¶ album
« Contes mystiques » : mélodies de Paladilhe, Malibran, Viardot,
Holmès, Massenet, Fauré, Lecocq, Widor, Dubois, Diet, Lenepveu, Bonis,
Saint-Saëns, Ropartz, Hahn, Poulenc, Maréchal – Enguerrand de Hys, Paul
Beynet (Rocamadour)
Un récital parmi les plus intelligents
qu'on puisse trouver : parmi toute une époque de la musique française,
une collection de prières ou de scènes édifiantes, servies par une
collection de grands compositeurs. Le résultat est, forcément, un peu
homogène, mais offre un camaïeu de sentiments mystiques qui ressemble à
un acte de recherche, illustrant la sensibilité de chacune de ces
figures tutélaires.
(Et évidemment chanté au cordeau.)
¶
Beydts – D'Ombre et de soleil, Six Ballades
françaises, Le Cœur inutile, Quatre Odelettes, Cinq Humoresques,
Chansons pour les oiseaux… – Cyrille Dubois, Tristan Raës (Aparté)
Bonheur d'entendre D'Ombre et de soleil, déchiffré
avec plaisir (et étonnement, Beydts étant surtout connu comme
compositeur d'opérettes, certes raffinées…) il y a plus de dix ans,
renaître ainsi. Et tout le corpus se révèle à la hauteur : ce sont des
mélodies très travaillées musicalement, sans mettre le texte au second
plan ni se contenter de support à des poèmes ou de jolies mélodies… de
véritables œuvres d'art total, finement calibrées, dans un langage qui
doit à Fauré mais qui semble aussi regarder vers Schmitt.
Et la bonne surprise est que Cyrille Dubois, que je trouve d'ordinaire
très opératique dans le lied (tout est chanté à pleine voix, sans
beaucoup de variété de textures et de coloris, comme son intégrale
Fauré qui m'a très peu touché), parvient ici à une intimité et une
tendresse tout à fait adéquate, tout en conservant son verbe clair et
sa voix insolente. Grand disque de mélodie !
G. Piano solo
¶
Mendelssohn
– Intégrale du piano solo – Howard Shelley (Hyperion)
Même si le piano n'est pas le médium où
Mendelssohn a le plus fort exprimé sa puissance créatrice, cette somme
est l'occasion d'en découvrir d'innombrables facettes (129 pistes, 5h30
de musique !) dans les meilleurs conditions possibles grâce à
l'élégance et l'aisance de Howard Shelley, tête de pont du label
Hyperion, admiré à juste titre pour la vastitude de son répertoire et
la justesse de ses interprétations.
J'ai pu entendre probablement pour la
première fois quelques pièces remarquables qui étaient passées sous mon
radar (Reiterlied, certains
Préludes…), réévaluer jusqu'à certaines Romances sans paroles, et dans des
interprétations qui ne réclament pas d'aller ensuite voir ailleurs
! Proposition salutaire.
¶
Schmidt (arr. Kolly) – Chaconne
(arr.), Toccata, Romance, Prélude de Choral, Variations & Fugue sur
un thème original (arr.) – Karl-Andreas Kolly (Capriccio)
Un rare album de Franz Schmidt pour
piano solo, avec en particulier deux pièces orchestrales arrangées par
le pianiste. Profiter avec de la Chaconne
en ut dièse mineur avec ce luxe de détail, c'est un rare
bonheur, se plonger dans les méandres de cette musique sans être
tributaire des équilibres d'orchestration, d'interprétation, de prise
de son !
H.
Arrangements
¶ album
« Venice » : arrangements de
Monteverdi, Strozzi, Dowland, Sartorio, Bach, Vivaldi, Fauré, Britten,
Rota, Kurtág, Silvestrov, Eno, Escaich, Kobekin, Shaw… – Anastasia
Kobekina, Kammerorchester Basel (Sony)
J'avais déjà beaucoup aimé le disque
concept français de Kobekina, « Ellipses » – mais en deux ans, elle est
passée de Mirare à Sony ! Ici à nouveau, indépendamment même des
qualités exceptionnelles de l'interprète, le programme se révèle
particulièrement riche et surprenant, quantité de transcriptions
d'œuvres vocales au milieu de quelques concertos et de pas mal de nos
contemporains de toutes obédiences, avec beaucoup de variété et de
goût.
¶
Chopin
(via Sabina Meck, Piot Moss, Leszek
Kołodziejski) – « Chopin Project » – Polish Cello Quartet (NFM)
Petite merveille inattendue : des arrangements de Chopin pour quatuor
de violoncelles. Ce serait,
a priori,
une très mauvaise idée – ajouter les pleurnicheries du violoncelle,
dans une zone très concentrée du spectre, aux interprétations déjà
dégoulinantes de Chopin…
C'est tout l'inverse qui se produit. (
notule d'origine)
1) Le choix des pièces est
particulièrement intelligent : il inclut évidemment des tubes (Préludes
n°4 et n°15, Nocturne opus posthume en ut dièse mineur, Nocturne Op.9
n°2, Valse op.18, Valse-Minute, Valse Op.64 n°2…), mais aussi des
œuvres beaucoup moins courues comme le Nocturne en sol dièse mineur (le
n°12) et trois Mazurkas – pas les plus célèbres d'ailleurs, mais toutes
parmi les plus belles à mon sens. L'occasion de se faire plaisir de
façons très différentes, qui ménage à la fois le plaisir de la
transformation de la chose connue et des (semi-)redécouvertes.
2) L'arrangement ne sonne pas du tout
comme les horribles ensembles de violoncelles (plus larges, il est
vrai, octuor souvent) qui s'entassent sur la même zone du spectre… on
croirait entendre un véritable quatuor à cordes, d'autant que les
interprètes ont une technique et un son merveilleux – l'impression
d'entendre une contrebasse dans le grave, un alto dans le médium, un
violon dans l'aigu… Si bien que le résultat est particulièrement
équilibré et homogène. Les siècles d'expérience dans l'écriture pour
quatuor à cordes ont clairement été mises à profit, et nous jouissons
d'un festival de contrechants et pizz bien pensés. Les arrangeurs
(Sabina Meck, Piot Moss, Leszek Kołodziejski) ont fourni des
reformulations très abouties des œuvres originales.
3) Les interprètes sont formidables, on
se repaît des couleurs sombres et chaleureuses, des touches de lumière,
de la précision immaculée.
4) Surtout, ce disque procure une rare
occasion de réentendre Chopin comme compositeur et non comme
compositeur-pianiste. Non pas que personne ait jamais pu considérer que
Chopin n'était qu'un pianiste, mais l'œuvre qu'il laisse est tellement
liée au piano qu'on s'est habitué à entendre des tics pianistiques, des
traits (écrits, bien sûr), et que l'instrument ou les modes
pianistiques font quelquefois écran à la musique telle qu'elle est
écrite. On peut alors, grâce à cette nouvelle proposition, s'abstraire
des contingences pour en goûter la substance pure, réinvestie dans
d'autres truchements – qui ont aussi leurs contraintes propres,
évidemment. Et je dois dire qu'entendre Chopin sans les aspects
percussifs du piano, un Chopin caressant, un Chopin plus harmonique (et
polyphonique !) que jamais… m'a absolument ravi. Car il est sans
conteste, aux côtés de Berlioz (pour l'orchestration) et de Meyerbeer
(pour la pensée formelle) le musicien le plus novateur des années 1830
; personne n'est aussi avancé que lui sur les questions harmoniques. Le
libérer du seul piano lui rend d'autant mieux justice.
¶
Bruckner (arr. Hermann Behn) –
Symphonie n°7, version pour deux pianos – Julius Zeman, Shun Oi (Ars
Produktion)
Absolument enchanté de cette
proposition, où les pianos scintillent. Tandis que l'Adagio fonctionne
très bien au piano seul (c'est même une œuvre officielle du piano de
Bruckner), les mouvements vifs, et en particulier le premier,
permettent d'atteindre une qualité vibratoire toute particulière qui
rend bien justice à l'œuvre – d'autant plus aidés par les très beaux
timbres de ces deux solistes.
Je n'ai pas,
par ailleurs, de fétiche particulier de la nouveauté – écouter par
thématique est plus stimulant ! – mais cette veille me permet de ne pas
laisser passer des enregistrements que j'attendais depuis des temps
immémoriaux (
Fiskeren, je
l'espère depuis 2004 !) ou, plus encore, des compositeurs dont je ne
connais même pas le nom. Avec le système de recherche tel qu'il existe
sur le web, autant on peut trouver presque tout ce que l'on cherche,
autant il est impossible d'accéder à ce dont l'on n'a pas idée de
l'existence ! Il n'existe pas de moteur de recherche répondant à
« chouettes compositeurs du XVIIe siècle que je ne connais pas ». Il
faudrait aller chercher dans des listes puis entrer les noms un à un
dans les sites de flux, ce qui serait particulièrement fastidieux – et
supposerait que les bases de données concordent, ce qui n'est pas
toujours le cas (on exhume parfois des compositeurs sur lesquels il n'y
a quasiment pas de documentation aisément accessible).
Je ferai sans doute à un moment le bilan sur mes découvertes
discographiques personnelles de ces derniers mois, hors actualité. En
attendant, je continue la recension sur les
playlists de mon
compte Spotify, que vous pouvez librement
consulter (et sans doute écouter par fragments ?) avec ou sans
abonnement. Vous y trouverez quantité de
playlists thématiques attachées à
des notules, à des podcasts ou à des genres musicaux, mais aussi la
compilation de mes
dernières écoutes et de mes
derniers coups de cœur (hors nouveautés, donc), et
même, lorsque je les remets sur la platine, quelques-uns de mes
disques doudous.
Commentaires
1. Le dimanche 24 mars 2024 à , par Francis
2. Le dimanche 24 mars 2024 à , par DavidLeMarrec
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