Ce n'est pas pour rien que je posais la question le mois dernier… Pris dans la préparation d'autres
notules plus substantielles, je me trouve au 30 avril sans même avoir
fini de rédiger le bilan du mois écoulé…
Je tâcherai de publier un programme / récapitulatif plus complet,
devant le nombre de réactions qui me suggéraient vivement de ne pas
abandonner.
Mais pour l'heure, en urgence, voici quelques dates que je vous
sélectionne pour mai. Je commence par le plus important, toute
subjectivité bue.
► Début de la série des muthes arrangés par Ritsos à l'Athénée à partir du 3 mai.
On débute très fort avec Ismène sur une
musique original du maître de la musique monophonématique, Georges Aperghis ! Phèdre
la semaine suivante, puis Ajax. (Autres
musiques.)
► Saison faste des récitals de fin d'année du CNSM, où il y aura
quantité de pépites à glaner : chefs de chant de
la classe d'Erika Guiomar le 4, improvisation (Zygel) le 5, duo
Perbost-Ambroselli dans Schubert-Wolf-Fauré-Debussy à Soubise le 6,
ensembles vocaux le 9, classe de lied
& mélodie de Jeff Cohen les 10 et 11 (programmes différents,
toujours un grand moment de découverte de très haut vol – Camarinha et
Dreisig y ont donné des récitals mémorables), le Trio Sōradans le Trio de Chausson (où elles
sont miraculeuses !) et celui
de Ravel au Musée Henner le 11 (également à Villercerf le 27, avec le
n°2 de Kagel en prime), classe
d'accompagnement vocal d'Anne Le Bozec (autre temps fort) avec
Wagner, Rheinberger, Brahms,Bizet, d'Indy, Duparc, Fauré, Massenet… le
19, salle Turenne aux Invalides et le 20 au CNSM.
► Ce qui plaît
aux hommes, court opéra comique de Léo Delibes, est donné pour une
seule date, le 17 mai, au Théâtre Trévise par les Frivolités
Parisiennes – je peux garantir la qualité musicale, au niveau des plus
grands (mais mieux qu'eux lorsqu'ils abordent ce répertoire).
Vocalement et scéniquement, c'est en général excellentissime aussi –
des artistes dont on n'entend pas parler beaucoup sur les grands
circuits, mais qui sont souvent meilleurs, je dois dire…
► Mélodies très rares le 18
mai au Petit-Palais : Nadia Boulanger, Caplet, Saint-Saëns, Séverac,
Chausson, Franck, Greif (et Debussy et Ravel, quand même) par le
baryton Romain Dayez. En revanche, c'est à 12h30, il faut travailler au
bon endroit et avoir une longue pause au bon moment…
(Ces concerts du midi, très prisés, restent un mystère pour moi… c'est
parce que c'est plus commode à organiser que le soir, ou il y a
vraiment des gens qui peuvent y aller ? La seule fois où j'ai pu
le faire, cela dit, c'était assez plein… et uniquement de retraités,
évidemment.)
► Médée de Charpentier en version scénique
par les spécialistes de Toronto, à l'Opéra Royal de Versailles, à
partir du 19.
► Venue de l'Orchestre de laBBC du Pays de Galles avec James Ehnes en prime (probablement
le meilleur violoniste actuel, techniquement, et le style n'est pas en
reste…). Une formation qui ne vient jamais en Fance. Le 19 mai, dans la
nouvelle Seine Musicale de l'Île Seguin, pour la Cinquième de Sibelius
et le Premier Concerto de Chostakovitch, dirigée par Søndergård.
Et aussi :
● Le 4, programme Debussy / Ravel / Satie / Schönberg / Cage au centre
Pompidou, gratuit (sous réserve d'une entrée au musée, peut-être, à
vérifier).
● Le 4, Maîtrise de Radio-France dans Schubert et Schumann.
● Le 4, programme le plus hétéroclite de l'année : Véronique Gens dans
des extraits des Illuminations
de Britten, un air d'Iphigénie en
Tauride de Gluck, un arrangement de Vers la Flamme de Scriabine pour
ensemble, la symphonie Casa del
Diavolo de Boccherini, les variations Tallis de Vaughan Williams
et Ramifications de Ligeti !
Que de très belles choses, au demeurant.
● Le 12, programme Cage-Beethoven au Louvre.
● Le 13, l'Octuor à cordes de Bruch (et Florence de Tchaïkovski) à la
Maison de la Radio, par des membres de l'ONF.
● Le 13 à Soubise, les Épigraphes
Antiques de Debussy pour quintette à vent et le Quatuor
Américain (arrangé) de Dvořák.
● Le 13 au Châteaud d'Écouen, Tafelmusik
de Telemann dans un cadre approprié.
● Le 14 au 38 Riv', viole de gambe : Abel, Demachu, Marais, Bach, Cage,
Rossé !
● Le 15 au Théâtre Grévin, airs de Moulinié, Eyck, Caccini et Dowland
par Les Ambassadeurs.
● Le 16 aux Invalides, le Requiem de Saint-Saëns, Ouverture Patrie de
Bizet, Schicksalslied et Triumphlied de Brahms par l'« Orchestre
Symphonique de Paris ». Pas la meilleure musique de leurs auteurs, mais
avec ses contraintes thématiques, les Invalides font vraiment de beaux
programmes syncrétiques très originaux.
● Le 17 à Soubise le midi, Forqueray, Dornel, Duphly, Rameau, Couperin,
par les élèves spécialistes du Conservatoire du VIIe arrondissement.
Gratuit.
● Le 20, L'Ange Scellé de
Chtchédrine et la Liturgie de saint
Jean Chrysosthome de Rachmaninov, deux rares corpus liturgiques
russes à la Seine Musicale par Accentus. (C'est un Chtchédrine assez
fade, hélas, mais ce peut être intéressant en vrai. J'hésite, il y a Le
Bozec au CNSM et Aladdin de
Nielsen à la Philharmonie par le Capitole… sans parler du concert sur
instruments anciens des Siècles avec du Lalo, du Saint-Saëns, du Dukas,
ni du concert iranien aux Abbesses !).
● Le 27, Figure humaine de
Poulenc et Sainte Cécile de
Britten par le Chœur de Radio-France à la Maison de la Radio. Le chœur
s'est enfin assoupli (beaucoup plus de registre mixte, d'allègements,
depuis que Sofi Jeannin en a repris la direction), il faudra peut-être
que je lui redonne l'occasion d'essayer de me convaincre dans ce
répertoire – où je l'ai soigneusement fui depuis des années, après
plusieurs expériences assez peu probantes mainte fois relatées dans ces
pages.
● Le 30, grands motets de Lalande à la Chapelle Royale de Versailles
(ses plus célèbres et pas forcément ses meilleurs).
● Le 30, Lura dans des ballades du Cap-Vert.
● Le 31, programme viennois au TCE par des solistes (issus du
Philharmonique de Vienne ?) : Rückert-Lieder de Mahler, Métamorphoses de Strauss,
Frühe-Lieder de Berg, Quintette de Mozart, lieder de Schubert.
● Le 31, encore Lalande à la Chapelle Royale, Dumestre avec Šašková,
Negri, Auvity, Clayton et Morsch !
Voici une petite moisson pour l'instant ! Il y a d'autres bonnes
choses dans les grandes salles, mais vous les avez forcément remarquées
(on ne cause que de Fleur de neige
ces temps-ci).
Si vous aussi, vous souhaitez profiter de l'effet de souffle que
produit immanquablement une mention dans la short-list de Carnets sur sol, vous pouvez
m'envoyer vos virements bancaires en me contactant par la colonne de
gauche. (Photocopies de cartes Visa et Mastercard acceptées.)
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Saison 2016-2017 a suscité :
Comme chaque jour d'élection, c'est le moment de faire résonner les échos de la propagande adéquate.
L'AIDE DE CAMP, LE MAIRE, LE GÉNÉRAL
Soleil, qui parcourant la route accoutumée,
Donnes, ravis le jour, et règles les saisons,
Qui versant des torrents de lumière enflammée,
Mûris nos fertiles moissons ;
Feu pur, œil éternel, âme et ressort du monde,
Puisses-tu des Français admirer la splendeur !
Puisses-tu ne rien voir dans ta course féconde
Qui soit égal à leur grandeur !
Nous tenons même une solution contre le terrorisme :
THOMAS
Une loi bienfaisante, et qu'on vous montrera,
Donne cent francs de rente à qui désertera.
Si vous aimez la danse, venez, accourez tous,
Boire du vin de France, et danser avec nous.
(Peut-être pas totalement calibrée pour le terrorisme islamiste, certes.)
LE CHŒUR
Liberté, dans ce beau jour,
Viens remplir notre âme,
Répands sur nous tes bienfaits ;
Que ta voix nous enflamme,
Chéris toujours les Français
Et rends-leur la Paix à jamais.
[...]
Premier bien des mortels,
Ô Liberté chérie,
Liberté, que notre Patrie
Reconnaisse à jamais tes lois,
Viens embellir la fête,
Descends des Cieux,
Que les Palmes couvrent ta tête,
Reine des Peuples et des Rois.
Et quoi qu'il en soit, écoutez la sagesse des Anciens, allez voter.
VIEILLARDS
Ayez toujours le même zèle,
Courez, courez, revenez triomphants
Et n'écoutez pas des enfants
Quand la Liberté vous appelle.
LES JEUNES GENS
Vieillards, recevez nos serments :
Nous mourrons, s'il le faut,
Digne de vous et d'Elle.
(Mais a priori les services de voirie auront retiré les mines antipersonnels avant que vous n'y alliez, on n'en demande pas tant.)
Merci à Joseph-Marie Chénier pour la rédaction des tracts. Et à François-Joseph Gossec pour la musique d'ambiance.
--
[Promesses non contractuelles après vingt heures ce jour.]
Comme c'est joué à Paris ce week-end et toute la semaine prochaine (et
je crois qu'une souscription a été réussie pour étendre la tournée), je
voudrais simplement glisser un témoignage à mon sens intéressant, même
pour ceux qui n'y vont pas.
J'ai en vu la première hier, et The
Lighthouse de Peter Maxwell Davies a été l'une de mes expérience
d'opéra les plus intenses. Pourtant, en écoutant le disque (se trouve
chez Naxos, par des membres du BBCP Philharmonic) et en le réécoutant
ce matin… on dirait du sous-Britten pas mal fait (un Tour d'écrou atonal), mais peu
captivant.
En salle, tout change, et c'est
ce dont je voudrais témoigner.
(Dois-je préciser que, comme d'habitude, j'ai payé ma place et
ne connais pas les gens de la production ni du théâtre.)
Théâtre de l'Athénée, Atlantes
préposés au surtitrage, 2017.
A. Le
Phare
C'est un opéra de chambre pour 12
musiciens (et le double d'instruments !), 3 chanteurs (ténor, baryton, basse),
vraiment court (moins de 75 minutes),
sur un livret du compositeur.
Il s'appuie sur un fait divers (disparition mystérieuse des trois
gardiens d'un phare dans les Hébrides Extérieures), que Maxwell Davies
[Maxwell n'est pas son second prénom] explore selon plusieurs angles et
hypothèses : la commission d'enquête du début, puis une évocation
active de la découverte du phare vide, dans le Prologue, et pour l'acte
principal (en 60% de l'œuvre, en minutage…) la vie dans le phare des
trois précédents gardiens, avant le dénouement très équivoque, qui ne
montre pas vraiment la disparition des gardiens — folie collective,
meurtre, fantômes, tout est envisageable – et envisagé – simultanément.
La variété musicale en est
extrême : l'essentiel du langage est atonal, mais une atonalité descriptive (imitant les
tempêtes autour du navire et du phare dont il est question dans le
livret), très pulsée (pas du
tout invertébrée), regorgeant de
petits événéments (harmoniques tenues, glissando de piccolo, petite
trompette, sourdines, cor spatialisé, piano droit volontairement
désaccordé, petites cymbales à hauteurs définies, percussions
folkloriques de bluegrass,
banjo…). Beaucoup de motifs ou thèmes
cycliques dans chaque section, qui permettent de se familiariser
avec leur contenu, de ne pas être perdu dans une musique abstraite –
Maxwell Davies s'est en réalité inspiré de la structure de la Tour, au
Tarot, pour structurer ses thèmes (une sorte de série conceptuelle, je
suppose ?).
Au milieu de l'opéra, les personnages se mettent à chanter chacun une chanson folklorique
qui raconte leur histoire – complainte bluegrass qui révèle un assassinat
de jeunesse, ballade amoureuse stéréotypée détournée par les deux
autres (pour l'un vers le sack /
pieu, pour l'autre vers l'aspiration céleste), cantique millénariste
accompagné par des chorals archaïques de cuivres pour le dernier. Tout
cela dans une tonalité très sommaire, qui contraste avec le reste du
style de l'œuvre, mais passé le choc du retour, tout se fond avec
beaucoup de naturel.
L'œuvre culmine sans doute,
outre ses moments descriptifs (l'arrivée
au phare, la découverte des rats…), dans son grand cantique polytonal sur le
texte du De profundis (« From
lowest depths of woeful need, / To God we send our plea »), où les
trois gardiens pris de délire se jettent contre la Bête qui apparaît
(le navire de la relève ?).
Il y a peu de satisfactions à trouver du côté des lignes vocales (vraiment de la
déclamation brute, assez naturelle mis à part les étranges recours au falsetto) : manifestement issues de l'école
Britten, mais dans un contexte atonal, elles deviennent encore moins
mélodiques et encore plus grises. En revanche, elles sont prosodiquement simples et justes,
ce qui permet au spectateur de se concentrer sur le reste de la musique
(vraiment intéressante) et sur l'action.
Mais je crois que ce qui exalte la symbiose
tous ces éléments est réellement le
livret. On peut discuter de certains détails d'un point de vue
littéraire – notamment l'exagération de la thématique millénariste avec
le personnage obsédé de religion et des apparitions du Démon, ou bien
le mélange des métaphores comme suit :
OFFICER 1 The dawn blackness was a bilge-grey
smudge in the blackness. At last the mists parted and we saw the
lighthouse, a black finger on the horizon, with no light flashing and
the sea a dead expanse of lead. In silence the ship peeled a steely
furrow from she shale-grey flatness, opening and closing an oily slit.
The dawn a corpse-grey scowl.
Le plomb et le fer concordent, soit, mais on les obtient en pelant la
mer, et un doigt noir apparaît à l'horizon sur une étendue huileuse…
Beaucoup d'images disparates en deux phrases. Néanmoins, j'en trouve le rythme assez irrésistible (pas si
loin des balancements des meilleurs Gracq, quelquefois…), surtout dans
toute la partie descriptive de l'audition au tribunal, au début du
Prologue. Le récit de l'approche dans une mer déserte, les
contradictions des marins qui tentent d'approcher la réalité de ce
qu'ils ont vu, l'accumulation de détails troublants et jamais tout à
fait définitifs… on a l'impression,
pendant le plus clair de l'opéra, de
tourner fiévreusement les pages d'un bon livre.
Réussir cela dans l'acoustique sèche d'un théâtre, au milieu de la
présence d'un public, et surtout avec une musique qui ne berce pas le
moins du monde par des aplats discrets ou des accords déjà familiers,
quel tour de force incroyable.
Les reflets ondulés dans les
couloirs du Phare.
B.
L'équipe
Avec peu de moyens, la mise en scène d'Alain
Patiès sert très fidèlement le propos du livret : pas de
joujoux, de projections, d'ajouts… simplement le texte tel qu'il est
écrit, et parfois du texte nu habillé de mouvements simples, c'est
parfait ici.
La réalisation de l'ensemble spécialiste Ars Nova dirigé par Philippe Nahon est bien sûr
remarquable de précision, sans aucune raideur non plus. Mention
spéciale à Alain Tressalet,
altiste et percussionniste (la coordination réclamée par ses autres
attributs est assez différente), aux souffleurs rompus à tous les modes
de jeu (Fabrice Bourgerie à la
trompette, Patrice Petitdidier au
cor, Patrice Hic au trombone,
Pierre-Simon Chevry pour flûte
et piccolos remarquablement timbrés), à la violoniste Marie Charvet, sans cesse obligée de
tenir de très longues harmoniques (à la justesse immaculée, même les
meilleurs konzertmeister n'y parviennent pas toujours… comment
fait-elle ?), à la contrebasse chaleureuse et fruitée de Tanguy Menez (ou Bernard Lanaspeze ?), et, par-dessus
tout, au violoncelle d'une qualité soliste (quel timbre, quelle
expression !) d'Isabelle Veyrier.
Côté chant, pas de découvertes majeures, mais tous trois très impliqués
(et dans un anglais soigné). Paul-Alexandre
Dubois semblait fatigué (courage à lui, les représentations sont
très rapprochées), donc pas évident de se prononcer ; sinon l'aisance
de Christophe Crapez dans le
fausset renforcé et le beau timbre de
Nathanaël Kahn (bâti plus en gorge ouverte qu'en face dynamique,
ce qui ne lui permet de monter ou de tonner, mais on s'en moque ici, et
la voix est magnifique) produisaient de belles choses. En tout cas,
largement suffisant.
Au disque, il existe donc une version de
BBC Philharmonic de 2014 (l'œuvre a été composée en 1979 et
créée en 1980), chez Naxos,
pas mieux chantée. Je n'en donne pas d'extraits, parce que ça ne
fonctionne pas très bien en retransmission, et je crois aussi que la
petite raideur instrumentale du studio, ainsi que le son remixé (avec
un peu de réverbération, et comme capté dans une grande salle) ne
produit pas du tout le même effet immédiat que la sècheresse et le
naturel d'un petit théâtre.
Une partie de la nomenclature
du Phare
à l'Athénée : on ne voit pas les claviers en particulier (piano à
queue, piano droit désaccordé, célesta), le corniste est caché dans la
salle et quelques autres sous la scène.
C. Y aller
Au total, pour moi, l'une de mes plus belles expériences d'opéra –
alors que, je dois l'avouer, je m'y rendais d'abord parce que c'était
rare et différent de ce qu'on joue d'ordinaire sur les scènes (même si
je me doutais qu'en vrai, ce type d'œuvre produirait un effet beaucoup
plus convaincant qu'au disque). J'aime bien (les bons) Britten en
scène, mais je trouve cette pièce d'un impact bien plus considérable –
même davantage que le Turn of the
Screw, en ce qui me concerne.
Je me permets donc de recommander très chaleureusement l'expérience :
c'est joué toute la semaine prochaine à l'Athénée à Paris, l'un de ses
plus jolis théâtre, on est tout près des musiciens (500 places), les
tarifs sont très abordables (14€ en troisième catégorie – d'où l'on
peut voir toute la scène depuis pas mal d'endroits, demandez-moi si
besoin), le personnel de maison adorable (accueilli avec le sourire,
replacé au plus favorable, à chaque fois – même lorsqu'on fait des
bêtises), et l'impact physique et émotif n'a bien sûr rien à voir avec
ce qui se produit dans un hangar à bateau (fût-ce dans la plus belle
production du monde).
Bien sûr, cette recommandation s'adresse à ceux qui sont avant tout
sensibles au théâtre musical,
et pas totalement rétifs aux langages contemporains (pas besoin de les
adorer en revanche) : si on se déplace pour de jolies mélodies ou des
voix mises en valeur, on va méchamment s'ennuyer. En revanche, pour se
laisser raconter une histoire à coups d'évocations poétiques,
d'allusions mystérieuses et de jeux musicaux, c'est là du premier
choix.
Vous ferez ceci en mémoire de moi.
#Katastrophe
(Mais ils ne m'en veulent pas apparemment.)
D. Et
les perdants de la spectarisation ?
Pour ceux qui ne peuvent y aller – à commencer par ceux qui n'habitent
pas à proximité des théâtres concernés – je ne peux pas réellement
recommander de se consoler en écoutant un disque ou une bande de cet
opéra (alors que Le Tour d'écrou,
étrangement, fonctionne très bien au disque, lui…), mais c'est un
témoignage intéressant de la façon dont certaines œuvres conçues pour
la scène peuvent ne pas survivre au changement de support.
C'est évident dans les cas où l'impact physique des instruments est
primordial (Wagner, Bruckner, Mahler, R. Strauss…), mais ce peuvent
être d'autres critères : voir
la relation entre le jeu des instruments et la scène, ici, ou
simplement sentir une atmosphère s'exhaler du plateau, se laisser
happer par le récit d'un personnage… de même que regarder du théâtre
sur un téléviseur, il y a là une communion particulière qui peine à se
transmettre hors sol.
Cela ne s'applique au demeurant pas à toutes les musiques, loin s'en
faut (d'ailleurs, en ce qui me concerne, entre le disque et la scène,
je choisis le disque), mais je voulais, en plus de signaler l'intérêt
de cette production particulière (pour une œuvre d'un genre peu
représenté sur nos scènes) qui ne durera pas longtemps, lancer cette
réflexion sur la survie d'une œuvre selon son mode de diffusion ou de
consommation. Clairement, ici, il faut se déplacer.
Le disque qu'il
n'est pas nécessaire d'écouter.
(Mais merci Naxos, il est très
bien néanmoins.)
Comme je ne suis pas sûr d'avoir bouclé mes trolls sur la contrebasse
ni mon bréviaire de mai ce week-end, excellente semaine à vous, estimés
lecteurs.
Cette rencontre incongrue m'a beaucoup fait sourire, je la partage.
Voici donc du vrai Shakespeare, starring
Margoton :
Trois
matelots, et puis moi et l'cannonier Et l'patron de not' bateau Nous aimions Madelon, Marion, Margoton, Mais pas un n'en pinçait pour Catheau
! Cette sale rogne Qui nous appelle ivrognes Dit que le goudron Ne sent pas bon ! Pendez-moi cette Catheau Qui n'aim' pas not' bateau Vite en mer, mes garçons il faut
partir…
Repiqué d'oreille, je peine à retrouver la répartition de
certains vers, les mètres ne sont pas réguliers et tout n'est pas rimé.
Peu importe, le texte, lui, est exact.
L'extrait est tiré de la traduction
de Maurice Bouchor de La Tempête de Shakespeare pour
son Petit-Théâtre de marionnettes (qu'il confectionnait lui-même) de la
Galerie Vivienne à Paris (au 61). Il fait partie des quelques fragments
destinés à une mise en musique (très réussie) de son ami Ernest Chausson – Bouchor est le
poète des Poèmes de l'amour et de la
mer.
[[]]
L'extrait en question,
dans la seule version intégrale jamais gravée (et la seule pour cet
extrait), aujourd'hui indisponible, dirigée par Jean-Jacques Kantorow.
Avec François Le Roux en Stephano et Jean-Philippe Lafont en Caliban.
En attendant sa reparution officielle, on peut entendre cette demi-heure
de musique sur YouTube.
Frontispice manuscrit de Chausson pour sa partition.
Le contraste entre l'image d'un Shakespeare… anglais, et ces ellisions
du parler populaire français, ces surnoms campagnards bien d'chez nous,
a quelque chose d'assez surprenant – et qui m'a beaucoup amusé, a fortiori sous la plume d'un poète
décadent et d'un compositeur wagnérisant.
On n'est pas bien loin de l'original pourtant – pas dans la lettre,
comme si souvent avec les traductions de Shakespeare du XIXe, mais dans
l'esprit et en tout cas dans les surnoms : nous avons bien Mall pour
Mary, Meg (et Margery) pour Margaret, et Kate pour Catherine. Moins
marqués par le terroir que Margoton (double diminutif !), certes.
The
master, the swabber, the boatswain, and I,
The gunner, and his mate,
Lov'd Mall, Meg, and Marian, and Margery,
But none of us car'd for Kate:
For she had a tongue with a tang,
Would cry to a sailor 'Go hang!'
She lov'd not the savour of tar nor of pitch,
Yet a tailor might scratch her wher-e'er she did itch.
Then to sea, boys, and let her go hang.
La fin diffère évidemment (même dans les versions sans marionnettes) : tang
est la langue du serpent. « She had a tongue » (elle jurait comme comme
un charretier / elle parlait franc) devient une langue… de serpent. Et
elle n'aurait pas hésité à dire (contre toutes les supersititions) « va
te pendre ».
Ce n'est pas qu'une question de changement de système de versification
(des vers mesurés aux vers syllabiques) : l'allusion du vers pénultième
est sacrément leste, quel que soit le public d'un théâtre de
marionnettes.
Les décorateurs de la version Bouchor de 1888.
Yet a tailor might scratch her
wher-e'er she did itch. → Mais un tailleur pourrait la râper là
où ça la gratte.
Est-il besoin de préciser ce qui démange les femmes
tandis que ces messieurs courent le guilledou ?
Le tailleur combine une double réputation de
créature sans ménagement et d'être efféminé : c'est celui qui pourrait
lui dire que ce le chanteur n'ose pas dire (« un autre moins gentil
ferait… », prétérition classique), et c'est aussi un camarade de jeu
dégradant pour une femme, inférieur à un homme véritable, incarné par
le marin.
Toutes choses difficiles à insérer sur une scène
française en 1888.
Peu importe, le potentiel drolatique de Margoton dans du Shakespeare ne
sera jamais égalé par quelque grivoiserie que ce soit.
Cette chanson débute la première apparition de Stephano dans The Tempest (II,3).
Ses toutes premières paroles ont été mises en musique par Sibelius (en
finnois) :
I shall no more to sea, to sea,
Here shall I die a-shore:—
This is a very scurvy tune to sing at a man's funeral:
Well, here's my comfort.
Il arrive seul, les bras chargés de liqueur (lui-même un brin chargé
également), et chante « Je n'irai plus en mer / Ici je mourrai, sur la
terre ferme ». « C'est un triste air à chanter aux funérailles de
quelqu'un. Bien, celui-ci me réconfortera mieux : » [et il chante l'air
par lequel la notule a débuté]. Survy
désigne
le scorbut, il y a donc un jeu de mots maritime là-dedans (y a-t-il
aussi une allusion aux pêcheurs / consommateurs de thon, avec le scurvy tune, je ne me suis pas
assez penché sur les habitudes alimentaires et commerciales des
navigateurs et pêcheurs pour me prononcer).
Sibelius a mis en musique (en finnois) cette chanson. Elle fait suite,
dans la musique de scène au célèbre interlude qui ouvre ce même tableau
(II,3), avant que Caliban ne soit effrayé par Trinculo, lui-même
épouvanté par Stephano, et précède les adieux de Caliban à la
servitude.
[[]]
Interlude Caliban II,3
Stephano « I shall no more to sea » (en finnois)
Caliban « Farewell, master ! » (en finnois)
Osmo Vänskä, Orchestre de Lahti (chez BIS).
Petite mise au point de contexte : Caliban,
fils difforme d'une
sorcière cruelle tuée par Prospero, le nouveau maître de l'île (ancien
Duc de Milan déposé par son propre frère), est devenu l'esclave de
celui-ci. Effrayé par les bruits qu'il croit être ceux des esprits
soumis par Prospero, il prend Stephano, marin ivrogne du navire qui
vient de faire naufrage, pour un véritable dieu (de la bouteille).
L'interlude, l'un des moments les plus marquants de cette fascinante
musique de scène, traduit de façon très vive la sauvagerie de la nature
de Caliban. Suivent donc l'entrée de Stephano, puis l'exultation de
Caliban (à la fin de la scène, en réalité) qui, proposant l'assassinat
de Prospero, se voit déjà libre.
Chez Sibelius, sa ligne vocale
est grotesque et difforme. Chez
Chausson, vous l'entendez, dans
le premier extrait sonore proposé,
reprendre le thème de la chanson de Stephano – ce qui entre en
résonance avec la logique du personne : à l'acte suivant, Caliban
réclame justement à Stephano de lui redonner le thème de sa « belle »
chanson.
[Les deux extraits, aux deux bouts de la même scène 3 de l'acte II, ont
été juxtaposés sur le disque qui ne contient que les parties musicales,
mais on peut supposer que, pour une représentation avec marionnettes,
la pièce était significativement coupée. Malgré ma consultation de
sources diverses, je n'ai pas trouvé d'éléments sur ce non-détail.]
Maurice Bouchor était un
camarade d'études de Chausson. À l'honneur au début du XXe siècle dans
les manuels scolaires et la littérature pour enfants (dictées,
récitations, contes – de France, d'Europe, d'Orient, d'Afrique,
collectés plus qu'inventés – à faire lire…), il a à peu près totalement
disparu, et il est exact que, jusque sous la lumière de la musique de
Chausson, l'esthétique de ses Poèmes
de l'amour et de la mer paraît assez datée, pour ne pas dire
contournée et laborieuse.
Description de Maurice Bouchor au début un article de l'Almanach
Mariani.
Pourtant, Bouchor est solide
technicien du vers,
et capable d'un recul beaucoup plus malicieux sur la forme (j'y
reviens). Certes, le théâtre de marionnettes représentait un choix par
défaut, en tout cas une nécessité pratique :
J'ai
désiré être joué par des créatures vivantes. Non pas que je sois très
ambitieux ; mais telle de mes conceptions dramatiques exigeait, pour
diverses raisons, d'autres interprètes que des poupées et une scène
plus vaste que notre Guignol. Alors, on m'a vu, après tant d'autres qui
me valaient bien, errer de théâtre en théâtre avec un gros manuscrit
sous le bras… Je n'ai d'ailleurs à me plaindre de personne ; la seule
coupable est cette cruelle optique de la scène. On n'est pas joué tant
qu'on l'ignore ; et le seul moyen de l'apprendre, est d'être joué !
Tirez-vous de là. De plus habiles que moi ont pu sortir de ce dilemme.
Je m'en réjouis pour eux de tout mon cœur.
(Préface de La Légende de sainte Cécile)
Il s'agit du début du « théâtre d'art » dédié au marionnettes : en
alternance avec Henri Signoret (dont le travail est loué avec élan par
Anatole France dans un article entier de La Vie Littéraire), Maurice Bouchor
y donnait un répertoire religieuxou mystique écrit pour
l'occasion (Tobie, Noël, Les Mystères d'Éleusis…) et de grands ouvrages patrimoniaux (Signoret
propose des Cervantès et Molière rares, et même une version des Oiseaux)
avec des marionnettes à clavier – d'animation donc encore plus sommaire
que des marionnettes manuelles. Le lieu devient assez à la mode, et les
littérateurs (Renan par exemple) le louent, certaines personnalités
plus officielles (l'ambassadeur britannique) s'y rendent régulièrement.
Par ailleurs, les petits décors sont dus à des peintres importants du
temps : Rochegrosse, Lerolle, Doucet…
Les décorateurs de Tobie
de Bouchor & Baille sur l'affiche du spectacle.
La Légende de
sainte Cécile (son
et partition),
en 1891, accueille aussi une musique de Chausson (incroyables harmonies
wagnériennes dans les chœurs séraphiques de la fin de l'acte I !) –
celui-ci craignait un échec cuisant vu le sujet peu trépidant, mais le
résultat général fut au contraire loué. À chaque fois, on mandate des
chanteurs et un petit orchestre, et même un chœur féminin pour Sainte Cécile
: le Petit-Théâtre est réellement une alternative pour contourner les
circuits officiels et faire jouer des œuvres qui demeurent tout à fait
ambitieuses.
La durée de vie de l'institution est brève : elle débute l'année de la Tempête, en 1888, pour s'achever
dès 1894 après Les Mystères d'Éleusis,
pièce qui mêlait personnages vivants, personnages morts, divinités et
symboles, recréant l'atmosphère putative des soirées des initiés dans
les temps antiques. Réception publique et critique très froide. Pour
autant, le Petit Théâtre a eu son importance dans l'intégration des
marionnettes comme véhicule littéraire.
On y donna ainsi, sous la direction d'Henri
Signoret :
● en 1888Le Gardien
vigilant de Cervantès
dans une traduction d'Amadée Pagès,
● Les
Oiseaux d'Aristophane (appréciés,
mais très vide – deux spectateurs à la seconde représentation !),
● La
Tempête de Shakespeare
traduite par Bouchor avec la musique de Chausson,
● en 1889La jalousie de
Barbouillé de Molière,
●Le
Gardien vigilantà nouveau,
● et Abraham
l'ermite (adaptation d'une comédie du Xe siècle par la
religieuse de Saxe Hrotswitha, paraît-il) – j'en lis aussi une mention
en 1892.
■ Puis, dans les années
suivantes sous la direction de Bouchor,
hors L'Amour
dans les Enfers d'Amédée
Pigeon(1892), uniquement des pièces du nouveau
directeur :
■ Tobie
(1889), légende biblique en vers comportant des décors de Rochegrosse,
Lerolle, Doucet et Riéder (musique de Casimir Baille),
■ Noël
en 1890,
un « mystère » mis en musique par Paul Vidal, couronné de succès (le
prix des places est quadruplé pour l'occasion !), loué pour sa
simplicité, son humilité, son sens de la poésie,
■ La
Légende de sainte Cécile en 1891, avec la musique extatique et
wagnérisante de Chausson,
■ Le Songe
de Kheyam en 1892, où Omar Khayyām s'exprime seul, en joyeux
ivrogne, face à une rose et un cruchon,
■ La
Dévotion à saint André en 1892,
où l'évêque Simplice voisinait avec Luce, incarnation féminine de
Lucifer, à deux faces et deux voix (choses impossible sur la scène
théâtrale habituelle, soulignait Bouchor),
■ enfin Les
Mystères d'Éleusisen
1894, encore avec la musique (appréciée) de Paul Vidal. Le propos en
était, là encore, essentiellement religieux et édifiant. Charles Le
Goffic y relève, dans L'Encyclopédie
du 15 juin, « l'indifférence du public pour une œuvre qui disait
uniquement la beauté de la vie morale, la noblesse du sacrifice et la
grandeur du pardon ».
La chanson de la fille à marier Marjolaine, dans Noël, a submergé d'émotion toute la
critique – pour des raisons qui paraissent sans doute un rien exotiques
aujourd'hui. Peut-être la musique (de Vidal) en était-elle jolie, il
paraît que les messieurs la fredonnaient au sortir de la représentation.
Malgré les contraintes, Maurice Bouchor fait une assez belle carrière,
qui, semble-t-il, s'est associée avec une surface sociale plutôt
agréable :
On
sait que pour ces illustres écrivains, le mot de Poésie s'appliquait à
tout un ensemble d'idées dont il n'est pas possible de séparer celle
des feutres à grands bords, de larges cravates flottantes, de bocks
bien remplis et de pipes ventrues. Grâce à cette existence exempte de
soucis, M. Bouchor ne fit que croître en belle humeur : ses joues
s'épanouirent comme deux pêches mûries par le soleil d'août et, sous
une barbe majestueuse se développèrent des organes de digestion à faire
rêver un chanoine.
Jean-Louis dans le journal
illustré Mon Dimanche, 2
février 1908
Il était pourtant un végétarien inspiré par la tradition bouddhique
(dans un sonnet, il explique neme nourri[r] plus de cadavres).
Mais on retrouve ce sens du badin, absent des poèmes du célèbre cycle
vocal de Chausson, dans le Prologue de son Faust moderne
(pas particulièrement moderne au demeurant, simplement une variation
sur le mythe), et surtout dans l'apostrophe
du régisseur qui ouvre ses
représentations de LaTempête :
Oui, la rime Shakespeare / pire, il l'a osée. Et ce Prologue
incarné, mi-majordome d'Ariane à Naxos
chez Hofmannsthal, mi-programme à la façon le Tonio des Paillasse, débite une assez longue
introduction – plaisante mais révérencieuse. Le seul homme véritable à
parler sur ce théâtre :
(Le
Régisseur se promène de long en large, comme absorbé dans ses
réflexions. Tout à coup il dresse la tête et aperçoit le public.)
… à moins que ce ne soit pas le cas :
Et,
pour nous obliger, vous daignerez parfois
Ne pas vous souvenir que nous sommes en bois…
C'est alors une sorte d'épopée héroï-comique autour du trac dans la
coulisse, mêlant le désespoir du directeur à la terreur des chanteuses,
et le poète n'est évidemment pas épargné :
Il y a là un petit parfum de stasimon,
où l'on peut très bien décrire des événements non pas passés, mais qui
se passent (ou vont se passer !) au même moment, hors scène – comme
ceux d'Œdipe à Colone.
On se moque même de l'intrigue : l'honnête
Gonzalo / Qui consent à mourir, certes, mais pas dans l'eau, et
on y croise quelques jolis clins d'œils shakespeariens :
Si vous avez la fantaisie de lire l'entièreté du monologue, je vous
l'ai reproduit ici : 1,2,3.
Je n'ai pas encore parlé sérieusement de la musique.
Pourtant, elle a son importance. Si Ernest
Chausson n'est pas au nombre des premiers wagnériens français
(Franck est né en 1822, lui en 1855 !), il figure en revanche parmi ses
représentants les plus importants – avec toutes les ambiguïtés entre le
discours théorique et le contenu des compositions, propre à l'époque.
Après les incontournables études de droit
jusqu'en 1877, il étudie la composition auprès de Massenet jusqu'à son
échec au prix de Rome en 1880. C'est alors qu'il devient l'élève de
Franck. En 1879, il assiste en Allemagne au Vaisseau fantôme et à la Tétralogie
de L'Anneau, et même à la
création de Parsifal à
Bayreuth, en 1882.
Il fait partie du groupe de ces compositeurs
français novateurs et très marqués par Wagner – même si tous
soutiennent, probablement pour des raisons avant tout patriotiques,
qu'il faut limiter l'influence allemande, et spécifiquement celle de
Wagner, sur la musique française.
► Avec son professeur César Franck et son ami Vincent d'Indy, il dépose de la
Société Nationale de Musique, dont il devient secrétaire, son fondateur
Saint-Saëns…
► Il est le premier à se lancer dans l'écriture d'un opéra wagnéro-symboliste – il y a
eu, auparavant, mais plus littéraux, moins poétiques littérairement ou
irisés orchestralement, les wagnérisants Sigurd de Reyer en 1883 et Gwendoline de Chabrier en 1885. Cela simultanément (et
apparemment sans grande concertation) avec Vincent d'Indy (Fervaal, de 1889 à 1895) et Claude Debussy (Pelléas, de 1893-1902). En effet Le roi Arthus, bien que créé
seulement en 1903, a été composé entre 1887 et 1895 (1885 à 1886 pour
le livret), c'est-à-dire que ces trois compositeurs ont travaillé sur
leur propre drame post-wagnérien, écrivant (ou adaptant, pour Debussy)
chacun eux-mêmes leur livret, sans assister aux représentations de
l'autre – il me semble avoir vu passer dans la correspondance de
Debussy quelques propos pas très amènes sur le projet que Chausson lui
a montré. Paul Dukas,
beaucoup moins wagnérisé, faisait aussi partie de ce groupe (mais son
opéra, lui, est vraiment émancipé de la littéralité wagnérienne, même
s'il en tire tous les fruits en matière de continuité générale, de
narration orchestrale et de liberté formelle).
Tout ces prolégomènes permettant de situer qu'au moment de
l'écriture de cette musique de scène pour marionnettes, en 1888, Chausson était déjà pleinement wagnérien, et même
en train de se jeter dans la composition du Roi Arthus (où l'on entend
littéralement plusieurs motifs du Ringet de Parsifal, sans même mentionner les
nombreuses parentés du livret et des formules musicales avec Tristan).
Extrait du manuscrit de La
Tempête.
Néanmoins, ce n'est pas ce que l'on entend le plus
dans La Tempête, où dominent des chansons assez simples
et beaucoup de pièces isolées de
danses – un peu plus proches de l'univers du ballet sophistiqué
ou des références archaïsantes de la musique de chambre de d'Indy.
Pour un théâtre miniature, l'effectif n'est pas du
tout ridicule : outre les cordes (à combien par partie, je n'ai pas
trouvé), nous avons les 4 bois par 1, les 3 cuivres par 2, une harpe, 2
timbales, un triangle… et ce qui est réputé comme lapremière
apparition du célesta dans une partition d'orchestre. Je n'ai
pas creusé la question pour vérifier la véracité de l'assertion – il
serait étonnant que ce soit précisément un compositeur célèbre, et dans
une composition assez peu ambitieuse, qui ait inauguré la chose, mais
je ne puis rien dire d'informé sur le sujet. Le plus troublant est
qu'il n'apparaît, me semble-t-il, que pour le premier numéro, une
petite chanson d'Ariel aux naufragés
« Sur le sable d'or », où le célesta complète par endroit les couleurs
angéliques de la harpe. Quel gros instrument à mouvoir pour une
intervention aussi précisément circonscrite – y en avait-il un à
demeure dans le théâtre ? était-ce pour capter immédiatement
l'attention du public avec des sons proprement inouïs, dont on n'était pas
supposer abuser ?
En tout cas, pour publication, l'effectif a été
réduit ultérieurement à une flûte, un trio à cordes, une harpe et un
célesta – pour cinq pièces choisies (pas les meilleures d'ailleurs),
les plus joliment décoratives. Celles qui ont aussi été diffusées sous
forme de réduction piano-voix.
[[]]
« Sur le sable d'or », premier numéro de la musique de scène pour
The Tempest. On entend le
célesta dès le premier accord (et sur les derniers).
Lawrence Dale, Ensemble Orchestral de Paris, Jean-Jacques
Kantorow
D'une manière générale, jusque dans les danses rustiques, cette musique
de scène baigne dans une forme de contemplation lointaine, très étrange
: si vraiment simple, ni sophistiquée, quelque part ailleurs, aussi loin du monde que
peut l'être l'île enchantée ou le temps révolu de Shakespeare.
Extrait de l'article «
Shakespeare et les marionnettes » d'U. Saint Vel. paru dans la Revue d'art dramatique à la fin de
l'année 1888. Témoignage de la façon dont on percevait le XVIe siècle,
même dans les cercles éclairés, à la fin du XIXe.
Vous notez, au passage, la désinvolture avec laquelle on
mentionne le grand Shakespeare. Le respect est mort.
Encore une fois, n'hésitez pas à écouter l'intégralité
de la musique de scène (et à vous jeter sur le disque s'il reparaît).
Les œuvres adaptant The Tempest sont
innombrables, mais parmi les musiques de scène un peu développées,
difficile de ne pas évoquer celle de Henry
Purcell (1695), elle aussi source de multiples bizarreries.
♫ Ce n'est pas exactement la pièce de
Shakespeare qui est ici agrémentée de musique, mais celle, nouvelle, de
Thomas Shadwell (1675), qui se
fonde à la fois sur Shakespeare et sur ceux qui ont remis sa pièce au
goût du jour dans la seconde moitié du XVIIe siècle (John Dryden et
William Davenant, en 1667).
♫ Seuls les divertissements des
esprits aux actes II et V (logiques dans l'économie de la pièce
shakespearienne, mais convoquant des personnages, comme Amphitrite et
Neptune, absents de la nomenclature originale) sont mis en musique.
♫ Son attribution à Purcell est très contestée depuis les années 60, et
bien que pour des raisons commerciales évidentes on continue toujours
d'afficher son nom sur les disques et les affiches de concert, il est
possible qu'il ne s'agisse pas d'une œuvre de Purcell mais de John Weldon (qui fut on élève),
possiblement plutôt pour une reprise de 1712.. Seul l'air de Dorinda Dear Pretty Youth est assurément du
maître.
Parmi les indices convoqués (notamment dans la
communication fondatrice de Margaret Laurie en 1963, dans les Proceedings of the Royal Musical
Association : « Did Purcell set The Tempest ? »), l'introduction de
certains traits italianisants (comme les airs à da capo, de forme ABA' avec reprise
ornée) ou gallicisants qui n'existent dans aucune autre œuvre de
Purcell, et seraient plus à leur place dans le goût anglais du début du
XVIIIe siècle.
Duo final.
Peu d'intégrales au disque, et qui ne correspondent
pas nécessairement à la partition d'origine : Kevin Mallon explique par
exemple qu'il propose une Ouverture (de Purcell, mais pour une autre
pièce, indéterminée) et une Chaconne (du même) pour compléter
l'ensemble.
Celle de John
Eliot Gardiner continue de séduire par sa grâce, même si le
grain orchestral est devenu lisse et l'articulation timide, par rapport
aux ensembles actuels.
Par ailleurs, la compositrice Kaija Saariaho a réalisé The Tempest Songbook,
plus lié à l'action (et non aux deux masques
assez autonomes de pseudo-Purcell), mais qui paraît pensé pour
s'associer à celui de Purcell-Weldon, puisque existant en deux
versions, pour
instruments modernes ou sur instruments anciens (la harpe étant
remplacée par le clavecin). Ce n'est pas baroque, évidemment, mais
plutôt accessible et tout à fait mélodique et plaisant – Saariaho est
en général à son meilleur dans les miniatures vocales. On peut en
écouter une version par l'Orchestre Baroque de Finlande sur France
Musique (couplée avec son double, dans l'édition choisie par Mallon).
L'œuvre de Purcell,
mérite de toute façon surtout le détour pour son duo final – Amphitrite et Neptune y
disent :
[[]]
No stars again shall hurt you from above, But all your days shall pass in peace
an love.
(Plus d'étoile maligne pour vous frapper du haut des cieux,
Tous vos jours s'écouleront dans la paix et l'amour.)
Au terme de ce voyage dérivant, c'est tout le mal – estimés lecteurs –
qu'on vous souhaite.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Musique de scène a suscité :
Occupé par divers devoirs (ainsi que par des traversées nocturnes de forêts, les abonnés Twitter de CSS en ont perçu les échos), je n'ai pas encore achevé la notule de la semaine, un parcours consacré à The Tempest sous un angle, je l'espère, inattendu.
Dans le même temps, je continue à me documenter autour de l'inexpliquable absence de controverse à la création de Robert le diable – je lis en ce moment la monographie Scribe de Jean-Claude Yon (la seule complète en français, me semble-t-il), ainsi que quelques ouvrages anglophones qui portent plus précisément sur l'œuvre ; j'y trouve des échos de la création (les fameuses « trois chutes »), des précisions manageriales et financières, des considérations diverses sur l'économie dramaturgique, sur la fusion de différentes formes théâtrales pour créer le grand opéra à la française, sur la modernité de la façon, sur la place du ballet, sur les origines diversement célèbres du sujet… Mais rien, décidément, sur la réaction plus générale de la société, au delà de la critique théâtre ou musicale, enthousiaste dès le premier soir. Je dois décidément passer sur quelque chose d'évident, il faudrait que je me dégote un historien de la période à qui poser mes questions.
Dans l'intervalle, j'ai prévu d'éplucher la presse (musicale ou généraliste) aux dates de la création. Beaucoup de choses doivent être disponibles sur Gallica, et pour le reste, il faudra peut-être me déplacer.
Je n'ai pas oublié ni négligé les notules autour des aigus (un intermède rempli d'astuces est presque achevé) ou de la couverture vocale, mais ayant eu moins de temps pour pratiquer, je m'y suis un peu moins régulièrement attelé pour en boucler la présentation (un peu fastidieuse du fait de la nécessité de présentation claire avec couleurs et extraits minutieusement décortiqués).
Autre marotte, je suis depuis le début de l'année plongé dans la différenciation des orchestres néerlandais (sur le modèle des berlinois et francfortinsfrancfortois), dont les fusions multiples, changements de noms et désignations peu explicites rendent la distinction difficile. Pourtant, quel formidable vivier, auquel les partenariats récents avec PentaTone et surtout CPO procurent une envergure nouvelle, en particulier dans la documentation du répertoire national !
Là aussi, le temps d'y voir clair soi-même, de regrouper l'information, d'établir les discographies à partir des miettes éparses, de corriger les erreurs (les siennes et celles des autres), de rédiger les présentations et d'aménager une présentation lisible, ce n'est pas un travail immédiatement présentable ni payant.
Et quelques autres projets plaisants que je ne veux pas dévoiler, incluant grosses contrebasses, aveux tendres ou timbales solo.
Le fichier recensant les sujets à traiter (et ce sont parfois des séries) contient de toute façon plusieurs centraines d'entrées (peu ou prou quatre sujets ajoutés pour une notule publiée).
--
Actualités musicales
Pendant ce temps, le monde tourne. Ma playlist aussi. En ce moment même, je bisse le disque de l'Ensemble Cantissimo dirigé par Markus Utz dans la musique a cappella sacrée de Herzogenberg, un proche de Brahms qui partage un certain nombre de points communs musicaux (chez Carus). Si le symphonique et surtout l'oratorio ne sont clairement pas de la même farine, la musique de chambre contient en revanche des pépites considérables, et le sommet se trouve peut-être dans ce massif vocal, qui semble du Brahms après une prise d'Obikhod (liturgie sonore orthodoxe russe) au petit déjeuner ! Par moment, il convoque aussi les motets de Bach (Singet dem Herrn, la plus belle œuvre de Bach, pour le final en « Alleluia » de Komm, heilige Geist) ou les Trois Motets de Mendelssohn. Immense, bien que tout à fait obscur (déjà que sa musique de chambre…). Il existe aussi deux très beaux volumes de musique profane a cappella, mais ils n'ont pas la même puissance évocatrice, j'y reviens moins souvent.
J'ai dans le même temps appris avec plaisir que le New York City Opera avait rouvert depuis une saison – peu ou prou la seule maison d'Amérique à proposer des saisons audacieuses qui s'approchent plus de ce que l'on donne en Europe occidentale que les répétitions de tubes subventionnées par les mécènes-grand-public ailleurs sur le Nouveau Continent. Les maisons californiennes osent un peu plus, mais on reste, jusque dans les éventuelles raretés, dans le domaine du spectaculaire accessible et des langages musicaux assez traditionnels. Le NYCO propose ainsi une offre assez unique à l'échelle du pays, à tout le moins, voire du continent.
L'histoire de sa fermeture est assez incroyable et mérite peut-être d'être relue.
J'espère vous alimenter en notules fraîches rapidement. Dans le cas contraire, bonne semaine musicale, estimés lecteurs !
Révisez la leçon du jour. À titre non excessif, notule non lue.
Putti de la Chapelle
Royale, sous les derniers feux du jour de mars, après la fermeture du
Château.
1.
Les pépites
La saison 2017-2018 a été rendue publique dans le seconde moitié de
mars. De très belles choses à signaler, bien sûr.
♫ Deux Cavalli scéniques par
García-Alarcón, très bien distribués (avec Francesca Aspromonte dans Erismena !). J'aurais aimé d'autres
compositeurs du temps plus à mon goût que Cavalli (à peu près n'importe
lequel autre, en réalité), mais dans ces conditions, vraiment
l'occasion de se laisser convaincre si on ne l'est pas déjà.
♫ Deux LULLY somptueux :
♫♫ Phaëton
par Dumestre & Lazar (la meilleure distribution possible, avec
Vidal, Auvity, Zaïcik et Tromenschlager ! – et sur quatre dates) ;
♫♫ Alceste
par Rousset (donnée la dernière fois en France par Malgoire au TCE en
2006, et les précédentes étaient encore Malgoire en 2000, 1996 et 1992,
dont seulement la plus ancienne en Île-de-France) ; la première fois
qu'un ensemble baroque le donne en France sans la Grande Écurie et la
Chambre du Roy, le seul à le produire (et l'enregistrer) depuis 1975 !
♫ Davantage d'oratorio italien du
XVIIe siècle, genre jusqu'ici peu représenté en France :
♫♫ Messe de Saint-Louis des Français
d'Orazio Benevolo (/ Benevoli)
par Niquet,
♫♫ Le Tremblement de
terre d'Antonio Draghi
par Dumestre & Lazar,
♫♫ une Passion
de Gaetano Veneziano par
García-Alarcón.
D'autant plus salutaire que c'est un fonds très riche, aussi bien en
quantité produite qu'en diversité des
manières et des tons : au fil du XVIIe siècle, et assez
indépendamment des dates, on trouve de la déclamation brute, des chœurs
madrigalesques ou luxuriants, des airs galants avec instrument solo
obligé (tirant parfois sur le futur Vivaldi), souvent assortis d'effets
originaux, que ce soit dans l'harmonie, dans l'accompagnement, dans la
vocalisation, dans les surprises dramatiques… En général des partitions
très contrastées qui, tout en restant dans le cadre d'un langage
baroque connu, apportent leur lot d'inédit, avec un véritable
renouvellement de l'écoute. La période considérée (et la quantité
produite, considérant la fragmentation politique de la péninsule) étant
sensiblement plus large qu'en France, l'évolution y est encore plus
grande – du moins avant que la fascination des voix, qui mène à la
manière du seria XVIIIe, ne
fige tout jusqu'au dernier quart du XIXe siècle…
♫ Les habituels concerts de musique
sacrée française à la Chapelle Royale : peu de choses rares, les
grands LULLY,
Charpentier, Couperin. Beaucoup moins nombreux,
me semble-t-il.
♫ Beaucoup de Bach, puisqu'il
semble que tout le monde aime ça sauf moi (enfin, je veux dire aime ça
au moins d'en faire le massif le plus intéressant de tous les temps,
j'aime bien Bach, moi, mais pas forcément beaucoup plus que Pachelbel,
Telemann ou Keiser).
2.
Les prémices de la trahison
Château de Versailles Spectacles
a repris, en 2011 (j'y reviens en §4), les attributions du CMBV dans
l'organisation des concerts. But annoncé au public (la réalité se situe
à un niveau un peu différent) : centraliser la prise de décision,
rationnaliser la programmation, donner davantage d'assise financière
au développement des projets, et évidemment calibrer l'offre pour
récolter davantage de sous.
Exactement comme pour Star
Wars chez Disney la Philharmonie de Paris (où sont passés les
programmes thématiques originaux de la Cité de la Musique, à part dans
les noms des week-ends-festivals ?), on nous avait juré que le
changement d'attribution administratif ne modifierait rien de
l'ambition de l'ensemble (tout en apportant du mieux, ce qui est
forcément contradictoire et suspect). Et ce n'était pas tout à fait
vrai. Cela n'empêche pas la Philharmonie d'être une réussite à la fois
commerciale et programmatique, mais à la fin une partie de l'offre
d'origine a discrètement disparu et George Lucas a été viré.
Je n'étais pas particulièrement alarmé, considérant le cas particulier
de Versailles, assis sur son image purement patrimoniale, et qui devra
de toute façon toujours produire les
concerts du CMBV – ce sont davantage les subventions et
attributions d'icelui qui me paraissent (me parassaient, en tout cas)
déterminantes. Par ailleurs, nous avons eu de magnifiques saisons
depuis 2011, tandis que le nombre de spectacles augmentait très
sensiblement (meilleure synchronisation des forces du Château ? – la
lecture de la littérature de la Cour des Comptes éclaire assez bien cet
aspect)
Or, à la lecture de cette saison, je sens un glissement assez
déplaisant, qui n'était pas présent aux deux dernières, les premières
de la transition – où s'était au contraire constaté un élargissement
(en quantité et en styles) de l'offre.
3.
Trois problèmes
♠ D'abord, une simple petite question de loyauté dans le programme.
♠♠ Le CMBV avait déjà
vendu le Persée de 1770 (mais si mes compères et
moi ne l'avions pas remarqué, je suppose que cela peut s'appliquer à
une plus large part du public, un peu moins violemment obsédée du
diabolique Florentin) comme le Persée
de LULLY version 1770, alors
que la commande du directeur de l'Académie Dauvergne en conservait
surtout les récitatifs (et quelques numéros emblématiques, comme l'air
de Méduse), et qu'une large part des musiques étaient dues à des
compositeurs de 1770, par Dauvergne, Rebel fils et Bury. Mais enfin, la
date de la refonte figurait (à un siècle d'écart de la période de
gloire des spectacles louisquartorziens, ça se remarque), et le tout
contenait une solide proportion de l'original (un tiers ?).
♠♠ Mais tout de même, vendre
le Ballet Royal de la Nuit (essentiellement de
Cambefort, avec contributions incertaines Boësset, Constantin et
Lambert) comme une œuvre de LULLY, qui y a
surtout dansé, peut-être chorégraphié (je n'ai pas vérifié), et en tout
cas rien ou à peu près rien composé, c'est un peu de la tromperie sur
la marchandise. On y entend de l'excellente musique, au sein d'une
œuvre d'une notoriété (voire d'une importance) historique et politique
considérable, mais elle n'est pas de lui, et il n'est pas très honnête
de faire accroire que ce serait le cas.
♠ Ensuite, l'augmentation des prix.
♠♠ Déjà remarquée cette
année sur certains spectacles de prestige (Don Giovanni par Minkowski &
Ivan Alexandre, plus étrangement la reprise de L'Orfeo de
Rossi, il est vrai une réussite éclatante), elle semble se
généraliser à tous les spectacles scéniques. De 35€, la dernière
catégorie (et il n'y a pas de réductions substantielles ni de mauvaises
places de dernière minute) y passe à 45€, soit une hausse de 28,5%.
♠♠ Je ne dis pas que ça ne les vaille pas, au contraire
: ce sont toujours des spectacles d'une réalisation très soignée, on y
voit très bien même des places les moins chères (un théâtre de cour et
non de masse, même si le confort y reste spartiate), il y a bien sûr le
prestige extraordinaire du lieu (Château de Versailles + Opéra de Cour
+ Théâtre de Marie-Antoinette…), et la jauge réduite – maintenir la
sécurité d'un lieu aussi vaste et fragile pour un théâtre de faible
contenance doit être un défi logistique et économique assez redoutable.
♠♠ Néanmoins, je ne puis m'empêcher de remarquer que le seuil du prix minimal (déjà assez
respectable à 35€ en dernière catégorie pour une scène subventionnée)
empêche la fidélisation d'une clientèle de mélomanes, au profit du
public occasionnel (soirées de prestige, cadeau exceptionnel,
touristes). Pas d'abonnement non plus,
à part pour les catégories les plus hautes.
♠♠ Cela ne me scandalise pas
du tout pour les récitals, ou lorsqu'on y joue les Da Ponte (même si
j'aurais beaucoup aimé voir la distribution de feu du Cosìfan tutte à venir, avec Minkowski,
Gleadow et Bou et uniquement des Italiens !) ou le Requiem de Verdi : le public fait
le choix délibéré de faire un effort pour le luxe de Versailles, il
n'est pas révoltant que cela se monnaye. En revanche, pour les explorations du CMBV, ou
les œuvres italiennes plus rares, et d'une manière générale le patrimoine que les institutions
de Versailles ont à cœur de défendre, je trouve dommage d'en écarter un public d'amateurs fidèles,
qui pourraient être rebutés par les prix. En tout cas, pour moi qui
cours les productions de baroque français et dont les moyens sont
bornés, ces prix m'obligent à choisir, quand j'aurais volontiers
assisté à l'ensemble de la programmation un peu spécialisée (quitte à
traverser deux fois les cinq feues zones d'Île-de-France comme je le
fais régulièrement). J'ai conscience de ne pas être (du tout) l'étalon
fidèle du public des salles de spectacle, mais le raisonnement de la
destination de ces spectacles tient : les tarifs le réservent plutôt à
une occasion prestigieuse, au lieu de diffuser
et informer ce patrimoine,
comme c'est en principe la mission du CMBV.
♠ Enfin et surtout, le plus grave (pour le reste, on s'informe, on
économise, on choisit, rien n'est insoluble), l'évolution du contenu de la programmation.
♠♠ À l'origine, le CMBV produisait de «
Grandes Journées » consacrées à un compositeur, destinées à
susciter de la recherche scientifique à son sujet (se concrétisant en
colloques et publications) et à établir des partenariats avec des
ensembles spécialistes qui donnaient des œuvres jamais ou fort peu
remontées. L'année où j'ai débarqué dans la région (2009), c'était
Grétry : on a eu Céphaleet Procris, Andromaque (au TCE), L'Amant jaloux. Trois recréations dans trois
genres différents (« ballet héroïque », tragédie en musique, opéra
comique), qui n'étaient pas documentées (à part une vieille version
Doneux de L'Amant, d'une
épaisseur pesante, et assez totalement dépourvue d'esprit), ainsi que
plusieurs concerts spécialisés farcis de raretés, comme celui des
Nouveaux Caractères (« Les Favoris de Marie-Antoinette » [format FLV],
avec des extraits de Guillaume Tell, Les Danaïdes et Chimène qui font toujours
autorité). À cette époque, Versailles donnait peu de concerts – et je
me suis étonné de les trouver malgré tout abordables, me figurant, en
bon provincial, que c'était réservé aux nouveaux aristocrates.
♠♠ À partir des « Grandes Journées Campra » à l'automne
2010, pas une grande réussite (surtout des œuvres mineures, peu de
résurrections ambitieuses, des grèves et annulations, et même un
concert où le public a trouvé porte
close, sans aucune annonce préalable ! – sympa à 19h30 en décembre,
quand on a traversé toute l'Île-de-France), la manifestation s'est
faite plus discrète. Pour les
dernières séries, ce n'était même plus un compositeur, mais des
thématiques plus larges, une célébration de Louis XIV, puis des fêtes
royales (reconstitution de grands moments politiques avec commande de
musique) – ce n'est pas du tout un point de vue illégitime, même s'il
n'est plus musical (on ne choisit pas les bonnes œuvres, mais les bons
événéments historiques…), mais on va vite en faire le tour. Que
fera-t-on quand on aura épuisé les Messes de sacre / mariage / baptême
/ obsèques et les Te Deum de
victoires ?
♠♠ Dans la nouvelle saison, je ne vois que très peu de réelles explorations :
♠♠♠♠ L'Europe Galante de Campra (œuvre
emblématique qui est quand même donnée de temps à autre) par Les
Nouveaux Caractères, d'ailleurs à tarif doux (dans la vingtaine d'euros
minimum) ;
♠♠♠♠ un programme Pro Capella Regis des Chantres à
préciser ;
♠♠♠♠ deux Te Deum rares le même soir
(Blanchard, et Blamont, celui-là donné il y a quelques années à
Saint-Étienne-du-Mont par Les Ombres) par Stradivaria et chœur
Marguerite Louise. Vendu sous le titre pas particulièrement
scientifique ni subtil « La Guerre des Te Deum » – ce dont je me moque,
mon propre titre prouve bien que je ne crains pas le racolage, mais
c'est un indice de plus que la trace du CMBV s'efface dans la
programmation.
♠♠ Et ces rares explorations ne comportent pas de cohérence particulière entre
elles, de projet scientifique perceptible. J'ai cherché, manifestement les lieux d'accueilextérieurs des productions du CMBV ont également diminué – autrefois,
les « nouveautés » importantes étaient rejouées à la Cité de la Musique
ou au Théâtre des Champs-Élysées. Manifestement, plus de lieu
d'accueil, hors un partenariat cette saison avec Favart pour Alcyone – reste à voir s'il se
reproduira dans la prochaine saison.
Tout cela conjugué pose la question : que
devient la programmation du CMBV, gérée par Château de
Versailles Spectacles ? Après avoir explosé dans les premières
années de la nouvelle répartition des rôles voulue par la Cour des
Comptes, à partir de 2011, elle semble bifurquer vers une programmation
de prestige (on y jouera le Requiem
de Verdi, des ballets de Béjart et Preljocaj…) et délaisser la partie
exploratoire de sa mission. La saison en cours était aussi limitée en
découverte, mais proposait au moins des productions scéniques
4. La
vérité est ailleurs
Cela, c'est l'avis du spectateur qui lit la programmation. La réalité
est un eu plus subtile et, une fois formulé mes ronchonneries et
avertissements d'ordre artistique pour l'avenir, c'est l'occasion de
regarder l'évolution de la situation sur une décennies, et les
contraintes qui pèsent sur l'organisation des spectacles versaillais.
En effet, en 2010, la Cour des
Comptes publie un rapport sur Château de Versailles Spectacles,
et relève le peu d'intérêt de la structure (créée en 2009),
essentiellement destinée à organiser les « Grandes Eaux ». Il
s'agissait de donner plus de souplesse aux contrats (largement
saisonniers) par rapport à l'Établissement Public du château de
Versailles (EPV), notamment du fait des horaires qui ne concordent pas
avec ceux des ouvertures
L'EPV a suivi les recommandations, et Château
de Versailles Spectacles (CVS) a élargi ses interventions, aussi
bien dans les formats (bals, concerts divers) qu'en quantité. Le CMBV
n'est plus, depuis, l'organisateur des concerts qui se déroulent dans
le Domaine, et le nombre de représentations a considérablement augmenté
(13 en 2009 contre 74 en 2013 !). Bien sûr, le nombre indiqué doit être
celui des concerts produits
par CVS, excluant donc en 2009 ceux assumés par le CMBV. Mais il est
vrai que la quantité de soirées a considérablement cru.
Les chiffres du remplissage (80% en 2013), des bénéfices et
d'augmentation des bénéfices (30 à 70% pour les « Eaux Musicales » sur
la période observée dans le rapport de 2015) sont assez spectaculaires, en effet.
La reprise en main des concerts
organisés par le CMBV (alors recentré sur ses missions de
recherche et de formation – ainsi que, bien sûr, du choix des contenus
des concerts) s'est donc traduite par une augmentation de l'offre, et a
permis plusieurs des saisons incroyables des années passées, où
l'abondance et la rareté ne souffraient pas de remise en question.
Néanmoins, sur le long terme, je n'en vois pas moins une inflexion
assez nette, qui abandonne
progressivement l'aspect méthodique de la recherche, des
propositions thématiques, pour une suite de concerts « Grand Siècle »
assez généralistes : le CMBV ne remplit alors plus autant sa mission de
diffusion, surtout lorsque les partenariats avec maisons parisiennes
semblent dansle même temps se raréfier.
--
Le nombre de tragédies en musique
écrites est assez limité en réalité (quelques dizaines), et on
semble ne plus rejouer que les mêmes, en dehors de la période,
jusqu'ici très négligée, de la seconde moitié du XVIIIe siècle (parfois
en collaboration avec Bru Zane, dont les moyens financiers semblent
assez supérieurs), pas mal défrichée ces derniers temps. Que fait-on de
la période qui s'étend entre LULLY et
Rameau ? Quelques Campra, mais pour le reste, silence à peu près
total. Voilà qui mérite considération.
Pour préparer / prolonger : retrouvez l'intégralité des opéras de LULLY, classés, présentés.
Avec leur discographie complète.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Saison 2017-2018 a suscité :
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