Carnets sur sol

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mercredi 26 mai 2021

L'agenda de la reprise 2021 // Podcast des concerts de la semaine


Puisqu'on me supplie de toute part de le rendre public, je m'exécute.

Opéra de Paris, Philharmonie, Opéra-Comique, Théâtre des Champs-Élysées, Athénée, Châtelet, CNSM, Salle Cortot, Salle Gaveau, Seine Musicale, Orchestre de chambre de Paris, Théâtre 13, Musée Guimet, Quai Branly, Opéra Royal, Grandes Écuries de Versailles, Potager du Roi, Opéra de Massy, Bois-le-Roi, Chartrettes, Grez-sur-Loing, Montigny-sur-Loing, Barbizon…

Grand relevé des principales salles franciliennes qui ont rouvert… et début de relevé pour les festivals franciliens de l'été.

agenda_reprise_mai_2021.png

Voici donc un tableau, initialement au format .ods (Open Office), mais également disponible aux formats Excel .xls ou plus interopérable .xml (je n'ai pas vérifié les mises en forme qui changeaient avec ces deux formats).
Enfin, il est aussi possible, tout simplement, de lire le tableau sous forme d'une page en .html affichable dans votre butineur favori.

J'ai aussi été tenté, après avoir réalisé un petit guide audio pour introduire des amis au concert de soir, par l'exercice d'un podcast, présentant les concerts entre lesquels choisir cette semaine.
Le résultat est… discutable, 40 minutes de parlote tout de même (il aurait fallu le découper en pistes, concert par concert, mais je n'aurai pas le temps de le faire cette fin de semaine… à voir pour la prochaine livraison), mais il peut peut-être intéresser les curieux qui se demandent quel concert choisir : j'y dis un mot sur les œuvres et les interprètes, mais j'essaie aussi de présenter l'intérêt du concert et les stratégies en matière de prix et de placement dans la salle.

Je vous livre ainsi l'objet tel qu'il est (ça bafouille terriblement au tout début, ça devient plus fluide ensuite), trop long, non pisté, mais si vous êtes curieux des concerts proposés, vous pouvez toujours essayer de fouiner dedans.
Je suis très intéressé par les retours (utile, malcommode, mettre l'accent sur ci ou ça, hiérarchiser de telle façon, le mettre à disposition sous tel format…).

Carnets sur sol vous emmène en balade à travers les concerts possibles de cette semaine !
(Fond sonore : la Symphonie n°1 de Saint-Saëns, puis celle en la.)

lundi 24 mai 2021

Un jour, un opéra – le grand tour des théâtres et programmations du monde entier – (2021)


Le retour de la série qui vous avait, je n'en doute pas, tous tenus en haleine !  Un voyage plein de surprises à travers le patrimoine littéraire, linguistique, architectural et musical du monde entier, en partant des opéras donnés aujourd'hui en un point du monde.

J'ai déjà essayé de l'inclure sur Carnets sur sol, mais le format est difficile à transférer, je n'ai publié que deux ou trois notules et je suis loin d'avoir fini de reproduire le fil d'origine (refaire la mise en forme est plus long que fournir les recherches et produire les tweets…). Je tenterai peut-être, une fois avancé, l'aide de plateformes de mise en page automatique des fils.

Je vous invite donc à en observer la progression régulière sur le compte Twitter de Carnets sur sol. Avec les jolies photos des théâtres et, quand ils existent, des liens musicaux.

Théâtre de Comédie Musicale de Saint-Pétersbourg
Le Théâtre de Comédie Musicale de Saint-Pétersbourg, dans le bâtiment « Théâtre du Palais du Ballet », à Saint-Péterbourg.

On est émerveillé des patrimoines littéraires qu'on découvre (les épopées lettonnes), des langages musicaux qu'on croise (finalement peu d'expérimental dur à l'échelle du monde, beaucoup de mélanges de tonalité et d'effets divers, assez amusants), des lieux merveilleux qu'on peut entr'apercevoir… et même des échos géopolitiques qui affleurent assez facilement.

Pour cette reprise, un opéra-oratorio célébrant des saints orthodoxes à l'Opéra de Sofia (théâtre de grande tradition italienne, qui s'ouvre par ailleurs enfin à Wagner !), et une opérette hongroise des années 20 traduite en russe pour un théâtre spécialisé de Saint-Pétersbourg aux intérieurs indécemment fastueux !

Et demain ?  Vous emmènerai-je à Moscou, Astrakhan, Ijevsk ou plus proche, à Umeå, Saint-Gall, Dublin, Umeå ?  Vous parlerai de Leonidov, Gladkov, Dashkevich, Desyatnikov, Kvinnogräl, ou plus simplement d'Alessandro Scarlatti ou Daniel Catán ?  J'ai le choix entre tout cela demain. Rendez-vous sur le compte Twitter de Carnets sur sol, en attendant la prochaine notule qui, consacrée aux dernières explorations discographiques, devrait maintenant arriver très vite !  (Mais il y a beaucoup de titres à compiler !)

dimanche 16 mai 2021

La création lyrique contemporaine à l'Opéra de Paris – le mystère Dalbavie


Avec la simultanéité de la reprise tardive des saisons musicales, l'annonce des festivals de l'été et de toute la prochaine saison, les concertivores sortent du trou où la prostration issue du sevrage les avait jetés, et la lecture des brochures suscite des pensées aussi soudaines que fulgurantes chez moi.

Et puis, ne nous mentons pas, une petite notule éditoriale suscite toujours davantage d'échanges que la mise en lumière d'œuvres inconnues que pas grand monde n'a encore écoutées : ça se pare ainsi d'un petit bonus interaction sociale très agréable par les temps qui courent – fût-ce à distance.

Situation aidant, j'en ai donc une petite ribambelle à écouler. Et ça tombe bien, c'est plus rapide à préparer et le travail avant l'été, les expositions, les concerts et les relations sociales vont sans doute aspirer une bonne partie du temps de notulage disponible.



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Pour accompagner votre lecture, La source d'un regard (Seattle Symphony, Ludovic Morlot).
On y entend assez bien ses différentes filiations : Messiaen (le Premier Chant d'amour de la Turangalîla n'est pas loin, au début !), les aplats progressivement évolutifs des spectraux, les cuivres varésiens (façon Déserts, au milieu de la pièce), une base harmonique relativement tonale (les cordes).



Programmation et distributions 2022

À tout seigneur, tout honneur, l'Opéra de Paris publie une belle saison, assez variée. Évidemment peu de titres rares hors Œdipe d'Enescu (qui ne me semble pas vraiment la partition la plus à même de saisir immédiatement l'adhésion d'un vaste public – quitte à jouer peu de choses rares, je mettrais des œuvres dignes de rester au répertoire, il me semble…), qui fera très plaisir à voir. Mais on y entendra Turandot qui n'y a pas été joué depuis longtemps, on retrouvera enfin Richard Strauss après une période de vaches maigres lissnérienne, il y aura beaucoup de langues (un en russe, deux en anglais, du français), un peu de baroque, des tubes. Le tout dans de très belles distributions. Certes peu de XXe.

Les plus glottophiles d'entre nous ont vite remarqué l'absence des stars les plus courues (Netrebko, Alagna, Kaufmann, en gros), mais les distributions n'en sont pas moins très prometteuses, que ce soit par l'arrivée d'autres vedettes (l'étonnant Calleja, pour la première fois dans un opéra complet en France, c'est pas trop tôt) ou par l'engagement de chanteurs moins célèbres mais très prometteurs (Angel Blue, concentration extrême du son, une sorte de Marina Rebeka à l'afro-américaine !).

Il est possible qu'il y ait un choix délibéré de changer les noms, une différence de goût chez le conseiller aux distributions, la volonté de certains chanteurs de ne pas multiplier les pays où se déplacer par les temps qui courent (mais pourquoi tant d'Américains et pas Alagna, à ce compte-là), voire tout simplement le fait renouvelé, pour Lissner – après avoir abandonné en pleine crise le jouet Opéra qu'il avait cassé et délibérément sabordé l'avenir de l'Athénée (par rivalité avec son directeur Martinet, de ce que je comprends) – de savonner la planche à son successeur, engageant toutes les vedettes pour lui à Naples et laissant Neef naviger à courte vue à son arrivée. Tout cela a peut-être été combiné, et je n'ai aucune idée si la situation est amenée à se renouveler ou si les prochaines saisons auront une allure toute différente.

Globalement, on note tout de même un souci de variété et d'équilibre plus agréable que dans les deux dernières saisons de Lissner, très monochromes dans la veine « reprises de tubes italiens » et « jouons Traviata deux fois par saison, une fois dans chaque salle ». On n'en est pas encore rendu à une salle qui aurait une ambition artistique cohérente (hors Œdipe et la création des 7 morts de Maria Callas, que des choses déjà présentées dans la maison), on ne voit pas trop les exhumations du patrimoine français promises, et la troupe annoncée n'est pas encore constituée. On comprend bien tous les obstacles qu'il y avait à programmer de l'ambitieux, du neuf, à réformer la maison en profondeur : je crois qu'en l'occurrence on ne peut pas honnêtement préjuger de l'avenir.

Disons que dans l'état actuel de l'Univers, une saison plus variée que d'ordinaire (par rapport à l'ère Lissner), avec de belles distributions adéquates (comme c'était le cas avec Ilias Tzempetonidis sous Lissner), on est plutôt content. De toute façon tout le monde est soulagé d'avoir le droit de rêver retourner peut-être un jour au concert, donc quel que soit le programme, ça fait subjectivement plaisir à lire, des titres, des propositions, du neuf, de l'avenir.



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La création contemporaine et Le Soulier de satin

Mais en ce qui concerne l'opéra contemporain, on n'est pas rendu. Lissner avait eu l'idée (intelligente) de passer l'ensemble de ses commandes avec un thème commun, la mise en valeur d'œuvres du patrimoine littéraire français : on a ainsi eu Trompe-la-Mort de Francesconi, Bérénice de Jarrell (pas une réussite, mais sur le papier, confier ce thème à ce compositeur avait une réelle pertinence), Le Soulier de satin de Dalbavie.

Ce dernier cas révèle néanmoins un cas d'école de la façon de traiter la création contemporaine d'une part comme la cinquième roue du carrosse, d'autre part sans même se soucier de ses spécificités.

Une création contemporaine à l'opéra, on est d'accord, fait moins déplacer, parce que le langage musical est en général plus difficile (et, puisque peu mélodique, procure tout simplement moins de plaisir à la plupart des spectateurs) – et, ne nous mentons pas, aussi parce que les livrets sont la plupart du temps si exécrables qu'ils entraînent dans leur chute même des partitions valeureuses qui, sises sur un texte décent, auraient pu se soutenir par elles-mêmes.

Lorsqu'on se lance dans la commande d'un création, il faut donc s'interroger sur ces paramètres afin de rendre l'œuvre d'une part suffisamment accessible au public une fois en salle, d'autre part suffisamment désirable avant même d'acheter une place – faire une œuvre géniale et jubilatoire, si personne ne réserve pour aller la voir, ça va pas non plus.

Et c'est là que nous allons observer l'enchaînement de décisions… énigmatiques.

1) Concept de départ, entrelacer composition d'opéra et patrimoine littéraire français. Excellent. Tout le monde a quelques noms de grands auteurs en tête (a fortiori le public d'opéra), ça peut permettre simultanément de renouveler le fonds d'œuvres du répertoire sur des œuvres géniales jamais encore mises en musique… et de faire des sujets dans les JTs avec un véritable angle d'accroche accessible : l'histoire racontée, le grand écrivain intemporel qui se réincarne dans une nouvelle création, etc.

2) Le choix de l'auteur. Je ne sais si Claudel a été suggéré par le commanditaire ou par le compositeur, mais il ne s'agit déjà pas de l'écrivain le plus célèbre. Il doit bien y avoir un contingent de catholiques cultivés et passionnés qui vont lâcher tout leur agenda pour courir aller entendre une mise en musique de Claudel, mais ce ne doit pas être avec ça que l'on doit remplir Bastille.

3) Le choix de l'œuvre. Le Soulier de satin : l'œuvre de langue française la plus longue du répertoire, n'est-ce pas ?  On va donc essayer de représenter, avec le débit de parole chantée (si l'on prend pour exemple les tragédies en musique de l'ère Louis XIV, elles font 3 fois moins de vers que les tragédies déclamées, et durent 30% plus longtemps…), une œuvre qu'il faut déjà comprimer pour la rendre représentable, avec une cadence de déclamation bien plus lente. Soit on dénature l'original – a fortiori si, langue française aidant, on voulait en inclure des morceaux non modifiés dans le livret… –, soit on produit quelque chose de beaucoup trop long, propre à décourager le public de bonne volonté.

4) On se retrouve ainsi avec un opéra de six heures. Avec le couvre-feu, il commence à 14h (même en semaine !). Il faut vraiment vouloir poser une demi-journée de congés pour s'enfermer, en juin, dans un théâtre inconfortable pour écouter de la musique inconnue et peut-être difficile / ennuyeuse / pas à notre goût. Foi en la création vivante hautement requise – surtout quand les autres salles (y compris l'autre de l'Opéra National de Paris), à côté, programment L'Orfeo, La Sonnambula ou Tosca, opéras de moins de deux heures aux lignes vocales généreuses et à l'harmonie familière, qui commencent à 18 ou 19h…

5) Le choix du compositeur. J'aime beaucoup la musique de Marc-André Dalbavie, ce n'est donc pas une mauvaise nouvelle ; cependant j'ai le souvenir de la série du festival Présences de Radio-France qui lui avait été consacrée (certes, il doit y avoir 15 ans), où il avait été difficile de réunir suffisamment d'œuvres pour nourrir chaque concert… Donc un compositeur pas particulièrement prolixe (ou bien était-il simplement jeune, dans sa toute petite quarantaine), à qui l'on confie un opéra très long – mais cette prévention s'efface ici, les délais ont été tenus.
    En revanche, en termes de langage, je me suis interrogé : sa façon, avec de belles couleurs orchestrales, ne se caractérise pas par le contraste dans le temps mais plutôt dans l'immédiateté de strates simultanées, évoluant peu au cours de ses pièces – mais je ne connais que superficiellement son catalogue pour en juger. Est-ce vraiment une valeur sûre pour écrire un opéra très long ? 
    Il a cependant déjà écrit deux opéras pour de grandes maisons, Gesualdo (en français, Zürich 2010) et Charlotte Salomon (en allemand, Salzbourg 2014), que je trouve très beaux mais que je n'ai pas pu écouter en intégralité. Si je m'attarde sur l'opéra français, on retrouve tout à fait sa manière orchestrale avec ses cuivres varésiens (l'attaque est à la fin du son et non au début comme c'est naturellement le cas), son écriture en couches. La prosodie est bonne, l'élocution naturelle… je m'interroge juste sur la variété du discours sur la durée – dans Gesualdo, il s'en était tiré astucieusement en incluant des portions de madrigaux.
    À tester donc : ça me paraissait initialement aventureux (je n'avais pas connaissance de ses deux opéras, et je craignais qu'il ne parvienne pas du jour au lendemain à domestiquer son langage au service de l'exercice très spécifique du drame chanté), mais il s'agit finalement d'un compositeur expérimenté (troisième opéra en dix ans), à la prosodie saine (pas d'intervalles délirants ni d'appuis musicaux indifférents à ceux de la langue), capable de belles ponctuations orchestrales. Reste simplement à éprouver s'il trouve la variété de ton (que je ne lui connais pas vraiment) pour habiter de façon suffisamment renouvelée quasiment six heures de musique. Mais je suis assez confiant que ce sera beau, en tout cas.

6) Les interprètes. C'est là le grand point fort de la proposition : le plateau vocal est assez affolant : Hubeaux, Beuron, Bou, Pisaroni dans les rôles principaux, et C. Poul, Santoni, Uria-Monzon, Čenčić, Dran, Huchet, Labonnette, Cavallier aux alentours, voilà qui promet en termes de beauté vocale, de diction exemplaire et de tempérament extraverti !
    Grand soin apporté à la distribution, donc ; pas du tout des spécialistes de la création contemporaines sortis d'une niche trop spécialisée, mais des artistes connus du public, de grandes voix même.
    Seule surprise, Dalbavie dirige lui-même, ce qui est inhabituel à l'Opéra de Paris pour les créations, généralement confiées à des chefs de renom.

Seconde partie : réalisation concrète du projet en 2021.

7) Le lieu de création. Contrairement aux habitudes de réserver la création contemporaine à Garnier, il était prévu que ce soit joué à Bastille, permettant de faire entendre plus confortablement et à un plus vaste public (plus loin du drame, aussi). Mais voilà qu'à l'occasion de la réouverture de la maison, nous apprenons que toutes les places vendues sont remboursées et que Garnier abritera la production !  Remplir à nouveau une salle, en deux semaines à partir de l'ouverture des ventes, pour de l'opéra contemporain d'un compositeur pas particulièrement starisé, voilà qui paraît aventureux. Surtout que l'inconfort de Garnier n'incite pas nécessairement à prendre le même type de risque : 6 heures n'importe où à Bastille (même dans les galeries latérales où il faut se plier pour voir), ce n'est pas du tout équivalent à 6 heures sur un siège à Garnier, où seul le parterre est réellement confortable – pour le coup, plus qu'à Bastille, dont les dossiers sont mal conçus.
    J'imagine que le but était de libérer de la place à Bastille pour des productions plus grand public, et satisfaire le plus grand nombre – mais j'ai l'impression que, bien que Bastille puisse en accueillir deux simultanément, il n'y a pas de production en alternance de Tosca ?
    Je me suis aussi demandé ce que cela produisait sur la partition, composée dans la perspective d'être jouée au besoin par très grand orchestre et dans une salle immense, qui se retrouve dans un théâtre à l'italienne… est-ce que tout le monde tient dans la fosse ?  Est-ce que ça ne va pas sonner trop bruyant ?

8) Les tarifs. Là aussi, un revirement incompréhensible. Alors que, pour remplir Bastille et inciter à la découverte de la création, ils étaient particulièrement bas – dès l'ouverture des réservations, une offre spéciale proposait des places de première catégorie à 40€ aux moins de 40 ans (de mémoire) –, les voici revenus à la normale. Ce qui est particulièrement cruel, considérant que toutes les places ont été remboursées, et qu'à Garnier, pour 45€, on a soit l'amphithéâtre – très étroit et inconfortable, avec ses dossiers ornés de moulures en métal (!), pas sûr qu'on ait le surtitrage non plus –, soit les côtés tout en haut ou plus bas en fond de loge. Bref, soit il est physiquement impossible d'y tenir six heures, soit on y voit mal. Pour 45€. Contre un premier rang de premier balcon à Bastille pour le même prix. Il faut donc clairement dépenser plus, au moins pour les petits budgets, pour obtenir un degré de confort comparable.
    Dans les seules places à 45€ d'où l'on voit bien sans aller s'entasser à l'amphi, seulement deux étaient à la vente (une de chaque côté !).
    Pour une œuvre nouvelle, qui arrive après des expériences de créations pas toujours probantes (Bérénice ou, plus loin, L'Espace dernier, avaient été fort mal reçus), c'est demander un sens de la Foi (pour ne pas dire de la Providence) assez important chez des spectateurs qui ne sont peut-être pas assez nombreux pour espérer remplir 5 dates.

9) La réservation. Dernière trouvaille géniale, les places à 25€, qui contiennent quelques sièges potables (et qui constituent un tarif un peu plus attractif pour les petits budgets prêts à prendre le risque d'une création)… ne sont cette année vendues qu'au guichet. Elles ouvrent donc le 19 pour la première représentation le 21 !  Et vont donc susciter une queue serrée sur le trottoir, un attroupement dans la zone billetterie – ce qui est exactement le choix raisonnable à faire en temps de pandémie.
    (Sans compter que cette politique de réserver aux Parisiens les places les moins chères, alors qu'il s'agit d'un opéra national, co-financé par la Nation, me paraît parfaitement discriminatoire : si vous habitez en banlieue lointaine ou plus encore en Province, hé bien vous ne pouvez pas avoir une bonne place à moins de 45€.)



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Gouvernance

Je ne comprends donc pas très bien, de l'extérieur, la rationalité des choix opérés dans les deux étapes d'élaboration de cette création.

a) La commande : quelle idée saugrenue de choisir une œuvre excessivement longue, sachant que la mise en opéra distend nécessairement les durées, et qu'il faudrait multiplier par trois (ou couper au tiers) la pièce d'origine si l'on voulait la jouer in extenso avec orchestre et chants ?  Même avec les six heures de spectacle (trop longue pour l'endurance physique dans un fauteuil et l'attention requise par de la musique nouvelle), il y aura beaucoup de raccourcis dans l'intrigue, ce qui risque apauvrir les situations ou rendre la compréhension plus difficile.

b) La mise en œuvre : pourquoi ces changements soudains, cette augmentation des tarifs, ce remboursement des places vendues, cette mise en vente partielle… alors qu'il s'agit de la seule soirée un peu difficile à vendre de la saison ?  L'Opéra de Paris est assis sur le tas d'or de sa réputation, de son rayonnement historique… quoi qu'il programme, tout est complet (sauf pour les reprises multiples de productions d'œuvres moins courues, clairement Cardillac #2, Wozzeck-Marthaler #3 ou  Rusalka-Carsen #4 n'étaient pas les plus grandes réussites de box-office de l'histoire de la maison).
    Lorsque par extraordinaire (parce que la création contemporaine est inscrite dans les statuts, tout simplement…) on met à l'affiche une œuvre moins célèbre, qui inspire moins confiance… pourquoi s'acharner à tout rendre plus difficile ?  En rendant les places vendues !  En augmentant les prix !  En réservant les places attractives au guichet !

J'ai une hypothèse pour la partie mise en œuvre : Dalbavie a peut-être, lors d'un dîner, médit – devant un peu trop de témoins – de l'élégance ou des mœurs de la femme de Neef. Celui-ci a donc juré de l'humilier, de le briser en faisant jouer sa création devant une salle totalement vide. (Je m'attends à ce qu'un mystérieux acquérer m'offre avec insistance de racheter ma place au double de son prix, à présent.)

Pour l'instant, je n'ai pas d'autre interprétation qui résiste aussi bien au rasoir d'Ockham. Je prends volontiers vos suggestions.



Annexes

Je vous joins ici quelques vidéos pour éclairer les descriptions abstraites figurant dans cette notule :

→ Entretien et extraits à propos de son premier opéra Gesualdo (Zürich 2010, en français).

→ Reportage (en allemand) sur son deuxième opéra (écrit en allemand) Charlotte Salomon (Salzbourg 2010, ici lors de la création allemande en 2017 à Bielefeld).

→ Entretien avec le compositeur à propos du Soulier de satin.
(Attention, vous entendez en fond ses Sonnets de Louise Labé, pas son opéra.)

Au disque, il existe de beaux échantillons de son art symphonique, notamment avec le Symphonique de Seattle (Seattle SO Media), l'Orchestre de Paris (Naïve) et le Philharmonique de Radio-France (Radio-France).
Aussi sa contribution, très caractéristique de son style, au Requiem de Reconciliation (paru chez Hänssler) avec son « Domine J » en guise d'Offertoire – aux côtés de Berio, Cerha, Nordheim, Rands, Penderecki, Rihm, Kurtág…



À bientôt pour un nouvel épisode de la fin de la fin-du-monde ! 
(Est-ce la fin-renouveau ou la fin-définitive, je ne m'avancerai guère sur ce point.)

jeudi 13 mai 2021

Exclusivité : saison lyrique 2021-2022 du Théâtre des Champs-Élysées


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Pour tous les optimistes qui y croient (ou les junkies qui sont ouverts à toutes les propositions), le Théâtre des Champs-Élysées a commencé envoyer ses brochures, une semaine avant l'annonce de la saison.

Le boss de l'excellent et incontournable forum Classik l'a entre les mains et livre la liste des titres et quelques détails très engageants.

→ Monteverdi, Il Ritorno d'Ulisse in Patria
→ Marais, Bacchus & Ariane (enfin !)
→ Haendel, Radamisto
→ Haendel, Giulio Cesare (scénique)
→ Haendel, Theodora
→ Vivaldi, L'Olimpiade
→ Mozart, Così fan tutte (scénique, Pelly).
→ Spontini, La Vestale
→ Donizetti, L'Elisir d'amore
→ Donizetti, Anna Bolena (lol)
→ Verdi, Rigoletto (scénique jeune public)
→ Wagner, Das Rheingold (Rotterdam)
→ Offenbach, La Vie parisienne (scénique)
→ Franck, Hulda
→ Tchaïkovski, Eugène Onéguine (scénique, Braunschweig)
→ Massenet, Manon
→ Massenet, Thaïs
→ Debussy, Pelléas & Mélisande (scénique, Ruf)
→ Janáček, La petite Renarde rusée

Et quelques compléments :

¶ Charpentier, Te Deum
¶ Bach, Passion selon saint Jean
¶ Haendel, The Messiah
¶ Pergolesi, Stabat Mater
¶ Verdi, Requiem
¶ Dvořák, Stabat Mater
¶ Fauré, Requiem
¶ Puccini, Messa di Gloria


Quelques précisions

Oui, Janáček est l'opéra le plus tardif de la saison apparemment. (Il faut dire que cette année, la création nous est passée sous le nez durant le printemps…)

Les distributions dont on dispose sont assez affolantes.

Così avec Santoni, Arquez, Aglatova (la Susanna de la dernière fois), Dubois, Sempey, Naouri. Sur instruments anciens, avec Le Concert d'Astrée et Haïm. Étonnant de ne pas avoir bouclé le cycle avec Rhorer, que j'avais trouvé absolument renversant, mais je serai ravi d'entendre Haïm également.

Rheingold : Nézet-Séguin vient avec Rotterdam, pour un concert qui réunit quelques-uns des meilleurs titulaires actuels : Karg (Freia), Cargill (Fricka), Graves (Erda), Siegel (Loge), Samuel Youn (Alberich), Volle (Wotan), Milling (Fasolt), Mikhaïl Petrenko (Fafner)… !

Onéguine qui semble avoir été distribué pour moi : Santoni, Kolosova, Borras, Bou… et même Delunsch en prime (qui fait toutes les scènes depuis longtemps en Larina… mais il y a de dix ans que je n'ai pas entendu sa voix !). Ils auraient presque pu prendre une traduction française vu la distribution (Kolosova a souvent invitée au TCE, à Bastille, et dans les salles de concert Philharmonie et / ou Radio-France, elle parle peut-être bien français), Michel Delines a peut-être fait cette traduction – son Boris et sa Dame de Pique sont remarquables.
Quoi qu'il en soit, extrêmement prometteur, a fortiori avec Canellakis qui avait fait de superbes Danses symphoniques de Rachmaninov avec l'Orchestre de Paris, et avec le National de France qui m'avait ébloui dans la Première de Tchaïkovski il y a quelques années – certes, c'était avant le passage à vide de l'ère Krivine, avant le renouvellement récent des premières chaises et il y avait Gardiner aux manettes !
Très intéressé aussi par la proposition de Braunschweig, qu'on peut pronostiquer davantage sensible aux idées de pression sociale, de tension infra-verbale qu'à la couleur locale ou à la subversion gratuite.

Pelléas avec Petibon, Barbeyrac, Keenlyside, reprise de l'excellente mise en scène de Ruf. Et en prime avec Les Siècles et Roth, qui ont vraiment apporté un éclairage totalement neuf, à la fois chaleureusement coloré et très cru (ces accords de cordes peu vibrés dans les ponctuations, lumineux et glaçants !), lors de leur récente production lilloise diffusée en ligne (et probablement toujours disponible.

Bacchus & Ariane de Marais, le CRR de Paris l'a donné en vidéo il y a quelques semaines (et, hélas, en prononciation restituée avec des résultats peu probants), ravi de pouvoir enfin voir en vrai le seul opéra de Marais qui restait à remettre à l'honneur (après Alcide à Versailles et Sémélé en tournée et au disque). Souvent annoncé, souvent déprogrammé, c'était devenu un serpent de mer – que nous serons fort aise, nous les LULLYstes, de pouvoir attraper !

Quant à Hulda, pour en avoir joué quelques pages par curiosité il y a quelques années, je n'ai pas conservé le souvenir d'une œuvre particulièrement audacieuse, mais au contraire, comme le Stradella du même Franck, marqué par l'influence italienne, certes moins uniment mélodique que ses confrères, mais amoindrissant ses tendances au chromatisme pour se couler dans l'esprit d'un langage opéra un peu plus « standard ». Je n'ai pas assez insisté pour déterminer s'il s'agit d'une œuvre mineure ou si de réelles fulgurances s'en dégagent. J'en serai donc.

Je vous recommande chaleureusement, également, la Messa di Gloria de Puccini, qui met essentiellement en valeur le chœur (les solistes chantent très très peau) et culmine dans ce Gloria de vingt minutes assez jubilatoire. Écriture chorale assez massive, mais l'orchestration, les doublures, les harmonies sont vraiment typiquement pucciniennes, avec un dépouillement dont nous sommes peu accoutumés. Un bijou qu'il faudra aller entendre, je vous assure.



Très varié, intriguant et assez exaltant, pour les premiers échos, donc !

Vous pouvez suivre en temps réel les nouvelles informations données par Xavier sur Classik.

Sans réel rapport, mais pour votre propre bien, je vous signale également la parution d'une liste à peu près exhaustive des expositions de France qui réouvrent dès le 19 mai, due à Guillaume Giraudon – qui l'a agencée sous forme d'un PDF très commode.

(À très bientôt pour quelques considérations un peu plus pérennes que le mois prochains, mais avec tout ce que vous avez enduré, vous méritiez de savoir, n'est-ce pas ?)

jeudi 6 mai 2021

Philharmonie : pour une réforme active de la liturgie à la Cathédrale de la Porte de Pantin



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Farcie de thèmes folkloriques,
très mélodique mais aussi très bien orchestrée,
la Première Symphonie de Kalinnikov
(ici par le National d'Ukraine et Kuchar)
emporterait à coup sûr l'adhésion instantanée du public tchaïkovskien.



philharmonie tapis
Concert d'Indy-Debussy-Koechlin-Roussel-Ravel-Schmitt avec parterre à 10€ sur tapis d'Orient, à la Philharmonie (juin 2018).
Image issue de l'excellent site FlorentSchmitt.com.


1. Faire voir monts et merveilles

Après les promesses de la Philharmonie de renouveler le public (tenue) et de réformer en profondeur la pensée et l'expérience du concert (absolument pas tenue), j'attendais à nouveau un certain changement avec l'annonce de la saison 2021-2022, sous contrainte covidée. On nous avait plus ou moins annoncé, l'an dernier, que la saison serait repensée ; puis rien n'a été fait en ce sens et les seuils de contamination furent tels qu'on ne fit pas de détail et que tout referma soudain – à tort ou à raison, c'est une vaste question que je ne prétends pas maîtriser dans son entièreté et qui n'est pas ici mon objet. L'idée était d'embaucher des artistes en plus petits nombres pour des formats plus réduits, et plutôt des artistes français, pour éviter les mauvaises surprises lors de fermetures de frontières. Et puis, finalement, on proposa une saison qui, annulations exceptées, fut tout à fait conforme aux précédentes.

Forts de cette expérience, je m'attendais à voir quelques propositions alternatives fleurir. Ne serait-ce que pour avoir la certitude de pouvoir jouer quelque chose en cas de fermeture des frontières. Aider aussi les artistes locaux / nationaux, dans une méchante passe. Et puis rien. À nouveau, une saison qui fait la part belle aux grands orchestres étrangers et aux symphonies postromantiques très fournies, les Bruckner, Mahler, R. Strauss…

Ce n'est qu'une publication jusqu'à décembre, soit 40% de la saison, et je comprends très bien la nécessité de reconduire les partenariats avec les orchestres et artistes les plus prestigieux et demandés, afin qu'ils ne prennent pas leurs habitudes ailleurs. (Enfin, à la vérité ça me paraît une question tout à fait superficielle et facultative, mais le public serait déçu s'il manquait Bartoli, Barenboim ou Argerich, et la tutelle serait déçue « Bayle / Mantei, il sait pas attirer les stars » et ce serait vu comme une baisse de rayonnement. Car nous sommes absurdement arc-boutés sur quelques noms – pourtant il est très clair que Kaufmann n'est, techniquement, plus dans l'étroit top des ténors lyrico-dramatiques internationaux. Mais il faut l'avoir, sinon la saison est ternie dans son principe même de « réunir le meilleur.)


2. Elle porte en elle le péché originel

Pourtant, aussi bien aux origines de la Philharmonie qu'aujourd'hui, le renouvellement du format des programmes était prévu et possible.

Dans la nouvelle saison, domine de façon écrasante l'association ouverture / concerto / symphonie, cette convention un peu formelle que le projet de Bayle avait promis de renouveler.

Mais c'est difficile, lorsque le modèle place tout en haut de la pyramide les artistes. Si l'on veut absolument avoir un orchestre, un ensemble, un pianiste, un chanteur, on peut difficilement lui imposer le répertoire ou le format du concert. Plus encore que cela, je crois tout simplement que la salle est très contente de sous-traiter l'artistique en appelant Rousset ou Pichon : « vous venez nous faire quel opéra / oratorio cette saison ? ».

Pourtant, à ses débuts, la Philharmonie avait osé des formats difficiles à construire ailleurs, et au fil des saisons, quoique moins nombreux, on a pu vivre des expériences alternatives comme Jeanne d'Arc au Bûcher, Samstag (avec spatialisation et bi-localisation du concert) et Dienstag (avec ses projections de bataille aérienne) de Stockhausen, Prometeo de Nono, des œuvres symphoniques françaises à écouter allongé sur des tapis d'Orient…

Dans le même temps, on abandonnait progressivement les concerts thématiques « transversaux » de la Cité de la Musique, parfois critiqués à juste titre pour leur caractère un peu arbitrairement conceptuels (on mélangeait les styles à partir de références programmatiques communes, approche un peu « littéraire » de la construction d'un concert), mais qui avaient le mérite de mettre en valeur des œuvres moins jouées, des formats qui ne soient pas forcément ceux d'ordinaire dévolus au concert symphonique / récital vocal / concert de musique de chambre / concert de lieder… Des morceaux de cantate avec des bouts de symphonies et un peu lied… Tout cela a progressivement (et désormais totalement) disparu, en même temps que la promesse de concerts de format étrange mais exceptionnels s'est réduite – il n'en reste plus que la promesse du cycle Licht de Sotckhausen avec les sept opéras au complet.

Et l'on se retrouve donc avec une demi-saison au format ouverture / concerto / symphonie. Avec peu de compositeurs différents. Quasiment rien d'un peu original.

Je le comprends, bien sûr : autant ne pas projeter de grandes entreprises complexes à organiser (et qui ne seront jamais montées à nouveau) si l'on est à 20% sûr de les jouer effectivement à la date donnée… On se doute bien qu'à partir de novembre, entre le retour de l'hiver, la fin de l'immunité des malades et peut-être des vaccinés, la probabilité de nouveaux variants… il sera difficile de donner des concerts en très grand effectif sans que quelques artistes ou membres du public ne déclarent la maladie à proximité de la représentation… Il serait dommage de mettre des efforts gigantesques pour quelque chose qui ne serait pas déplaçable (typiquement parce que si un seul des artistes a d'autres engagements, impossible de le remplacer aisément).
Faire une saison de tubes n'est donc pas absurde en soi.

Et puis les artistes ont moins joué ensemble, ils reprendront un peu leurs repères collectifs avec du connu. Le public, lui aussi privé, a sans doute envie de réentendre ses œuvres chouchoutes, un petit Don Giovanni, une Passion de Bach, une symphonie de Mahler, vous voyez le genre. D'accord.

Pour autant, il existe d'autres voies.


3. Rien qu'une fois pousser la porte

D'abord, on pourrait s'astreindre à une petite règle toute simple : pas deux fois la même œuvre dans la saison (voire sur deux saisons…). Ça obligerait mécaniquement à un peu de renouvellement.

Et puis, même pour les passionnés d'un seul compositeur, comme cela, on aurait une intégrale Mahler complète chaque saison, plutôt que d'avoir 4 n°4,  5 n°1, et rarement de n°7, jamais de n°8…

Je ne vois pas de bonne raison de ne pas appliquer cela. Quant aux orchestres invités, c'est quand même pas bien compliqué de leur dire « désolé, on a déjà joué Beethoven 7, jouez Beethoven 5… », ça ne va pas désorganiser leur programme.
Par ailleurs on pourrait tout à fait envisager de leur donner la préséance, et qu'on commence par les partenariats les plus difficiles : Berlin jouera ce qu'il voudra… mais en bout de course, ça veut dire que l'Orchestre de Paris ne va pas voir le bout d'un Sacre du Printemps pendant un moment !

Sans rien décider d'autre, on aurait donc au minimum des intégrales complètes, et des œuvres moins courues des compositeurs les plus célèbres au programme, ou même simplement des titres plus variés – un peu de Schumann et de Mendelssohn lorsqu'on aura épuisé le côté Beethoven-Brahms-Mahler. Ou bien les chefs devront ruser et jouer les musiques de scène de Beethoven, les Sérénades de Brahms, les excellentes 0 et 1 de Bruckner qu'on n'entend jamais…

Par exemple, dans la saison à venir, je n'ai aperçu dans les symphonies qu'un seul Schubert (la 9), un seul Schumann (une 2 je crois) et aucun Mendelssohn, sauf erreur ?  Ce serait déjà un moindre mal si on avait du choix à l'échelle d'une saison, même parmi les plus célèbres.


4. Sous peine d'être changé en statue de sel

Autre piste simple d'amélioration : on demeure collé à cette forme de concert prédéfinie, qui satisfait finalement peu les auditeurs, l'ouverture-concerto-symphonie.

Or les amateurs d'instruments, les pianistes qui viennent entendre Grimaud ou Argerich, les violonistes présents pour Hahn ou Ehnes… seraient sans doute ravis d'entendre des programmes incluant plusieurs concertos, comme ce fut quelquefois fait pour Mozart, Beethoven ou Rachmaninov. Quitte à inviter un pianiste peu connu pour le concerto que ne veut pas la star.

Et cela permettrait, une fois mis les numéros pour singes savants dans un concert spécifique, de faire des concerts contenant uniquement de la vraie musique avec de belles symphonies ou de grands poèmes symphoniques. Pourquoi pas aussi, des concerts « d'Ouvertures », avec une collection de poèmes symphoniques courts, de petits airs, etc.

En tout cas quelque chose de différent de l'habitude, plutôt que les fans du soliste s'ennuient pendant l'ouverture et restent à chahuter pendant la symphonie, ou que les amateurs de musique symphonique attendent poliment la fin de la première partie (pas mal de geeks concertopathes de mon entourage arrivent volontiers après l'entracte, même…) pour entendre ce qu'ils sont venus écouter.

Le court épisode de concomitance concerts + couvre-feu, à l'automne dernier, a aussi montré l'intérêt de concerts courts qui débutent tôt… ou du moins, de concerts qui ne finissent pas trop tard. Un concert d'une heure sans entracte, c'est bon pour la concentration, et ça permet ensuite d'avoir le temps de rentrer chez soi vivre un peu, ou même simplement de discuter plus à loisir avec les amis. J'espère, à titre personnel, que le format survivra. Début à 19h30, fin à 20h30, c'est vraiment parfait pour être à fond pendant et vivre d'autres expériences ensuite. Surtout si c'est pour attendre la fin du 5e concerto pour violon de Tchaïkovski de la saison…


5. Tel un oiseau qui étend ses ailes

Mais, en vérité, j'aspire à des changements encore plus profonds. Ne me jugez pas. Pas tout de suite.

La Philharmonie étant désormais établie comme un établissement important en Europe et dans le Monde, on pourrait demander aux vedettes de venir avec un programme intéressant… (désolé Daniel, il va falloir ajouter un quatrième compositeur à ton répertoire si tu veux venir…) Je suis sûr que beaucoup de stars auraient des souhaits, des propositions qu'on ne veut pas oser ailleurs.

Simplement poser la question à Kaufmann ou Netrebko « quel machin rare rêvez-vous d'interpréter ? ».

Pour cela, il faudrait repenser totalement la façon de constituer les saisons : ne pas demander à l'ensemble à la mode ce qu'il joue, mais imposer (c'est possible, en tant que commanditaire !) les sujets, ou à tout le moins négocier des propositions qui renouvellent un peu le répertoire.

(Je sais bien qu'il n'y a pas d'enjeu auprès de la tutelle et d'une partie du public, qui vont simplement regarder le nombre de dates Bartoli Kaufmann Netrebko Argerich Grimaud Capuçon Barenboim Berlin Amsterdam pour juger du rayonnement de la salle. Pour autant, on pourrait le faire tout en invitant ces gens, et sans nuire nécessairement au remplissage !)

Autre astuce, inclure un tube absolu au sein d'un programme plus original. Proposer la Suite de Star Wars en ouverture de la Natursymphonie de Hausegger – il y a une parenté thématique dans le scherzo, on pourrait même faire venir un récitant pour déclamer quelques répliques autour de la Force, living field that binds the galaxy together

Moins aventureux encore, mais déjà bienvenu, inclure l'audace à la marge, seulement dans la partie Ouverture du programme. Quand un orchestre russe vient, ouvrir par la Princesse lointaine de Nikolaï Tchérépnine (un bijou de moins de dix minutes, débutant par un splendide solo de violoncelle) avant de jouer les Tchaïkovski d'usage, ce serait assez rafraîchissant – et franchement réjouissant. Et pour tous, mettre les Variations sur « Prinz Eugen » de Graener pour mise en bouche, quel éclat !


6. Le désirer fait-il de moi un criminel ?

Si on laisse un instant de côté nos réflexes sur ce qu'est une proposition de concert classique – à savoir la combinaison grande œuvre, grand soliste, grand orchestre, grand chef –, qui se centre en général sur l'idée de réitération d'une qualité exceptionnelle plutôt que de découverte, de pédagogie, de surprise, de bonhommie… Il y aurait alors tellement de choses passionnantes à essayer.

Imaginez, une saison construite comme histoire de la musique, qui trace un fil depuis la polyphonie vocales et les danses XVIe jusqu'aux traditions chorales d'aujourd'hui (coucou la Baltique !) et aux intégrations récentes de danses populatires (Scènes de bal d'Escaich, Techno-parade de Connesson…). Ou bien un parcours dans la géographie musicale, une saison à dominante néerlandaise ou polonaise, qu'on pourrait assortir d'anecdotes sur l'histoire politique et artistique de l'Europe, avec mille transversalités possibles, partenariats, valorisation de produits locaux, etc. Concert-dégustation correspondant au pays choisi ?

Figurez-vous une saison qui cherche à évoquer la Grèce Antique, la Grande Forme (musicale), les Celtes ou que sais-je… Une saison Roi Arthur, incluant Purcell, Wagner, Chausson, Albéniz et au sens plus large tout l'univers chevaleresque… voilà qui aurait de l'allure, non ?

On pourrait s'organiser le Mois des Psaumes en novembre, avec la Symphonie n°6 de Tournemire, les Psaumes de Schmitt, L. Boulanger, Ropartz, Kodály, des motets de Bach ou Lalande… le Mois des Fleurs en avril avec Casse-Noisette, La Fleur de pierre de Prokofiev, l'acte II de Parsifal, une cantate sur Narcisse…
Avec une bonne campagne de communication, Die ersten Menschen (« Les premiers humains ») de Rudi Stephan, c'est quand même Adam & Ève, Caïn & Abel, en version psychanalytico-psychédélique !  Inclus dans un cycle « Pentateuque », voyez tout ce qu'on pourrait mettre comme fragments ou œuvres intégrales, le Cantique de Moÿse de Moulinié, Le Déluge de Falvetti, la Création de Haydn, Noé d'Halévy-Bizet, Jakobsleiter de Schönberg… Ou un cycle rois bibliques, avec la fille de Jephté vue par Carissimi, Montéclair et Schumann, David par Mozart ou Kodály, Salomon selon Gounod…

Si c'est fait intelligemment, avec une progression qui suit les textes, assorti d'un bon appareil critique ou de présentations, ce peut être plutôt stimulant. Et hautement vendable aux magazines culturels grâce à sa transversalité.

Car je rêve plus encore de cycles dont la thématique serait musicale. Par exemple « symphonies et chants populaires », où l'on pourrait inclure Boismortier, Kalinnikov 1, Rimski, Magnard 3, d'Indy, Dopper 2 & 7, Atterberg 1, Le Flem 1… « Symphonies et fugatos » aussi, pour mettre en évidence certains aspects formels, à travers leur répétition. « Cycle cor anglais », où l'on mettrait en valeur les œuvres qui l'emploient de façon très audible (Salomé de Schmitt !). Etc.

On peut aussi simplement jouer des choses isolées et dignes d'intérêt, soit parce qu'elles sont susceptibles d'intriguer en tant que telles (les folk songs de Beethoven – panachées avec leurs originaux par un ensemble spécialiste ?), soit parce qu'on pense qu'en dépit de leur obscurité elles toucheront immédiatement le public (Czerny 1, Macfarren 4, Bowen 2, Bliss Colour, Popov 1,  Tyberg 2 & 3, Diamond 4, Zhurbin 2…).

Le plus difficile – et c'est là que réside toute l'ambition de l'opération – est d'acquérir la confiance du public pour qu'il vienne régulièrement en toute confiance malgré la confidentialité des œuvres – l'Opéra-Comique servant en la matière d'illustre modèle. Il faut être sûr que ce qui est présenté peut obtenir son approbation (je suis persuadé que ces œuvres-là feraient leur effet !), mais il faut surtout le faire venir une première fois, pour qu'il puisse percevoir l'intérêt de la chose.

Pour ce faire, on peut bien sûr déployer des trésors de communication, promettre une nouvelle Neuvième de Dvořák pour les premières d'Atterberg, faire de jolies affiches avec des clins d'œil autour de la thématique de la saison, organiser quelques happenings en invitant un artisan lumières à la mode, en faisant un concert lumières baissées (matelas au parterre ?), etc.

Et pour boucler la boucle,  si l'on veut absolument remplir, on pourrait toujours demander à Kaufmann de venir chanter Mon Légionnaire en première partie. On peut ensuite faire un concert de futuristes russes sur harpe scordatura, peu importe, le public sera là.



philharmonie prometeo
Concert de Prometeo de Nono à la Philharmonie de Paris (décembre 2015).
Image issue du carnet-de-Toile de Claude Gayman.



7. Menés jusqu'à l'autel

(Oui, n'avez pas rêvé l'origine des titres…)

Voilà pas mal de pistes, qui peuvent être (certes en se donnant un peu plus de mal qu'en programmant tous les ans Barenboim dans Beethoven ou Wagner) tout à fait opérantes en matière de remplissage et de satisfaction du public… Et je ne suis qu'un aimable dilettante : je suis sûr que les gens du circuit auraient les connaissances pratiques et les moyens concrets pour inventer encore plus astucieux.

… mais si jamais vous avez besoin de la profondeur de mes intuitions visionnaires, je suis prêt à me mettre au service de la France.

Je n'ai pas d'illusions sur le fait que ce puisse se réaliser un jour, mais je ne me résous toujours pas à abandonner l'idée que, lorsqu'on est assis sur le tas d'or d'une subvention pérenne et d'un public fidèle, on n'en profite pas pour se mettre au service de la musique et de l'édification des spectateurs. Alors que le système actuel semble tourner autour des grands noms et du confort de proposer l'artiste à la mode – s'il est curieux, il pourra oser (Rousset, Pichon ou Bartoli nous ont réservé de belles surprises en la matière) ; mais la logique même me paraît marcher sur la tête, à savoir de penser d'abord à des noms d'interprètes (les plus célèbres, pas forcément les meilleurs dans l'absolu, ni même les plus adéquats pour ce qu'ils vont chanter) et de laisser au hasard (ou plutôt à la répétition conforme infinie…) le soin de décider quelles musiques seront jouées.

La Philharmonie ne courrait aucun risque à essayer quelques-unes de ces pistes. La subvention est garantie. Le public est là. Les moyens de communication à disposition son puissants.

Sur ces entrefaites, je m'en retourne écouter des disques de romantiques danois et décadents bataves, guetter la reprise de l'Athénée, des petites compagnies et des conservatoires, et contempler le monde s'abîmer dans les flammes de la Plaie universelle.

À la semaine prochaine !

David Le Marrec

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