Carnets sur sol

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dimanche 30 mai 2010

Le Winterreise pour les débutants


1. Présentation

Pas d'ample présentation, on trouvera une description des modes d'écriture les plus fréquents de Schubert dans le lied dans notre série d'introduction au lied. Voir aussi et notamment, sur Winterreise :


Rappelons simplement qu'il s'agit d'un cycle en deux parties de douze lieder chacune sur des poèmes d'un recueil de Müller, réorganisé par Schubert.

C'est un véritable cycle, puisqu'il ménage une progression et que la fin nous ramène au début.

Le Wanderer (celui qui voyage au hasard, qui erre) dont l'amour a été repoussé ou ignoré marche à la mort ; sans la trouver, il en voit partout l'image, mêlée aux souvenirs de la bien-aimée.
Dans le premier lied, il quitte la ville ; dans le dernier, il croise un joueur de vielle aux doigts engourdis par le froid, susceptible de chanter son histoire, ou bien de le mener sur l'Autre rive.

On le considère généralement comme le sommet du lied, et ce n'est pas tout à fait à tort, tant la qualité mélodique, l'intensité émotive des modulations, la bonne tenue des textes en font un parcours extrêmement prégnant, pour ne pas dire bouleversant. Et cela dans une grande simplicité de ton.

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2. Méthode de sélection et conseils

Le Winterreise est un moyen commode d'exercice pour les pianistes débutants, qui donne assez facilement des résultats agréables. Si peu que l'on aime le lied, c'est très vite stimulant à pratiquer, bien plus que la plupart des autres cycles de Schubert ou d'autres compositeurs (assez accessible et assez mélodique àt complet la foise). Les plus faciles à accompagner peuvent même, parfois, être pratiqués sans difficulté supplémentaire par le chanteur en même temps que le chant.

Les lutins ont donc magiquement opéré un petit classement par facilité décroissante des différentes pièces. Au sein de chaque groupe, ils ont essayé d'aller du plus intéressant par rapport à l'effort fourni au moins intéressant ou plus difficile.

Il faut aussi préciser que dans le cadre d'une pratique strictement pianistique nous recommandons la tonalité d'origine : elle sonne toujours plus limpide, et c'est plus confortable digitalement. En tonalité originale, tous les lieder tombent assez agréablement sous les doigts. Les trois cycles se trouvent en ligne sous cette forme (Indiana Variations Scores Project ou IMSLP.org), ou regroupés à petit prix dans une gravure musicale agréable et un format large chez l'éditeur Dover.
Le seul inconvénient est qu'il existe moins de possibilités de trouver de chanteurs pouvant assumer cette tessiture. Si l'on veut travailler avec des mezzos ou des barytons, il faut alors adopter le volume paru chez Peters de l'édition dite "Fischer-Dieskau", avec les hauteurs assez bien pensées - et des enchaînements harmoniques de lied à lied pas trop rudes. Elle est assez bien pensée aussi pour le jeu du pianiste. Pour les altos et les basses, on trouve des versions plus graves chez Bärenreiter, ou encore les CD-Roms de CDSheetMusic.com qui proposent beaucoup de lieder en transpositions diverses (en PDF).

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3. Sur les tessitures

Schubert écrivait généralement pour sa propre voix, qui était celle d'un ténor apparemment assez léger, et dans le Winterreise, ce sont les versions hautes qui sont originales. Il n'a écrit qu'une version alternative, un ton plus bas, pour "Der Leiermann".

La version d'origine est donc celle qui débute avec "Gute Nacht" en ré, "Wetterfahne" en la, etc. Les versions "Mittlere Stimme" / "Medium voice" / "Voix moyennes" sont des transpositions.

C'est celle qui sonne le mieux au piano et qui tombe le mieux sous les doigts, mais si vous avez le projet ensuite d'accompagner un chanteur, vous en trouverez peu qui les chantent à ces hauteurs - les mezzos et barytons sont très majoritaires dans cette oeuvre. Voir les conseils ci-dessus.

D'une manière générale, le cycle n'est pas facile pour un débutant à cause des tessitures parfois un peu longues, mais pour un chanteur moyen, le tout est tout à fait accessible pour la plupart si on choisit la bonne hauteur pour sa voix, quitte à choisir ses tonalités entre plusieurs recueils, au début. Sinon, si l'on veut du chant facile, on recommande plutôt Schumann, on y trouvera des choses vraiment très accessibles dans les cycles. Et cela va souvent de pair avec un accompagnement récurrent assez simple, du moins si l'on élit un pianiste séparé du chanteur.
Quelques lieder cependant sont très accessibles dans ce cycle, mais cela variera selon que l'on est plus à son aise avec le sillabando, le récitatif, la cantilène...

Et signalons à nouveau, à toutes fins utiles, que nous recommandons absolument, afin de chanter correctement, de maîtriser une langue à l'oral avant que de la chanter... ou d'user dans un premier temps de traductions, même artisanales et moches.

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4. La liste

Très facile :

Suite de la notule.

Italienisches Liederbuch de Wolf aux Abbesses (Vondung / Güra / Berner)


1. Un corpus

J'ai toujours considéré le Spanisches Liederbuch comme plus consistant musicalement que cet Italieniches si typique de Wolf, avec sa simplicité tarabiscotée, ce dépouillement farci de détails rythmiques retors et de micromodulations recherchées.

J'ai déjà exposé la tendresse mêlée de perplexité qui m'envahit à l'écoute de la plupart du corpus de Wolf. Ce n'est pas faute d'être familier du lied, pourtant - même le plus reculé et le plus bizarre.

Ce Livre de chansons italiennes est en réalité une compilation de poèmes et chansons populaires italiens, traduits en allemand par Paul Heyse. Ces miniatures évoquent des situations assez typiques, des sérénades, des jalousies, quelques fâcheries... autour de l'amour bien sûr ! Elles peuvent être attribuées à deux voix de sexe différent, et le sont traditionnellement, puisqu'on a clairement les deux faces de la pièce amoureuse qui s'expriment.

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2. Un concert

Il est excessivement rare de les entendre en concert, du moins hors des pays germaniques, et plus encore dans leur entier. Il faut dire que c'est un concert un peu austère, nécessairement. Ici, seuls les titres sont fournis dans le livret, et le surtitrage n'indique que la traduction du premier vers... On imagine le grand moment de solitude de celui qui n'a pas l'habitude du lied et ne maîtrise pas les textes.

Aussi, je m'y étais précipité, en prenant soin d'apporter les textes. Précaution doublement inutile. Tout d'abord, l'articulation des deux chanteurs était parfaite, on entendait intégralement le moindre mot prononcé. Ensuite, ils avaient fait le choix intéressant de redistribuer l'ordre des numéros, afin de faire de ces fragments d'historiettes une narration un peu plus suivie, même si elle a bien sûr ses creux et ses redites. Cela rendait donc, vu la durée brève de chaque lied, la consultation du texte un peu malaisée dans le silence de la salle de concert...

La chose la plus frappante que j'aie retirée de cette soirée est le caractère potentiellement parodique de tout cet ensemble, que les interprètes osent aborder, mais par la marge, dans les cas les plus frappants - et un peu dans leur jeu scénique.
Car Wolf traite avec sa distance habituelle les textes, établissant un flux constant un peu morose dont seule l'étude attentive peut retirer les intentions expressives. Et le ton tout de même très pittoresque des textes, plus quelques indices dans l'accompagnement ou les lignes vocales, permettent de penser que le compositeur s'amuse beaucoup et ne peut prendre pour mode privilégié de l'expression d'un spleen ce support-là !

Je précise que je tâche là de décrire cet écriture et ces effets, mais ce que ne sont pas vraiment des réserves - je suis sorti du concert avec l'envie furieuse de jouer / chanter ça...

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3. Interprètes

Suite de la notule.

'A travers Clara' - Orianne Moretti joue et chante Wieck


A l'Archipel (petit théâtre Boulevard de Strasbourg dont on a mainte fois vanté la programmation), pour deux soirées (4 et 5 mai 2010), un spectacle original fondé sur un concept assez opérant : Orianne Moretti, au gré de lettres choisies parmi la correspondance des époux Schumann, retrace leur existence commune.

Suite de la notule.

Billy Budd de Benjamin Britten - Tate / Zambello - (Paris Bastille, 29 avril 2010)


Cette production célèbre m'avait toujours attiré ; on n'y attend pas de psychologie développée, mais un sens du spectaculaire qui procure à l'atmosphère maritime tout son lustre.

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1. L'oeuvre au disque

Suite de la notule.

dimanche 23 mai 2010

Pudeur

Cette conversation de larmes devint à la fin conversation de baisers ; je passe légèrement cet endroit.

Ou encore :

Cette suivante qui était de l'intelligence, dit à Psyché : Nous avons ici des cygnes que les Amours ont dressés à nous servir de gondoles ; j'en prendrai un : nous traverserons la rivière par ce moyen. Il faut que je vous tienne compagnie pour une raison que je vais vous dire ; c'est que ces moutons sont gardés par deux jeunes enfants sylvains qui commencent déjà à courir après les bergères et après les nymphes. Je passerai la première, et amuserai les deux jeunes faunes, qui ne manqueront pas de me poursuivre sans autre dessein que de folâtrer ; car ils me connaissent et savent que j'appartiens à Vénus : au pis aller j'en serai quitte pour deux baisers ; vous passerez cependant. Jusque-là voilà qui va bien, repartit Psyché ; mais comment approcherai-je des moutons ? me connaissent-ils aussi ? savent-ils que j'appartiens à Vénus ? - Vous prendrez de leur laine parmi les ronces, répliqua cette suivante ; ils y en laissent quand elle est mûre et qu'elle commence à tomber : tout ce canton-là en est plein. Comme la chose avait été concertée elle réussit. Seulement, au lieu des deux baisers que l'on avait dit, il en coûta quatre.

[...]

Pour achever le chagrin de cette Déesse, Psyché arriva avec un paquet de laine aussi pesant qu'elle. Les choses s'étaient passées de ce côté-là avec beaucoup de succès. Le cygne avait merveilleusement bien fait son devoir, et les deux sylvains le leur : de voir, de courir, et rien davantage ; hormis qu'ils dansèrent quelques chansons avec la suivante, lui dérobèrent quelques baisers, lui donnèrent quelques brins de thym et de marjolaine, et peut-être la cotte verte, le tout avec la plus grande honnêteté du monde.

Suite de la notule.

samedi 22 mai 2010

Quel giorno più non vi leggemmo avante - [Vedernikov à Pleyel dans Francesca da Rimini de Rachmaninov]


Concert exceptionnel hier à la Salle Pleyel, avec le Philharmonique de Radio-France. Tout d'abord, il s'agit peut-être du plus bel orchestre sur instruments modernes que j'aie entendu cette saison : les cordes soyeuses et homogènes, vraiment un ensemble magnifique ; les bois très incisifs, aux timbres légèrement voilés (beaucoup de précision et de grâce).


Alexander Vedernikov.


Ensuite, un programme tout russe assez original. Et vraiment intéressant.

Suite de la notule.

Une autre Madeleine

Gilles, lecteur fidèle de ces carnets, a laissé un autre écho de Magdalena de Villa-Lobos au Châtelet. On peut le lire ici.

Bière et poésie

Chacun a son emploi parmi les travailleurs ;
L'un sépare le grain que l'autre emporte ailleurs.
Le monceau disparaît ainsi que par machine.
Quatre tas différents réparent sa ruine ;
De blé, riche présent qu'à l'homme ont fait les cieux ;
De mil, pour les pigeons manger délicieux ;
De seigle, au goût aigret ; d'orge rafraîchissante,
Qui donne aux gens du nord la cervoise engraissante.

Suite de la notule.

jeudi 20 mai 2010

Heitor Villa-Lobos - MAGDALENA - Rouland (Châtelet 2010)


Voilà un spectacle qui m'a laissé perplexe, et à vrai dire plus intéressé que touché. Comme les critiques et comptes-rendus publiés en ligne m'ont paru assez peu informatifs une fois vu le spectacle (y compris la vidéo proposée par Concertclassic, que j'introduis ci-dessous), j'en touche un mot, d'autant qu'il y a plusieurs choses dignes d'être remarquées.

Il n'est pas si fréquent de sortir d'un spectacle en ne pouvant porter un jugement à la fois sur son plaisir et sur l'oeuvre. J'ai été en quelque sorte séduit de façon purement intellectuelle par un spectacle dont la visée est au contraire de toucher très directement, avec des moyens simples, d'où cette confusion des sentiments, sans doute.

Le titre lui-même constitue déjà une forme de paradoxe. Magdalena n'est pas un personnage de Magdalena, mais le nom du fleuve qui traverse l'endroit où se déroule l'action (fleuve qui n'a absolument pas de rôle majeur, à part que le général Carabaña y débarque pour rentrer au pays). De ce fait, on ne désigne pas de personnage principal, et il serait difficultueux d'en nommer un en particulier.

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1. Contenus

L'oeuvre, chantée en anglais, est présentée comme une 'aventure musicale en deux actes' par le compositeur, et on nous parle dans les notices d'un métissage entre opéra et comédie musicale. Il est vrai que le Prélude orchestral (repris comme prélude également à l'acte II) est de la meilleure farine, avec ses figures mélodiques simultanées tirant vers la polytonalité (ces différentes "couches" font furieusement au début des Gezeichneten de Schreker, et même quelque peu aux Gurrelieder de Schoenberg). [Ce tuilage singulier est vraisemblablement censé évoquer le bruissement de la forêt équatoriale.] On est émerveillé et plein d'espoir, heureux du privilège d'assister à une oeuvre aussi rare et aussi dense (qui, d'après la vidéo extraite de la générale, avait l'audace, quoique tout à fait tonale, de ne pas s'achever sur un accord parfait).
Ce n'est pas étonnant de la part de Villa-Lobos, qui maîtrise aussi bien la couleur locale façon sucre d'orge que l'écriture complexe et raffinée, quoique toujours très colorée et un peu sucrée, qui s'exprime par exemple dans sa Dixième Symphonie.

Suite de la notule.

mercredi 19 mai 2010

Le disque du jour - XXXIV - Ibsen / Grieg : Peer Gynt en français


1. Une musique de scène pour Une pièce

Lorsqu'Ibsen écrit sa pièce, il pense produire quelque chose de valeur, mais de spécifiquement norvégien. Dans le tout récent bokmål, cette pièce est conçue comme une évocation du rapport à ce pays, à sa mythologie, à ses spécificités. Sous un jour volontiers effrayant, mais pas du tout avec l'idée d'emprisonnement fatal dans la nuit et le froid qui prévaut dans la plupart des pièces d'Ibsen (et qui trouve son expression la plus oppressante avec le village du Nord enclavé dans le fjeld où agonise le fils de Brand).
Bien sûr, comme il se doit, le personnage principal se trouve écrasé par la révélation de son être profond, mais c'est ici sous une forme plus ludique qu'à l'acoutumée, sous les traits d'un mauvais garçon dont on suit la destinée ambitieuse et sans cesse déçue au bord de l'accomplissement. Malheureusement pour lui, les femmes sont trop intelligentes.

Ce qui est conçu comme un lesedrama, une pièce destinée à la seule lecture, est bien sûr peu souvent monté avec ses changements de lieux innombrables, ses personnages pléthoriques et sa durée de cinq heures environ, mais a cependant connu un succès international qui a désarçonné Henrik Ibsen lui-même. C'est, on pourrait dire, à la fois de loin la pièce la plus célèbre de son auteur, et paradoxalement loin d'être celle dont le contenu est le mieux connu.


Ibsen sollicite lui-même Edvard Grieg pour écrire la musique de scène pour la mise en représentations de l'oeuvre, et se révèle très intéressé et ouvert, autour des enjeux et des nécessités d'aménagements de la mise en musique. Celui-ci accepte, honoré, mais en dépit de la réputation qu'il a ensuite eue, de son vivant même (Hjalmar Borgstrøm, qui avait étudié en Allemagne, se positionnait précisément contre la tendance figuraliste et folklorique qui prévalait dans son pays à la suite de Grieg), comme chantre folkloriste des climats norvégiens, il ne semble pas très inspiré, dans sa correspondance, par ces danses de trolls.

Néanmoins, le résultat connaît un grand succès, et se joue encore très fréquemment, en concert et au disque, sous la forme des deux suites que le compositeur a tiré de sa musique de scène. L'introduction de Peer dans le palais du Roi des Trolls est même sans doute la pièce la plus célèbre de tout Grieg.

Et depuis la disparition de la musique de scène dans les théâtres, les deux oeuvres continuent ainsi leurs chemins séparés, l'une lue par les amateurs de théâtre interlope, l'autre écoutée par les mélomanes aux goûts 'grand public' pour ses atmosphères lyriques charmantes.

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2. Le retour de la communion théâtre / musique

Alors que la musique a très longtemps triomphé dans l'opéra en le détournant de sa mission initiale d'exaltation presque rituelle d'un texte théâtral (en réalité, dès la fin du XVIIe, en Italie, la fascination pour les possibilités pyrotechniques des voix monopolisent l'attention au détriment du propos), on assiste depuis quelques décennies à un mouvement inverse, certes doux et prudent, mais très réel.
Dans les années 50, on commence à retourner à la langue originale pour assurer une plus grande proximité aux voeux du compositeur, en conservant le lien étroit entre les inflexions musicales et le texte. A partir des années 70, les mises en scène incluent la direction d'acteurs fine, la distanciation, la transposition, voire la contradiction vis-à-vis du texte littéral, comme au théâtre : pour révéler des choses dans le texte.

Peer Gynt finit par profiter, ces dernières années de ce mouvement (de pair avec la recherche de l'authenticité illustrée notamment par les mouvements 'baroqueux' depuis la fin des années 60).

Et un certain nombre de versions intégrales de cette musique de scène fleurissent, dont certaines disposent d'une large part de texte pour les remettre dans leur élément d'origine et leur redonner leur charge dramatique et émotive. Cela peut se faire avec des parcelles du texte original d'Ibsen, comme chez Ole Kristian Ruud (disque BIS avec le Philharmonique de Bergen, le plus bel orchestre du monde) et Bjarte Engeset (pour Naxos, avec le Symphonique de Malmö), deux très belles versions (la première est vraiment extraordinaire musicalement). Le bokmål, qui n'a pas beaucoup d'équivalents pour sa beauté chantée, est cependant assez bizarrement exubérant au théâtre pour des oreilles non averties (de même que l'allemand théâtral n'a pas la même grâce que celui du lied ou de la poésie bien dite, et qu'il faut entendre l'anglais déclamé pour prendre la mesure de ce que le chant occulte dans cette langue). Et surtout, la majorité des auditeurs risquent d'être éconduits - c'est plus difficile qu'à lire (où au contraire un lecteur d'allemand et d'anglais peut sans grand effort apprécier un texte).

Aussi, toujours dans cette perspective de donner une place théâtrale plus authentique et plus complète, le label Aeon (plus célèbre pour sa politique en faveur de la musique contemporaine, et notamment...) a franchi le pas salutaire : à partir d'une version enregistrée à Genève en 2000, trois bandes-son différentes ont été ajoutées, chacune dans une langue différente (allemand, anglais et français). Les pochettes allemande et anglaise sont identiques, mais la française comporte le portrait du rôle-titre, Lambert Wilson. Le résultat est remarquable de naturel, et la distance de quatre ans (!) qui sépare les deux époques de production n'est absolument pas sensible, tant la parole, même sur la musique, se fond idéalement dans l'orchestre, légèrement devant, mais pas du tout déconnectée et suramplifiée comme c'est trop souvent le cas, jusqu'à ruiner l'écoute.

De surcroît, tout cela est fort bien dit et très caractérisé.

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3. Conséquences

On peut donc goûter le texte en français, qui n'est certes plus versifié, mais qui permet d'avoir un accès direct aux différentes étapes affectives que sert la musique, à l'origine. L'arrangement d'Alain Perroux à travers plusieurs traductions, bien que trop chiche en texte à mon goût (mais étant prévu pour le concert, la durée en était forcément limitée), est très opérationnel : tantôt un narrateur effectue des résumés, tantôt de vrais dialogues s'instaurent. Les pièces restent chantées en norvégien bokmål pour ne pas altérer la couleur et sont donc lorsque nécessaire précédées de quelques paroles des comédiens qui, l'air de rien, en donnent le ton et le contenu.

La séquence du lever du matin, avec son gentil ton pastoral très célèbre, située après la mort d'Åse est quelque chose d'exceptionnellement bouleversant en contexte. Rien ne traduit l'angoisse funèbre de la culpabilité dans cette musique, comme le matin indifférent qui darde ses rayons optimistes sur une âme dévastée. Mais le texte nous a inoculé tout cela.
Quel dommage de commencer une suite orchestrale avec ça pour en faire un joli biblelot bucolique. Et étrangement, cette musique si consonante se pare de couleurs extrêmement mélancoliques dans le contexte dramatique.

Vraiment, une fois de plus et comme pour tant d'autres oeuvres (L'Oiseau de feu par exemple), écouter les suites seules, quelle hérésie - ou plutôt quel dommage.

De même, la chanson de Solveig qui s'échappe de la cabane lors du retour du vieillard, c'est autre chose que la jolie mélodie mélancolique que nous avons tous en tête. Vraiment une expérience très particulière.

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4. Le disque

Suite de la notule.

mercredi 12 mai 2010

Un tonnel, des tonals


Dans la lignée de notre petit guide d'usage, signalons quelques bizarreries dans le domaine du vocabulaire musical. Manière de dicter, comme à notre habitude, le bon ton.

Tout d'abord, le mot de départ :

tonalité

La tonalité désigne ce qui appartient au domaine des gammes traditionnelles et de leur utilisation harmonique. Dès ici, nous rencontrons une difficulté, puisqu'il est impossible, même en l'accentuant expressivement, de distinguer à l'oral la tonalité de son contraire, l'atonalité, ce qui est fâcheux. [1]

C'est d'autant plus idiot que si le mot provient, en dernier ressort, du grec, il a tout de même transité par le latin, et une autre composition aurait peut-être été possible pour éviter cette parfaite homonymie. Ici, on trouve la pensée atrocement ligotée par la langue, comme dans le newspeak d'Orwell.

Ce n'est pas la seule fantaisie de cette famille. Car tonalité caractérise ce qui est :

tonal.

Or, le pluriel de tonal est 'tonals' et non 'tonaux' - pluriel nouveau que certains attribuent même au jeu de mots laids de Pierre Boulez sur les néo-tonals devenus nés-aux-tonneaux ou quelque chose dans le genre. Cela sonne singulièrement à l'oreille, et même les diplômés les plus sérieux du CNSM (nous les avons observés sous serre, dans des conditions optimales de développement et de reproduction, pendant quelques années) continuent à employer 'tonaux', même après avoir été informés de la réalité des faits.

Aussi, l'incorrection est si fréquente que bien que non mentionnée par le Trésor de la Langue Française, on trouve 'tonaux' dans le Petit Robert (et pas 'tonals'...), qui doit, je suppose, prendre acte de la disparition définitive du pluriel originel.

Mais vous n'avez pas vu le plus drôle.

Car

si l'explosion d'un bruit de tonnerre détone,
celui qui perd la tonalité détonne.

Bienvenue chez les francophones, l'aire linguistique où le n'importe quoi reste normatif.

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Ah oui, nous n'avons pas donné nos préconisations pour 'tonals' ou 'tonaux' ? Nous sommes très clients du TLF sur CSS, et en particulier de sa version informatisée, très lisible et complète, avec ses codes couleur et ses exemples tirés de textes littéraires historiques. Aussi nous le suivons très volontiers.

Mais en réalité, c'est un choix tout personnel.
A vous donc de déterminer si vous souhaitez être un prince de la correction ou de l'usage.

Notes

[1] Pour mémoire, on peut se reporter à notre série sur l'histoire, le principe, l'évolution et les définitions de l'atonalité et du dodécaphonisme sériel. Accès direct aux définitions ici.

Clair-obscur

Le procureur du roi se donna le malin plaisir de faire subir à la pauvre Lydia une espèce d'interrogatoire qui ne se termina que lorsqu'il lui eut fait perdre toute connaissance.

Suite de la notule.

Coïncidences nominales et merveilleux onomastique

Madame de Strahlenheim avait une belle-sœur nommée Wilhelmine, fiancée à un jeune homme de Westphalie, Julius de Katzenellenbogen, volontaire dans la division du général Kleist. Je suis bien fâché d'avoir à répéter tant de noms barbares mais les histoires merveilleuses n'arrivent jamais qu'à des personnes dont les noms sont difficiles à prononcer.

Suite de la notule.

samedi 8 mai 2010

Sans boussole



Un bon point [1] à celui qui trouve la date de naissance, à dix ans près, du compositeur de cet extrait.

(Oui, c'est un piège et une démonstration tout à la fois.)

Notes

[1] Convertible en enregistrement libre de droits du fonds de CSS.

Schubert - Der König in Thule (Le roi de Thulé) en version française


L'atelier principal des lutins de CSS à Qeqertarsuaq a donc mis ses forces au service de l'annexe de Qaanaaq. Voici une traduction chantable en français de l'oeuvre, et très proche du texte allemand.

Il resterait l'étape supplémentaire de l'écrire en vers sans trop s'éloigner, un jour prochain peut-être.

--

Voici le fichier PDF (avec l'original en annexe ; l'usage en est totalement libre avec la seule courtoisie d'en citer la source). J'ai conservé par commodité la hauteur originale, mais il en existe des versions sensiblement plus basses sur lesquelles on peut tout à fait greffer la traduction - évidemment.

L'exercice avait déjà été tenté pour Der Atlas (un Heine dans le cycle d'éditeur Der Schwanengesang de Schubert), Waldesgespräch (Liederkreis Op.39 de Schumann sur Eichendorff) et Ich grolle nicht (Dichterliebe Op.48 de Schumann sur Heine).
C'est à mon sens un outil intéressant à plusieurs titres : tout d'abord parce qu'il permet à ceux qui ne maîtrisent pas la langue de chanter correctement ces oeuvres, au moins en guise d'entraînement (voir par exemple le chanteur débutant et la langue étrangère) ; ensuite parce qu'il procure un confort, une proximité qui permettent d'expliquer une oeuvre à un public non germanophone. Jouer la traduction pour le sens puis l'original pour les sonorités produit vraiment un bel effet.

Je suis tout disposé à discuter mes choix avec les lecteurs de CSS, parce que l'équilibre entre sens, accentuation musicale et beauté du son est toujours source de graves méditations - dont on peut partager ou non les conclusions.

En images :

Suite de la notule.

samedi 1 mai 2010

[mise à jour] Zampa ou la fiancée de marbre : comique mais ambitieux


Comme promis, la notule d'hier sur ces aspects de Zampa de Ferdinand Hérold a été mise à jour, incorporant désormais de larges illustrations sonores.

La place du législateur


Un moment de bonne humeur :

« De toute façon, le Conseil d'État n'a trouvé aucun motif qui permette, selon lui, l'interdiction totale. Donc nous ne sommes pas étendus sur les fondements », résume un des auteurs du projet de loi.

Que les honnêtes citoyens dorment en paix : les parlementaires ne perdent pas de temps à habiller les projets de lois inutiles. Pas la peine de fignoler quand ça sert à rien, on est efficace.

[Source.]

Joujou


[Vidéo]

Suite de la notule.

David Le Marrec

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