Hölderlin CSS
Une poétique sinueuse
tentée par l'organisation argumentative de la philosophie.
Rappelons les épisodes précédents :
Et voyons à présent l'incarnation de ces
éléments dans la phrase 'philosophomorphe' de
Hölderlin.
Drin in den Alpen
ists
noch helle Nacht und die Wolke,
Freudiges dichtend, sie deckt drinnen das gähnende
Tal.
Dahin, dorthin toset und stürzt die scherzende Bergluft,
Schroff durch Tannen herab glänzet und schwindet ein Strahl.
Langsam eilt und kämpft das freudigschauernde Chaos,
Jung an Gestalt, doch stark, feiert es liebenden Streit
Unter den Felsen, es gärt und wankt in den ewigen Schranken,
Denn bacchantischer zieht drinnen der Morgen herauf.
Denn es wächst unendlicher dort das Jahr und die heilgen
Stunden, die Tage, sie sind kühner geordnet, gemischt.
Dennoch merket die Zeit der Gewittervogel und zwischen
Bergen, hoch in der Luft weilt er und rufet den Tag.
Jetzt auch wachet und schaut in der Tiefe drinnen das Dörflein
Furchtlos, Hohem vertraut, unter den Gipfeln hinauf.
Wachstum ahnend, denn schon, wie Blitze, fallen die alten
Wasserquellen, der Grund unter den Stürzenden dampft,
Echo tonet umher, und die unermeßliche Werkstatt
Reget bei Tag und Nacht, Gaben versendend, den Arm. |
Là dans les
Alpes,
c’est encore nuit claire et le nuage,
Poétisant du joyeux, il couvre au-dedans la
vallée béante.
Deçà, delà, tempête et s’abat le vent de la
montage, le bondissant,
Abrupt par les sapins vers le bas scintille et se
perd un rayon.
Lentement se hâte et lutte le Chaos qui frissonne joyeusement,
Jeune de stature, et pourtant fort, il fête un
amoureux différend
Entre les rocs, il fermente et vacille dans les barrières
éternelles,
Car plus bachique s’étire au-dedans le matin
vers le haut.
Car elle croît plus infiniment là-bas l’année et
les saintes
Heures, les jours, sont plus audacieusement
ordonnées, mêlés.
Et pourtant il marque le temps, l’oiseau de tempête, et entre
Monts, haut dans les airs, il séjourne et
appelle le jour.
A présent aussi s’éveille et regarde dans les
profondeurs, au-dedans, le village
Sans crainte, familier de ce qui est haut, entre les
pics amont.
Pressentant croissance, car déjà, comme des
éclairs, tombent les vieilles
Cascades, leur fond sous les chutes
s’élève en vapeurs,
L’écho résonne alentour, et l’atelier immense
Lève jour et nuit, distribuant
présents, le bras.
(Trad. François
Fédier)
|
Il est en
effet récurrent chez Hölderlin – et cette première
section de
Heimkunft ne
fait pas exception à la règle – que
le propos soit
structuré selon des
articulations logiques, certes floues, mais qui évoquent
la
démonstration
philosophique plus que l'esquisse poétique. Le plus
évident est l'usage causal
et parallèle des deux
«
denn », en début de
vers (v.8-9),
raisonnement
par induction
assez rare en poésie, surtout de façon aussi
ordonnée, comme un souci
d'explication méthodique de ce réel – fût-il
poétique. Dans le même ordre, deux
« und » du
texte (v.1, v.9), ceux qui coordonnent deux
propositions, semblent
investis eux aussi d'une valeur logique, consacrant à chaque
fois
deux plans de
représentation, le second se superposant au premier. Sans
revêtir la forme
argumentative, qui se méfie de l'addition simple, on trouve
pourtant ici
une
association qui dépasse le simple ajout linéaire :
une
hiérarchie de
représentation, un ordre est signifié par cet emploi
singulier de la
coordination.
«
Dennoch » (v.11) exploite, lui,
une forme
quasiment concessive,
accordant au paysage un caractère plus tourmenté que ne
pourrait le laisser
entendre la description abstraite, paisible et hardie des monts.
Ailleurs, il
pourrait être entendu comme une relance narrative (c'est dans cet
esprit que le
traduit François Garrigue), mais sa succession aux
éléments logiques de la
phrase précédente laisse entendre une poursuite du
raisonnement, où les
précédentes assertions se nuancent et se complexifient.
Car c'est
presque une forme dialectique
qu'emprunte le poème autour de
cette figure du
Gewittervogel qui assombrit le
tableau lumineux initial pour, lorsqu'il
rufet
den Tag, ouvrir sur une nature large et généreuse –
Wachstum
ahnend,
gaben versendend...Cette allure philosophique du texte n'est pas
étrangère, bien entendu, à cette
certaine
abstraction du paysage, comme happé
par les concepts.
Suite de la notule.