HAENDEL - Il Trionfo del Tempo e del Disinganno - 06 avril 2007, salle Pleyel (Paris) - Minkowski (Louvre) - Pasichnyk, Bonitatibus, Stutzmann, Ferrari
Par DavidLeMarrec, mercredi 11 avril 2007 à :: Disques et représentations :: #585 :: rss
Georg Friedrich Haendel :
Marc Minkowski : direction ; Les Musiciens du Louvre-Grenoble.
La Beauté (Beltà) : Olga Pasichnyk (soprano)
Le Plaisir (Piacere) : Anna Bonitatibus (mezzo-soprano)
La Désillusion (Disinganno) : Nathalie Stutzmann (alto)
Le Temps (Tempo) : Stefano Ferrari (ténor)
A l’issue du concert, lors du dernier rappel, Marc Minkowski prend sur son pupitre la partition d’Il Trionfo del Tempo e del Disinganno et, dans un geste éloquent en direction du public, il pose la main dessus. Il a raison : pendant que nous applaudissons à tout rompre les musiciens et les solistes, pensons-nous à Haendel ?
En 1910, dans son ouvrage consacré à Haendel, Romain Rolland écrit ceci :
« … ce n’est pas seulement de cette popularité un peu banal que je veux parler, quoiqu’elle ne soit pas à négliger : car il n’y a qu’un sot orgueil et un cÅ“ur rétréci qui dénient toute valeur d’art à l’art qui plaît aux humbles ; ce que j’entends surtout par le caractère populaire de la musique de Haendel, c’est qu’elle est vraiment conçue pour tout un peuple, et non pour une élite de dilettantes, comme l’opéra français entre Lully et Gluck. Sans jamais se départir d’une forme souverainement belle, elle traduit, en un langage immédiatement accessible à tous, des sentiments que tous peuvent partager ».
C’est ce langage « populaire » qui vient de nous toucher dans cette musique joyeuse ou triste, calme ou rageuse, méditative ou extravertie, et rappelons-nous que c’est Haendel que nous sommes entrain de saluer avec enthousiasme à travers ses interprètes.
Il a composé ce Trionfo del Tempo e del Disinganno (Le Triomphe du Temps et de la Désillusion) à 22 ans, sur un texte du Cardinal Pamphili, alors qu’il était à Rome. C’était son premier oratorio, genre créé pour contourner l’interdiction papale de représenter un opéra dans la Cité Sainte. En dehors de l’absence d’action scénique et de ses deux parties au lieu des trois actes, il y a beaucoup de similitudes entre ce Trionfo et un opéra : une histoire, des personnages allégoriques, des dialogues, des ouvertures, des récitatifs, des arias, des duos et même deux quatuors.
A l’image de l’œuvre qui va suivre, une Sonate au tempo bien marqué rassemble avec maîtrise des ambiances variées, comme un dialogue entre le violon et l’alto ou un solo de hautbois. On remarque d’ailleurs tout au long de l’œuvre que les associations voix-instrument solo sont souvent originales et très réussies : soprano avec violoncelle (« Venga il Tempo »), mezzo avec orgue (« Un leggiadro giovinetto »), contralto avec flûtes (« Crede l’uom »), ténor avec les violons.
Le premier air est celui de la Beauté qui contemple sa jeunesse dans un miroir en déplorant qu’il n’en sera pas toujours ainsi. La voix de la soprano Olga Pasichnyk est extrêmement puissante et elle me semble en profiter avec exagération : au 8ème rang de face, ses forte aigus me font presque mal aux oreilles…
Mais le Plaisir arrache la Beauté à sa méditation et lui jure qu’elle sera toujours belle, en échange la Beauté promet de ne jamais trahir la confiance de ce Plaisir si obligeant.
Dans son premier air, le Plaisir incite à se détourner de la peine, et la mezzo-soprano Anna Bonitatibus séduit par son engagement. Son vibrato est plus net que celui de la soprano, et elle roule les « r » avec légèreté (« non avrrra »).
Pour tempérer un peu les ardeurs des deux personnages qui se sont déjà exprimés, voici le Temps uni à la Désillusion (dans le sens la non-illusion, c’est-à-dire de la Vérité plutôt que de la triste Désillusion).
Lentement, la Désillusion rappelle que la beauté ne dure qu’un instant et ne revient jamais. J’apprécie toujours autant ce « non torna piu » chanté par Nathalie Stutzmann, a cappella pour la première fois, et avec gravité pour bien marquer son importance. L’articulation admirable du « piu » détache le « i » et retient si doucement, si longuement le « u/ou ». La contralto accentue davantage la seconde partie de l’aria plus « joyeuse » (les « i » de « ride » et de « fiore »), et lors des nombreuses reprises des quatre premiers vers, elle agrémente son chant de délicates variations, plongeant le public dans un silence attentif.
La riposte du Plaisir est immédiate : « prenons les armes, et l’on verra qui sera le plus fort ».
Le défit est lancé, et dans un air très virtuose la Beauté se confie « à une armée de plaisirs » afin de combattre « les cruelles morsures du Temps ». Olga Pasichnyk est ici très brillante dans ses vocalises, malgré quelques aspérités aux changements de registres.
Mais voici que s’avance le Temps qui fait retentir très virilement son indignation : « une frêle beauté me déclare la guerre ? » et ce « fa guerra » fait véritablement trembler ! Très concentré, sérieux, pénétré de son rôle, le ténor Stefano Ferrari, fermement campé sur ses jambes, les points serrés, déploie une puissante énergie pour faire ouvrir les tombeaux afin de montrer à cette légère Beauté qu’ils sont remplis de ses semblables. L’engagement du chanteur est touchant, son chant, parfois un peu faux, ne fait cependant pas oublier la difficulté de la partition.
Mais peine perdue, la jeune Beauté en duo avec le Plaisir estime que les soucis sont pour la vieillesse. Les deux voix vont bien ensemble et sont équilibrées, elles vocalisent de concert avec virtuosité.
Jusqu’à la fin de l’œuvre vont ainsi s’affronter le Plaisir d’un côté et le Temps uni à la Désillusion de l’autre, poursuivant cette pauvre Beauté de leurs vérités. On se doute bien de l’issue du combat, et puisque les arguments des uns et des autres ne brillent pas par leur profondeur philosophique, on s’attache à suivre la musique qui traduit avec une stupéfiante imagination l’évolution prévisible du propos.
Donc, après ses premiers airs joyeux et brillants où la Beauté exprime avec insouciance toute sa fière et jeune vanité, nous la voyons déjà beaucoup plus inquiète à la fin de la première partie, jetant des regards angoissés au Temps et surtout à la Désillusion qui lui tient tête.
Le Plaisir quant à lui essaye encore la persuasion en douceur dans un air qui s’ouvre sur un solo d’orgue (« Un leggiadro giovinetto »). Lors de la création, c’est Haendel lui-même qui tenait l’orgue, Corelli étant à la direction… Aujourd’hui, beaucoup des musiciens se balancent au rythme paisible de cet aria et Marc Minkowski arrête presque de conduire son orchestre.
Dans son air magnifique « Crede l’uom », la Désillusion nous averti que le Temps est invisible et que là est son danger. Nathalie Stutzmann accentue le « e » de « Crede » et le tient de telle sorte qu’il fait vibrer mon tympan d’une façon particulière, propre à cette chanteuse. Elle marque les temps avec souplesse et donne corps à de longues variations sur le « a » de « vanni » : partant d’assez bas, elles montent en une lente progression pour se résoudre sur le « i » appuyé. La partie centrale est courte mais virtuose, et la fin de l’air est si émouvante que le public fait une ovation à Nathalie Stutzmann, les musiciens l’applaudissent et Marc Minkowski en profite pour lui faire un baisemain.
L’orchestre se déchaîne pour l’air du Temps (« Folle, dunque tu sola presumi »), et le ténor Stefano Ferrari, toujours aussi engagé, tient bon au milieu de cette tempête !
La seconde partie de l’œuvre voit la Beauté échapper progressivement au Plaisir. Celui-ci pourtant combat avec virulence dans deux airs où il exprime sa colère. Anna Bonitatibus est extrêmement impressionnante, sa voix souple, rebondissante, réaliste de beaux fortissimos bien gradués, et de délicats pianissimos. Elle culmine, ou fulmine, dans l’aria « Come nembo che fugge col vento » : elle observe le public d’un regard noir et vindicatif, elle s’adresse à lui avec véhémence, tourne les pages de sa partition avec violence, suit la musique de tout son corps, et reçoit en échange de tant d’engagement réussit une grande ovation.
Mais, en guise d’ample respiration entre ces deux airs « musclés », je ne résiste pas au plaisir de citer l’air « Lascia la spina » à la musique si célèbre puisque Haendel l’a utilisée trois fois, la plus connue étant dans Rinaldo pour l’aria « Lascia ch’io pianga ». Après la réplique de la Désillusion qui, s’adressant à la Beauté, lui décrit les larmes des justes comme des perles du ciel, Marc Minkowski « met musicalement en scène » cet aria du Plaisir. Il impose un long, un très long silence, et lorsque l’attention du public est la plus profonde, il débute l’aria. Les longs soupirs détachent nettement les mots des deux premiers vers (Lascia- -la spina- , cogli- -la rosa- ) et ils prolongent notre silence recueilli. Lors des reprises, Anna Bonitatibus atteint une intensité dramatique exceptionnelle grâce à de merveilleux pianissimos, et dans le silence, toujours lui, qui suit l’aria, éclate une ovation digne de notre émotion.
La Désillusion de Nathalie Stutzmann anime peu à peu ses arias, « Più non cura » est encore ample et ponctué de graves longtemps tenus (le second « o » de « orror » par exemple), mais « Chi già fu del biondo crine » bouge en souplesse, les variations s’envolent même si le « à » de « cadrà » (s’effondrer) reste profond pour accentuer le sens du mot.
Le très beau duo du Temps et de la Désillusion est introduit par le violoncelle et le théorbe qui reprennent le thème du premier aria de la Désillusion « Se la Bellezza ». Les voix d’une grande douceur s’accordent parfaitement, lors des reprises, la contralto lance « Il bel pianto » a cappella, puis le ténor reprend le chant dans une belle complémentarité, et les chanteurs se rejoignent sur les derniers mots de l’aria « in ogni fior ».
Après de longues hésitations, la Beauté se tourne enfin du côté de la sagesse. Cette transformation est couronnée par l’ultime aria de l’oratorio « Tu del Ciel ministro eletto » que la soprano chante dans une retenue croissante. Marc Minkowski ralentit progressivement son orchestre, le dépouillement musical et les silences de plus en plus présents nous préparent à la fin de l’œuvre et traduisent l’élan de la Beauté vers Dieu. Olga Pasichnyk atteint une belle intériorité et traduit avec émotion l’entrée dans le monde spirituel. Puis la musique s’arrête dans une sobriété étonnante, comme suspendue, nous laissant dans un profond silence que personne n’ose rompre pendant de longues secondes.
Un léger geste du chef d’orchestre, et voici le public presque soulagé de pouvoir applaudir. Ovations pour les quatre chanteurs qui saluent tour à tour, ovation pour l’hautboïste Emmanuel Laporte à qui la soprano fait don d’une rose de son bouquet !
En ouverture de cette soirée, et alors que tout le monde n’était pas encore installé dans la salle, Marc Minkowski est venu sur scène pour nous faire deux annonces. Immédiatement reconnu par le public parisien et déjà très fortement applaudi, il a du attendre un peu pour que le silence revienne. Il a d’abord tenu à remercier Nathalie Stutzmann qui, malgré un rhume attrapé lors de leur récente tournée avec la Messe en si, a tout de même accepté de chanter ce soir.
J’ai l’impression que peu de chefs dirigent cette Å“uvre et que pour Marc Minkowski elle est importante puisque cela fait vingt ans qu’il la donne régulièrement. Il a donc souligné qu’à quelques jours près, on fêtait avec ce concert le 300ème anniversaire de la création d’Il Trionfo del Tempo e del Disinganno de Haendel.
S. Eusèbe, 8-9 avril 2007
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1. Le mercredi 11 avril 2007 à , par Bajazet
2. Le jeudi 12 avril 2007 à , par Sylvie Eusèbe
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