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Beyoncé & Jenůfa – comment la musique change vos relations érotiques


beyoncé renaissance
(nouveauté) (perplexité)
Shawn Carter, Allen George, Beyoncé Knowles, Fred McFarlane, Terius Nash, Adam Pigott, Freddie Ross, Christopher Stewart, Ryan Tedder… – « Renaissance » – Beyoncé, LREM Orchestra (Parkwood Entertainment Columbia 2022)







1. Queen Bey

J’ai toujours admiré la technicienne en Beyoncé, suraigu insolent, clarté d’élocution, médium très bien tenu, énergie agogique, et bien sûr – cela m’intéresse moins mais demeure indispensable pour atteindre ce genre de célébrité – des qualités de danseuse impeccable et un charisme de scène incontestable. En matière de technique de chant, il y a beaucoup à observer dans ce phénomène hors normes, par opposition à beaucoup d’ambitus limités ou de voix se reposant sur les bienfaits de la postproduction. Pour autant, j’écoute peu souvent ses productions, dans la mesure où je suis assez peu touché par les boîtes à rythme et les propositions largement rythmiques, où texte, contrepoint ou effets harmoniques sont peu centraux.

J’étais donc curieux de mesurer mon ressenti à l’écoute de ce nouvel opus. Résultat mitigé.

La voix reste très intéressante, capable de se couler dans des identités très différentes, avec une virtuosité intacte, depuis le suraigu flûté jusqu’aux médiums soufflés, timbre tantôt limpide, tantôt sombre et autoritaire… J’aime moins la retouche numérique permanente ; Beyoncé n’a pas besoin d’AutoTune (le logiciel qui permet aux vedettes sans talent de chanter juste), mais à entendre l'artificialité du résultat, il doit y avoir cinq logiciels du genre qui tournent simultanément pour retraiter la voix !  (Difficile de comprendre les critiques qui louent abondamment la puissance de sa voix – je ne vois pas trop comment s’en rendre compte dans ce contexte.)

La variété des influences et des productions intéresse également, saluée par la critique (davantage de House ici, mais on garde toujours la trame RnB et Soul non loin), clairement l’album échappe au syndrome récurrent de ces parutions qui intéressent à la première piste et finissent par écœurer à mi-disque, à force d’entendre exactement la même jolie chose de piste en piste. (Vu le nombre de collaborateurs à la composition, et qui changent de piste en piste – je n’ai pas cité tout le monde ! –, c’est bien le moins, vous me direz.)



2. Imaginaire verbal

Ma réserve se fonde plutôt sur la partie textuelle. Je connais mal, je le disais, le détail des œuvres de Beyoncé, mais en vérifiant dans ses textes passés, si en effet la connotation sexuelle était bien sûr présente (il s’agit en grande partie de musique calibrée pour les dance floors, autrement dit les zones de chasse du petit vérin), elle n’était pas exploitée de la même façon. Dans Lemonade (2016), si l'on extrapole les allusions, on suggère des choses sur le tempo d’actes sexuels, mais toujours relié à une histoire émotionnelle, à un état de couple. Ça ne me pose pas de problème en soi – c’est une partie de la vie de l’humanité, et il n’est pas illégitime que l’art s’en empare (ce qu’il a toujours fait au demeurant, fût-ce de façon plus allusive, ne serait-ce que l’obsession répandue pour la virginité).

Or, ici, l’accumulation du même stéréotype me met mal à l’aise. Quasiment chaque chanson (même celles non indiquées comme « explicites ») évoque un acte sexuel dans un contexte identique : Monsieur est invité à y aller plus fort, il est remercié de faire l’aumône de jeter un regard avant de rentrer chez lui, Madame mentionne l’argent que ça vaut, et se vante de ses sacs Dior.

Et cela crée une gêne chez moi. Pas parce que ce ne sont pas des personnages positifs – on ne peut pas dire que la littérature mondiale manque de contre-modèles, parfois érigés en modèles –, mais parce qu’il s’agit d’un modèle unique qui est présenté ici sans recul. Et qui a des implications – en tout cas du fait de la popularité de la chanteuse, et de la réception critique sans aucune réserve.

Autant on pouvait rencontrer des éléments d’affirmation féminine ou afro-descendante dans les albums précédents (mêlés, bien sûr, au même type de production visant les discothèques), autant ici, cela se limite à quelques « nigga » qui attestent l’appartenance ethnico-sociale de la chanteuse à partir d’un argot que seuls les noirs peuvent utiliser sans honte ; sans plus ample ambition.

Tout l’imaginaire de l’album semble fusionner deux figures : la femme vue par la pornographie (qui désire, quoi qu’elle en die, se faire défoncer le plus fort possible) et la figure de la michetonneuse, pour qui l’argent est la principale valeur sûre de l’érotisme. L’emblème de la chanson mondiale crée ainsi, dans cet album, un portrait cohérent de femme archétypale et désirable (elle explique très bien dans ses entretiens, par ailleurs, comment son alter ego scénique, Sasha Fierce, représente une sorte d’absolu, notamment en matière de séduction) : cet idéal décrivant peu ou prou une pornstar rémunérée aussi dans le privé.


extrait de Church Girl
[Chorus]
I'll drop it like a thottie, drop it like a thottie
I said now pop it like a thottie, pop it like a thottie (You bad)
Me say now drop it like a thottie, drop it like a thottie (You bad)
Church girls actin' loose, bad girls actin' snotty (You bad)
Let it go, girl (Let it go), let it out, girl (Let it out)
Twirl that ass like you came up out the South, girl (Ooh, ooh)
I said now drop it like a thottie, drop it like a thottie (You bad)
Bad girl actin' naughty, church girl, don't hurt nobody

[Post-Chorus]
You could be my daddy if you want to
You, you could be my daddy if you want to
You could get it tatted if you want to
You, you could get it tatted if you want to (She ain't tryna hurt nobody)
Put your lighters in the sky, get this motherfucker litty
She gon' shake that ass and them pretty tig ol' bitties (Huh)
So get your racks up (Word), get your math up (Huh)
I'ma back it up (Uh), back it, back it up (Back it, back it up)
I'ma buss it, buss it, buss it, buss it, actin' up (Actin' up)
I see them grey sweats (Grey sweats), I see a blank check


extrait de Summer Renaissance
(Ooh)
Boy, you never have a chance
If you make my body talk, I'ma leave you in a trance
Got you walking with a limp, bet this body make you dance
Dance, dance, dance

[Chorus]
Ooh, it's so good, it's so good
It's so good, it's so good, it's so good
Ooh, it's so good, it's so good
It's so good, it's so good, it's so good

[Bridge]
Applause, a round of applause
Applause, a round of applause
Say I want, want, want, what I want, want, want
(I want, want, want what I want, want, want)
I want, want, want what I want, want, want
(I want, want, want what I want, want, want)
I want your touch, I want your feeling
(I want your touch, I want your feeling)
I want your love, I want your spirit
(I want your love, I want your spirit)
The more I want, the more I need it
(The more I want, the more I need it)
Need it
(Need it)
Versace, Bottega, Prada, Balenciaga
Vuitton, Dior, Givenchy, collect your points, Beyoncé
So elegant and raunchy, this haute couture I'm flaunting
This Telfar bag imported, Birkins, them shits in storage
I'm in my bag

[Outro]
Ah-ooh
Ah-ooh
Ah-ooh


extrait de Thique
[Bridge]
Boy, you crazy, body mean, back it up like limousine
You gotta make a fold out to fit a magazine, right
Girl, look at your body, right
Boy, take this in slow, don't let go
Tell me how bad you been wanting it
And hurry up, quick, 'fore the moment ends
I like what I hear, might be sleeping in
Screaming, "Beyoncé," chocolate ounces
Sit on that, bounce it, bounce it

[Chorus]
Ass getting thicker
Cash getting thicker
Cash getting larger
He thought he was loving me good, I told him "Go harder" (Baby, that's that thick)
Thought she was killing that shit, I told her "Go harder" (That's that thick)
Look at this alkaline wrist 'cause I got that water (Baby, that's that thick)
Ass getting thicker (That's that thick)
Cash getting
Look at this shit




3. Implications

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas une réserve morale de ma part (il faudrait être bien sot pour juger de la moralité de personnages de fiction, et bien haut dans la hiérarchie épiscopale pour décider des pratiques intimes licites), mais plutôt une inquiétude sur les conséquences concrètes de cette fiction. J’ai pu constater de première main et de façon récurrente, auprès d’adolescents (des cités où le contrôle parental est plus lâche, mais aussi des beaux quartiers), la puissance des représentations pornographiques et du mythe de la michto. Je ne dis pas du tout qu’il soit de la responsabilité de la chanteuse de vérifier quelles sont les implications sociales de sa musique, évidemment ; en revanche je perçois de possibles conséquences.

Comme la pornographie est désormais accessible partout – pire, si vos parents n’ont pas Netflix ou que vous aimez du manga underground et que vous allez chercher sur des sites de flux illégaux, vous en verrez sans en avoir demandé –, la question n’est plus de se demander si vos enfants ont vu de la pornographie, mais simplement s’ils en voient plutôt à dix ans ou auparavant. Les médias ont beaucoup évoqué les groupes d’entraide entre collégiens sur Snapchat à propos du prolongement du harcèlement scolaire, mais ces endroits hors du contrôle des adultes sont aussi les endroits où, pour s’amuser, pour montrer qu’on est au courant, pour s’indigner, on poste des images assez crues, pas toujours soigneusement sélectionnées – en effet la pornographie gratuite contient beaucoup d’images volées et de vidéos mettant en scène des personnes non consentantes, voire des mineurs ; c’est même le modèle économique des plates-formes comme PornHub.
Or, beaucoup de parents refusent, par principe, par gêne ou par déni de réalité, d’aborder ces sujets, si bien que la pornographie est devenue une contre-culture dès des âges assez tendres (la proportion de jeunes de 10 ans qui en ont vu est écrasante). Plus effrayant encore, l’existence de ce modèle sous-jacent chez les jeunes incite les jeunes qui n’en ont pas vu (jeunes filles surtout) à modeler leurs comportements sur cette norme (vanter sa grosse bouche, faire des moues évocatrices…).

De même, le mythe de la michetonneuse, popularisée par les thématiques du rap – les femmes sont d’abord attirées par l’argent, elles ne vous voient pas à votre juste valeur si vous n’êtes pas riche –, semble très ancrée dans les croyances des adolescents. 

Et c’est pourquoi je suis gêné : si même la musique considérée comme mainstream fait circuler sans recul ces représentations, y a-t-il une possibilité pour la jeunesse de savoir qu’il est possible de connaître des relations sentimentales qui ne soient pas une lute de pouvoir implicite, de vivre des relations sexuelles non violentes, de percevoir des représentations de la femme non vénales ?  Beyoncé se met quelquefois en scène dans ces chansons et exprime qu’elle est en quelque sorte le Graal, le meilleur coup possible… et le fait tout en demandant qu’on y aille fort, en se félicitant de l’argent que cela vaut, en s’interrompant soudain pour citer des marques de luxe. Je suis déçu qu’il n’y ait pas vraiment d’autres messages, de points de vue variant de chanson en chanson.

Autant, musicalement, malgré l’aspect léché et calibré de la production, la variété des ambiances sonores est immédiatement sensible, autant l’imaginaire textuel paraît vraiment pauvre, voire problématique – il s’agit clairement de chansons conçues pour danser en boîte (voire pour s’agiter après la boîte), dont le propos m’a paru singulièrement limité, et potentiellement néfaste.

La pochette, sur laquelle j’ai moins d’avis, rejoint assez cet esprit : on glorifie un corps stéréotypé globalement impossible (taille de guêpe à l’âge où l’on a eu des enfants, mais pourvue d'attributs sexuels secondaires disproportionnés), et il s’agit manifestement de l’argument de vente principal – c’est un bon coup car elle a le bon corps, et ça prouve à quel point c’est une glorieuse chanteuse.



4. Échos musicaux

Tout cela rejoint aussi quelques réserves plus purement musicales : le lien de la musique avec le texte est souvent ténu :  pour un couplet donné on entendra texte sur une ambiance globale, pas de mots soulignés, on sent que tout cela a été écrit à quinze, chacun dans son couloir. La pauvreté des refrains (plus ou moins des répétitions de formules de gémissements) rend difficile de trouver le grand frisson où un mot coïncide avec un effet sonore, nous touche par rapport à notre expérience ou notre perception du monde.

J'y retrouve par ailleurs une mode qui m’agace, le chant gémissant (pas du tout limité à la chanson suggestive, c’est vraiment une mode esthétique très répandue), où j’ai toujours l’impression que les chanteuses cherchent à me vendre de la viande plus ou moins fraîche au lieu de me convaincre par leur timbre ou leur expression reliée au texte. Ici, certes, gémissements pleinement en contexte.



5. Généalogie du mauvais modèle

Ce type de question sur les messages dangereux portés par la musique ne sont pas neufs évidemment.

Philippe Quinault a été disgracié et exilé parce qu’il était possible de lire un double sens critique sur la possessivité de la Montespan dans le livret d’Isis de LULLY – on ne voit pas comment cela aurait pu être le projet d’un poète de cour qui écrivait des Prologues à la gloire explicite du souverain, mais la rumeur fut telle qu’il fallut bien une réaction.

On n’a pas toujours pris au sérieux l’opéra – témoin l’incroyable absence de scandale devant Robert le Diable de Meyerbeer (livret de Scribe), où le héros est fils d’un démon, et vole une relique sainte tout en culbutant une abbesse dannée sur un autel consacré… (Et Meyerbeer & Scribe les empile, faisant jouer le mauvais rôle aux catholiques dans Les Huguenots, critiquant l'aristocratie dans Le Prophète et l'Église dans L'Africaine…) L'explication la plus probable demeure que personne ne se faisait d'illusions sur la portée d'un opéra, par essence une fiction pas très sérieuse.

On peut tout de même dénombrer quelques scandales : ainsi chez Verdi, accueil d’abord gêné de Stiffelio et de La Traviata, qui mettaient en scène les désordres privés (et pour tout dire sexuels) de personnages de la vie contemporaine (un pasteur et pire, une courtisane), avant le triomphe de la seconde lors des reprises – en Angleterre, l’Église anglicane avait recommandé aux fidèles de ne pas y assister, tandis que la reine Victoria n’alla jamais au théâtre les soirs où la pièce était donnée.

On se souvient aussi de Carmen de Bizet, dont l’indécence du sujet et des manières (la séduction purement animale, le désir dans les basses classes et non plus l’habillage convenable des passions aristocratiques) avait provoqué le rejet lors de la première.
Ou encore Thaïs de Massenet, d’après un roman d'Anatole France tournant en dérision la foi, où il fallut non seulement supprimer le ton critique, retirer certaines représentations païennes (trop laudatives) ou diaboliques, et même changer le nom du prédicateur, tant on craignait les épigrammes lancés du poulailler, où Paphnuce (devenu Athanaël) aurait rimé avec prépuce.

Je vois aussi d’autres opéras qui ont moins été mis en accusation et qui entrent plutôt dans la catégorie où je place cet album de Beyoncé. Don Giovanni est un cas intéressant : le livret de Da Ponte dresse le portrait d’un violeur vantard, d’un aristocrate lâche qui obtient les faveurs des femmes par la force ou la ruse, sous la protection de l’anonymat. Même sous la plume d’un homme peu tourné vers la morale traditionnelle, le portrait n’est pas flatteur, et reste très proche de ceux dressés par Molière puis Bertati (qui place la mort du Commandeur en début d’ouvrage), appelant clairement la désapprobation.
Or, la musique de Mozart en change totalement la perception : dès que Don Juan s’exprime, la musique se pare de lumière (« Più fertile talento del mio non di dà », dans le trio d’éloignement d’Elvire, ou bien sûr « Vivan les femmine, viva il buon vino »), si bien que le personnage attire toute la lumière, devient admirable, presque exemplaire. Sans la musique de Mozart, il n’est pas certain que cet abuseur sans aucune authenticité eût jamais attiré l’intérêt des Romantiques, qui en font un étendard de l’absolu (aimer toutes les femmes, suivre ses passions et sa quête plutôt que Dieu, ce devient une forme d’allégorie du mouvement).

On pourrait aujourd’hui le voir avec le regard désapprobateur de l’héroïsation de comportement destructeurs pour les individus et la société – Don Juan ravage tout le contrat social d’Ancien Régime, qui fait reposer (Molière l’explicite dans son Dom Juan) tout le système sur l’exemplarité de ceux qui en sont à la tête, et qui n’ayant plus grande justification militaire dans un pays unifié, doivent justifier leurs privilèges par le modèle qu’ils donnent à voir.
De surcroît, même hors de ce contexte, il piétine le droit naturel de tous ceux qu’il croise, valet contraint aux délits, femmes violées ou abandonnées, maris déshonorés, rivaux ou gêneurs occis. On pourrait se faire une cause féministe que de faire une lecture critique de la pièce avant toute représentation de Don Giovanni : sa matrice, qui était plutôt une représentation critique de ce qui arrive aux mauvaises élites (« dormez sur vos oreilles, bonnes gens, Dieu va réparer tout ça et plus vite que vous ne croyez »), a été totalement renversée et semble célébrer l’objectification des femmes. Mais l’opéra semble tellement adoré de tous (non sans raison, musicalement comme dramaturgiquement !) qu’il a échappé jusqu’ici à ce type de critiques.

Moins emblématique, et moins lié à la musique, je ressens davantage cette gêne avec Jenůfa de Janáček. L’intrigue est simple : Jenůfa est en couple avec un jeune muguet un peu superficiel, son cousin Števa – il passe son temps à boire, si bien qu’elle ne peut même pas lui révéler qu’elle est enceinte de lui. Le demi-frère de Števa, Laca, est jaloux et, affirmant que Števa n’aimerait jamais Jenůfa si ce n’était pour ces joues roses, lui lacère le visage avec le couteau qu’il vient de faire aiguiser. Quelques actes (et un nourrisson congelé) plus tard, tout est bien qui finit bien : Števa a bien sûr quitté Jenůfa de dégoût, et Laca veut bien de Jenůfa, qui a ainsi tout le loisir d’épouser son bourreau – le livret et la musique présentent cela comme le triomphe de l’amour vrai. Typiquement le genre d’intrigue où l’on est mal à l’aise sur la vision du monde que les créateurs veulent nous amener à partager.



6. Apostilles

En vieillissant, bien que biberonné au « séparer le propos de la beauté de l'œuvre », j'avoue apporter davantage d'attention aux comportements antisociaux que valorisent certaines représentations. J'écoute quand même du Wagner, bien sûr, mais je ne nommerais certes pas une rue à sa gloire, à cause du mauvais exemple qu'il était en tant qu'humain – la société de ses contemporains se serait vraisemblablement mieux portée sans lui.
Et j'avoue être ainsi plus sensible les implications sur les représentations et les comportements sociaux, surtout d'œuvres destinées à toucher le plus grand nombre, et sans appareil critique afférent – il suffit de voir que les questions que j'ai soulevées (insérer métaphore à la mode) n'ont même pas été évoquées dans la plupart des critiques de l'album Renaissance.

Surtout, autant l'opéra est destiné à une sorte d'élite culturelle (pour faire simple, des vieux qui aiment lire), qui peut mettre tout cela à distance – et si ce n'est pas le cas, les metteurs en scène s'en chargent –, autant un album de RnB implique une identification plus immédiate au contenu, par un public plus jeune… selon son degré de cool (ne dites plus swag, c'est très 2015), il peut imprégner un sentiment d'appartenance commune, une partie des représentations des mondes.
C'est pourquoi je m'alarmais plus tôt, davantage que pour les livrets à base d'héroïnes perdues au milieu de mâles infâmes.

Et comme ce bavardage excède en longueur ce que je souhaite mettre dans ma liste d'écoutes, je le glisse ici, sans prétendre avoir fourni tout le contexte et toute la profondeur de champ que le sujet mériterait. (J'en ai conscience.)


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Commentaires

1. Le mardi 16 août 2022 à , par Diablotin :: site

Bonjour David,

Cette notule estivale m’avait échappé : j’ai bien aimé cette analyse extrêmement sérieuse et pointue d’un phénomène qui ne l’est pas vraiment…
Deux petites remarque cependant, qui peuvent atténuer un peu l'alarme que tu as sonnée :
- d’une part, la majorité de ceux qui écoutent cette musique, au moins en France, ne comprennent pas les paroles, et encore moins les sous-entendus qu’elles impliquent ;
- d’autre part, dès l’origine, la composante « sexuelle » était sous-jacente au courant de la musique pop-rock issue du blues, où la femme -si c'est une adolescente, c'est encore mieux...- apparaît déjà comme une créature vénale, mais cette composante était essentiellement portée par les hommes : Elvis Presley, Chuck Berry, Mick Jagger, Jim Morrison… En 1965, les journaux anglais et américains étaient pleins d’articles du genre « Laisseriez-vous votre fille épouser un Rolling Stone ? » tant leur réputation était sulfureuse... A titre indicatif, tu pourras écouter "Little Red Rooster" ou "Stray Cat Blues".
Quant à Beyoncé : comme je ne connais pas du tout cette chanteuse -ni aucune de ses congénères contemporaines-, je me garderai de porter un jugement sur la qualité de sa musique -la playlist proposée ne donne pas très envie de prolonger l’écoute, cela étant… ;-) -.

2. Le mercredi 17 août 2022 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Diablotin !

En réalité, Beyoncé est probablement un sujet plus sérieux que toute la musique dite sérieuse, dans la mesure où son rayonnement concret sur notre civilisation est bien plus vaste, qu'il s'agit moins d'une niche d'art pour happy few et davantage un phénomène de société de grande ampleur. Par ailleurs, pour ceux qui sont pointus, on peut observer finement l'évolution vocale de la chanteuse (l'ambitus exceptionnel est toujours là, mais elle fait le choix de ne pas le mettre en valeur) et bien sûr les emprunts stylistiques de chaque piste, à la dance et la house – un connoisseur m'a même révélé qu'en plus des samples pastiches, on pouvait repérer de réels emprunts aux accompagnements de chansons emblématiques des années 80.
Ce n'est pas simplement malice de ma part (si, bien sûr aussi, je n'aime rien davantage que de me trouver là où l'on ne m'attend pas, comme tu as certainement remarqué depuis le temps…), je crois qu'il s'agit d'un véritable sujet qui mérite attention.

Tout à fait d'accord, ce n'est pas de la musique avec texte « d'auteur » (le nombre de collaborateurs vertigineux, différents pour chaque piste – ça peut avoisiner la dizaine pour la musique – laisse bien voir le processus industrialisé et normé), et ça limite certainement l'impact auprès du public francophone, considérant le niveau moyen d'anglais en France. Pour autant, entrent ceux qui apprennent l'anglais à partir des chansons, et l'immense masse du public anglophone, la place du texte ne me paraît pas si anodine.
Précisément – et j'avais omis de le souligner dans la notule, merci pour cette remarque très juste –, le fait que le texte ne soit pas reçu de façon critique comme dans un poème qu'on analyse à l'école, ou même opéra dont on peut juger le comportement des personnages (peu de monde sort de Don Giovanni ou Mefistofele en désirant réellement imiter le rôle-titre), mais simplement écouté en boucle, rend certaines tournures familières, et s'imprègne dans l'esprit. Surtout que ce qui me met mal à l'aise, n'est pas une représentation intellectuelle ou philosophique (on pourrait très bien concevoir d'écouter une chanson raciste sans en sortir imprégné de mépris de race), mais plutôt lié au ressenti autour de ce que sont des interactions profondément physiologiques et sociales. De surcroît, adressé en priorité à une population jeune qui n'a pas encore beaucoup de recul sur la question. Il y a donc toute une part intuitive qui véhicule une représentation des rapports amoureux potentiellement problématique (conçus comme une lutte de pouvoir, liés à l'argent, présentant la vigueur voire la violence comme le summum de l'interaction), et que la diffusion de la musique peut amener à s'approprier – surtout ajouté à la pornographie qui biberonne désormais les plus jeunes.

Je ne dis surtout pas que les artistes ont le devoir d'être des éducateurs ; je trouve très bien que Beyoncé ait sa complète liberté de création ; je constate simplement de possibles conséquences négatives du « message » en filigrane de l'album, imprégné de représentation hip-hop des rapports humains… mais tout en se présentant comme de la musique énergétisante aux affects positifs.

Tu as raison, la sexualité était évidemment présente – et la danse, de toute façon, est d'emblée un mode de sélection de partenaires pour prolonger la lignée génétique, quelle que soit la façon dont ça a pu, à travers les civilisations et les tabous, être habillé. Presley était considéré comme insoutenablement suggestif et érotique avec ses déhanchements – et n'importe quelle pube de yahourt ou n'importe quel clip fait cela désormais. Et bien sûr, la vie des artistes en vue… (et des chanteurs en particulier ; tiens, par exemple : http://operacritiques.free.fr/css/index.php?2022/01/06/3254-edouard-dupuy ) Pour autant, je vois une différence entre une musique sexuée et un texte, une narration qui met précisément en valeur un comportement précis tout en cultivant un genre sonore qui n'appelle pas de mise en récit ou de mise à distance.

Et donc, sur la qualité : cet album est vraiment très retouché, la voix retraitée, tout est très décomposé… Pour autant, l'hommage et la variété des univers sonores de chaque piste restent impressionnants. Je trouve davantage mon compte dans les volumes précédents – rien que l'avant-dernier, Lemonade, met bien davantage en valeur sa voix, dans un univers sonore davantage R&B et soul.

Merci beaucoup, encore une fois, pour tes riches remarques !

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David Le Marrec

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