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#ConcertSurSol #14 : Richard Strauss, Josephs Legende


Richard Strauss
La légende de Joseph – Fragment symphonique

Richard Strauss
Concerto pour violon

César Franck
Symphonie en ré mineur

Orchestre de Paris
Paavo Järvi, direction
Renaud Capuçon, violon

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Après l'annulation en début d'année par le Philharmonique de Radio-France, revoici La Légende de Joseph, un ballet de R. Strauss créé à l'Opéra Garnier en 1914, sur un argument de Hofmannsthal et Kessler.

Sujet assez bizarre en soi, entièrement centré sur la concupiscence de la femme de Potiphar (l'officier de Pharaon qui rachète Joseph, vendu initialement par ses frères) : la Sunamite (Sulamith) qui réchauffe David et fait tant fantasmer les compositeurs du temps – Rubinstein, Klenau y ont sacrifié de belle façon (parfois en la combinant avec celle, élusive du Cantique des Cantiques – se retrouve à danser pour la fête liminaire, Joseph rêve sans cesse à son ange gardien, qui finit par le libérer magiquement de ses chaînes lorsqu'il est découvert nu (malgré lui) dans les bras de la femme de Potiphar… Celle-ci finit étouffée avec son collier de perles – là aussi, une obsession pour le lien entre sexe, bijoux et mort est très répandu dans les opéras du temps, c'est le nœud de Der Schatzgräber de Schreker (et l'histoire de son héroïne Else) par exemple, et très présent jusque dans les opéras français (l'anneau de Mélisande, les longs cheveux parés avec lesquels Genièvre se pend…). Mais le détail qui me ravit le plus, c'est l'ouverture de la fête chez l'officier de la Cour de Pharaon, dans eine mächtige Säulenhalle im Stille des Palladio (« un majestueux portique dans le style de Palladio »), bref, dans un palais d'allure grecque dans le style vénitien du XVIe siècle…

Hélas, il ne s'agissait que des « fragments symphoniques », arrangés par Strauss à la fin de sa vie pour permettre des exécutions en concert. 20 minutes au lieu d'1h10, ce qui laisse moins le temps de s'immerger et ne fait qu'accentuer l'impression générale d'une certaine extériorité émotionnelle – c'est déjà une musique assez peu dramatique, très décorative en un sens malgré ses innombrables contrastes –, en sélectionnant une poignée de numéros, et pas forcément les plus différents – il manque aussi tous les « ponts » écrits pour les pas d'action.

Il n'empêche que je reste très admiratif devant le savoir-faire orchestral immense du compositeur, multipliant les trouvailles et lançant sans compter toute la générosité sonore dont il sait faire preuve. L'élan mélodique, les ruptures harmoniques dès que le confort pourrait s'installer, le renouvellement des scintillements orchestraux ne s'arrêtent jamais, c'est d'une richesse assez insensée – il manque simplement le drame et la menace qui, eux, sont bien mieux sensibles dans le ballet intégral (qui pour autant ne se départit jamais complètement d'un certain sourire). Avec une chorégraphie, l'effet incantatoire doit être saisissant !
Voilà qui serait un beau projet, faire renaître un ballet avec un sujet biblique, une musique jamais donnée et d'une qualité extraordinaire, des possibilités chorégraphiques très étendues (entre l'incursion du merveilleux et la variété très dynamique de la musique), on pourrait, en le vendant bien, en faire un événement ! (Mais j'ai quelquefois l'impression que je m'inquiète bien plus pour le rayonnement et l'avenir de la musique que nos amies les salles subventionnées.)

Je profite de cette notule pour tirer mon chapeau à Renaud Capuçon : avec le type de notoriété qu'il a, il pourrait très bien vivre de ne jouer que les concertos de Beethoven et Tchaïkovski (certains bien moins célèbres que lui y parviennent…), et pourtant il continue d'explorer des œuvres très rares et très exigeantes (en un an, à Paris on a pu l'entendre dans Korngold, Goldmark et R. Strauss !).
Je trouve en l'occurrence le concerto de Strauss particulièrement peu intéressant, et je l'avoue, le son, le phrasé très égal et legato de Capuçon me posent souvent des problèmes de compréhension dans les œuvres qu'il aborde (je ne perçois pas les articulations / les phrasés / la forme, joué ainsi), mais même si je ne suis pas inconditionnel du point de vue violonistique, je pense clairement qu'il est l'un des prophètes qui nous montrent la voie. Car il s'appuie sur sa célébrité non pour faire un concours sur qui entrera dans le Diapason de demain comme « le meilleur interprète de Brahms », mais se met au service du répertoire – et non seulement mène un vaste public à entendre autre chose, mais nous permet même à nous, mélomanes concertopathes purulents, d'accéder à des œuvres auxquelles nous n'aurions pas accès sans lui. Gloire à Renaud Capuçon.

Pour le reste, Paavo Järvi bâtit la tension avec énormément de science et de contrôle, construction très étagée, dans Strauss comme dans Franck – dont c'est une version tradi, pas forcément colorée mais très intelligemment articulée.


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