Massenet – Don Quichotte – Michieletto, Fournillier (Bastille)
Par DavidLeMarrec, dimanche 9 juin 2024 à :: Saison 2023-2024 - Intendance :: #3403 :: rss
Livret étonnant d'Henri Cain, avec rimes d'homophones (sans rime pour l'œil, du genre « coup » et « cou ») ; pas toujours joli, mais du caractère et des idées.
L'action repose, par plusieurs fois (harangue aux brigands, leçon donnée par Sancho aux courtisans), sur la fiction que lorsqu'on parle, on est écouté (et même obéi).
Récitatifs dans la veine de Cendrillon, en moins abouti. J'aime beaucoup l'ambiance des premiers actes (couleurs, mélodies, les soupirants sont particulièrement réussis, bien sûr l'invocation aux moulins et l'étrange nudité de la harangue aux brigands). Pour autant, une prosodie pas très naturelle, un manque de mélodie, et les deux derniers actes souffrent, ainsi, d'un manque de saillance.
La mise en scène fait le choix de la transposition (par nature jamais parfaitement congruente ), de la folie. J'ai un peu soupiré en songeant que le biais du metteur en scène passait, une fois de plus, par la psychiatrisation – même si, pour Don Quichotte, ce n'est pas tout à fait absurde. Cependant l'idée de le réduire à un malade d'intérieur avec alcool et pilules réduit grandement la singularité de l'histoire racontée par Cervantes, qui se déroule au contraire dans le monde, dans un monde mal compris, surinterprété, déformé.
La mise en scène de Michieletto est sauvée par ses trouvailles visuelles (l'appartement en forme de pales de moulin, les spectres qui sourdent du sol ou déchirent les murs) et surtout une direction d'acteurs très fouillée, qui donne du sens et du poids aux choix de transposition qui paraissent d'abord arbitraires. Particulièrement marqué par ce moment où, aidant Don Quichotte à ranger la bibliothèque qu'il a dévastée dans un moment de folie (les Moulins), Sancho refuse de prendre le livre que lui tend son « maître ». Moment qui résume très bien l'atmosphère de tension entre les deux hommes : Sancho reste présent, mais fermé et fâché par les imprudences qui ont précédé. C'est visuellement ce qu'un metteur en scène peut faire de mieux, résumer toute une interaction psychologique en quelques gestes anodins et totalement intégrés à l'intrigue.
Côté voix, tout le monde chante très bien (Gaëlle Arquez, Étienne Dupuis, Gabor Bretz), particulièrement Nicholas Jones en Juan, rondeur, beauté de timbre, projection, clarté de diction, je le croyais francophone. Mais les autres soupirants (Emy Gazeilles, Marine Chagnon, Samy Camps) étaient excellents aussi.
Et l'arrivée surprise de Patrick Fournillier, le spécialiste intersidéral de Massenet, a été une bénédiction : en cette fin de série, orchestre engagé, coloré, généreux, comme on l'aimerait entendre tout le temps – c'est en plus une partition orchestrée étrangement, en doublures pas toujours commodes à faire sonner.
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