L'état de l'Université
Par DavidLeMarrec, samedi 8 avril 2006 à :: Discourir :: #183 :: rss
Puisque Authueil en parle, c'est l'occasion.
Une des solutions au problème qu'il pose me semblerait une planification incitative. On pourrait désengorger certaines filières en proposant des avantages pour celles qui sont désertées ou celles pour lesquelles on aura besoin de beaucoup de volontaires, ce serait déjà un début.
Ensuite, je suis bien d'accord, 80% d'une classe d'âge avec le Bac, ça ne s'est pas fait en se donnant les moyens de cet objectif, mais en abaissant le niveau. Dans les classes, il ne faut surtout traumatiser personne, ne pas aller trop vite, ne pas trop apprendre, ne jamais structurer les savoirs.
Dans les sciences humaines, les élèves sortent de l'Université sans aucune vision d'ensemble. Ils connaissent tel ou tel point jugé central qu'ils ont étudié, mais n'ont aucune idée de l'articulation de ces différents points.
Plus grave, il n'y a parfois aucune connaissance technique acquise. Un élève de lettres ne sait lire un texte dans aucune langue étrangère, ni versifier, ni parler devant un public, ni exposer les théories fondamentales de telle ou telle période, ni établir les liens entre les époques, entre les styles (lorsqu'il les connaît...). Sans parler de fondamentaux (mythologiques, bibliques, historiques) totalement ignorés.
C'est véritablement préoccupant.
Lorsqu'un professeur dit (véridique) :
- "oui, Dalila a coupé la tête de Samson et l'histoire s'arrête là"
- "les sicaires, vous savez, les soldats d'Hérodte qui ont tué les Saints Innocents" ;
aucun élève, je dis bien aucun, n'est en mesure de relever l'erreur. Alors ne parlons même pas des approximations sur les données factuelles qui sont enseignées, et que les étudiants, par définition, sont là pour apprendre.
A ce degré-là, ça en devient terrifiant.
J'ajoute aussi la propension à faire semblant de faire travailler les étudiants (exercice auquel personne ne se plie mieux qu'eux). On donne des bibliographies, mais on conseille de ne rien lire. On donne des ouvrages à lire pour tel ou tel cours, mais on passe le cours à faire un résumé.
On rencontre en permanence ce double discours entre le travail hardi que doit fournir l'étudiant (les débuts d'année où les objectifs sont fixés) et la réalité très relative de ces exigences à l'arrivée. On ne cherchera pas à savoir si l'étudiant, dont c'est pourtant le boulot, a lu les théoriciens du genre étudié, ou fréquenté un corpus étendu d'auteurs. On se contente - goût de la compilation, sans doute - de lectures d'ouvrages critiques plus ou moins bien digérés. Evidemment aucune place à la réflexion construite de façon personnelle - ou, pour être plus exact, elle n'est pas plus valorisée que la compilation habile.
Je passe sur l'absentéisme ou la qualité très discutable de tel ou tel enseignement, on sait pertinemment comment cela est très étroitement lié au lieu et aux individus. L'absence d'évaluation et de hiérarchie n'arrange pas les choses, et une surveillance de la qualité (ou même la quantité !) des cours dispensés et des recherches réalisées ne serait pas de trop.
Et l'on se plaint volontiers de l'absence de moyens des facultés de sciences humaines. (Encore, récemment, Francine Demichel.) Mais c'est en amont qu'il faut apprendre la grammaire à tous les élèves du secondaire, au moyen, si besoin, d'effectifs beaucoup plus compacts dans les classes. Une faculté de sciences humaines n'a besoin que de locaux, pas de matériel sophistiqué qui fait perdre du temps et n'apporte aucun supplément pédagogique. Pour les facultés de sciences, j'ignore tout des besoins, mais je les imagine plus importants - et la proportion est, dans le meilleur des cas, juste, voire défavorable pour les facultés de sciences par rapport à leurs attentes et leurs exigences. Car on peut se permettre de former des chercheurs en littérature ratés, pas de semblables chercheurs en médecine, aussi bête que puisse paraître le constat.
Non, définitivement, concernant l'Université, c'est d'abord la réorganisation des savoirs, des exigences et de la hiérarchie qui est nécessaire, pas l'augmentation et le gaspillage des moyens. D'autant plus qu'on peut économiser sur l'achat d'ouvrages jamais lus dans les bibliothèques déjà bien fournies - ce n'est qu'un choix pour soutenir l'édition scientifique, un choix important mais essentiellement économique (et, très logiquement, idéologique), en fait.
Commentaires
1. Le lundi 10 avril 2006 à , par Sylvie Eusèbe
2. Le lundi 10 avril 2006 à , par DavidLeMarrec
3. Le lundi 10 avril 2006 à , par Inactuel :: site
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