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L'état de l'Université

Puisque Authueil en parle, c'est l'occasion.


Une des solutions au problème qu'il pose me semblerait une planification incitative. On pourrait désengorger certaines filières en proposant des avantages pour celles qui sont désertées ou celles pour lesquelles on aura besoin de beaucoup de volontaires, ce serait déjà un début.

Ensuite, je suis bien d'accord, 80% d'une classe d'âge avec le Bac, ça ne s'est pas fait en se donnant les moyens de cet objectif, mais en abaissant le niveau. Dans les classes, il ne faut surtout traumatiser personne, ne pas aller trop vite, ne pas trop apprendre, ne jamais structurer les savoirs.

Dans les sciences humaines, les élèves sortent de l'Université sans aucune vision d'ensemble. Ils connaissent tel ou tel point jugé central qu'ils ont étudié, mais n'ont aucune idée de l'articulation de ces différents points.
Plus grave, il n'y a parfois aucune connaissance technique acquise. Un élève de lettres ne sait lire un texte dans aucune langue étrangère, ni versifier, ni parler devant un public, ni exposer les théories fondamentales de telle ou telle période, ni établir les liens entre les époques, entre les styles (lorsqu'il les connaît...). Sans parler de fondamentaux (mythologiques, bibliques, historiques) totalement ignorés. C'est véritablement préoccupant.


Lorsqu'un professeur dit (véridique) :
- "oui, Dalila a coupé la tête de Samson et l'histoire s'arrête là"
- "les sicaires, vous savez, les soldats d'Hérodte qui ont tué les Saints Innocents" ;
aucun élève, je dis bien aucun, n'est en mesure de relever l'erreur. Alors ne parlons même pas des approximations sur les données factuelles qui sont enseignées, et que les étudiants, par définition, sont là pour apprendre.

A ce degré-là, ça en devient terrifiant.


J'ajoute aussi la propension à faire semblant de faire travailler les étudiants (exercice auquel personne ne se plie mieux qu'eux). On donne des bibliographies, mais on conseille de ne rien lire. On donne des ouvrages à lire pour tel ou tel cours, mais on passe le cours à faire un résumé.
On rencontre en permanence ce double discours entre le travail hardi que doit fournir l'étudiant (les débuts d'année où les objectifs sont fixés) et la réalité très relative de ces exigences à l'arrivée. On ne cherchera pas à savoir si l'étudiant, dont c'est pourtant le boulot, a lu les théoriciens du genre étudié, ou fréquenté un corpus étendu d'auteurs. On se contente - goût de la compilation, sans doute - de lectures d'ouvrages critiques plus ou moins bien digérés. Evidemment aucune place à la réflexion construite de façon personnelle - ou, pour être plus exact, elle n'est pas plus valorisée que la compilation habile.

Je passe sur l'absentéisme ou la qualité très discutable de tel ou tel enseignement, on sait pertinemment comment cela est très étroitement lié au lieu et aux individus. L'absence d'évaluation et de hiérarchie n'arrange pas les choses, et une surveillance de la qualité (ou même la quantité !) des cours dispensés et des recherches réalisées ne serait pas de trop.

Et l'on se plaint volontiers de l'absence de moyens des facultés de sciences humaines. (Encore, récemment, Francine Demichel.) Mais c'est en amont qu'il faut apprendre la grammaire à tous les élèves du secondaire, au moyen, si besoin, d'effectifs beaucoup plus compacts dans les classes. Une faculté de sciences humaines n'a besoin que de locaux, pas de matériel sophistiqué qui fait perdre du temps et n'apporte aucun supplément pédagogique. Pour les facultés de sciences, j'ignore tout des besoins, mais je les imagine plus importants - et la proportion est, dans le meilleur des cas, juste, voire défavorable pour les facultés de sciences par rapport à leurs attentes et leurs exigences. Car on peut se permettre de former des chercheurs en littérature ratés, pas de semblables chercheurs en médecine, aussi bête que puisse paraître le constat.


Non, définitivement, concernant l'Université, c'est d'abord la réorganisation des savoirs, des exigences et de la hiérarchie qui est nécessaire, pas l'augmentation et le gaspillage des moyens. D'autant plus qu'on peut économiser sur l'achat d'ouvrages jamais lus dans les bibliothèques déjà bien fournies - ce n'est qu'un choix pour soutenir l'édition scientifique, un choix important mais essentiellement économique (et, très logiquement, idéologique), en fait.


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Commentaires

1. Le lundi 10 avril 2006 à , par Sylvie Eusèbe

Pour avoir fréquenté l'université en tant qu'étudiante puis un peu maintenant en tant qu'enseignante, je ne peux qu'admirer la véracité de vos propos ainsi que leur courage ! Bravo !

Ce qui m'a le plus étonné c'est que, chargée de cours parfaitement débutante, je puisse sans aucun contrôle hiérarchique raconter tout ce que je voulais (il est vrai que cela n'avait sans doute pas beaucoup d'importance puisque ça ne parlait pas de médecine, ni de littérature d'ailleurs :-)), et de toutes façons je vois mal qui aurait pu me contester car c'est un sujet hyper spécialisé...

Quant à mes souvenirs d'étudiante, on ne nous demandait pas plus que de savoir ressortir le cours avec tout au plus une légère personnalisation du propos (histoire de prouver qu'on avait à peu près compris de quoi il s'agissait). J'ai vite saisi qu'il ne fallait pas faire trop "personnel", c'était mal vu, aussi bien des professeurs, que des autres étudiants...

Ce type d'études apprend donc surtout à ne pas dire ce qu'on pense et à faire exactement ce qu'on attend de nous, ce qui finalement est très utile dans la vie active, non ?

2. Le lundi 10 avril 2006 à , par DavidLeMarrec

Je ne sais pas si je dois me réjouir que nous soyions d'accord.


"Ce qui m'a le plus étonné c'est que, chargée de cours parfaitement débutante, je puisse sans aucun contrôle hiérarchique raconter tout ce que je voulais (il est vrai que cela n'avait sans doute pas beaucoup d'importance puisque ça ne parlait pas de médecine, ni de littérature d'ailleurs :-)), et de toutes façons je vois mal qui aurait pu me contester car c'est un sujet hyper spécialisé..."

C'est un vrai problème. Mais encore, dans une spécialité, si c'est vous qui faites autorité, peu importe que les étudiants apprennent des erreurs. Le problème est lorsque ce problème, qui existe partout, arrive sur des connaissances censées être communes à tous, ou bien fondamentales pour la suite.

Cela dit, l'intime conviction de mon tribunal personnel ne vous imagine guère en train d'improviser des connaissances imaginaires pour combler un cours non préparé... La Cour a dit.


"Ce type d'études apprend donc surtout à ne pas dire ce qu'on pense et à faire exactement ce qu'on attend de nous, ce qui finalement est très utile dans la vie active, non ?"

Sans doute, sans doute. Mais à ce compte-là, une formation en entreprise avec option d'embauche serait plus franche et surtout bien plus efficace.

Parce que, soit dit entre nous, que voulez-vous faire d'un étudiant en lettres ou en histoire de l'art, dans la vie active ? Bonne question, je sais.



J'hésite toujours à parler de sujets de société dans ces pages, qui à l'origine ne sont pas prévues pour. Mais vraiment, l'état de l'enseignement me semble préoccupant, et pas que dans le supérieur. Quelques mesures simples permettraient un bien meilleur rendement. Quant aux programmes... on peut les brûler et repartir de zéro...

3. Le lundi 10 avril 2006 à , par Inactuel :: site

"Sans doute, sans doute. Mais à ce compte-là, une formation en entreprise avec option d'embauche serait plus franche et surtout bien plus efficace.
Parce que, soit dit entre nous, que voulez-vous faire d'un étudiant en lettres ou en histoire de l'art, dans la vie active ? Bonne question, je sais."

C'est bien le coeur du problème !
A part le fait d'être un peu cultivé - c'est à dire avoir un peu de richesse personnelle, ce qui est toujours une chance, un atout pour la vie collective, pour comprendre son interlocuteur (son client ou son collègue), avoir le soucis de l'Autre (ce qu'il est, ce qu'est l'histoire de son pays), et c'est déjà beaucoup humainement - ... pas grand chose.

Remarquez que j'ai toujours beaucoup de peine, au restaurant d'Entreprise, à trouver un/une collègue intéressé(e) par les Arts autres que ceux "vus à la télévision", c'est à dire rien du tout:
"ah mais t'as passé trois heures dans une salle de concert avec des vieux, et tu t'ai pas fait c..., à ben ça moi je me serai barré au bout de dix minutes.. et c'était qui le musicien... le compositeur ? ... oui, le musicien, quoi... euh Bach.... ah oui, y a mon beauf qu'a mis une musique de lui dans son portable... c'est la marche des Turcs, je crois bien, quoi, mais ça crains, j'trouve".

D.

4. Le mardi 11 avril 2006 à , par DavidLeMarrec

Effectivement, vous avez raison, il y a aussi un manque de curiosité patent que ne parvient pas toujours (pas souvent) à dissiper la fréquentation de la faculté. Mais sur ce point précis, il s'agit peut-être d'abord d'un choix en tant qu'individu. La faculté de sciences humaines, vu le peu de travail qui y est requis, laisse toute latitude pour baigner dans un bain culturel stimulant.

5. Le mercredi 12 avril 2006 à , par Sylvie Eusèbe

Hum, oui évidemment, c’est plutôt inquiétant que nous fassions le même genre de constat.

Merci de penser que je prépare bien mes cours ! Je suis obligée de les travailler beaucoup parce que je n’ai aucun don pour l’improvisation et comme ça me stresse déjà tellement, il ne s’agit pas en plus d’avoir un trou de mémoire !

Que faire d’un étudiant en lettre ou en histoire de l’art, dans la vie active ? … enseignant ??? :-)

J’envoie toute ma compassion à Inactuel. Mon côté désespérément optimiste me fait toutefois envisager que nous sommes plus nombreux qu’on le croit à ressentir les Arts comme une des plus grandes sources de vie… La preuve ? Depuis que l’être humain existe, il n’a pas cessé de créer. Ces quelques centaines de milliers d’années me donnent la force de penser que demain ne sera pas « pire » qu’aujourd’hui.

6. Le mercredi 12 avril 2006 à , par DavidLeMarrec

"Que faire d’un étudiant en lettre ou en histoire de l’art, dans la vie active ? … enseignant ??? :-)"
J'ai bien dit vie _active_. :-)

"Ces quelques centaines de milliers d’années me donnent la force de penser que demain ne sera pas « pire » qu’aujourd’hui."
A ceci près que la baisse des exigences entraîne mécaniquement une baisse de la qualité du bain culturel.
Mais bien entendu, je ne crois pas non plus à la disparition de l'art.

7. Le dimanche 21 mai 2006 à , par Bryaxis :: site

En tant qu'étudiant en Histoire de l'Antiquité ( Grèce/Rome ) en Belgique je suis malheureusement contraint d'approuver ce qui a été écrit ici jusqu'à présent. Je suis personellement assez peu travailleur, je dois bien le reconnaitre, et déteste étudier. De ce fait j'arrive fréquement à l'examen sans avoir vraiment préparé la matière en dehors d'une ou deux relecture de mes cours. Et pourtant je passe les années les unes après les autres, et je finirais par sortir de l'Université avec des notes honorables. Cependant à coté de ma grande paresse je lis fréquement des ouvrages sur diverses thématiques plus ou moins en rapport avec mes études ce qui fait de moi la référence de la section dans plusieurs domaine tant aux yeux des professeurs que des étudiants. Et je constate que sur la quarantaine d'étudiants d'histoire, d'histoire de l'art et archéogie et de philologie classique que je cotoye quotidiennement nombreux sont ceux qui ne peuvent guère que donner les dates et les protagonistes des guerres puniques, et ils sont plus rare encore à s'être intéressés à la colonisation grecque, ou encore à la mythologie. Au point qu'un étudiant de dernière année me déclarera très sérieusement que pour lui l'histoire de la Grèce antique commence au premier siècle avant notre ère avec la destruction de Corinthe et la création de la province d'Achaïe. Et en effet cet étudiant ne connais presque rien de la période qui précède, ne fut-ce que de Mithridate, cause même de la guerre qui vit la destruction de la ville isthmique !

Il me semble cependant que cette situation déplorable n'est pas tant liée à la situation dans les université qu'à celle qui règne dans l'enseignement primaire et secondaire, et à une dégénerescence de l'institution depuis la seconde guerre mondiale. Comment ce fait-il qu'aujourd'hui un enfant de 14 ans ne soit plus capable de faire ce que nos grand-parents faisaient à cet age là ? Qu'est-ce qui explique que ce qui était possible hier ne l'est plus aujourd'hui ? Rien, si ce n'est la volonté qui fait défaut. Et j'en veux pour preuve ces émissions de télé-réalité qui mettaient des jeunes dans des conditions proches de celles de nos aieux pour leur faire présenter un examen de l'époque, que les candidats de ce jeu parvinrent à réussir : la volonté était présente, et l'action fut possible. De même il doit être possible de re-créer des esprits complets et cultivés à notre époque, si l'on s'en donne la volonté. Ce qui passe par une meilleure gestion de l'enseignement à tous les niveaux.

8. Le mercredi 24 mai 2006 à , par DavidLeMarrec

Merci pour le témoignage. :-)

Oui, le problème est aussi que l'Université s'adresse à des élèves du Secondaire mal formés. Néanmoins, on pourrait y faire plus et mieux.

La différence avec autrefois ? Le nombre. On a voulu, intention très louable, que tout le monde dispose d'un bon bagage. La solution ? Améliorer la formation des professeurs ? Réformer les manuels ? Diminuer les effectifs par classe ? Nenni. On a abaissé, sans cesse, le niveau d'exigence. Lorsqu'on voit des certifiés en français qui ne savent pas écrire, des titulaires de maîtrise qui n'ont jamais lu de Racine, et qui n'en connaissent que le résumé de la carrière fait en cours (et encore, appris en diagonale), des élèves de musicologie qui n'ont pas écouté trois opéras, et rien en dehors des oeuvres officielles (la musique symphonique germanique, pour faire vite)... c'est terrifiant.

Ne parlons même pas de la culture générale (on découvre des rudiments de références bibliques vers la troisième-quatrième année de fac chez les Lettres Modernes - lorsque les professeurs n'assènent pas que Dalila a coupé la tête de Samson), cela tient aussi de l'absence proverbiale de curiosité des étudiants.

Les exigences du système sont minimales, le double langage entre le travail réclamé et le travail effectivement requis est permanent, la surnotation omniprésente, l'absence d'attentes de travail, d'une bonne culture, d'une capacité de réflexion - ou de compilation, c'est un autre mérite - patente. Non pas qu'on n'y apprécie pas ces caractéristiques, mais elles ne sont, vraiment, pas indispensables à la réussite universitaire.


Changer tout cela passerait, comme vous le soulignez à juste titre, par une volonté. Mais qui veut ? La doctrine dans les IUFM est de ne jamais faire ressentir la difficulté (on ne parle même plus de peur de l'échec, à ce stade), le pouvoir politique (droite, gauche, centre et extrêmes réunis) fonde toute sa rhétorique sur l'égalité des chances (il n'est pas possible de hausser le niveau, ce serait créer des discriminations entre ceux qui réussissent et ceux qui ne réussissent pas, et préparer des tensions qui seraient le terreau d'un affrontement-social-comme-on-l'a-vu-dans-les-banlieues), les parents d'élèves aussi seraient les premiers à protester si on exigeait trop des enfants. Et les enfants et étudiants... il est bien naturel qu'ils n'aillent pas réclamer plus de contraintes : s'ils veulent travailler, personne ne les aide, mais personne ne les en empêche non plus. En revanche, s'ils ne veulent pas travailler, on les forcerait.
Donc personne ne veut.

De même, qui penchera pour l'évaluation des enseignements en faculté ? C'est une question qu'il n'est même pas pensable de poser, et pourtant, il y aurait des améliorations possibles.


Naturellement, on croise des perles : à la fois érudite, pédagogue, précise, affable, exigente et compréhensive, l'espèce est néanmoins l'exception.

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