Matthias GOERNE
Par DavidLeMarrec, mercredi 9 août 2006 à :: Portraits :: #350 :: rss
J'ai pu mettre la main sur un concert inédit Mahler-Schumann de Matthias Goerne, et tout à ma joie, je vous en propose un petit portrait.
Matthias Goerne, Christoph Eschenbach. Mahler, « Urlicht » aus Des Knaben Wunderhorn (et réutilisé dans la Deuxième Symphonie). Habituellement chanté par mezzo-soprane ou contralto, transposé pour baryton.
Matthias Goerne fait partie de cette jeune génération (débuts au début des années 90) qui a étudié avec Dietrich Fischer-Dieskau et en a hérité le sens du verbe. Mais ici nous sommes loin de l'épigone ou de l'héritier honnête, un autre monument du lied s'est manifesté, tout simplement.
Ce qui frappe d'emblée est cette voix très engorgée, assez grise. C'est ce qui lui pose des problèmes à l'opéra, n'ayant pas le temps d'habituer l'auditeur à son timbre, ou au concert, son engorgement le privant des harmoniques métalliques du formant qui permettent de passer aisément l'orchestre, se fondant trop.
Mais posons-nous pour un concert de lieder. La voix est engorgée, mais elle d'une douceur infinie, elle est grise, mais se pare de nuances infinies de gris, à un degré qui tient de la magie. Le legato est infini, l'aisance des piani bouleversante (le matériau reste exactement aussi dense pour les forti médiums que pour les pianissimi aigus, ce qui est exceptionnel), et surtout, cette présence indicible, qui enveloppe totalement l'auditeur. Toute la salle semble contenue dans le velours de sa voix.
Un magnétisme incroyable, qui interdit toute distraction, qui appelle sans cesse l'auditeur. Même un novice du lied peinerait à se départir de son attention.
Pour le mot, de même que pour les nuances (multicolores pour Fischer-Dieskau, parfois même au-delà du bon goût, dans les années 70), on note la parenté de l'attention, mais aussi la divergence de nature avec son aîné. Là où Dietrich Fischer-Dieskau propose des intentions expressives sur le mot, voire la syllabe, proposant des ruptures psychologiques subites et infiniment fines, Matthias Goerne adopte pour unité de réflexion le vers, avec une pensée en phrases, fondée sur le développement et la nuanciation d'une même idée. Une esthétique du dégradé chromatique plus que du contraste - et bien qu'il maîtrise les nuances dynamiques d'une façon totalement saisissante.
Matthias Goerne, outre sa présence invraisemblable, ses nuances infinies, son legato bouleversant[1], sa force à porter le vers, c'est aussi une imagination toujours personnelle[2] au service d'un texte, et plus encore d'une atmosphère, d'un sentiment devenus évidence.
Matthias Goerne est tout simplement l'un des tout plus grands porteurs de lied de tous les temps. Et Dieu sait que cette forme poétique gagne à être servie avec zèle.
Vous noterez que la pièce est harmoniquement calquée sur l'adagio du Concerto pour clarinette de Mozart. Saisissant, n'est-il pas ?
Toujours Matthias Goerne et Christoph Eschenbach dans ce même concert inédit du 9 mars 2004 au Carnegie Hall de New York.
Si le sujet intéresse l'un ou l'autre, je peux me lancer dans une petite discographie commentée.
(Dans l'attente, on peut toujours lire cet antique présentation de sa Belle Meunière avec Schneider.)
Notes
[1] Et il est très rare de mon point de vue qu'il ne s'agisse pas d'un simple outil technique, à la rigueur esthétique, chez un chanteur.
[2]Au point d'arriver à présenter des lectures inédites dans les pièces les plus fréquentées, parfois à contre-pied, toujours d'une grande justesse.
Mise à jour du 10 mai 2009 :
Une vidéo informelle récente témoigne assez magistralement de ce que nous tachions d'évoquer. Où qu'on soit placé dans le théâtre, non seulement la voix semble être émise pas le corps tout entier, mais elle emplit la salle comme un oeuf, elle semble provenir de partout, sortir des murs. Et cela, sur une pièce d'exécution très simple, qui ne sollicite pas des extrêmes éclatants.
Commentaires
1. Le jeudi 10 août 2006 à , par Laurent :: site
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3. Le jeudi 10 août 2006 à , par Laurent :: site
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