Bruno MANTOVANI, un premier opéra - L'Autre côté
Par DavidLeMarrec, mercredi 8 novembre 2006 à :: Portraits - Disques et représentations - Musicontempo :: #431 :: rss
Sur un livret de François Regnault, d'après Alfred Kubin.
Bruno Mantovani a tenu parole - et ses commanditaires aussi. Voilà bientôt cinq années qu'on attendait ce premier opéra en gestation, malgré la prolixité assez exceptionnelle de ce tout jeune compositeur à peine trentenaire (né en 1974). Ma liste jadis exhaustive de ses partitions publiées doit comporter bien des lacunes deux ans après l'avoir établie...
1. Quel opéra ?
Cet opéra est conforme à ce qu'il avait annoncé. Bruno Mantovani avait, fort sagement à mon sens, répété que l'opéra, pour fonctionner, ne devait pas être le lieu des expérimentations (qui mettent en danger, je crois, l'efficacité finale de l'oeuvre). Il y déploiera donc simplement ce qui est son langage, et c'est ce que l'on constate à l'écoute de la diffusion radio, religieusement reçue ce lundi 6 novembre dernier.
Son langage simplement, mais quel langage ! C'est le meilleur de Bruno Mantovani qui est convoqué dans L'Autre côté, opéra assurément viable, disons-le d'emblée, et que je me précipiterais volontiers pour voir, en salle, à la première occasion.
Son travail a toujours été intéressant, mais particulièrement depuis 2001, l'époque où il s'est véritablement révélé à mes oreilles un très grand compositeur - comme le plus génial de mes contemporains, parmi ceux que je connais à ce jour.
2. Les matériaux à l'oeuvre
Un bref extrait de L'Autre côté.
Cet opéra fait un usage abondant et heureux de mélodrames[1], ou de lignes très récitatives, avec tout de même plusieurs sections lyriques - mais dans la même proportion, pour donner une idée, qu'on aurait dans une tragédie grecque, c'est-à-dire assez minoritaires.
Cette caractéristique, qui place très en avant le texte (très majoritairement compréhensible, contrairement à tant de créations contemporaines aux sauts d'intervalle impossibles et à l'orchestration démesurément disposée), ajoutée au sujet de type fantastique, fait donc furieusement penser à la Juliette de Martinů, autre chef-d'oeuvre.
C'est là une minutie qui n'étonne que médiocrement de la part de Bruno Mantovani, assurément !
Un extrait de la Juliette de Martinů.
L'opéra de Bruno Mantovani fait donc plutôt appel à l'esthétique déployée dans ses dernières pièces, comme Troisième Round[2], les Sette Chiese (2002), Mit Ausdruck (2003, concerto pour clarinette basse et grand orchestre) ou les Six Pièces pour orchestre (2004).
On y retrouve beaucoup de points communs (que vous pouvez vérifier dans l'extrait proposé par mes soins) :
- la même plasticité dans le propos musical, à chaque instant d'un grand relief, constellé de transitions subtiles fondées sur les parentés de texture. Le discours évolue ainsi, progressivement, sans fin, et de façon tout à fait clairement sensible, presque physique, tactile ;
- l'usage de percussions boisées qui ont pour effet de donner l'impression, malgré la complexité du propos, d'une pulsation claire - la complication disparaît, la richesse demeure aisée à saisir ;
- des couleurs pianistiques très spécifiques, utilisant souvent des micro-intervalles avec un grand bonheur, propice aux atmosphères éthérées (de même pour les bois) ;
- des cuivres volubiles et incisifs, agissant souvent en rafales, qui utilisent le meilleur de la tradition de jeu héritée de Varèse, qui colorent et dynamisent sans cesse le discours.
En somme, un véritable enchantement orchestral, aux charmes presque tactiles, avec cet orchestre très découpé. Un langage fondé sur l'évolution de motifs, très peu mélodique, mais sans chercher les grands intervalles non plus. Une immense danse orchestrale.
Et l'écriture vocale, ici, s'y adapte à merveille. Je craignais un peu l'héritage de La Morte Meditata (2000, sur les textes de Giuseppe Ungaretti), qui semblait légèrement tâtonner : trilles un peu artificiels, ambitus très faible pas très exaltant, une ligne qui, se voulant proche de la voix parlée, n'était ni vraiment naturelle, ni tout à fait enchanteresse.
L'Autre côté, au contraire, tout en manifestant le même souci de la justesse du langage musical, incorpore idéalement le mélodrame, genre par trop méprisé, le récitatif à la limite du parlando, mais tout simplement chanté et écrit avec un grand naturel prosodique, et des lignes plus lyriques mais tout aussi confortables et évidentes pour les chanteurs et les auditeurs.
Car c'est peut-être là la grande force du génie mantovanien : l'évidence, quelle que soit par ailleurs la débauche de moyens du propos.
3. Une réussite ?
Une réussite sans partage ? Peut-être pas tout à fait sur deux points :
- si l'on considère que les effets sont connus et ne font que répéter le contenu musical que pièces déjà connues ;
- l'absence de repères qui pourraient être tonals crée une certaine lassitude (la richesse des moyens sans doute aussi), comme si le tout ne modulait jamais, à la façon de l'opéra chinois.
La première objection me paraît sans importance, car la musique n'est pas un concours d'innovations inintelligibles, le langage de Bruno Mantovani n'est, assurément, pas spécialement banal, et surtout, il s'agit là d'un but sage et avoué de la part du compositeur : exploiter un positionnement stylistique préexistant, afin de servir au mieux ce genre précis et exigeant qu'est l'opéra, pour un compositeur.
La seconde est plus profonde et tient à la nature même du langage proposé. Néanmoins, il me semble que le sens de la danse et du texte suffit à chasser bien des mélancolies musicales, ici. La richesse des moyens est par ailleurs suffisamment finement modulée (via ces remarquables transitions) pour éviter d'assommer l'auditeur.
Bref, une vraie réussite, qu'on accueillira avec l'enthousiasme qui lui est dû ! Et que souhaiter à Bruno Mantovani, hors bien d'autres succès de cette envergure ? Car, incontestablement, on partage l'ivresse constante de ces généreuses cent quarante minutes d'opéra, dépourvues de faiblesses, avec un émerveillement non feint.
P.S. : Pierre Boulez joue désormais du Mantovani, c'est dire l'intérêt qui lui est porté même par les chapelles les plus conservatrices. Par ailleurs, ce doit être la musique d'un compositeur vivant la plus lisible que Boulez ait joué depuis longtemps.
P.P.S. : A propos, il faudra que je me charge d'une présentation d'opéras contemporains accessibles et vivifiants. Beaucoup des meilleurs sont hélas, comme celui-ci, indisponibles à la vente - peut-être, en revanche, disponibles auprès des radios concernées.
Commentaires
1. Le jeudi 13 septembre 2007 à , par DavidLeMarrec :: site
2. Le jeudi 1 janvier 2009 à , par Morloch
3. Le samedi 3 janvier 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
4. Le dimanche 15 février 2009 à , par lou :: site
5. Le mardi 17 février 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
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