Tournebouleversante surpréfaction
Par DavidLeMarrec, mercredi 17 janvier 2007 à :: Langue :: #488 :: rss
Le néologisme est-il moral ? Et en politique ?
Je constate qu'on s'étend un peu partout à l'infini sur un malheureux néologisme...
Au delà de la vacuité intégrale de la conversation sur le sujet qui n'en méritait pas tant, c'est l'occasion de s'émerveiller de la mise de la pratique orthodoxe de la langue sur le devant de la scène politique, ce qui n'est que rarement le cas pour la langue en tant que telle. Car ici, ce n'était pas du tout de contenu qu'il s'agissait, mais bien de conformité à la norme du langage.
Etonnante, cette déférence terrorisée à la langue française, c'en est même fascinant.
L'usage de la langue, qui d'ordinaire n'intéresse personne, se trouve au centre des conversations des observateurs politiques. Et sous une considération morale : le néologisme c'est mal.[1]
C'est véritablement très étrange.
- Parce qu'on se plaint généralement du discours ennuyeux et compassé des politiques ; ici, à défaut d'être moins creux que la communication politique habituelle, on trouvait au moins le charme d'un peu d'humour.
- L'intérêt porté par les médias à ce non-événement, comme des parents émerveillés devant le berceau : Oh, il a souri !. Ca intéresse grandement les proches, mais le public ?
- Le ton de reproche (ou du moins de défiance), assez surprenant en comparaison de la lecture à rebours du voyage au Proche-Orient de la candidate comme un succès. Il était assez impressionnant de constater cette reconstruction d'une réalité plus ou moins vérifiée, plus ou moins fantasmée a posteriori.
Hélas, c'est là avant tout le signe qu'on cherchait quelque chose à dire pour exploiter une visite de courtoisie dont, par nature, il n'y avait rien à attendre. Le traitement de l'information se fait aujourd'hui par des éléments non significatifs mais brefs, détachés d'un ensemble qui n'est jamais commenté.[2]
Des journalistes et des politiques, de l'oeuf ou de la poule, j'aurais tendance à penser que la responsabilité, bien que très partagée, incombe d'abord aux journaux qui pourraient parfaitement refuser de relayer les petits slogans assassins et creux. Ce qui éviterait aux seconds d'en produire à la pelle.
Ici, en outre, le traitement partisan de l'information touche au lamentable, l'hallali pour un néologisme d'un côté, les preuves de la réussite d'une visite (où il ne s'était jusque là rien passé) de l'autre.
Pour finir, on est en droit de s'émerveiller du conformisme des commentateurs en matière de langue. La positive attitude de Raffarin, pourtant un anglicisme lourdaud, avait beaucoup plus séduit. Mais inventer un mot français, même pour de l'humour, ah çà, comment osez-vous ?
Evidemment, à présent qu'il y a plus sérieux à se mettre sur la dent sur la célérité admirable de la justice chinoise[3], on oublie l'intérêt un peu dérisoire de la veille. Cependant, de mon côté, l'émerveillement (un peu consterné) devant tant de réactions demeure.
Je me demande, au demeurant, si une réaction, même sur le plan de la langue, s'impose de ma part pour les débats qui viendront peut-être un jour. Tant on en entend parler sous toutes les coutures, jusqu'à l'absurde.
J'en profite donc pour redire un certain étonnement devant la promptitude des médias à réutiliser les noms que se donnent eux-mêmes les acteurs, tels les antimondialistes à la gauloise devenus en un jour des altermondialistes ouverts - mais toujours aussi xénophobes envers les plombiers polonais et routiers roumains. Ou le fauchage volontaire, joli nom pour le saccage de laboratoires - dont certains dévolus à la recherche très avancée pour un médicament soulageant les effets de la mucoviscidose, anéanti. C'est ce que j'appelais une forme d'empathie terminologique.
Aujourd'hui, ce sera concernant les chiffres. En France, bien qu'on puisse éventuellement le regretter, le pourcentage attribué à un candidat dans toute élection ne prend en compte que les suffrages exprimés, c'est-à-dire ni les non inscrits, ni l'abstention, ni les votes blancs ou nuls. Or, lors de l'élection de Nicolas Sarkozy comme candidat de son parti, "élection sans suspense" dont les médias se sont cependant nourris pendant une bonne semaine, nous avons eu deux chiffres : 70% de votes ou 98%, selon les commentateurs. Le premier se fonde sur le pourcentage de votants, le second sur le pourcentage de voix obtenu parmi les votants ; parfois en soulignant de l'UMP insistait sur le chiffre de 70% pour ne pas trop effrayer le challand. A merveille, mais pourquoi n'a-t-on pas repris le chiffre qu'on aurait utilisé pour n'importe quelle élection (pour les primaires du PS, on se fondait bel et bien sur les exprimés) ? Il ne s'agissait pas de marteler ce chiffre trop rond, dépourvu de substance (que dire d'un 100%, alors qu'on peut toujours réfléchir sur une infime minorité de moins de 1% ?), mais de l'indiquer, afin de remettre les choses en perspective. Que cela fasse peur ou non à l'électeur, Nicolas Sarkozy a bel et bien été élu, faute de combattants, à 100% des voix.
Encore une fois, les médias reprennent, pas nécessairement par idéologie ou manipulation, mais par légèreté, les mots des acteurs au lieu des les mettre en question et d'opter pour une lecture plus neutre des événements. Toutes les autres élections sont décrites d'abord selon les pourcentages répartis entre les exprimés, ne pas le préciser ici est favoriser, volontairement ou non, une illusion d'optique. L'UMP, en l'occurrence, a réussi son pari, les médias ont repris leur information comme un seul homme.
Notes
[1] Car tout cela s'est déroulé avant que n'apparaisse dans son camp l'autocongratulation crispante qu'on connaît : "pas de fautes de français", "pour exprimer la densité de sa pensée".
[2] Voilà qui rejoint une réflexion passée sur la capacité de la parole du média à créer de la réalité.
[3] Ici encore, difficile de déterminer, avec la citation très brève fournie par les journaux, dans quel sens doivent s'exercer les éléments de comparaison. A la première lecture de la chose, j'avais compris l'inverse : "nous n'avons pas à être si désespérés, puisque nous sommes lents mais probes". J'accorde que c'est au minimum faire preuve d'une grande inconscience dans le choix de ses mots. Et que, de même que pour Benedictus, le passé chargé ne plaide pas en faveur du prévenu.
Commentaires
1. Le mercredi 17 janvier 2007 à , par Morloch (nau of sands)
2. Le mercredi 17 janvier 2007 à , par DavidLeMarrec
3. Le vendredi 19 janvier 2007 à , par L'exilé que connaît bien ce cher David
4. Le samedi 20 janvier 2007 à , par DavidLeMarrec
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