Le disque du jour - XVI - Un Winterreise souriant (Christine Schäfer, Eric Schneider)
Par DavidLeMarrec, samedi 27 janvier 2007 à :: Le disque du jour - Poésie, lied & lieder :: #502 :: rss
Seizième édition, parce que la présentation de Robert Holl, avec recommandation de ses disques, peut faire office quinzième.
Une petite stupéfaction en essayant ce disque.
Je m'efforce de placer plutôt dans cette rubrique des oeuvres un peu rares ou des enregistrements qui me semblent incontestables, mais ici, véritablement, c'est une heureuse surprise plus qu'une référence que je propose.
Ce Winterreise paru chez Onyx est une petite merveille et une grande surprise.
Lassé à force de l'avoir entendu partout, et pas mal pratiqué aussi, je ne pouvais quasiment plus l'entendre. Le pire se rencontrant avec les barytons sombres, peu diseurs - Hans Hotter y joue particulièrement de son timbre bellement lassé plus que de son interprétation, par exemple.
On me sentait un peu mitigé, en novembre 2005, de m'être déplacé à nouveau entendre le cycle dans une interprétation qu'on présentait comme ravageusement nouvelle, et qui me paraissait plutôt pécher par systématisme. Je ne regrette pas d'en avoir parlé, pour d'autres raisons... Mais je trouvais plutôt un mimétisme du baryton lassé par une voix de femme qu'une lecture profondément nouvelle chez Nathalie Stutzmann.
Ce n'est pas une découverte, au demeurant. Les versions pour voix de femme de ce cycle convainquent peu, reléguées au rang d'insolites. Et assurément, Christine Schäfer appartient aussi à cette catégorie. Difficile, tant la consternation masculine de ce cycle est également servie par une ligne musicale totalement pensée pour une voix masculine - et la différence est absolument sensible au chanteur, cette ligne plus massive, moins élancée et ductile.
Encore moins de sopranes s'y sont risquées, alors même que la tonalité originale est assez haute. Il faut dire que l'exemple illustre de Margaret Price laisse songeur. Triste témoignage où la voix se déchire, où l'interprète lutte contre elle-même au lieu de s'attacher au cycle. Sans doute plus dû aux circonstances qu'à la nature de la voix, mais quelle leçon effrayante ! Pourtant, mes informations laissent entendre qu'on donne volontiers dans les conservatoires des lieder du Winterreise à des élèves soprano lyrique.
Dans cette circonstances, pourquoi avoir tenté cet enregistrement ?
Un goût pour l'incongru ? Sans doute, et aujourd'hui encore mes petits camarades ne manquent pas de se moquer de moi à ce sujet.
Une sympathie de longue date, aussi pour Christine Schäfer. Sans être éperdu de ses voyelles un peu grises, parfois indéterminées, tout de même une musicalité, une attention à l'intention, au sens, me font partager une fois de plus les copinages de l'agaçant Gérard Mortier (non, non, nous ne reprendrons pas la BD, il y a un temps pour tout).
Je l'avais beaucoup admirée dans le second enregistrement de ''Pli selon pli'' de et par Boulez, malgré le texte mis en bouillie par les sauts d'intervalles qu'imposait la série.
D'abord, je le crois, comme petite madeleine à tremper dans le thé vert de mes grands souvenirs winterreisiens. Inconsolable que la tournée européenne de Matthias Goerne / Eric Schneider en 2001/2002 n'ait pas abouti à un disque, mais qu'on ait réservé les chichis d'Alfred Brendel pour cet office.[1]
Des retrouvailles joyeuses avec Eric Schneider d'abord, puis la curiosité ; une soprane, et une soprane intelligente dans le Winterreise. Pas forcément avec une diction facile qui plus est.
C'est bien là où survient la stupéfaction. Ce cycle est méconnaissable !
Notes
[1] Je produirai peut-être une note à ce sujet, avec un exemple précis et représentatif où le pianiste fait valoir ostentatoirement ses nuances au lieu de soutenir le chanteur à un moment crucial.
... C'est bien là où survient la stupéfaction. Ce cycle est méconnaissable !
Christine Schäfer, qui avec sa voix à l'émission haute, son matériau léger, son aigu facile peinerait à nous faire croire au voyageur tödlich schwer verletzt, choisit une tout autre voie. Elle n'est pas le personnage, cela a déjà été plus ou moins fait.
Soit parce que l'interprète semble un peu extérieur à ce qu'il chante, ce qui est particulièrement sensible si une interprétation féminine n'est pas très incarnée (par exemple Elisabeth Höngen, formidable femme de théâtre un peu égarée ici). Soit parce que l'interprète prend la place d'une sorte de narrateur, qui bien que prononçant les paroles du Wanderer, semble les rapporter entre guillemets. On a pu le dire, par exemple, de Thomas Hampson.
Christine Schäfer est de cette espèce, mais avec une nuance plus que significative : elle n'est pas un narrateur empathique, elle est une conteuse. Une conteuse qui sait quelle est la différence entre la réalité de sa situation et l'histoire qu'elle raconte. Une conteuse qui sourit de son récit, qui se réjouit des difficultés du personnage qui font tendre l'oreille, de ses souffrances si bien décrites, de son auditoire captivé.
Dans une narration inventive mais surtout pudique, jamais appuyée, jamais tentée par le pathos qui ferait prendre à sa voix le risque de la trahir, elle nous conduit en souriant à travers les épreuves de cette homme décrit par Müller, et servi par Schubert.
Et l'on se prend, nous aussi, pour la première fois, à écouter le Winterreise en souriant, tout en lui accordant plein crédit. Nous savons que nous n'y sommes pas, mais nous y croyons.
Cette écoute assez paradoxale et pleinement séduisante tient remarquablement la durée, par une approche renouvelée de chaque lied, véritablement intelligente, pertinente et précise. Toute la chape de tradition qui opacifiait le cycle et sa force à nos oreilles coupablement accoutumées disparaît, et voilà que resurgit, comme vierge, la musique de Schubert, le texte de Müller, moins poignants, mais tout aussi fascinants.
Ce travail n'aurait pas été possible sans Eric Schneider qui modifie largement la conception qu'il avait pu développer avec Matthias Goerne. Toujours ce piano rond, cette extrême musicalité, ce goût du chant pianistique, ce rubato très développé, toujours expressif. Mais ici d'une façon encore différente, et avec des tempi très surprenants. Gute Nacht et Der Wegweiser courent presque, Letzte Hoffnung se suspend, la sinuosité de Mut ! surprend, Das Wirtshaus fait dans son prélude retentir un inquiétant glas et non plus un calme prélude au repos. Et dans le Leiermann, la chanteuse s'impose une voix droite, simple, presque de cabaret, qui finit par se briser comme du cristal sur la dernière note. Saisissant.
Tout ce travail de mise à distance, plein de respect pour le texte littéraire et musical, sans idée de démonstration - on a l'impression que cette optique s'est révélée après coup -, convient parfaitement aux moyens de Christine Schäfer, qui s'applique à prononcer le plus clairement possible pour sa voix haute et ses voyelles indécises.
Et nous ravit.
Je propose ici un extrait significatif.[1] Il s'agit du neuvième lied du cycle, Irrlicht, qui montre à merveille le ton et l'aisance de cette interprétation.
Un voyage en compagnie plus joyeuse que de coutume, chaleureusement recommandé. Bien que récent, disponible pour 10€ chez les bons vendeurs en ligne.
Notes
[1] Je tente ceci, plus facile d'usage pour des raisons de format. Il s'agit d'une liste de lecture qui ne permet pas de télécharger le morceau, qui reste en simple écoute, comme auparavant. En cas de problèmes de compatibilité, utiliser Winamp.
Commentaires
1. Le dimanche 28 janvier 2007 à , par Inactuel :: site
2. Le dimanche 28 janvier 2007 à , par Xavier :: site
3. Le dimanche 28 janvier 2007 à , par DavidLeMarrec
4. Le lundi 29 janvier 2007 à , par Sylvie Eusèbe
5. Le mardi 30 janvier 2007 à , par DavidLeMarrec
6. Le vendredi 23 novembre 2007 à , par Morloch
7. Le vendredi 23 novembre 2007 à , par DavidLeMarrec :: site
Ajouter un commentaire