Johann Sebastian BACH - Messe en si - Marc Minkowski, Les Musiciens du Louvre (Metz 2007)
Par DavidLeMarrec, mercredi 4 avril 2007 à :: Disques et représentations - Domaine religieux et ecclésiastique :: #578 :: rss
Metz, Arsenal, vendredi 30 mars 2007, 20h30.
Jean-Sébastien Bach, Messe en si mineur, BWV 232.
Marc Minkowski : direction ; Les Musiciens du Louvre-Grenoble.
Sopranos : Joanne Lunn, Blandine Staskiewicz, Judith Gauthier, Claire Delgado Boge
Altos : Philippe Jaroussky, Nathalie Stutzmann
Ténor : Emiliano Gonzalez Toro, Markus Brutscher
Basses : Joao Fernandes, Alan Ewing
L’excellente réputation de l’architecture et de l’acoustique de la salle de l’Arsenal à Metz est si célèbre que même sans connaître ce lieu j’en avais déjà souvent entendu parler. Récemment, dans une interview, à la question « à votre avis quelle est la salle idéale pour l’acoustique ? », Nathalie Stutzmann répondait sans hésiter « le Carnegie Hall de New York et l’Arsenal de Metz ». Cette réputation n’est pas usurpée et cette salle est en effet magnifique.
L’Arsenal de Metz est un long bâtiment sans étage construit sous Napoléon Ier. Comme son nom l’indique, il abritait armes et munitions, et pour bien le rappeler sur sa façade à la rigueur militaire, des cannons surmontant de petites pyramides de boulets sont sculptés en bas reliefs. Restauré à la fin des années 1980 par l’architecte Ricardo Boffil, il contient aujourd’hui une salle de concert de 1354 places.
Cette salle marque l’esprit par l’utilisation du bois et ses lignes simples. De plain-pied avec le hall d’entrée, une galerie court autour de son plan rectangulaire et guide les spectateurs jusqu’à l’arrière des sièges qui plongent vers la scène, trois « étages » plus bas. On embrasse alors cet espace d’un seul coup d’oeil en ayant l’impression d’être à l’intérieur d’un studiolo d’Urbino contemporain, ou dans le décor raffiné d’un opéra, celui d’un Don Giovanni par exemple. Les murs latéraux dans lesquels s’ouvrent deux niveaux de loges sont animés par des panneaux de bois lisse qui jouent sur les nuances de couleurs et les variations des veines du matériau. L’ensemble trace des formes décoratives stylisées : colonnes, moulures et frontons antiques au-dessus des loges et des portes d’accès à la scène sont apparentés au vocabulaire architectural du XVIIIe siècle. Cette gigantesque marqueterie est parcourue par de minces fils de laiton soulignant discrètement l’assemblage des panneaux ; le long des escaliers et des loges courent des rambardes en laiton doré donnant une touche brillante à ce lieu chaleureux.
De chaque côté de la scène et derrière elle, des gradins très raides montent vers la galerie qui fait le tour de la salle et, dans la lumière douce et dorée, les spectateurs qui s’y installent donnent l’impression de participer à une mise en scène savamment préparée. Devant la scène, de larges et confortables fauteurs noirs au design « année 70 » sont disposés en rangs espacés sur de forts gradins qui permettent une vue parfaite quelque soit sa place. Le sol est bien sûr recouvert d’un parquet en bois clair, et le plafond est composé de grands caissons.
Je suis très curieuse d’entendre la Messe en si de Bach par Marc Minkowski avec ses Musiciens du Louvre : pour leur première interprétation de cette Å“uvre, il est annoncé qu’ils la donneront sans les chÅ“urs habituels très présents dans cette Å“uvre.
Les musicologues semblent s’accorder sur le fait que Bach n’ayant pas précisé clairement les effectifs requis pour l’exécution de cette Messe, il est tout à fait légitime d’en proposer des interprétations qui diffèrent sur ce point. Aussi Marc Minkowski choisit d’en présenter une version dans laquelle les voix des chÅ“urs sont confiées à des solistes, soit une dizaine de chanteurs : quatre sopranos, deux altos, deux ténors et deux basses.
Je dois dire tout de suite que mes oreilles ne connaissaient que des versions « symphoniques » de la Messe en si, et seulement au disque. Pourtant dès les premières secondes du « Kyrie », ces versions s’éloignent, et celle qui est entrain de naître s’impose.
Disposés en arc de cercle derrière l’orchestre baroque, et sur des estrades qui les surélèvent légèrement, de gauche à droite voici les chanteurs : les altos Nathalie Stutzmann et Philippe Jaroussky puis les quatre sopranos ; au centre, les timbales, les cuivres, puis sur la droite les deux basses Alan Ewing et Joao Fernandes, et pour finir, les deux ténors, Markus Brutscher et Emiliano Gonzalez Toro. A propos des sopranos, je n’en connais aucune et le programme ne me permet pas de les « identifier ». Je regrette qu’il ne contienne pas les photos des chanteurs ou leurs noms avec les duos et arias qu’ils chantent. C’est pourtant facile à proposer puisque le texte de la Messe (en Latin et en Français, ce qui est une bonne chose) est dans le programme.
Cette Messe s’ouvre donc sur la première partie du « Kyrie » dont la large construction est parfaitement mise en valeur par Marc Minkowski : le chÅ“ur s’épanouit en lentes vagues successives, progressant dans un crescendo si maîtrisé qu’il ne devient évident que lorsque les forte résonnent déjà, les appuis sur les notes sont bien marqués et légèrement rebondissants, cette longue et magistrale « ouverture » se résout dans un point d’orgue à sa mesure, longtemps tenu et vibrant dans sa perfection harmonique.
Dans la plupart des passages forte où tous les chanteurs et les instrumentistes jouent, je me permets de souligner que les deux altos, pour lesquels je ne cache pas mon penchant, sont un peu noyés dans la masse : seuls quelques graves très reconnaissables de Nathalie Stutzmann ou quelques aigus tout aussi singuliers de Philippe Jaroussky percent ici ou là, alors que les sopranos dominent par leurs éclats et que les ténors et les basses soutiennent l’ensemble de leur puissance. De la même façon, dans ces moments, il m’est bien difficile d’entendre les bois qui ne passent pas la « barrière » des cordes.
Ces réserves étant faites, je peux aborder le « Gloria » dans lequel l’alternance des passages chantés par le chÅ“ur et ceux chantés par les solistes fait vite comprendre que Marc Minkowski a au moins attribué à chacun des dix solistes un aria ou un duo, parfois un peu plus. C’est équitable pour les chanteurs et cela permet de renouveler l’attention des auditeurs.
Le premier duo marquant pour moi est le « Domine Deus » qui réunit une soprano à la voix agréable proche du mezzo (désolée de ne pouvoir la nommer…) et le ténor Markus Brutscher qui me fait très forte impression tout au long de cette soirée. Son entrain et sa joie de chanter sont extraordinairement visibles, et sa voix est si puissante, si pleine d’énergie et de ferveur qu’elle entraîne les autres tout en s’en détachant. Je n’oublie pas cependant le magnifique solo de flûte qui ouvre ce duo, dont la douceur et le moelleux sont secondés par les délicats pizzicati des violoncelles et de la contrebasse. Magnifique.
Lancé par Nathalie Stutzmann dont les voyelles tenues sont toujours aussi spectaculaires, le « Qui tollis » rassemble peu à peu le chÅ“ur et contraste par son ambiance qui s’assombrit pour cette prière, la sonorité attristée des bois se détache sur les accords dramatiques du continuo.
Le premier aria pour alto « Qui sedes » est confié à Philippe Jaroussky. Je retrouve sa voix qui tombe des cieux, et malgré un hautbois plus rapide que dans mon souvenir, il chante posément et avec légèreté de délicats fortissimos.
L’aria suivant « Quoniam tu solus sanctus » est chanté par la basse Alan Ewing accompagnée par des cuivres irréprochables. Sa voix très profonde et sans doute riche en harmonies produit sur certaines notes une impression saisissante : on dirait que quelqu’un d’autre chante en même temps que lui ! (Et ce n’était pas une hallucination auditive de ma part, ou alors elle était collective, parce que plusieurs personnes autour de moi ont eu aussi cette impression).
Le « Gloria » s’achève sur le chÅ“ur « Cum Sancto Spiritu », final impressionnant de clarté et de force. Chaque voix relance successivement le thème par de délicates entrées, et cette première partie de la Messe se termine avec un « Amen » coupé net, dont l’acoustique de la salle absorbe immédiatement la formidable puissance.
Il est 21h45, et le public déjà très enthousiaste applaudit chaleureusement les musiciens.
Après une courte pause, voici la seconde partie, le « Symbolum Nicenum » qui débute par un long « Credo ».
Les musicologues soulignent que cette Messe n’en est pas vraiment une : elle ne peut pas être donnée dans une église lors de l’office. Et cela non seulement à cause de sa longueur, près de deux heures, et en raison des musiciens de haut niveau qu’elle demande, mais surtout parce qu’elle n’entre ni dans le cadre de la musique protestante, ni dans celui de la liturgie catholique, à cause du choix des textes et de leur disposition. Cette remarque et les choix interprétatifs de Marc Minkowski me font penser que cette « Messe » se rapproche de la « Passion». En voici un exemple très net à mon avis : l’articulation entre les trois chÅ“urs successifs « Et incarnatus est », « Crucifixus » et « Et resurrexit », pendant lesquels l’épisode le plus dramatique de la vie du Christ nous est raconté comme dans une Passion (et le souvenir du « Es ist vollbracht ! » de la Saint-Jean à Leipzig est encore très présent dans ma mémoire).
Le premier de ces trois chÅ“urs « Et incarnatus est » décrit avec gravité l’incarnation humaine du Christ sur la Terre. La musique est lente et profonde, l’attitude recueillie et la concentration des chanteurs, presque tous mains croisées devant eux, accentuent la dignité de leurs chants et nous préparent au chÅ“ur suivant, le « Crucifixus » encore plus lent, rendu inéluctable (« passus et sepultus est », « Il souffrit sa passion et fut mis au tombeau ») par les coups d’archets dramatiques, puis terminé par un triple pianissimo extraordinaire et bouleversant sur le « sepultus est » qui nous immerge dans le mystère entrain d’être vécu. Et immédiatement enchaîné à ce fantastique pianissimo, le « Et resurrexit » éclate dans la délivrance et le soulagement de son énergie libérée, ses fortissimos sont tellement forts que le sol en tremble sous les pieds !
Après ce moment intense, l’aria solo de la basse Joao Fernandes « Et in Spiritum Sanctum » n’atteint pas la même concentration. Malgré de beaux graves et un délicat accompagnement par deux hautbois, le chanteur semble rester un peu en retrait, cependant le texte de cet aria est sans doute plus difficile à animer que les autres.
Le chÅ“ur « Et exspecto » termine le « Credo » et fait lui aussi penser qu’il appartient plus à une Passion qu’à une Messe : le chef d’orchestre fait ralentir ses musiciens, au point que ce « j’attends la résurrection des morts, et la vie du monde à venir » littéralement mourrant se termine presque a capela… avant de renaître avec le trait joyeux et montant de la trompette dans un « Amen » fortissimo au final impeccable de précision.
Le public, plongé dans le profond silence qui suit les moments que l’on aimerait prolonger indéfiniment, attend probablement comme moi le magnifique chÅ“ur du « Sanctus ». Vif, très prenant, je remarque pourtant difficilement certaines phrases des cordes que j’aime beaucoup entendre planer au-dessus de l’orchestre.
Vient maintenant l’ « Osanna » qui encadre le « Benedictus ». Les chanteurs changent de place pour former une symétrie vocale, à gauche, basse, ténor, alto, deux sopranos, puis à droite, basse, ténor, alto, deux sopranos. L’aria du « Benedictus » est confié au ténor Emiliano Gonzalez Toro, qui déploie souplesse et douceur dans d’émouvants pianos ; il est soutenu par une flûte très expressive aux belles nuances et aux appuis nets. La reprise de l’ « Osanna » est dominée par les sopranos, enfin par une en particulier qui fait claquer des « a » que je trouve un peu agressifs…
Les solistes reprennent leurs places initiales, et voici le second aria pour alto qui est aussi le dernier aria de la Messe. L’« Agnus Dei » est confié à Nathalie Stutzmann, et j’en suis heureuse parce que c’était ce que j’espérais ! Le tempo choisi par les musiciens est très lent, dans l’introduction orchestrale, les archets frottent les cordes dans une « rugosité toute baroque ». Il me semble clair qu’en ralentissant ainsi son orchestre, Marc Minkowski donne le plus possible d’espace à la contralto, lui offrant la possibilité de déployer son accentuation et son imagination. Fidèle à son inventivité, et tout en restant dans la sobriété qui convient à l’œuvre, elle déploie de merveilleux effets, étirant les nombreuses reprises de « Dei », abordant certaines notes d’entrée par en dessous, attaquant le « a » de « Agnus » avec une rare netteté pour cette consonne difficile dans cette situation, coupant un « peccata » en deux : « pecca-ta » en nous laissant suspendus avant la dernière syllabe. Puis, comme à son habitude, face au dernier mot à chanter, la voici faisant un accent indescriptible sur le « o » de l’ultime « nobis » et bien sûr, n’oubliant pas de refermer son aria avec le « s » délicatement prononcé de ce même « nobis »â€¦ Tranquillité, ampleur et introspection pour cet « Agnus Dei » où l’accord entre la chanteuse et le chef m’a paru plus évident qu’avec les autres solistes. Mais il est vrai que de tous les chanteurs de ce soir, seule Nathalie Stutzmann chante régulièrement avec Marc Minkowski depuis une vingtaine d’années…
Cette « grande » Messe se termine non pas sur un « Amen », mais sur un « Dona nobis pacem » qui rassemble une dernière fois l’ensemble des solistes dans un large final au crescendo superbement conduit.
Le public applaudit vigoureusement musiciens et solistes, avec une ovation spéciale pour le jeune flûtiste Florian Cousin. Les nombreux rappels voient les chanteurs reparaître sur scène pour un salut en commun et recevoir, pour les femmes, un bouquet de fleur.
Le choix des solistes de Marc Minkowski est remarquable : je n’ai pas souvent entendu un tel ensemble, tous les chanteurs soutiennent parfaitement leur chant, leurs forte sont justes et leurs pianissimos admirables ! J’ai bien sûr aimé certaines voix plus que d’autres, et en dehors de Nathalie Stutzmann et de Philippe Jaroussky qui pour moi ont vraiment des voix et une musicalité « à part », je tiens à citer encore une fois Markus Brutscher qui m’a impressionnée par la force de son chant.
Cette Messe en si, baroque et sans « chÅ“ur », est une si belle réussite que cela serait une très bonne idée de la fixer au disque !
S. Eusèbe, 1er-3 avril 2007
Commentaires
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