Hector BERLIOZ - Les Nuits d'Eté par Nathalie Stutzmann (Bordeaux, 7 juin 2007)
Par DavidLeMarrec, jeudi 21 juin 2007 à :: Disques et représentations :: #636 :: rss
Un compte-rendu de Sylvie Eusèbe !
Concert. Bordeaux, Palais des Sports, jeudi 7 juin 2007, 20h30.
Claude DEBUSSY : Prélude à l’après-midi d’un faune ;
Hector BERLIOZ : Les Nuits d’été ;
César FRANCK : Symphonie en ré mineur.
Orchestre National Bordeaux-Aquitaine ;
Nathalie Stutzmann, contralto ;
Louis Langrée, direction.
Le tout début du « Prélude à l’après-midi d’un faune » symbolise parfaitement la première partie de cette soirée de musique française : délicatesse, poésie, profondeur. Le souffle léger de la flûte éveille doucement l’orchestre qui sous la battue large et horizontale de Louis Langrée s’épanouit peu à peu dans une claire perspective sonore.
Ainsi mis en condition, l’esprit oublie les bruits des agitations extérieures. Celles qui pénètrent dans ce Palais des Sports décidément peu fait pour le concert sont pourtant un rappel à une réalité très… « déconcertante » : klaxons ! Mais en tombant, le soir procure aux Nuits d’été une certaine quiétude.
Avant d’y venir, un mot de la seconde partie de ce beau programme.
Louis Langrée, très souriant et tenant sa baguette comme un élégant escrimeur, dirige une Symphonie de Franck énergique et claire, d’une grande richesse en sonorités. Sous ses gestes amples, il fait naître des vagues orchestrales capables de libérer une puissance extraordinaire. Cependant, l’œuvre est dominée par les cuivres un peu trop gras pour mon goût. Je les aurais souhaités plus brillants, mais il est vrai qu’ils sont ici fortement sollicités. Il est d’ailleurs presque légitime que certains musiciens solistes aient du mal à retenir leur « expressivité » : ils ont des phrasés d’une grande sensibilité (le corniste en particulier qui n’est pas d’ailleurs le plus « extraverti »). Les cordes plus discrètes donnent pourtant de profondes vibrations aux pizzicati du second mouvement et j’y distingue une phrase admirable, successivement dite par les hautbois, les altos et les cors. Le dernier mouvement, assez proche du premier bien que pris très rapidement, me donne une impression de force et de vitalité très loin des teintes plus dramatiques que j’ai pu parfois entrevoir dans cette oeuvre.
J’en arrive aux « Nuits d’été » d’Hector Berlioz.
Ce n’est que la seconde fois que j’écoute « en vrai » Nathalie Stutzmann dans du chant français, et c’est vraiment avec beaucoup de plaisir que je l’attends dans cette œuvre magnifique, à la fois précieuse et élégante.
Sans partition, calme, les mains croisées devant elle, Nathalie Stutzmann se concentre. Le chef attend son léger signe de la tête pour lancer l’orchestre dans la célèbre « Villanelle ». Deux courtes mesures piano et légères dominées par des bois chaleureux, puis voici ce que sans doute bien des spectateurs de ce soir connaissent par cœur et prononcent en eux-mêmes avec la contralto :
« Quand viendraa la saison nouveelle, quand auront disparuu les froooiiids, tous les deux nous-z-irons ma beelle, pour cueillir du muguet au boooiiiis / Sous nos pieds égrenant les perles que l’on voit au matin trembleeerrr, nous-z-irons-z-écouter les merles, nous-z-irons-z-écouter les merles… sifffller ».
Beau vibrato sur « au bois », belle puissance sur « trembler », les deux « f » de « siffler » sont exactement comme il faut. Les mots et la musique glissent avec vivacité, le chant de Nathalie Stutzmann coule avec naturel et évidence. Le rythme rapide laisse peu d’occasions aux effets qui renforcent le propos. Cependant l’orchestre souligne parfaitement « l’oiseau satinant son aile », et la chanteuse tient magnifiquement forte le « ou » de « nos beaux amours ». Les notes plus longues sur « Puis, chez nous… » lui permettent deux de ses accents dont je ne me lasse pas, et les « fraises des bois » sont dites avec un sourire si gourmand aux lèvres que l’on sent leur goût… Et il me vient cette curieuse pensée : peut-être que près de Tarbes, ville natale de Théophile Gautier, le muguet fleurit tardivement, lorsque les fraises des bois sont mûres ? Mais la mélodie s’achève déjà , comme emportée dans le vif tourbillon d’une brise légère !
Tout autre est « Le Spectre de la rose ». Beaucoup d’émotions et d’élégance dès les premiers vers chantés en avant vers un public qui retient son souffle. L’intensité particulière sur le « o-o-o » de « rose » et le grave du « bal » me réjouissent ! Admirablement accompagnés par l’orchestre, les « t » de « toutes les nuits » se détachent avec une douce précision, et Nathalie Stutzmann profite des soupirs dans « Mais ’ ne ’ crains ’ rien… » pour étirer les mots d’une compassion triste et lasse. Même la lente montée sur « Ce léger parfum est mon âme » ne fait pas sortir de cette torpeur, et le « j’arrive du paradis » n’apporte pas le moindre réconfort. La chanteuse ne semble pas vouloir ici insuffler un peu d’apaisement, elle n’entrouvre pas les cieux sonores sur cette ample respiration céleste. Ces deux vers sont pourtant le seul moment de la mélodie où l’on échappe à la lourdeur terrestre, surtout avant la dernière strophe particulièrement matérielle, avec son « envie » et son « jalouser ». Cependant, la musique de Berlioz permet de tirer vers le haut le poème de Théophile Gautier, et les musiciens ralentissent superbement dès « et sur l’albâtre où je repose », ce qui favorise le profond recueillement de la contralto sur la célèbre épitaphe : « ci-gît une rose que tous les rois vont jalouser ».
Quelques spectateurs émus ne peuvent retenir leurs applaudissements.
Le lamento « Sur les lagunes » nous maintient dans cette tristesse ambiguë car sa beauté trop visible attendrit délicieusement l’âme. Repris 30 ou 40 ans après Berlioz par Gabriel Fauré sous le titre « la Chanson du pêcheur », ce poème est une plainte déchirante. Nathalie Stutzmann joue un peu plus ce texte que les précédents mais elle sait rester sobre. Sa puissance et son vibrato culminent dans « La colombe oubliée pleure et songe à l’absent ; mon âme pleure et sent qu’elle est dépareillée ». Sur l’alternance croche-noire-croche-noire-croche-noire pointée de « qu’elle est dépareillée » la chanteuse appuie particulièrement sur les noires, ce balancement accentue la douleur poignante de la phrase musicale. La petite liaison assez traître de « Que mon sort est-t-amer » est bien dite, pas trop forte, ce qui deviendrait vite ridicule, ou omise, ce qui couperait l’élan. La contralto met beaucoup de noblesse dans le grand crescendo qui amène à « je n’aimerai jamais une femme autant qu’elle », et après avoir déjà fait varier de nombreuses fois les « a » et les « ah », celui du dernier vers « Ah ! sans amour s’en aller sur la mer » est saisissant de douleur, très violent et accompagné d’un regard noir, presque dur. A la reprise, il n’est plus du tout menaçant, la colère fait place à l’acceptation, et le « Ah » qui termine la mélodie est maintenant loin de la plainte, même d’une plainte apaisée ou vidée de sa force : ce « ah » est simplement désolé, résigné, presque tendre. En l’espace de trois « ah » Nathalie Stutzmann nous résume un chemin que nous devons bien souvent parcourir !
Dans « L’Absence », la contralto est toujours aussi émouvante dans l’expression de la souffrance, mais très concentrée, je sens qu’elle est particulièrement attentive au son. Elle m’apparaît un peu tendue dans cette mélodie aux aigus tenus redoutables, difficiles pour les chanteurs quelque soit leur tessiture. Cette terrible phrase « Reviens, reviens, ma bien-aimée-e ! » est vraiment dure à chanter, autant à cause de la musique que de la diction obligée. Le « e » de « bien-aimée », muet dans le langage parlé, est ici souligné par un point d’orgue, et cette habitude qu’a le chant français de dire ces « e » muets apparaît bien désuète aujourd’hui, même s’il est évidemment impensable de faire autrement puisque la musique a été écrite avec cette particularité. Revenant à Nathalie Stutzmann, je crois bien que je découvre pour la première fois l’arrêt de son chant sur une note tenue en pleine puissance : sur les points d’orgues du second « reviens » et du « e » de « ma bien-aimée-e ». Je suis heureuse de constater que la coupure est très nette, sans aucun son de gorge que les ténors lyriques, par exemple, ont souvent. Par contraste avec ces appels tendus du refrain, les deux strophes apparaissent plus fluides. « D’ici là -bas que de campagnes, que de villes et de hameaux, que de vallons et de montagnes, à lasser le pied des chevaux ! » est chanté avec une diction d’une impressionnante clarté.
De ce cycle de six mélodies, cette cinquième « Au cimetière » est celle qui m’offre un peu de difficultés. Sa musique m’apparaît plus distendue, moins « facile » que les autres, et son texte plus poétique me parle moins. Cependant, je puis tout de même entendre la chanteuse souligner le sens d’un mot par son intonation (le « ain » de « plaintif » un peu appuyé) ou remarquer comment la flûte évoque le chant triste de l’oiseau. Nathalie Stutzmann par son attitude tantôt empreinte de tristesse, tantôt presque joyeuse, illustre les différents contrastes que font surgir le poème et sa musique. L’âme éveillée « du malheur d’être oubliée se plaint dans un roucoulement bien doucement » est chanté « bien doucement » avec un léger sourire, et je ne sais pas dire si le « tu reviendras ! » murmuré par le « fantôme aux molles pauses » est accompagné d’un air mauvais ou malicieux… Par contre, d’un trait aigu qui fait frissonner, les violons soulignent « une ombre, une forme angélique, passe dans un rayon tremblant, en voile blanc ». Ce court passage m’a toujours paru à la fois un peu humoristique et grinçant, il me fait penser à la musique précédant une scène particulièrement horrible dans un film d’épouvante ! Plus sérieusement, ne serait-ce pas une petite réminiscence de la musique imagée de Berlioz dont la Symphonie fantastique est un superbe exemple ? Mais voici que bien lentement la mélodie s’achève sur le chant plaintif de la pâle colombe. Cette fois-ci le « ain » de « plaintif » n’est pas appuyé et son petit « f » un peu interrogatif clôt délicatement le chant.
Avec la dernière mélodie, « L’Ile inconnue », nous retrouvons l’ambiance alerte et gaie de « Villanelle ». Souriante, pleine d’entrain, la contralto nous emmène joyeusement sur son vaisseau qui a « pour voile une aile d’ange ». Après la légèreté et l’insouciance du badinage, un nuage passe sur la mer : la reprise de « cette rive ma chère, on ne la connaît guère, au pays des amours » est chantée plus tristement. Mais déjà « la brise va souffler », le « a » de « va », tenu sur presque quatre mesures, reçoit cette intonation spéciale qu’affectionne Nathalie Stutzmann pour nous préparer au départ, et dans l’orchestre les vents tourbillonnent une dernière fois.
Le public, les musiciens et le chef applaudissent très rapidement la chanteuse souriante et visiblement heureuse. Embrassades avec le chef qui tout au long de ces Nuits d’été a regardé la soliste en souriant gentiment, applaudissements pour l’orchestre qui l’applaudit toujours et retour face au public, mains vers le cœur. Nathalie Stutzmann émue envoie des « merci » à l’assistance qui, à l’unisson, la rappelle deux fois en la saluant longuement.
Comme toujours, Nathalie Stutzmann m’est apparue très concentrée, expressive, chantant avec beaucoup d’âme et de conviction. Sa capacité à transmettre les émotions si naturellement me fascine complètement ! Pourtant, elle m’a fait penser que le chant français est bien plus exigent que la virtuosité italienne ou la grandeur allemande : j’ai senti une retenue dans son chant. Quand la musique s’étirait, elle ne m’a pas semblé faire autant corps avec elle que dans les passages plus rapides. Cette impression est infime, bien sûr, et s’applique seulement à certains passages lents, dans « L’Absence » par exemple, mais pas du tout dans « Le Spectre de la rose », d’une émotion totale… Et dans « Villanelle » ou « L’Ile inconnue », elle s’est appuyée pleinement sur la musique, elle s’est même coulée dedans avec un délice visible et communicatif !
J’avais déjà apprécié la sonorité de l’Orchestre national de Bordeaux-Aquitaine lors de leur précédent concert avec Nathalie Stutzmann (les Kindertotenlieder de G. Mahler). J’ai été très heureuse d’entendre cet orchestre tenir ses promesses, notamment avec ces délicates « Nuits d’été » de Berlioz.
Sylvie Eusèbe, 10 juin 2007.
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