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Hector BERLIOZ - Les Nuits d'Eté par Nathalie Stutzmann (Bordeaux, 7 juin 2007)


Un compte-rendu de Sylvie Eusèbe !

Concert. Bordeaux, Palais des Sports, jeudi 7 juin 2007, 20h30.
Claude DEBUSSY : Prélude à l’après-midi d’un faune ;
Hector BERLIOZ : Les Nuits d’été ;
César FRANCK : Symphonie en ré mineur.

Orchestre National Bordeaux-Aquitaine ;
Nathalie Stutzmann, contralto ;
Louis Langrée, direction.


Le tout début du « Prélude à l’après-midi d’un faune » symbolise parfaitement la première partie de cette soirée de musique française : délicatesse, poésie, profondeur. Le souffle léger de la flûte éveille doucement l’orchestre qui sous la battue large et horizontale de Louis Langrée s’épanouit peu à peu dans une claire perspective sonore.
Ainsi mis en condition, l’esprit oublie les bruits des agitations extérieures. Celles qui pénètrent dans ce Palais des Sports décidément peu fait pour le concert sont pourtant un rappel à une réalité très… « déconcertante » : klaxons ! Mais en tombant, le soir procure aux Nuits d’été une certaine quiétude.

Avant d’y venir, un mot de la seconde partie de ce beau programme.
Louis Langrée, très souriant et tenant sa baguette comme un élégant escrimeur, dirige une Symphonie de Franck énergique et claire, d’une grande richesse en sonorités. Sous ses gestes amples, il fait naître des vagues orchestrales capables de libérer une puissance extraordinaire. Cependant, l’œuvre est dominée par les cuivres un peu trop gras pour mon goût. Je les aurais souhaités plus brillants, mais il est vrai qu’ils sont ici fortement sollicités. Il est d’ailleurs presque légitime que certains musiciens solistes aient du mal à retenir leur « expressivité » : ils ont des phrasés d’une grande sensibilité (le corniste en particulier qui n’est pas d’ailleurs le plus « extraverti »). Les cordes plus discrètes donnent pourtant de profondes vibrations aux pizzicati du second mouvement et j’y distingue une phrase admirable, successivement dite par les hautbois, les altos et les cors. Le dernier mouvement, assez proche du premier bien que pris très rapidement, me donne une impression de force et de vitalité très loin des teintes plus dramatiques que j’ai pu parfois entrevoir dans cette oeuvre.


J’en arrive aux « Nuits d’été » d’Hector Berlioz.
Ce n’est que la seconde fois que j’écoute « en vrai » Nathalie Stutzmann dans du chant français, et c’est vraiment avec beaucoup de plaisir que je l’attends dans cette œuvre magnifique, à la fois précieuse et élégante.
Sans partition, calme, les mains croisées devant elle, Nathalie Stutzmann se concentre. Le chef attend son léger signe de la tête pour lancer l’orchestre dans la célèbre « Villanelle ». Deux courtes mesures piano et légères dominées par des bois chaleureux, puis voici ce que sans doute bien des spectateurs de ce soir connaissent par cœur et prononcent en eux-mêmes avec la contralto :
« Quand viendraa la saison nouveelle, quand auront disparuu les froooiiids, tous les deux nous-z-irons ma beelle, pour cueillir du muguet au boooiiiis / Sous nos pieds égrenant les perles que l’on voit au matin trembleeerrr, nous-z-irons-z-écouter les merles, nous-z-irons-z-écouter les merles… sifffller ».
Beau vibrato sur « au bois », belle puissance sur « trembler », les deux « f » de « siffler » sont exactement comme il faut. Les mots et la musique glissent avec vivacité, le chant de Nathalie Stutzmann coule avec naturel et évidence. Le rythme rapide laisse peu d’occasions aux effets qui renforcent le propos. Cependant l’orchestre souligne parfaitement « l’oiseau satinant son aile », et la chanteuse tient magnifiquement forte le « ou » de « nos beaux amours ». Les notes plus longues sur « Puis, chez nous… » lui permettent deux de ses accents dont je ne me lasse pas, et les « fraises des bois » sont dites avec un sourire si gourmand aux lèvres que l’on sent leur goût… Et il me vient cette curieuse pensée : peut-être que près de Tarbes, ville natale de Théophile Gautier, le muguet fleurit tardivement, lorsque les fraises des bois sont mûres ? Mais la mélodie s’achève déjà, comme emportée dans le vif tourbillon d’une brise légère !

Tout autre est « Le Spectre de la rose ». Beaucoup d’émotions et d’élégance dès les premiers vers chantés en avant vers un public qui retient son souffle. L’intensité particulière sur le « o-o-o » de « rose » et le grave du « bal » me réjouissent ! Admirablement accompagnés par l’orchestre, les « t » de « toutes les nuits » se détachent avec une douce précision, et Nathalie Stutzmann profite des soupirs dans « Mais ’ ne ’ crains ’ rien… » pour étirer les mots d’une compassion triste et lasse. Même la lente montée sur « Ce léger parfum est mon âme » ne fait pas sortir de cette torpeur, et le « j’arrive du paradis » n’apporte pas le moindre réconfort. La chanteuse ne semble pas vouloir ici insuffler un peu d’apaisement, elle n’entrouvre pas les cieux sonores sur cette ample respiration céleste. Ces deux vers sont pourtant le seul moment de la mélodie où l’on échappe à la lourdeur terrestre, surtout avant la dernière strophe particulièrement matérielle, avec son « envie » et son « jalouser ». Cependant, la musique de Berlioz permet de tirer vers le haut le poème de Théophile Gautier, et les musiciens ralentissent superbement dès « et sur l’albâtre où je repose », ce qui favorise le profond recueillement de la contralto sur la célèbre épitaphe : « ci-gît une rose que tous les rois vont jalouser ».
Quelques spectateurs émus ne peuvent retenir leurs applaudissements.

Le lamento « Sur les lagunes » nous maintient dans cette tristesse ambiguë car sa beauté trop visible attendrit délicieusement l’âme. Repris 30 ou 40 ans après Berlioz par Gabriel Fauré sous le titre « la Chanson du pêcheur », ce poème est une plainte déchirante. Nathalie Stutzmann joue un peu plus ce texte que les précédents mais elle sait rester sobre. Sa puissance et son vibrato culminent dans « La colombe oubliée pleure et songe à l’absent ; mon âme pleure et sent qu’elle est dépareillée ». Sur l’alternance croche-noire-croche-noire-croche-noire pointée de « qu’elle est dépareillée » la chanteuse appuie particulièrement sur les noires, ce balancement accentue la douleur poignante de la phrase musicale. La petite liaison assez traître de « Que mon sort est-t-amer » est bien dite, pas trop forte, ce qui deviendrait vite ridicule, ou omise, ce qui couperait l’élan. La contralto met beaucoup de noblesse dans le grand crescendo qui amène à « je n’aimerai jamais une femme autant qu’elle », et après avoir déjà fait varier de nombreuses fois les « a » et les « ah », celui du dernier vers « Ah ! sans amour s’en aller sur la mer » est saisissant de douleur, très violent et accompagné d’un regard noir, presque dur. A la reprise, il n’est plus du tout menaçant, la colère fait place à l’acceptation, et le « Ah » qui termine la mélodie est maintenant loin de la plainte, même d’une plainte apaisée ou vidée de sa force : ce « ah » est simplement désolé, résigné, presque tendre. En l’espace de trois « ah » Nathalie Stutzmann nous résume un chemin que nous devons bien souvent parcourir !

Dans « L’Absence », la contralto est toujours aussi émouvante dans l’expression de la souffrance, mais très concentrée, je sens qu’elle est particulièrement attentive au son. Elle m’apparaît un peu tendue dans cette mélodie aux aigus tenus redoutables, difficiles pour les chanteurs quelque soit leur tessiture. Cette terrible phrase « Reviens, reviens, ma bien-aimée-e ! » est vraiment dure à chanter, autant à cause de la musique que de la diction obligée. Le « e » de « bien-aimée », muet dans le langage parlé, est ici souligné par un point d’orgue, et cette habitude qu’a le chant français de dire ces « e » muets apparaît bien désuète aujourd’hui, même s’il est évidemment impensable de faire autrement puisque la musique a été écrite avec cette particularité. Revenant à Nathalie Stutzmann, je crois bien que je découvre pour la première fois l’arrêt de son chant sur une note tenue en pleine puissance : sur les points d’orgues du second « reviens » et du « e » de « ma bien-aimée-e ». Je suis heureuse de constater que la coupure est très nette, sans aucun son de gorge que les ténors lyriques, par exemple, ont souvent. Par contraste avec ces appels tendus du refrain, les deux strophes apparaissent plus fluides. « D’ici là-bas que de campagnes, que de villes et de hameaux, que de vallons et de montagnes, à lasser le pied des chevaux ! » est chanté avec une diction d’une impressionnante clarté.

De ce cycle de six mélodies, cette cinquième « Au cimetière » est celle qui m’offre un peu de difficultés. Sa musique m’apparaît plus distendue, moins « facile » que les autres, et son texte plus poétique me parle moins. Cependant, je puis tout de même entendre la chanteuse souligner le sens d’un mot par son intonation (le « ain » de « plaintif » un peu appuyé) ou remarquer comment la flûte évoque le chant triste de l’oiseau. Nathalie Stutzmann par son attitude tantôt empreinte de tristesse, tantôt presque joyeuse, illustre les différents contrastes que font surgir le poème et sa musique. L’âme éveillée « du malheur d’être oubliée se plaint dans un roucoulement bien doucement » est chanté « bien doucement » avec un léger sourire, et je ne sais pas dire si le « tu reviendras ! » murmuré par le « fantôme aux molles pauses » est accompagné d’un air mauvais ou malicieux… Par contre, d’un trait aigu qui fait frissonner, les violons soulignent « une ombre, une forme angélique, passe dans un rayon tremblant, en voile blanc ». Ce court passage m’a toujours paru à la fois un peu humoristique et grinçant, il me fait penser à la musique précédant une scène particulièrement horrible dans un film d’épouvante ! Plus sérieusement, ne serait-ce pas une petite réminiscence de la musique imagée de Berlioz dont la Symphonie fantastique est un superbe exemple ? Mais voici que bien lentement la mélodie s’achève sur le chant plaintif de la pâle colombe. Cette fois-ci le « ain » de « plaintif » n’est pas appuyé et son petit « f » un peu interrogatif clôt délicatement le chant.

Avec la dernière mélodie, « L’Ile inconnue », nous retrouvons l’ambiance alerte et gaie de « Villanelle ». Souriante, pleine d’entrain, la contralto nous emmène joyeusement sur son vaisseau qui a « pour voile une aile d’ange ». Après la légèreté et l’insouciance du badinage, un nuage passe sur la mer : la reprise de « cette rive ma chère, on ne la connaît guère, au pays des amours » est chantée plus tristement. Mais déjà « la brise va souffler », le « a » de « va », tenu sur presque quatre mesures, reçoit cette intonation spéciale qu’affectionne Nathalie Stutzmann pour nous préparer au départ, et dans l’orchestre les vents tourbillonnent une dernière fois.

Le public, les musiciens et le chef applaudissent très rapidement la chanteuse souriante et visiblement heureuse. Embrassades avec le chef qui tout au long de ces Nuits d’été a regardé la soliste en souriant gentiment, applaudissements pour l’orchestre qui l’applaudit toujours et retour face au public, mains vers le cœur. Nathalie Stutzmann émue envoie des « merci » à l’assistance qui, à l’unisson, la rappelle deux fois en la saluant longuement.


Comme toujours, Nathalie Stutzmann m’est apparue très concentrée, expressive, chantant avec beaucoup d’âme et de conviction. Sa capacité à transmettre les émotions si naturellement me fascine complètement ! Pourtant, elle m’a fait penser que le chant français est bien plus exigent que la virtuosité italienne ou la grandeur allemande : j’ai senti une retenue dans son chant. Quand la musique s’étirait, elle ne m’a pas semblé faire autant corps avec elle que dans les passages plus rapides. Cette impression est infime, bien sûr, et s’applique seulement à certains passages lents, dans « L’Absence » par exemple, mais pas du tout dans « Le Spectre de la rose », d’une émotion totale… Et dans « Villanelle » ou « L’Ile inconnue », elle s’est appuyée pleinement sur la musique, elle s’est même coulée dedans avec un délice visible et communicatif !

J’avais déjà apprécié la sonorité de l’Orchestre national de Bordeaux-Aquitaine lors de leur précédent concert avec Nathalie Stutzmann (les Kindertotenlieder de G. Mahler). J’ai été très heureuse d’entendre cet orchestre tenir ses promesses, notamment avec ces délicates « Nuits d’été » de Berlioz.

Sylvie Eusèbe, 10 juin 2007.


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Commentaires

1. Le jeudi 21 juin 2007 à , par DavidLeMarrec

Un peu plus dur à mettre en forme que prévu, les alinéas interféraient dans la syntaxe wiki que j'ai employée...
Normalement, tout est en ordre.

2. Le mercredi 27 juin 2007 à , par Sylvie Eusèbe

Comme d'autres visiteurs réguliers de CSS j'ai remarqué que ces derniers temps l'accès était un peu difficile. Cela semble aller mieux et j'en profite pour vous remercier pour cette présentation des Nuits d'été :-) !

3. Le mercredi 27 juin 2007 à , par DavidLeMarrec

En attendant la réaction... Car il n'y a pas que l'interface de CSS qui soit un peu à l'Ouest. (Oui, Bordeaux est particulièrement proche de la Côte ces jours-ci.)

4. Le mardi 31 juillet 2007 à , par Sylvie Eusèbe

Cher David, bonjour !
Par ce temps estival j'espère que Bordeaux n'est pas trop à l'Ouest, et c'est avec grand plaisir que je propose à CSS le devoir de vacances suivant ;-).
Bonne(s) lecture(s).
Sylvie


Genève, Cour de l’Hôtel de Ville, jeudi 26 juillet 2007, 20h30.
Récital, Franz Schubert : Die schöne Müllerin D 795 (La Belle Meunière)
Nathalie Stutzmann : contralto ; Inger Södergren : piano


Ce compte rendu est dédié à la personne qui m’a montré « l’ironie romantique » gisant au fond des poèmes de Wilhelm Müller.


Après le Winterreise puis le Schwanengesang, Nathalie Stutzmann et Inger Södergren poursuivent leur interprétation des grands cycles de lieder de Schubert : elles donnent ce soir pour la première fois en public Die schöne Müllerin.

« La Belle Meunière » est un cycle de 25 poèmes de Wilhelm Müller que Schubert découvre en 1823. Il semble si enthousiasmé par cette œuvre que l’année même il choisit 20 de ses poèmes et les met en musique. Il aura toujours beaucoup d’affection pour sa création.

Ces poèmes racontent l’histoire d’un jeune meunier qui, ayant terminé son apprentissage, quitte son maître et s’en va chercher sa première place. En descendant le cours d’un ruisseau, il arrive à un moulin et la fille du meunier, « Die schöne Müllerin », retient tout de suite son attention… Par chance, le meunier lui donne du travail auprès de cette aimable figure, et voila notre jeune homme tombant amoureux de la jeune fille. Après les incertitudes et les angoisses propres à l’amoureux, la belle meunière cède à ses avances, mais le bonheur est de bien courte durée : un chasseur passe par là ! Il attire le regard de cette fille volage qui s’éprend de lui et laisse notre apprenti meunier en proie à la jalousie et à la colère. Mais le jeune homme n’arrive pas à la haïr, alors le pardon vient, et avec lui la certitude de l’amour impossible. Désespéré, le meunier se noie dans le ruisseau, son fidèle ami et seul confident tout au long de ses mésaventures.

L’intérêt de cette histoire d’amour qui finit mal est la distance que met Müller entre ce qui arrive au jeune meunier et nous, lecteur ou auditeur. Pour cela, il entoure ses poèmes d’un prologue et d’un épilogue que Schubert laisse de côté dans sa composition. Le prologue ressemble à la tirade joyeuse et pleine d’esprit d’un bateleur qui, à la foire, invite les passants à venir voir ce qui n’est qu’un spectacle divertissant et non la réalité. Quant à l’épilogue, il est plus ambigu puisqu’il engage d’abord à ne pas prendre au sérieux ce que nous venons d’entendre, mais laisse ensuite chacun tirer de cette histoire la morale qui lui convient…
On retrouve plus nettement dans les poèmes cette « opposition » entre un courant dramatique qui semble naturel dans une telle histoire, et un courant plus léger, plus insouciant. Ces deux courants, loin de se contredire, se rejoignent pour illustrer magistralement la complexité de notre nature humaine. Nous pouvons être plongés dans les pires tourments, en souffrir réellement, et en même temps, nous pouvons rire de nos faiblesses, parce que nous savons comment nous sommes !

Cette ambivalence particulièrement délicate et subtile est sans doute bien difficile à traduire pour l’interprète, qu’il soit chanteur ou pianiste. On imagine aisément comme il est attirant de faire rapidement sombrer le meunier dans le drame, et on ne réalise pas combien la légèreté ou l’ironie bienveillante demandent d’énergies pour frapper les oreilles du mélomane influencé par l’apparence mélancolique de la musique de Schubert !
Cette histoire d’amour « vieille comme le monde » racontée dans un double discours si humain est donc le défit que Nathalie Stutzmann et Inger Södergren vont relever avec la simplicité de l’évidence.

Dans la douceur de ce soir d’été, les musiciennes prennent place sur l’estrade dressée au fond de la charmante cour de l’Hôtel de Ville de Genève. L’espace entièrement minéral est hermétiquement clos par une architecture simple et variée composée de bâtiments, de colonnades et de loggias abritant des escaliers. Cette cour protège assez bien les 380 spectateurs du tumulte lointain de la ville, et comme elle n’est pas très vaste, elle convient parfaitement à la musique de chambre ou au lied.

La contralto, sans doute parce que c’est l’été, mais peut-être aussi parce qu’elle va jouer le « weissen Mann », porte une veste de toile blanche. Elle apparaît détendue et souriante, seul le porte partition placé bas devant elle indique que cette œuvre est « nouvelle » pour elle en récital. Le visage impénétrable, la pianiste vêtue de noir prend place devant le Steinway entrouvert. Les applaudissements prennent fin rapidement, un bref regard entre les deux musiciennes, et le piano débute « Das Wandern » (Voyager).

Comme je suis assise au premier rang, en plein milieu, à moins de cinq mètres des musiciennes, je n’ose pas trop pendant les premiers lieder sortir mon crayon et noter le plus discrètement possible ce que je remarque et qui soutiendra ma mémoire lors de l’écriture de ce compte-rendu ! Alors de ce « Wandern », je ne sais retenir que la fermeté décidée du piano dans laquelle je n’entends pas la marche un peu chaotique, ou même un peu grotesque dans son déséquilibre, que j’ai pu discerner chez certains pianistes. Ce piano sans arrière-pensée chemine aux côtés du chant joyeux et entraînant qui ne sait pas encore que cette eau, que ce ruisseau, qui l’attire inexorablement vers la belle meunière, sera la cause de sa chute comme celle de son salut. La chanteuse n’a pas besoin de quelques lieder pour déployer sa voix, elle est ce soir immédiatement en possession de tous ses timbres, mais je remarque que ses accents sont moins marqués, que sa prononciation semble moins articulée et que les consonnes des mots en fin de vers sont moins détachées. Je suis surprise et heureuse de constater que tout ceci donne à son chant plus de raffinement, plus de fluidité, et cela illustre parfaitement le texte de ce premier lied : voyager, c’est l’eau qui nous l’a appris.

Dans le second lied « Wohin ? » (Où aller ?), la joie du jeune meunier devant la vie qui s’ouvre à lui est parfaitement exprimée. On est encore bien loin de deviner une première trace d’inquiétude, et je me réjouis avec enthousiasme de l’appoggiature, si élégante et agile, sur le « die » de « die Nixen » !

Suivant le cours du ruisseau comme un enfant poursuit le bout de bois qu’il a mis dans l’eau pour l’imaginer en bateau emporté par les flots, le jeune meunier arrive à un accueillant moulin. Le motif musical de la roue du moulin est très discrètement évoqué par la pianiste et la chanteuse demande si c’est bien là que le ruisseau désirait l’amener (« Halt ! »). Elle laisse la question en suspens, et la musique reste en l’air jusqu’au lied suivant, « Danksagung an den Bach ». Ce « merci au ruisseau » est extrêmement mélodieux et la musique m’évoque déjà une berceuse, la berceuse finale peut-être. Le jeune homme ne se demande plus où est la source de l’appel (vient-il de lui-même ou de son cher ruisseau) et il l’accepte avec fatalité : « j’ai trouvé ce que je cherchais, / qu’importe ce qu’il arrive ». À cet endroit, le piano puissant souligne la merveilleuse élégance avec laquelle est chantée le « immer » dans « wie’s immer mag sein ».

La nuit d’été tombe lentement, et dans la cour une colombe qui n’est pas oubliée, ou moins poétiquement un pigeon, se met à roucouler énergiquement à la fin de ce lied. Nathalie Stutzmann sourit au public amusé et à l’oiseau stimulé par son chant et qui bien à propos lui répond, car en effet, le cinquième lied nous précise les sentiments du jeune meunier très près de tomber amoureux ! La chanteuse plonge littéralement dans la musique du piano et les paroles du maître sont dites posément avec une noble gravité. Puis elle prend un air très doux sur « das liebe Mädchen sagt / allen eine gute Nacht » (la charmante jeune fille souhaite / à tous une bonne nuit) dont le « allen » s’envole très joliment, et est vraiment touchante lorsqu’elle appuie délicatement la dernière reprise de « Dass die schöne Müllerin / merkte meinen treuen Sinn ! » (Pour que la belle meunière / remarque mon cœur fidèle !).

Inger Södergren allège son piano en débutant « Der Neugierige » (Le Curieux) sur le tempo d’une marche un peu lente. D’un air simple et sincère, la chanteuse se demande si le cœur du meunier ne l’abuse pas. Elle retient encore un peu plus la musique sur « O Bächlein meiner Liebe » (Ô mon cher petit ruisseau), et ce « Bächelein » lent, ample, émerveille grâce à l’émotion qu’il fait naître. Le meunier attend du ruisseau juste un mot : oui ou non, et pour la première fois du cycle, on sent un peu de douleur. Les yeux fermés, Nathalie Stutzmann chante la dernière strophe avec une impressionnante intériorisation, l’étrange silence du ruisseau est souligné par un effet sur le triolet de « wu-underlich », l’ultime question « sag, Bächlein, liebt sie mich ? » (dis, petit ruisseau, m’aime-t-elle ?) est si recueillie qu’elle n’est presque plus une interrogation, mais peut-elle être déjà une prémonition du « non » ?

Ici se place dans le cycle de Müller le poème intitulé « La vie au moulin » que Schubert ne met pas en musique. Il décrit la vie idyllique de la petite communauté et la gentillesse de la belle meunière. Le compositeur a préféré à ce charmant tableau l’enchaînement rapide avec « Ungeduld » (Impatience). L’agitation intérieure est traduite au piano par la répétition de motifs de trois notes joués avec une belle netteté par Inger Södergren, pendant que la chanteuse retrouve le sourire pour dire joyeusement l’amour du jeune meunier et s’étonner avec lui que personne ne le remarque !

Dans les deux lieder suivants, Nathalie Stutzmann déploie toute la richesse de son expressivité. « Morgengruss » (Salut matinal) est dit avec séduction pour inciter la jeune fille à se montrer à la fenêtre de sa chambre (la seconde strophe), mais il est aussi chanté avec sérieux lorsqu’il s’agit d’évoquer les douces émotions des rêves de la nuit (la troisième strophe). Un léger vibrato sur « Wonne » vient d’ailleurs appuyer cette troublante pensée. La musique redescend à peine sur le « Sorgen » final, les peines et les souffrances que fait jaillir le désir restent suspendues dans l’air, comme un étonnement perpétuellement renouvelé. Élégantes, « Des Müllers Blumen » (Les Fleurs du meunier) sont d’un bleu qui rappelle au jeune homme la couleur des yeux de sa bien-aimée. Chantant légèrement, très en avant vers le public pour lui communiquer sa gaîté, la contralto prend un air malicieux pour demander aux myosotis de devenir complices du jeu amoureux et de susurrer à l’oreille de la chère jeune fille endormie « ne m’oublie pas, ne m’oublie pas ! ». Dans la strophe finale, elle prend très judicieusement l’air de celui qui en fait trop, ainsi cette rosée qui « dans vos yeux / sera faite de mes propres larmes, / celles que je veux pleurer sur vous » ne peut absolument pas ici être prise au sérieux. À nous d’être assez perspicaces pour comparer cette fin à celle du lied suivant !

Ce dixième lied, « Tränenregen » (Pluie de larmes) cache son importance dans la limpidité de l’eau du ruisseau. Les musiciennes le commencent tranquillement, elles me disent chacune à leur manière que tout va bien, elles me racontent paisiblement une histoire qui commence ainsi : « Nous étions assis l’un près de l’autre, / sous l’ombre fraîche des aulnes, / et nous regardions tous les deux / le ruisseau bruissant à nos pieds ». Les strophes suivantes sont aussi insouciantes, et j’admire au passage la souplesse du chant dans « in den silbernen Spiegel hinein » (dans le miroir d’argent). Mais insensiblement, cette longue insouciance fait place à l’inconscience, puis lorsqu’il s’agit du ciel tout entier qui « semblait / sombrer dans le ruisseau, / et voulait m’entraîner avec lui / dans les profondeurs de l’eau », l’expression devient inquiète, toute la légèreté du début disparaît, et le meunier ne veut pas entendre que « le ruisseau s’écoulait gaiement / et m’appelait par sa musique, par son chant : / suis-moi, mon ami, suis-moi ! ». Le refus angoissé laisse maintenant place à la peur, et le regard noir qui accompagne ce « Geselle, Geselle, mir nach ! » est terriblement glaçant. Le début de la dernière strophe est chanté avec plus de neutralité, la tristesse du texte « Alors mes yeux se remplirent de larmes / et le miroir se brouilla soudain » n’est pas exagérée par la chanteuse, bien que le meunier ait ici la prémonition de sa mort. Contrastant implacablement avec cette idée (rappelons-nous de l’ambivalence de notre nature), Nathalie Stutzmann chante la petite phrase de la belle meunière « Il va pleuvoir, / adieu, je rentre à la maison » avec une ingénuité totale ! Je savoure l’effet « rebondi » et très humoristique sur le « a-de » de « ade, ich geh nach Haus ». C’est du grand art ! À la fois si innocents et si terribles, ces quelques mots font sans doute couler encore davantage les larmes du meunier, et peuvent faire couler aussi beaucoup d’encre… Cette jeune et belle meunière est innocente puisqu’elle prend les larmes du meunier pour de la pluie, et elle est aussi terriblement aveugle puisqu’elle ne s’aperçoit pas du trouble de son compagnon. Elle ne fait pas assez attention à lui, ou bien elle ne veut rien voir, mais quelque soit l’hypothèse qui a notre préférence, elle ne l’aime pas autant que lui et elle le dit d’une bien cruelle façon !

Contrastant immédiatement après cette plongée en eau troublée par l’ombre du chagrin d’amour, « Mein ! » (Mienne !) surprend puisque contre toutes attentes la belle meunière cède aux avances du meunier ! Le regard soutenu et fier, Nathalie Stutzmann fait corps avec la musique et lance joyeusement ces « Mein » possessifs et gentiment naïfs.

C’est la fin de la première partie du cycle, et les musiciennes saluent sous des applaudissements déjà nourris. Inger Södergren est encore très tendue, mais devant les manifestations enthousiastes du public elle sourit enfin !
Je ne suis guère habile pour parler des instrumentistes, et « l’inspiration » ne me vient pas aussi facilement que pour un chanteur. Cependant, j’aimerais essayer un instant de dire combien le piano d’Inger Södergren est précieux au chant de Nathalie Stutzmann. C’est lui qui, attentif aux désirs de la chanteuse, prépare le creuset tantôt énergique ou agité, tantôt rêveur ou tendre, tantôt triste ou mélancolique, dans lequel la voix puise sa pureté. C’est lui qui se place en retrait dès que le chant s’élève, c’est lui qui épouse ses moindres inflexions, c’est lui qui souligne ses intentions, c’est lui qui anticipe ses variations. C’est lui, qui lorsqu’il est seul, impose son tempérament où se mélangent librement la force et la douceur. C’est Inger Södergren qui s’efface avec modestie devant Nathalie Stutzmann lorsqu’elles se présentent sur scène ou en repartent, c’est la pianiste qui se tient un peu en arrière lors des saluts, alors que les musiciennes font parts égales et que « l’une sans l’autre » ne se peut pas.

Et c’est justement ce piano si nuancé qui, l’entracte finie, sait évoquer pour nous la résonance du luth du douzième lied « Pause ». Nathalie Stutzmann est particulièrement expressive lorsqu’elle nous dit que « la brûlante douleur de l’attente, / j’ai pu l’exprimer en chansons plaisantes », et la fin de ce lied est recueillie, bien que forte, avec un beau vibrato et un effet toujours aussi saisissant sur le « i » de « Liebespein » (peines d’amour).

L’ambiance du cycle change peu à peu, et nous voici maintenant parcourant des paysages dominés au propre comme au figuré par la couleur verte symbolisant l’espoir, la nature, le renouveau, et aussi hélas bientôt le costume du rival : le chasseur. Mais pour l’instant, le meunier a encore un peu de répit, nous retrouvons l’expression pleine de candeur de la belle meunière lorsque celle-ci s’écrie qu’elle aime tant le vert. Alors aussitôt, le meunier plus amoureux que jamais, vente les qualités de la couleur verte, et c’est avec fierté et gentillesse que la chanteuse nous adresse ce « grünen Lautenbande » (le ruban vert du luth).

Mais le calme est déjà fini, voici « Der Jäger », le chasseur. Au piano, le staccato bien marqué, mais pas martelé, indique la colère retenue du pauvre meunier, et prononçant avec virtuosité les vers rapides de ce lied, la chanteuse ne résiste plus à l’inquiétude qu’elle exprime par un air offensif sur « et coupe à ton menton cette barbe en broussaille, / sinon ma jeune biche dans le jardin aura peur ». La suite est chantée dans une tension très légitime, et le dernier vers, « ces sangliers, tue-les donc, vaillant chasseur ! », est chargé de peur et d’indignation.

Ici, Müller place le poème « Première peine, dernier rire », poème écarté par Schubert de son propre cycle. Empreint de nostalgie puis de haine, le propos est important puisqu’il nous indique clairement que la jeune meunière a pris le chasseur pour amant et que le meunier désire, sinon la mort du rival, au moins son départ définitif : si la passerelle du moulin pouvait s’effondrer sous les pas du chasseur, le ruisseau complaisant l’emporterait « vers l’océan, par bon vent, / jusqu’à une île lointaine / où les jeunes filles sont bannies ». Voila tout le mal que le meunier lui souhaite, et il est prêt à pardonner à sa bien-aimée, pourvu qu’elle veuille le reprendre, bien sûr !

Sur un rythme aussi rapide que le lied précédant, Nathalie Stutzmann nous fait ressentir dans « Eifersucht und Stolz » (Jalousie et fierté) un grand nombre de sentiments en très peu de temps. Tour à tour fort, décidé, dédaigneux ou insolent, le jeune meunier résiste au chasseur. « Kehr um, kehr um » (Reviens, reviens) est lancé forte avec autorité. Le ton redevient plus aimable mais reste fier quand le ruisseau est pris à témoin de la conduite de la jeune fille et que le meunier l’engage à garder secrète la peine qu’il lui confie.

Vient ici le dernier poème « supprimé » par Schubert : « Petite fleur « oubliez-moi » ». Le meunier cache sa peine dans la forêt et évoque ces myosotis qui symbolisent le souvenir et dont la couleur lui rappelle évidemment l’infidèle. Son malheur le submerge et il recherche la fleur appelée « oubliez-moi » : « Elle n’orne pas la gorge des femmes, / Elle n’est pas d’une grande beauté : / Sa couleur est le noir, le noir, / Elle n’a sa place dans nul bouquet ». Et le poème finit ainsi, suggérant pour la première fois l’idée naissante du suicide : « Elle (la fleur « oubliez-moi ») croît aussi sur une rive, / Mais là aucun ruisseau ne coule, / Et si tu veux cueillir la fleur, / Tu es entraîné vers l’abîme. // C’est le jardin qui te convient, / Une voile de couleur noire, noire, / Sur laquelle tu désires t’étendre, / Ferme la porte du jardin ! ».

Dans le seizième lied, « Die liebe Farbe » (La Couleur aimée), la tristesse et la mélancolie dominent, cette ambiance désolée est parfaitement rendue par le piano. Droite, recueillie, les yeux fermés, la chanteuse répète lentement et inlassablement le déchirant « Mein Schatz hat’s Grün so gern » (Mon trésor aime tant le vert), elle sourit légèrement en prononçant ce « Schatz ». Les autres vers sont plus neutres, bien que le « Schatz » qui suit l’évocation de la chasse soit accompagné d’une expression plus dure que les autres.

Le drame qui se noue a certes fait diminuer la distance entre l’histoire, les interprètes et les spectateurs, mais avec « Die böse Farbe » (La mauvaise Couleur), nous retrouvons un peu de légèreté dans le sursaut d’énergie qui anime le meunier. Il voudrait partir, mais la couleur verte de la nature lui rappelle trop la jeune fille et l’en empêche ! Nathalie Stutzmann souligne la colère du pauvre meunier blanc, et lorsque le piano résonne du cor de chasse, le chant s’emplit de bravoure, un sourire accompagne fièrement le ruban vert donné en guise d’adieu, mais l’inquiétude n’est pas repoussée bien loin.

Le début du dix-huitième lied, « Trockne Blumen » (Fleurs séchées), avec sa note répétée, semble annoncer la marche funèbre de l’andante con moto du trio n° 2 D 929. Au piano, les croches alternent avec les soupirs, et bien lentement, dans une ligne parfaitement soutenue, le chant exprime naturellement la fatalité en marche. Un long crescendo final conduit à un peu d’espoir. Cependant, le balancement sur les deux « heraus » évoque déjà la berceuse du dernier lied et l’angoisse ne disparaît pas de l’expression de la chanteuse. Je remarque pourtant avec plaisir que le dernier vers « der Winter ist aus » (l’hiver s’en est allé) se termine par un « s » joliment ciselé ! Dans les dernières mesures, Inger Södergren retient son piano et avec lui le souffle du public, puis elle l’arrête nettement, sans résonance, sur les graves de la main gauche.

L’avant-dernier lied « Der Müller und der Bach » (Le Meunier et le ruisseau) est abordé très sobrement par les musiciennes. Avec ce lent dialogue entre le meunier qui va enfin trouver la paix et le ruisseau amical, nous entrons dans un monde où les peines sont apaisées. Les images qui pourraient être tristes ou navrantes sont chantées avec élégance (les lys se fanent / dans toutes les prairies), le « singen » (chantent) dans les anges qui « sanglotent et chantent / pour la paix de son âme » est presque dégagé. La réplique du ruisseau, un peu plus animée et plus légère que celle du meunier grâce à un changement de tonalité, est chantée avec sincérité et en souriant : « Et quand l’amour s’arrache à la souffrance, / une étoile nouvelle / scintille alors au ciel ». De magnifiques accents sur le « e » de « Erde » (la Terre) et sur le « u/ou » dans « wie Liebe tut ? » (ce que l’amour peut faire) renforcent la beauté du chant. La dernière strophe « Ah, au fond, tout au fond, / là est le frais repos ! / Ah mon cher petit ruisseau, / chante encore et toujours » voit la contralto très retirée en elle-même, parfois souriante, parfois sérieuse, mais jamais dramatique.

Visiblement émue avant de commencer le dernier lied, « Des Baches Wingenlied » (La Berceuse du ruisseau), Nathalie Stutzmann retrouve pourtant rapidement le détachement fait de bonté et de douceur auquel la fin du lied précédent l’avait amenée. Roulant un peu les « r » sur « Gute Ruh, gute Ruh ! » (Bon repos, bon repos !) ou sur « Heran, heran » (venez, venez), elle sourit avec tendresse, mais sans tristesse. À l’évocation du cor de chasse, le ton se fait plus fort, mais sans aucune trace de colère. « Ne regardez pas par là, / petites fleurs bleues, / vous faites faire de mauvais rêves à mon dormeur » est plutôt un conseil qu’un ordre, le « va-t’en de la passerelle du moulin, / méchante fillette, que ton ombre ne l’éveille pas » est sans haine, et « Lance-moi plutôt / ton joli fichu / que je lui en couvre les yeux » est particulièrement émouvant.
La dernière strophe commence par ce « Gute Nacht » (bonne nuit) si fréquent dans les lieder, et la répétition de son doux balancement berce la chanteuse appuyée contre le piano, les yeux clos, tel le dormeur qui gît maintenant calmement au fond du ruisseau. La dernière note du chant sur le mot « weit » (immense) est une blanche, elle laisse peu de temps pour une accentuation finale, mais la chanteuse nous quitte pourtant sur une intonation particulièrement élégante. Les ultimes mesures du piano s’envolent, mais non vers la pleine lune ou vers des brumes à dissiper : la nuit est maintenant complète, et une seule étoile brille dans le carré de ciel noir qui se découpe au-dessus de nos têtes.

Comme à regret, public et musiciennes rompent l’enchantement. Applaudissements, rappels et bravos d’un côté, sourires heureux, regards émus et remerciements de l’autre.

Nathalie Stutzmann et Inger Södergren ont à mon avis parfaitement réussi ce soir à nous faire entendre Die schöne Müllerin à la fois de l’intérieur et de l’extérieur. Vécue de l’intérieur, cette histoire simple se traduit bien sûr par quelques traits douloureux et dramatiques, mais comme elle est également vécue de l’extérieur, la distance permet une implication lucide un peu ironique, mais aussi pleine de bonté et de tendresse. L’évidence et la sérénité de cette remarquable « schöne Müllerin » m’ont fortement impressionnée et vont m’accompagner encore longtemps grâce à l’enregistrement qui, je l’espère, ne saurait tarder !

Dans son épilogue, Müller plaisante un peu et se plaint de « l’oraison funèbre larmoyante » du ruisseau qui lui ôte toute bonne conclusion. Alors, et bien qu’il renonce à nous donner sa morale de cette histoire, le poète nous demande de nous souvenir du pauvre meunier lorsque nous serons heureux, afin « qu’en échange de sa brève peine, l’amour lui donne / une longue félicité au fond de vos âmes ». N’est-ce pas nous dire que nous devons avoir de la bienveillance et de la compassion pour le meunier qui sommeille en chacun de nous ?

S. Eusèbe, 29 et 30 juillet 2007.


5. Le mercredi 1 août 2007 à , par DavidLeMarrec

Merci beaucoup Sylvie !

Je m'aperçois que je n'ai pas publié ma réponse à Berlioz, j'étais persuadé de l'avoir fait ! Bien, je vais retrouver ça, si ça se trouve, c'est juste hors ligne.

Je m'occupe bien sûr de ce nouveau compte-rendu !

6. Le mercredi 1 août 2007 à , par DavidLeMarrec

Il m'a fallu du temps pour revenir sur ce riche compte-rendu, qui détaille vraiment précisément les Berlioz, au delà de l'interprétation de Nat'. [Ajout : Et il m'a fallu une sacrée dose d'opiniâtreté pour retrouver dans quel coin biscornu je l'avais stocké.]


Ainsi mis en condition, l’esprit oublie les bruits des agitations extérieures. Celles qui pénètrent dans ce Palais des Sports décidément peu fait pour le concert sont pourtant un rappel à une réalité très… « déconcertante » : klaxons !

Eh oui, le Palais des Sports, à l'origine, devait être plus gênant pour le voisinage que pour les auditeurs. :)

Mais en tombant, le soir procure aux Nuits d’été une certaine quiétude.

... celle du bunker désaffecté.


Cependant, l’œuvre est dominée par les cuivres un peu trop gras pour mon goût. Je les aurais souhaités plus brillants, mais il est vrai qu’ils sont ici fortement sollicités.

C'est la couleur locale, on n'a que ça en magasin... Au demeurant, les cuivres sont peut-être la meilleure section de l'orchestre, ça reste tout à fait bien. Je suis d'accord pour l'aspect gras. On préfèrerait acide, éclatant ou brillant, mais avec ce son, ça reste très bien fait.


Et il me vient cette curieuse pensée : peut-être que près de Tarbes, ville natale de Théophile Gautier, le muguet fleurit tardivement, lorsque les fraises des bois sont mûres ?

Quel talent de détective. :) Il y a tout simplement du stéréotype dans l'air.

Ce que vous dites me fait penser à ses talents de mélodiste plus qu'à ses postures les plus affectées. J'avais vraiment peur pour ce répertoire très direct.


Nathalie Stutzmann joue un peu plus ce texte que les précédents mais elle sait rester sobre. Sa puissance et son vibrato culminent dans « La colombe oubliée pleure et songe à l’absent ; mon âme pleure et sent qu’elle est dépareillée ». Sur l’alternance croche-noire-croche-noire-croche-noire pointée de « qu’elle est dépareillée » la chanteuse appuie particulièrement sur les noires, ce balancement accentue la douleur poignante de la phrase musicale.

C'est un peu ce genre de chose dont je me méfiais...


La petite liaison assez traître de « Que mon sort est-t-amer » est bien dite, pas trop forte, ce qui deviendrait vite ridicule, ou omise, ce qui couperait l’élan.

Ah oui, je n'avais remarqué le double sens. :)
Il est impossible d'omettre la liaison, ce serait épouvantable !


Dans « L’Absence », la contralto est toujours aussi émouvante dans l’expression de la souffrance, mais très concentrée, je sens qu’elle est particulièrement attentive au son. Elle m’apparaît un peu tendue dans cette mélodie aux aigus tenus redoutables, difficiles pour les chanteurs quelque soit leur tessiture.

Oui, ce sont des piani forcément aigus, si l'on ne veut pas que le reste soit ridiculement grave. L'ambitus est inconfortable.


Cette terrible phrase « Reviens, reviens, ma bien-aimée-e ! » est vraiment dure à chanter, autant à cause de la musique que de la diction obligée. Le « e » de « bien-aimée », muet dans le langage parlé, est ici souligné par un point d’orgue,

Le problème est surtout qu'on change totalement d'articulation entre le "é" fermé qui ne doit pas s'effilocher et le "e" arrondi qui ne doit pas être trop appuyé et couvert.


sans aucun son de gorge que les ténors lyriques, par exemple, ont souvent.

Oui, on entend quasiment le diaphragme crier "chut". :)


De ce cycle de six mélodies, cette cinquième « Au cimetière » est celle qui m’offre un peu de difficultés. Sa musique m’apparaît plus distendue, moins « facile » que les autres,

C'est vrai. Très étranges hésitations harmoniques.


Pourtant, elle m’a fait penser que le chant français est bien plus exigent que la virtuosité italienne ou la grandeur allemande : j’ai senti une retenue dans son chant.

Plus exigeant, je ne sais pas, ce sont des spécialités si différentes !


Quand la musique s’étirait, elle ne m’a pas semblé faire autant corps avec elle que dans les passages plus rapides.

Peut-être insuffisamment vibré ?


J’avais déjà apprécié la sonorité de l’Orchestre national de Bordeaux-Aquitaine lors de leur précédent concert avec Nathalie Stutzmann (les Kindertotenlieder de G. Mahler). J’ai été très heureuse d’entendre cet orchestre tenir ses promesses, notamment avec ces délicates « Nuits d’été » de Berlioz.

J'avais un souvenir très mitigé de l'ONBA avec Louis Langrée (Quatrième de Beethoven...), mais il est vrai que dans certaines pages françaises célèbres (Carmen, Werther...) , l'orchestre sait se surpasser et produire des choses tout à fait convaincantes.


Merci encore pour ce compte-rendu !

7. Le mercredi 1 août 2007 à , par Sylvie Eusèbe

Merci à vous pour cette recherche opiniâtre et fructueuse dans vos archives, et merci pour votre lecture attentive comme toujours :-) !
Mais, oh, pour une fois, serions-nous presque d'accord sur presque tout ;-) ?!!! Cela me fait plaisir de profiter de vos traits d'esprit sans sentir leurs piquants me faire plisser les méninges un peu plus ;-) ! Allez, toute à ma joie, je vous épargne mes laborieux commentaires de commentaires.
Bon courage pour le ruisseau du meunier et son discours-fleuve...
A+

8. Le mercredi 1 août 2007 à , par DavidLeMarrec

J'avais préparé la réponse dans mes brouillons de courrier au cas où le navigateur fermerait, ce fameux dossier bien connu de mes correspondants comme le mouroir des courriels oubliés. :-s

Oui, vous avez vraiment fait un travail de précision impressionnant sur chaque lied dans ce nouveau compte-rendu !

Je suis dessus, j'en ai fait la moitié. :-)) (pas trop d'épines pour l'instant)


Mais si vous voulez commenter les commentaires, ne vous privez pas, ce sera toujours avec plaisir !

9. Le mardi 25 septembre 2007 à , par Morloch

Pour les admirateurs de Nathalie Stutzmann, elle est à l'affiche d'une magnifique sortie d'opera ce mois ci, dans l'Atenaide de Vivaldi dans la collection Vivaldi Naïve (les pochettes qui se veulent mode et pas si horribles qui repoussent les mélomanes par bataillons).

Elle joue le rôle de Marziano, général byzantin qui est un des prétendants de la princesse pulcheria, qui va subir quelques revers. Mais il finira par montrer sa vaillance et sa grandeur d'âme. Nathalie Stutzmann fait partie d'une distribution superlativement superlative : Sandrine Piau, Vivica Genaux (ah ! Vivica !), Paul Agnew, Guillemette Laurens, Romina Basso, Stefano Ferrari, orchestre Modo Antiquo dirigé par Frederico Maria Sardelli.

Après Bajazet (Biondi) et Motezuma (Curtis), ce n'est que ma troisième intégrale d'un opera de Vivaldi, mais par l'engagement de toute l'équipe de chanteurs cet enregistrement me semble très très très au dessus de ce que j'ai entendu pour l'instant. Impressionnant et plein de passion.

Même si elle n'a pas un des rôles principaux, ce disque me paraît nécessaire pour tout bon Stutzmannolâtre qui se respecte :)

10. Le mercredi 26 septembre 2007 à , par Sylvie Eusèbe

Que Morloch et les fidèles lecteurs de CSS soient rassurés : je devrais dans quelques jours rencontrer pour la première fois cette Aténaïde dont en effet les quelques extraits déjà dévoilés nous promettent tous les superlatifs des passions ;-) ! Toute la distribution me rend impatiente, quant à N. Stutzmann, je pense de plus en plus que Vivaldi lui va d'une manière exceptionnelle, alors... Si je me sens "inspirée" peut-être que je déposerai ici quelques lignes sur ce "nouvel" opéra de Vivaldi, à moins que Monsieur David ait prévu un article sur l'oeuvre ?

11. Le vendredi 28 septembre 2007 à , par DavidLeMarrec :: site

Bonjour Sylvie, bonjour Morloch !

Je réponds à présent, je ne souhaitais pas lancer des réponses au lance-pierre mercredi. :)

Morloch :
Pour les admirateurs de Nathalie Stutzmann, elle est à l'affiche d'une magnifique sortie d'opera ce mois ci, dans l'Atenaide de Vivaldi dans la collection Vivaldi Naïve (les pochettes qui se veulent mode et pas si horribles qui repoussent les mélomanes par bataillons).

Elle joue le rôle de Marziano, général byzantin qui est un des prétendants de la princesse pulcheria, qui va subir quelques revers. Mais il finira par montrer sa vaillance et sa grandeur d'âme. Nathalie Stutzmann fait partie d'une distribution superlativement superlative : Sandrine Piau, Vivica Genaux (ah ! Vivica !), Paul Agnew, Guillemette Laurens, Romina Basso, Stefano Ferrari, orchestre Modo Antiquo dirigé par Frederico Maria Sardelli.

Chacun ici, manifestement, fantasme sur son égérie...

Pour ma part, c'est plutôt Guillemette qui me met hors de moi. Mais j'ai également une très vaste tendresse pour Vivica - dans la même gamme de timbres, je ne comprends pas que Maria José Trullu ne fasse pas plus ample bruit, une vraie personnalité vocale et un tempérament dramatique hors du commun. Sa déclamation de l'anglais, même sans chanter, est superlative...


Après Bajazet (Biondi) et Motezuma (Curtis), ce n'est que ma troisième intégrale d'un opera de Vivaldi, mais par l'engagement de toute l'équipe de chanteurs cet enregistrement me semble très très très au dessus de ce que j'ai entendu pour l'instant. Impressionnant et plein de passion.

Je m'étais furieusement ennuyé pour Bajazet, tant l'ensemble était décousu, la musique faible, l'ambiance très studio. On sentait véritablement que chacun avait successivement enregistré ses interventions.
De surcroît, aucune homogénéité dans la distribution, juste une collection de noms pour s'adresser à tous. Et avec raison, apparemment, vu les chiffres de vente et la satisfaction des acheteurs, chacun y trouvant son chouchou.

Pour ma part, malgré ma fanitude à peine avouable pour Guillemette, j'attends de vérifier l'urgence dramatique, la qualité d'écriture et d'exécution des récitatifs, ainsi que l'intérêt de la musique avant d'investir - je n'achète de toute façon jamais de nouveautés, je ne suis pas pressé, j'attends deux à quatre ans que les prix baissent. La seule chose qui puisse me décider à acheter précipitamment étant une oeuvre qui réponde à un besoin antérieur très ancien, en tirage limité et avec une vraie plus-value. J'ai ainsi acquis la Callirhoé de Glossa pour sa documentation de très bonne qualité, avant qu'elle ne soit épuisée, puisqu'elle a été tirée à très peu d'exemplaires.

Il faudra donc que ces conditions soient remplies...

*

Sylvie Eusèbe :
Que Morloch et les fidèles lecteurs de CSS soient rassurés : je devrais dans quelques jours rencontrer pour la première fois cette Aténaïde dont en effet les quelques extraits déjà dévoilés nous promettent tous les superlatifs des passions ;-) ! Toute la distribution me rend impatiente, quant à N. Stutzmann, je pense de plus en plus que Vivaldi lui va d'une manière exceptionnelle, alors... Si je me sens "inspirée" peut-être que je déposerai ici quelques lignes sur ce "nouvel" opéra de Vivaldi, à moins que Monsieur David ait prévu un article sur l'oeuvre ?

J'ai déjà une ébauche de réflexion sur Motezuma qui attend depuis environ huit mois d'être achevée, parmi tant d'autres bricoles, aussi je ne saurais trop vous engager à nous faire profiter de vos pensers sublimes sur le sujet. :-)

En tout état de cause, le fait que CSS se charge en son nom propre ou pas d'un sujet ne vous interdit en rien d'user de votre statut de guest star. 6-)

12. Le jeudi 23 août 2012 à , par Sandrine

J´avoue être estomaquée : Nathalie Stutzmann a-t-elle vraiment chanté Villanelle dans le ton original ? Parce que si c´est le cas , elle n´est pas un contralto grave ainsi que je l´avais toujours imaginé . La tessiture de cet air exige une bonne assise dans l´aigu . Personnellement, un prof de chant m´avait fortement déconseillé de le travailler car beaucoup trop haut pour ma voix . D´ailleurs, je crois que même une mezzo-soprano , voire une soprano grave pourrait le chanter .
Stutzmann a pourtant bel et bien le timbre d´un contralto et avait déclaré que des partitions comme Dalila et Ulrica étaient trop hautes pour elles , donc j´ai vraiment du mal á comprendre .

13. Le jeudi 23 août 2012 à , par DavidLeMarrec

Le ton original est fa majeur, et non le la majeur des sopranes. A l'origine, le cycle était conçu pour les voix moyennes, et il a longtemps été chanté par des hommes. :)

Non, je vous rassure, elle qui transpose tous ses lieder une bonne tierce plus bas, elle ne s'amuse vraisemblablement pas à chanter ça dans une tonalité déjà pas totalement confortable pour les mezzos.

Après, c'est techniquement tout à fait possible pour un alto, ça culmine au fa dièse et les notes tenues sont des fa. Simplement, ça rend l'allègement difficile, ça n'a pas grand intérêt pour une pièce d'esprit aussi léger.

Quant à ses déclarations, à mon (très) humble avis, si elle engorgeait moins, elle monterait plus facilement. :)

14. Le jeudi 23 août 2012 à , par Sandrine

Ok , merci pour l´info , je commencais á m´inquiéter mais il est également possible ( apres tout , autant de types de voix qu´il y a de personnes ) que ce soit ma voix á moi qui soit vraiment limitée question aigu ainsi que me l´ont confirmé plusieurs profs . Si vous parlez du fa dieze 4 , c´est déjá du super aigu pour moi,
j´entends en terme de tessiture exploitable car apres, bien sûr, pour peu qu´on force plus ou moins, même une contralto peut donner des contre-notes en cri de sifflet .

Je ne comprends pas bien le terme " engorgé" : je n´ai jamais remarqué que Stutzmann râclait de la gorge . D´ailleurs, la vraie voix d´alto se caractérise justement par un aigu limité , plus court que ceux d´une mezzo . Stutzmann, quand elle a déclaré ne pas pouvoir aborder Ulrica ou Dalila parlait d´ailleurs certainement beaucoup plus du centre de gravité que des notes les plus hautes . C´est vrai qu´Ulrica , bien que citée pour alto se situe plus vers ce que
j´appellerais á la va vite un alto/ mezzo, c´est á dire un mezzo-contralto . Dalila est légerement plus haut , je dirais entre Ulrica et Carmen .

15. Le jeudi 23 août 2012 à , par DavidLeMarrec

Un vrai contralto peut avoir de la difficulté à monter, oui. Des contraltos pros qui n'atteignent pas le sol correctement, je crois que ce n'est pas très fréquent, mais après, tout est possible (limitation technique ou limitation physiologique !).

Dalila est légerement plus haut , je dirais entre Ulrica et Carmen .


Oui.

Je ne comprends pas bien le terme " engorgé" : je n´ai jamais remarqué que Stutzmann râclait de la gorge .

Engorger, ce n'est pas râcler, c'est plutôt placer la résonance en arrière, ce qui rend plus épais et moins sonore. Nathalie Stutzmann fait typiquement ça : lorsqu'on l'entend en vrai, on a parfois l'impression (c'est très vrai pour le baroque, assez pour le lied, mais pas du tout pour les grands Mahler, par exempe) que le son reste à l'intérieur, est bloqué dans le corps au lieu de rayonner par lui. Comme s'il y avait un couvercle qui retenait la voix en arrière.

16. Le jeudi 23 août 2012 à , par DavidLeMarrec

Tenez, j'ai parlé ici de l'engorgement.

17. Le jeudi 23 août 2012 à , par Sandrine

C´est certain qu´une contralto pro ou amateur de haut niveau devrait en principe avoir le sol 4 mais , par exemple, je ne sais pas quelle est la note la plus haute que Ferrier a donné dans sa carriere . Apres, comme vous dites, la voix au niveau physiologique peut avoir un probleme comme tout simplement, elle peut être naturellement courte que ce soit dans l´aigu ou le grave . Apres tout, il y a des sopranos de niveau confirmé qui n´ont pas le contre-ré tandis que d´autres ont naturellement le contre-mi sans même avoir pris de cours .

Je pense que quand je voulais dire " râcler" , j´entendais par lá le fait d´exagérer la voix mixte et la voix de poitrine comme , par exemple, chez Horne et Podles qui , au départ, sont des mezzos á la voix longue et non de vrais altos .
Chez Ferrier et Heynis, au contraire, le son n´est jamais vulgaire et reste toujours élégant . D´ailleurs, beaucoup considerent que , comparé á Ferrier, Stutzmann ne serait pas une contralto " pur sucre " . Personnellement, je pense qu´elle l´est car elle a son timbre á elle et tres certainement, sa technique
n´est pas celle d´une Ferrier ou d´une Heynis .

18. Le dimanche 26 août 2012 à , par DavidLeMarrec

Ferrier faisait en tout cas les sol bémol 4 des Kindertotenlieder, donc nul doute qu'elle avait le sol. Après, avait-elle un beau la, avait-elle un si... je ne peux pas dire. Il serait étonnant que l'un ou l'autre de ses biographes n'ait pas documenté la question, mais je n'ai jamais lu son étendue exacte.

Je pense que quand je voulais dire " râcler" , j´entendais par lá le fait d´exagérer la voix mixte et la voix de poitrine comme , par exemple, chez Horne et Podles qui , au départ, sont des mezzos á la voix longue et non de vrais altos .

Mais ces poitrinés-là ne sont pas du tout engorgés, bien au contraire, complètement dans le masque (et même pas mal de résonance nasale, sans être vraiment "dans le nez", pour Horne).

Podles a tout de même une assise grave extraordinaire, elle parvient à être les deux - le seul cas que j'aie rencontré ! Pour Horne, c'est même un mezzo-soprano clair à l'origine. Il faut entendre la couleur de sa Cassandre avec Prêtre ou de sa Carmen avec Bernstein ! Lorsqu'elle chante les vrais contraltos comme Fidès du Prophète, on la sent un peu tassée.

Chez Ferrier et Heynis, au contraire, le son n´est jamais vulgaire et reste toujours élégant . D´ailleurs, beaucoup considerent que , comparé á Ferrier, Stutzmann ne serait pas une contralto " pur sucre " . Personnellement, je pense qu´elle l´est car elle a son timbre á elle et tres certainement, sa technique n´est pas celle d´une Ferrier ou d´une Heynis .

Oui, bien sûr, le contralto authentique est en principe plus gracile que le pauvre mezzo qui racle tout ce qu'il peut pour descendre. :)
Concernant Stutzmann, j'ai toujours eu du mal à me prononcer, justement à cause de cet engorgement qui rend la voix plus courte. Mais en tout cas, si on peut éventuellement remettre en cause sa technique, la réalité de son chant toute sa vie a été celle d'un contralto.

19. Le dimanche 26 août 2012 à , par Sandrine

Je pense que , sauf voix physiologiquement tres courtes , une alto doit avoir au minimum le la 4 en voix de sifflet mais puisque le répertoire de ce registre dépasse tres tres rarement le fa 4 , cela ne lui est pas indispensable .
Ce qui est certain, c´est que question centre de gravité , elle n´a jamais abordé ni á la scene ni au disque des rôles et airs pour mezzo .

Effectivement, Podles a un grave assez profond mais je suis bien certaine que d´autres femmes ont cela surtout si l´on considere celles qui ne sont pas connues et celles qui n´ont pas de technique . Podles a quand même des années de technique derriere elle , ce qui fait qu´il est normal que sa voix , déjá ample de nature soit plus forte que celle d´une femme qui ne s´est jamais entraînée .

Stutzmann se définit elle-même comme étant un vrai contralto et une prof m´expliquait que des altos, on en trouve de plusieurs variétés exactement comme des mezzos et des sopranos : cela va de l´alto profond á l´alto léger dont le timbre est pratiquement celui d´un mezzo avec , évidemment, l´aigu en moins .
Puis le mezzocontralto ( contraltino ) qui est alto de par le timbre et mezzo de par l´ambitus .

Effectivement, Horne avait une voix relativement claire á l´origine et d´ailleurs, je ne l´aime pas , ne serait-ce que pour ses exagérations théâtrales .
Sa Rosina , même rien que de l´entendre, m´insupporte au plus haut point et je préfere ne pas imaginer ce qu´elle aurait pu donner en Zerlina , par exemple .

20. Le dimanche 26 août 2012 à , par DavidLeMarrec

Je pense que , sauf voix physiologiquement tres courtes , une alto doit avoir au minimum le la 4 en voix de sifflet mais puisque le répertoire de ce registre dépasse tres tres rarement le fa 4 , cela ne lui est pas indispensable .
Ce qui est certain, c´est que question centre de gravité , elle n´a jamais abordé ni á la scene ni au disque des rôles et airs pour mezzo .

Oui, je suis d'accord. (Les rôles montent quand même quelquefois jusqu'au sol bémol, donc avoir un sol exploitable doit être nécessaire.)

Effectivement, Podles a un grave assez profond mais je suis bien certaine que d´autres femmes ont cela surtout si l´on considere celles qui ne sont pas connues et celles qui n´ont pas de technique . Podles a quand même des années de technique derriere elle , ce qui fait qu´il est normal que sa voix , déjá ample de nature soit plus forte que celle d´une femme qui ne s´est jamais entraînée .

Il y a peut-être des cohortes de femmes qui ont des voix longues, mais je n'en ai jamais entendu, qui puissent chanter avec panache, sur la scène professionnelle, à la fois (et dans la même période de carrière !) les mezzos rossiniens sopranisants (ou Eboli !) et les rôles d'alto les plus profonds du répertoire. Les deux au plus haut niveau d'excellence, c'est tout de même sacrément exceptionnel. Unique à ma connaissance, chez les femmes comme chez les hommes.


Stutzmann se définit elle-même comme étant un vrai contralto et une prof m´expliquait que des altos, on en trouve de plusieurs variétés exactement comme des mezzos et des sopranos : cela va de l´alto profond á l´alto léger dont le timbre est pratiquement celui d´un mezzo avec , évidemment, l´aigu en moins .
Puis le mezzocontralto ( contraltino ) qui est alto de par le timbre et mezzo de par l´ambitus .

Oui, on peut découper à l'infini... et ces sous-catégories ne recouvrent pas pour autant la diversité des réalités, qui peuvent même être différentes chez une même artiste (selon les périodes de sa carrière, les rôles abordés, etc.).

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Effectivement, Horne avait une voix relativement claire á l´origine et d´ailleurs, je ne l´aime pas , ne serait-ce que pour ses exagérations théâtrales .

Oh, j'ai beaucoup de tendresse pour elle au contraire : la voix n'est pas très belle, mais elle a couvert un répertoire extrêmement considérable, incluant des répertoires très négligés à l'époque comme la mélodie américaine, le serio rossinien, le Grand Opéra à la française... Et toujours avec un impact vocal et un grand engagement dramatique.

En revanche, je suis d'accord, pour le bon goût, elle n'était pas championne de la juste mesure. :)


Sa Rosina , même rien que de l´entendre, m´insupporte au plus haut point

Ce n'est clairement pas dans les rôles où l'expression doit être primesautière qu'il faut l'attendre, c'est certains. L'humour qu'elle réussit bien est un peu moins espiègle, elle fait admirablement le canard dans I bought me a cat de Copland. :) [Ce qui représente à mon avis un excellent exercice pour distinguer un mezzo d'un alto.]


et je préfere ne pas imaginer ce qu´elle aurait pu donner en Zerlina , par exemple .

Oh, si vous imaginez, vous tomberez juste, elle n'a pas changé sa manière pour le rôle. (C'est assez terrifiant, je confirme. )

21. Le mercredi 29 août 2012 à , par Sndrine

David , quelle est votre version préférée des Nuits d´été de Berlioz question chanteuses lyriques ?
Il y en a tellement : Crespin, Von Otter , Kasarova , Graham , Norman ....
C´est vrai que le centre de gravité des airs demande plus un registre au minimum mezzo aigu , ce qui prouve bien que Podles ( elle a bel et bien chanté ces airs sur scene ) a une voix de départ de mezzo long et non de pur contralto . Qu´elle ait un grave incroyable et un timbre sombre ne prouve rien : Barbieri et tant
d´autres ont aussi des graves et un timbre sombre et pourtant, elle a toujours été classée mezzo , jamais alto .
Donc, c´est beaucoup plus la tessiture et le centre de gravité qui définit une voix . Podles se définit elle-même comme un contralto colorature mais ca rejoint un mezzo tres long avec aptitude á vocaliser .

Von Otter a une voix idéale ( mais ce n´est que mon avis pour les Nuits d´été , Graham a peut-être un timbre plus cuivré mais également placée assez haut et flirtant avec le soprano . Par contre, je trouve dommage que les Nuits d´été n´aient jamais été chanté par des hommes, j´entends par des voix d´hommes de type ténor ou baryton et non pas des contreténors . C´est d´autant plus dommage que la plupart des paroles sont celles d´un homme á une femme et non
l´inverse .

22. Le mercredi 29 août 2012 à , par DavidLeMarrec

Il y a beaucoup de versions, donc même si je trouve le style particulièrement sinistré par les dictions pâteuses et les styles douteux, il reste néanmoins un certain nombre de versions que j'aime beaucoup.

Tout dépend le type d'univers que vous voulez. Pour le dramatique, il y a Steber / Mitropoulos, moins à l'aise sur les mélodies plus légères, mais d'une intensité inégalée pour les plus lyriques. C'est dans le domaine public, je l'ai mis ici, si vous désirez essayer.

Autre version très intense que j'aime beaucoup, celle d'Elsa Maurus avec Casadesus, elle chante vraiment dans le bas de sa tessiture, mais la diction est nette et acérée, et surtout la poussée tout au long du cycle remarquable.

A l'opposé du désespoir de Steber et de la rage de Maurus, il y a la version extatique de Gens avec Langrée (Gens II, avec Axelrod, est moins abouti), dans une prise de son très réverbérée, mais une des plus belles lectures orchestrales, même si on est loin de la netteté et de l'esprit ravageur de Gardiner. Gens a sans doute les plus beaux mots de toute la discographie, même s'ils sont rendus un peu flous par la prise de son.

Ce sont vraiment les trois, très contrastées, auxquelles j'aime revenir très souvent. Vous citez von Otter, et sa première version avec Levine (je n'aime pas celle avec Minkowski, et la voix s'est vraiment fanée) est en effet un modèle : diction nette, présence vocale, tout est parfait. C'est une très quatrième version à recommander.

Mais il y a d'autres versions remarquables pour d'autres raisons, comme Gillet pour la diction (la plus netteté articulée), Gardiner pour la direction d'orchestre, Hendricks ou Danco pour la fraîcheur ou au contraire Pollet pour l'amplitude... Mais ces versions me portent moins loin, en tout cas sur la durée. Pour Gardiner, c'est différent, mais il utilise des voix mêlées, dont des voix d'homme, ce qui ne correspond pas à votre requête. :)

--

Barbieri avait plus un timbre criard qu'un timbre sombre, à mon humble avis. Elle n'avait pas d'aigu (dans Eboli, elle abaissait le do bémol d'un ton et le chantait faux quand même), mais le grave n'était pas particulièrement abyssal non plus. Et puis sa couleur était une couleur de "masque" et de "nez", très différente de celle plus en arrière de Podleś.

Le problème avec la tessiture, c'est précisément que celle de Podleś couvre deux voix. Mais ce n'est pas grave, hein, même si on ne peut pas la classer, on ne lui en veut pas.

--

Les Nuits étaient chantées à l'origine uniquement par des hommes, mais depuis l'ère de l'enregistrement, oui, cela s'est complètement inversé. Il existe quelques enregistrements où l'on trouve les deux voix mêlées (C. Davis 69, Boulez I, Gardiner, Boulez II) ; je ne sais pas s'il faut l'attribuer à mes penchants glottophiles ou théâtreux, mais je trouve dommage de fragmenter un cycle, qui perd de sa continuité, même si elle n'est pas narrative. Et puis il y a forcément des conceptions très différentes d'un chanteur à l'autre, ou tout simplement des voix qui ne nous séduisent pas, surtout lorsqu'on mobilise quatre chanteurs différents comme Davis ou Gardiner !

Il existe une seule exception dans la discographie, Gedda / Varviso. Et cela arrive, de loin en loin, en concert (Jérôme Correas l'a fait avec piano, il y a une dizaine d'années). Mais globalement, la ductilité des lignes convient mieux à une voix de femme, à mon avis, sans parler du fait que précisément, les poèmes, en semblant être des paroles rapportées, en deviennent (pour moi) plus touchants.

Von Otter a en effet, comme vous le soulignez, des qualités formidables dans le répertoire de la mélodie française, celui où elle le mieux réussi avec le baroque anglais et les opéras de Richard Strauss, à mon sens. Ses Shéhérazade de Ravel sont peut-être encore plus fantastiques, de même pour les Mallarmé si difficiles à réussir. Et sa Bonne Chanson n'est pas mal.

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David Le Marrec

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